Ni Dieu ni maître, une histoire de l'anarchisme.
Les réseaux de la colère, raconte comment aux lendemains des révoltes de 1968, l´anarchisme, qui s´est mondialisé, se perd à nouveau un temps dans la violence avant de revenir, masqué, dans tous les grands mouvements sociaux de ce début de troisième millénaire.
Les réseaux de la colère, raconte comment aux lendemains des révoltes de 1968, l´anarchisme, qui s´est mondialisé, se perd à nouveau un temps dans la violence avant de revenir, masqué, dans tous les grands mouvements sociaux de ce début de troisième millénaire.
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00:21 Argentine, France, États-Unis d'Azurie, Japon, Chine, Algérie, Uruguay, Espagne, Danemark, Royaume-Uni, Australie, Afrique, Indonésie.
00:29 Sur les cinq continents, casqués de fleurs ou armés de pavés, les libertaires sont lentement sortis de la nuit et ont allumé des feux de joie.
00:37 Eux que l'on avait cru vaincus, ils ont partout repris l'initiative, participé à de vastes mouvements insurrectionnels et pris davantage dans la bataille pour l'hégémonie culturelle.
00:48 Mais gagner des batailles n'est rien pour eux si l'on ne gagne pas la guerre sociale.
00:53 Or, dans les années qui suivent 1968, les anarchistes vont découvrir un nouveau péril, non plus celui de disparaître, mais celui de se fourvoyer.
01:03 Car face à un système globalitaire qui met en scène les apparences de sa propre critique, leurs slogans émancipateurs, leurs rifles assassins et même leurs figures ont parfois fini par être récupérés.
01:15 Pour faire avancer leurs idées, les libertaires ne vont plus dès lors avoir d'autres choix, du local à l'international, que d'avancer masqués et par la guérilla ou dans la mobilisation de masse, en revenir à la propagande.
01:28 Et c'est ainsi que des faubourgs de Montevideo au cœur de Londres et du Chiapas rebelle à Seattle insurgés, l'anarchisme va souvent inspirer, sans toujours dire son nom, les nouvelles formes de résistance.
01:40 Et dans cette poche de modernité qui se voulait la fin des temps, relancer pour un tour au moins la grande roue de notre histoire.
01:48 Que l'année 68 ait été une répétition générale ou une révolution manquée, il n'en reste pas moins qu'elle aura laissé comme un goût d'inachevé sur la langue des révolutionnaires.
02:06 Comment ne pas comprendre que nombre d'entre eux soient déçus devant le spectacle des populations reprenant le travail.
02:13 Mais face au retour des éternels polémiques entre organisations qui se rejettent la faute et entendent ramasser les mises, pourquoi ne seraient-ils pas alors écœurés ? Que faire ?
02:26 Alors que certains décident de prendre la clé des champs et rejoignent à la campagne des communautés, d'autres, soit par optimisme, soit par désespoir, choisissent de rester dans les villes afin d'essayer par un coup de force de précipiter les choses.
02:50 Pour les anarchistes, tout commence en réalité en Uruguay. En 1965, quand Abraham Guillen, ancien combattant au sein d'une division anarchiste en Espagne,
03:00 mais aussi diplômé en sciences économiques, qui a participé à toutes les tentatives insurrectionnelles de l'après-guerre, publie son livre "Stratégie du guerrilla urbaine".
03:10 Pour comprendre la nouveauté de son livre, il faut se souvenir que depuis le triomphe de la révolution cubaine en matière de lutte armée, c'est la théorie de Che Guevara, dite du "fauquisme", qui recueille toutes les faveurs des révolutionnaires.
03:24 Les guerrieros doivent partir dans les montagnes et dans la jungle pour créer, aux côtés des paysans et des indigènes, des foyers insurrectionnels.
03:32 Cette théorie, qui a pu montrer son efficacité dans le contexte cubain, doit à tout prix, selon Abraham Guillen, être repensée pour les pays plus développés.
03:42 Dans une guerre révolutionnaire, quand les masses urbaines sont plus importantes que les masses rurales, le centre de gravité de la lutte doit se situer dans les aires urbaines.
03:52 Les grandes cités sont des forêts immenses de ciment, où tous les artifices de la guerre de guerrilla peuvent être correctement employés.
03:59 L'heure est venue où une minorité révolutionnaire peut mettre la masse en mouvement et permettre de surmonter l'aliénation par la peur.
04:06 La théorie de la guerrilla urbaine et de la propagande armée vient de naître.
04:11 Et Abraham Guillen le précisait.
04:15 La guerre révolutionnaire doit prendre en compte qu'elle est une guerre dans l'espace et dans le temps.
04:22 Et que toute opération doit gagner de la population.
04:26 Le socialisme libertarien doit prédire avec l'exemple.
04:31 Et doit porter en avant le plus important de la doctrine du socialisme libertarien, l'action directe.
04:39 Parce que pour l'action indirecte politique, pour l'action dans laquelle les masses ne participent pas, il suffit de faire partie des partis politiques.
04:48 L'objectif selon moi, c'est la prise de conscience.
04:52 La prise de conscience que le système capitaliste est fragile.
04:56 Et que les prolétaires peuvent donc mener eux-mêmes la lutte armée.
05:01 Entre parenthèses, c'est la vision classique des attentats anarchistes depuis la fin du 19e siècle.
05:09 La propagande par le fait.
05:12 La théorie d'Abraham Guillen se diffuse rapidement en Uruguay.
05:20 Où la révolte gronde depuis qu'en ce milieu des années 60, s'évite une crise économique profonde.
05:30 Elle inspire notamment un groupe de jeunes révolutionnaires, les Tupamarans.
05:35 Emmenés par Raúl Sendich, un partisan de l'autogestion, fin connaisseur de Proudhon,
05:43 et rassemblés autour de mots d'ordre libertaires,
05:46 on retrouve parmi eux des socialistes révolutionnaires, des communistes hétérodoxes,
05:51 des prêtres influencés par la théologie de la libération,
05:55 mais aussi, depuis l'origine, à l'image de Gérard Dogati, Georges Savalsa et José Mujica,
06:01 de très nombreux libertaires.
06:03 Les anarchistes participent à la formation des Tupamaros.
06:07 Les Tupamaros ont d'ailleurs un respect de la vie humaine.
06:12 En ce sens, c'est une lutte très respectable.
06:20 Les Tupamaros adoptent aussitôt la stratégie de la guérilla urbaine et de la propagande armée.
06:26 Ils attaquent tous Azimuth et enchaînent les coups d'éclat.
06:30 Pas un jour sans que leurs actions le fassent les gros titres des journaux.
06:35 Lundi, les Tupamaros occupent une usine.
06:38 Mardi, hold-up 5 millions de pesos.
06:41 Mercredi, attentat à la bombe dans plusieurs clubs politiques.
06:45 Jeudi, occupation d'une usine et bombe.
06:48 Vendredi, bombe et hold-up.
06:51 Samedi, dynamitage d'une chaîne de télévision.
06:55 Et dimanche, en guise de repos, évasion de dizaines de détenus.
07:00 Le pouvoir a beau dénoncer leur violence,
07:04 les Tupamaros, qui dans un premier temps évitent de verser le sang,
07:08 sont bien perçus par la presse et l'opinion publique.
07:11 Ils bénéficient même sur la scène internationale d'une image très positive,
07:15 comme le prouve l'article que leur consacre alors le Time magazine,
07:19 qui les apparente à des robins des voix des temps modernes.
07:22 Grâce à eux, la théorie de la guérilla urbaine et de la propagande armée
07:26 est sème dans le monde.
07:28 Les gens apprennent en répliquant.
07:30 Quand vous voyez un groupe qui fait des choses,
07:33 que vous avez des connexions avec ce groupe,
07:35 des réseaux se créent.
07:37 Et alors, on retrouve un peu partout le même type d'action.
07:40 C'est vraiment ce qui s'est passé avec les Angry Brigades, par exemple.
07:44 Partie d'Amérique latine, la question de la lutte armée se pose en effet
07:49 à partir de 1969 à tous les révolutionnaires.
07:53 Partout, on publie des journaux, on fait des films,
07:56 on écrit des livres qui parlent d'elle
07:58 et des appels aux armes sont lancés à la télévision.
08:01 Dans tous les quartiers, sur nos lieux de travail,
08:05 nous devrons préparer dès maintenant la lutte armée
08:08 pour la destruction de tous les capitalismes.
08:11 Aujourd'hui, on se rappelle surtout des Brigades Rouges en Italie
08:14 et de la fraction Armée Rouge en Allemagne,
08:17 qui, comme leur nom l'indique, ne sont pas anarchistes.
08:20 Mais à l'époque, comme souvent,
08:22 ce sont les libertaires qui prennent l'initiative.
08:25 Comme un symbole, il y a les Tupamaros West Berlin
08:28 avec Michael "Bomi" Baumann,
08:30 qui sont les premiers à faire trembler le vieux monde.
08:33 En Espagne, le groupe primaire des Mainos
08:35 puis les commandos autonomes anticapitalistes font parler la poudre.
08:40 Les appels à construire la guérilla sont entendus en France aussi,
08:43 où dès l'année 1970, le groupe révolutionnaire numéro 2
08:47 organise à Grenoble une semaine de la dynamite,
08:50 suivie par les Garis qui passent eux aussi à l'attaque.
08:53 Ils enchaînent les hold-up et multiplient les attentats et les sabotages dans tout le pays.
08:59 Même aux États-Unis d'Amérique, d'anciens hippies prennent les armes.
09:04 Le "Waser Underground", qui a la mémoire longue,
09:07 fait par exemple sauter la statue des policiers de Highmarket Square à Chicago.
09:11 Mais c'est sans doute au Royaume-Uni que la stratégie de la propagande armée anarchiste
09:16 est menée de la manière la plus emblématique par la "Angry Brigade",
09:20 la brigade de la colère,
09:22 une organisation qui encore aujourd'hui n'a pas révélé tous ses mystères.
09:26 De nombreuses questions demeurent,
09:28 que les journaux comme le Time et d'autres se posent déjà à l'époque.
09:31 Qui sont les "Angry Brigades" ?
09:35 Et eux, ils répondaient, la "Angry Brigade", ça peut être n'importe qui.
09:39 La "Angry Brigade", c'est cette personne qui est assise à côté de toi dans le métro
09:45 et qui a de la haine plein la tête et un revolver dans son blouson.
09:49 N'importe qui peut être de la "Angry Brigade", les noms ne comptent pas.
09:54 Ce qui est très intéressant et qu'on a aujourd'hui oublié avec les membres de la soi-disant "Angry Brigade",
10:01 c'est qu'ils étaient aussi impliqués dans beaucoup d'activités d'entraide,
10:05 entre communautés et avec les syndicats.
10:07 C'était des poètes et des écrivains,
10:11 mais ils ont été décrits par la presse de l'époque comme une horde de terroristes.
10:15 C'est en réalité très loin de ce qu'ils étaient.
10:18 Ce collectif, bien qu'hétéroclite, n'en est pas moins fortement mobilisé et politisé.
10:25 Décidés à passer à la lutte armée,
10:27 ils ont adopté le nom de "Angry Brigade" et ont inventé un logo
10:31 où on voit les signes masculin et féminin entrelacés autour d'une galage Nikof.
10:36 Car à l'image des autres groupes de lutte armée de l'époque,
10:40 ce qui déroute les observateurs, c'est que parmi ces combattants,
10:43 il y a de nombreux combattants.
10:45 Dans la lignée des pétroleuses de la commune,
10:48 ces femmes auxquelles on attribue le surnom d'Amazon de la terreur,
10:51 sont autant effrayées qu'elles fascinent.
10:54 On se souvient notamment en Allemagne de l'Ouest de l'intrépide NADA du mouvement du 2 juin
10:59 et d'Ulrika Meinhof de la fraction armée rouge,
11:02 qui bien que n'ayant rien d'anarchiste,
11:04 était désignée comme telle dans les tracts mettant sa tête à prix.
11:08 Mais pour le public britannique, c'est la figure d'Anna Mendelsohn
11:12 que l'on soupçonne d'œuvrer au sein de la "Angry Brigade",
11:15 qui synthétise tous les fantasmes
11:17 et retient l'attention dans cette interview télévisée
11:20 où elle résume d'un mot le sens de son combat.
11:23 Comment vous décrivez votre politique ?
11:25 Révolutionnaire.
11:28 Sensible à toutes les formes de domination
11:33 et convaincu que la meilleure défense c'est l'attaque,
11:36 pendant près de trois ans,
11:37 les femmes et les hommes de la "Angry Brigade"
11:39 font converger les luttes et enchaînent les frappes.
11:42 S'ils ciblent bien sûr les banques, les sièges des grandes entreprises,
11:46 les ambassades et les centres d'intérêt de la dictature,
11:49 ils élargissent aussi le périmètre des actions de la propagande armée
11:53 et lui ouvrent ainsi de nouveaux fronts.
11:55 Certaines de leurs cibles étaient assez inhabituelles.
12:05 Par exemple, ils ont fait exploser une boutique de mode,
12:08 Biba.
12:09 Ils disaient que Biba était un symbole de la société de consommation
12:13 et qu'à ce titre, elle devait être brûlée.
12:16 Pour bien se faire comprendre,
12:18 les actions symboliques de la "Angry Brigade"
12:20 sont systématiquement accompagnées de communiqués explicatifs.
12:24 Frères et sœurs, quels sont vos désirs réels ?
12:27 Aller au drugstore pour vous asseoir avec l'air distant,
12:30 vide, ennuyé, en buvant un café sans goût,
12:33 ou bien alors le faire sauter ou le faire brûler ?
12:36 La seule chose que vous puissiez faire avec ces maisons d'esclavage modernes
12:40 appelées boutiques, c'est les démolir.
12:42 Le capitalisme, le profit, l'inhumanité ne se réforment pas.
12:46 Il faut les frapper jusqu'à les détruire.
12:48 Révolution.
12:49 La logique derrière cela, c'est de s'adresser à un public
12:54 qui va comprendre les raisons pour lesquelles vous menez vos actions.
12:57 Mais le risque, évidemment, c'est que vous allez aussi laisser de côté
13:01 tous ceux qui ne ressentent pas de colère
13:03 et ne peuvent pas comprendre la symbolique de vos actions.
13:06 À la différence, les groupes de lutte armée
13:10 appartenant à d'autres tendances révolutionnaires,
13:13 comme les Brigades Rouges, la fraction Armée Rouge,
13:15 ou plus tard, Actions Directes, qui ont pu pratiquer des exécutions,
13:19 et alors même qu'ils frappent jusqu'aux portes du pouvoir
13:22 avec une campagne de l'être piégé,
13:24 envoyé aux journaux conservateurs, aux grands industriels et aux ministres,
13:28 afin de ne pas se couper de la population,
13:30 les guerriers russes urbains de la Angry Brigade
13:33 s'efforceront toujours de ne pas faire couler le sang.
13:37 Ils n'ont jamais tué personne.
13:39 Ils ont fait quelques blessures, mais pas très sérieuses.
13:42 La propagande par le fait devait toujours être symbolique.
13:48 Les Angry Brigades avaient ce slogan très important, je crois.
13:53 Seuls les fascistes attaquent le peuple.
13:56 Et à la Mendelssohn de confirmer
14:04 que les bombes sont très dangereuses,
14:08 que les bombes peuvent tuer les gens,
14:10 et que tuer les gens n'est pas ce que nous voulons.
14:13 Mettre une bombe dans un café
14:16 et ne pas être en position de s'assurer
14:19 qu'il n'y ait personne qui sera tué,
14:22 c'est inutile.
14:24 Ça n'a rien à voir avec essayer de faire un coup
14:28 à une propriété
14:31 que la classe rulante a,
14:34 et qui les garde en puissance.
14:37 Et pourtant, comme au 19e siècle,
14:39 la peur s'empare des cercles dirigeants.
14:42 On commence à déployer un formidable arsenal,
14:45 on vote des lois, on crée des unités spéciales,
14:48 comme la Bomb Squad au Royaume-Uni,
14:50 et grâce à la toute nouvelle informatique,
14:53 on met en fiche les populations.
14:55 En Europe et dans le monde,
14:57 la chasse aux guerriers royaumes est donnée.
14:59 En Uruguay, par exemple, le pouvoir se rigidifie
15:02 et les autorités multiplient les actions de contre-insurrection.
15:05 Des coups de filet sont lancés
15:07 qui permettent d'arrêter les figures du mouvement Toupamaro,
15:10 comme ici George Savalsa.
15:12 L'usage de la torture se généralise
15:14 et les escadrons de la mort sont lâchés aux trousses des révolutionnaires.
15:18 Et cette répression spectaculaire a elle aussi des répliques
15:21 et fête elle en revanche des victimes.
15:24 En Allemagne de l'Ouest,
15:28 le combattant anarchiste George Van Raar,
15:30 l'un des fondateurs des Toupamaros West Berlin,
15:33 est le premier guerrier royaume urbain tué par la police.
15:36 En Espagne, malgré les mobilisations internationales,
15:39 le combattant libertaire Salvador Puigendic
15:42 est exécuté au Garoville, dans la prison Modelo de Barcelone.
15:46 Et au Royaume-Uni,
15:48 quelques prétendus membres de la "Angry Brigade",
15:50 dont Anna Mendelsohn, sont arrêtés.
15:53 On leur fait un procès, le plus long de l'histoire britannique,
15:56 et bien qu'aucun ne soit reconnu coupable pour les bombes ou les lettres piégées,
16:00 on en condamne certains à de très lourdes peines de prison.
16:04 Les limites de l'action clandestine et de la propagande armée sont atteintes.
16:09 Et alors même que les anarchistes avaient été les premiers à en faire l'apologie,
16:13 ce sont aussi des libertaires qui commencent à en faire très tôt la critique.
16:17 C'est un problème de où, comment et pourquoi on fait un attentat.
16:23 Si c'est pour paralyser le capitalisme, ça peut valoir la peine.
16:29 Mais si c'est un attentat seulement spectaculaire...
16:33 Parce que l'attentat suppose une profonde inégalité
16:37 entre ceux qui ont la capacité et le savoir-faire des bombes
16:41 et les gens du commun, ceux qui vont au travail,
16:45 et qui n'ont rien,
16:49 à part bien sûr leur capacité de grève.
16:55 Tout ça me semble donner une espèce d'idéal héroïque guerrier
17:03 à des mouvements qui peuvent peut-être remplacer le lent travail à un grade
17:11 d'organisation, de formation, de culture.
17:15 Il y a une certaine impatience révolutionnaire
17:18 qui fait qu'on imagine qu'on va frapper l'ennemi au cœur
17:21 en mettant une bombinette ici ou là,
17:24 mais qui, à plus en plus formé,
17:26 ont rarement réussi à déclencher un quelconque mouvement social.
17:30 Devant les caméras, quelques jours avant son incarcération,
17:33 Anna Mendelsohn elle-même admet la relative inefficacité
17:36 de la seule stratégie de l'attentat.
17:38 Quelle est la prouve de cette série de bombes à l'Union Européenne ?
17:41 Oui, qu'est-ce que c'est ?
17:42 Qu'est-ce que c'est que l'achat, l'achat de la bombe ?
17:50 L'achat en termes de changement, en termes de ce qui a changé,
17:54 n'a rien changé.
17:56 Rien n'a changé du tout.
17:59 Nombreux sont les libertaires
18:01 qui vont alors préférer à la propagande armée,
18:03 la propagande au tout court.
18:06 À la fin des années 70 et au début des années 80,
18:10 après cette période de forte offensive révolutionnaire,
18:13 les anarchistes reprennent donc leur bâton de pèlerin.
18:17 Et tout en s'investissant dans le mouvement punk qui éclode alors,
18:21 en ouvrant des maisons d'édition et des librairies,
18:24 en créant des fanzines, des radios libres,
18:27 comme ici en France, Radio Libertaires,
18:29 ou en participant plus sagement aux mobilisations,
18:32 ceci retourne pour quelques années dans l'ombre.
18:36 Avec la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS,
18:48 le capitalisme triomphe.
18:50 Il peut à loisir se globaliser et entamer sa dernière mule.
18:55 Il renforce ses institutions et généralise son offensive
18:59 contre les corps, les cultures et les paysages.
19:02 Le monde devient un marché unique et global,
19:05 auquel rien ne doit échapper
19:07 et dans lequel tout est désormais soumis à ses lois.
19:10 « There is no alternative »,
19:12 dit-on à ceux qui osent s'interroger.
19:15 Cette intensification du vol des richesses et des ressources
19:21 est le résultat de ces nouvelles stratégies globales.
19:25 Et cela a une influence sur l'anarchisme,
19:28 qui s'inspire d'ailleurs de nombreux mouvements indigènes.
19:32 Ils sont inspirés principalement par les apathistes au Mexique,
19:37 car c'est en 1994 que les apathistes se font connaître au monde,
19:41 avec leur insurrection.
19:50 Le 1er janvier 1994, au crépuscule du matin,
19:54 une armée en guenille et à ion s'est levée.
19:58 Tout ça commence d'une manière très intéressante.
20:01 Pour les apathistes,
20:03 la guerre a été une guerre de l'esprit.
20:06 Ils ont été en train de se battre,
20:08 et ils ont été en train de se battre pour la liberté.
20:11 Ils ont été en train de se battre pour la liberté.
20:14 Ils ont été en train de se battre pour la liberté.
20:17 Ils ont été en train de se battre pour la liberté.
20:20 Ils ont été en train de se battre pour la liberté.
20:23 Tout ça commence d'une manière très intéressante,
20:27 parce qu'il y a la menace de la violence,
20:30 mais on ne peut pas dire qu'il y ait vraiment de violence.
20:33 Que veulent-ils ? Qui sont-ils, ces guerriers héros
20:36 qui ne semblent pas appartenir à la tradition libertaire ?
20:40 Le ZLN vient d'une autre tradition,
20:43 qui est plutôt au départ une tradition, on va dire,
20:46 marxiste, voire guévariste.
20:49 Cela dit, c'est une organisation intelligente
20:53 qui a su prendre en compte le milieu dans lequel elle s'est développée,
20:57 à savoir le Chiapas, qui est une région fortement indigène,
21:01 et donc s'inspirer un petit peu des pratiques,
21:05 des traditions de la région, et puis en même temps,
21:08 aller rechercher aussi dans l'histoire du Mexique.
21:11 C'est pour ça qu'ils se revendiquent aussi de Zapata,
21:14 de ce mouvement paysan avant les terres.
21:17 Et aussi Ricardo Flores Magón comme ce précurseur de la révolution,
21:21 et en même temps celui qui a amené le slogan "Tierra y Libertad".
21:25 À l'autre bout de ce pays, où toutes les contradictions du capitalisme
21:29 se donnent à voir, alors que près de la moitié de la population
21:33 vit au-dessous du seuil de pauvreté,
21:36 ici, le Coca-Cola est devenu moins cher que l'eau,
21:39 les économistes ont beau parler de miracle mexicain,
21:42 les paysans indigènes de l'armée zapatiste des libérations nationales
21:46 qui ont conduit des hauts plateaux ou sortis de la jungle,
21:49 connaissent dans leur chair les effets de la globalisation néolibérale
21:53 et de toutes les formes de domination.
21:56 Ils occupent les centres de décision,
21:59 parce qu'ils n'entendent plus être dépossédés de leur terre,
22:02 de leur vie et de leurs traditions, et souhaitent reprendre leurs affaires en main.
22:06 Mais ils ont beau écrire sur les murs leur programme,
22:09 sur le moment, les commentateurs se désintéressent du message.
22:12 Et c'est sur le messager que se tournent alors tous les regards.
22:16 Le sous-commandant Marcos, un ancien étudiant en philosophie,
22:20 devenu guerriero, mais qui sous l'influence des indiens
22:23 a peu à peu reconsidéré ses idées et ses stratégies
22:26 pour adopter une pensée plus libertaire.
22:29 Son grade, qui n'existe dans aucune armée du monde,
22:32 parce qu'au Chiapas, suivant la formule "Mandar obedeciendo",
22:36 c'est le peuple qui commande, tout comme l'usage du "pass mountain"
22:39 qui est un des témoins de cette évolution.
22:42 Le "pass mountain", oui, ça répond évidemment aux problèmes de la clandestinité.
22:48 Mais en même temps, tous portent le "pass mountain".
22:56 C'est-à-dire qu'ils sont tous à la fois soldats et responsables.
23:00 Ce qui signifie pour eux, nous sommes tous frères et sœurs
23:06 et nous participons tous à la lutte.
23:10 Dans le cas de l'EZLN, tout autre,
23:13 en ce cas la deuxième ou la troisième tête,
23:16 selon la manière dont on jouait,
23:19 se mettait un "pass mountain" et disait "je suis Marcos,
23:22 l'autre Marcos n'est pas mort, ici je suis".
23:25 Mais surtout, que tout le monde puisse être Marcos.
23:29 Tout le monde, même si il n'avait pas d'arme,
23:32 même si il n'était pas dans les montagnes du sud-est,
23:35 même si il n'était pas écrit comme Marcos, il pouvait être Marcos.
23:40 Mais la véritable originalité du mouvement Zapatiste
23:43 dépasse les symboles et les personnalités.
23:46 Elle se trouve dans l'exemple qu'il donne d'un autre monde possible.
23:50 Car l'expérience qui a commencé ici,
23:53 à la suite de l'insurrection,
23:56 et qui s'étend sur un territoire de la dimension d'un pays,
23:59 mobilise plus de 250 000 personnes
24:02 et représente l'une des plus longues et les plus importantes expériences
24:05 d'autogouvernement collectif de l'histoire moderne.
24:09 Sociétés coopératives, assemblées de femmes,
24:12 conseils de bon gouvernement, abolition de l'argent et des prisons,
24:16 universités autonomes, hôpitaux gratuits.
24:19 Sur ces terres si isolées et si dures à la vie,
24:22 ces hommes et ces femmes, depuis toujours humiliés et méprisés,
24:26 s'efforcent dans les faits de combiner pratiques ancestrales
24:30 et innovations politiques afin de redessiner un monde à leur image.
24:35 Ils utilisent des formes d'organisations anarchistes,
24:42 dans lesquelles on retrouve des assemblées de parole,
24:46 où les gens mandatent une personne pour coordonner les activités du groupe.
24:51 Mais elle ne fait que porter la parole de ce groupe
24:55 et ne prend pas de décisions à sa place.
24:58 Ce qu'ils veulent, c'est une société dans laquelle tout le monde
25:02 aura le même pouvoir et le même bien-être,
25:07 sans qu'il y ait une autorité au-dessus d'eux.
25:12 Voilà, c'est ça. Voilà ce qu'est l'anarchisme.
25:16 C'est pour cela qu'on utilise le terme de contre-pouvoir.
25:20 L'anarchisme n'est pas une stratégie anti-pouvoir,
25:24 c'est une stratégie de contre-pouvoir,
25:28 pour décentraliser et redistribuer le pouvoir.
25:31 C'est pour ça que je considère le mouvement zapatiste
25:36 comme appartenant à la tradition libertaire et anarchiste.
25:43 Mais eux, de manière très saine à mon avis,
25:48 se méfient et refusent les étiquettes.
25:54 La geste des Zapatistes redonne espoir aux révolutionnaires du monde
25:58 qui se coordonnent au sein du jeune mouvement alter-mondialiste
26:02 et viennent au Chiapas pour participer aux assemblées régionales,
26:06 aux conférences internationales et jusque aux rencontres intergalactiques
26:10 organisées par le ZLA.
26:12 La grande réussite du Chiapas, c'est d'avoir mis l'accent
26:17 sur l'international et la mondialisation,
26:19 et donc permis à tout le monde de se retrouver dans la lutte des Indiens,
26:24 pour peu qu'on ne cloue pas le bec aux Indiens.
26:28 C'est-à-dire qu'on commence d'abord par les écouter et ensuite les suivre,
26:31 et non pas les précéder comme une avant-garde.
26:34 Et donc le mouvement zapatiste a réussi son pari,
26:40 effectivement, de fédérer tous les mouvements révolutionnaires,
26:44 à commencer par les libertaires, à cause de son horizontalité.
26:48 C'était un exemple d'une manière différente de faire les choses.
26:52 Depuis la chute de l'Union soviétique, que l'on soit pour ou contre,
26:58 les gens se cherchaient à un nouveau modèle.
27:01 Mais cet exemple est considéré comme une menace.
27:04 L'État envoie l'armée et les propriétaires terriens et leurs milices,
27:08 qui assassinent au hasard, comme par exemple lors du massacre d'Akteal,
27:13 où 45 personnes sont exécutées, parmi lesquelles 18 enfants et 4 femmes enceintes.
27:20 Plutôt que d'en chérir dans la violence,
27:22 le Zadalen décide de marcher sur Mexico sans armes,
27:26 afin de faire connaître son méssage.
27:29 "Aux zapatistes de Nahuatl,
27:32 au peuple de México,
27:34 aux peuples et aux gouvernements du monde,
27:37 frères,
27:39 nous naissons de la nuit,
27:41 vivons en elle,
27:43 mourirons en elle."
27:44 Sur leur chemin, le cortège grandit.
27:46 Des hommes et des femmes encagoulés se joignent.
27:49 Les couleurs rouges et noires de leurs drapeaux sont hissées,
27:52 et leur mot d'ordre repris.
27:54 Et ce n'est plus seulement la voix d'une petite communauté rebelle qui se donne à entendre,
27:58 dans la parole poétique de cette face sans visage,
28:01 mais grâce aussi à Manu Chao,
28:03 qui met en musique le manifeste en Nahuatl,
28:05 c'est le long cri de colère de tous les opprimés.
28:08 "L'homme, le droit, la terre, le travail, le pain, la santé, l'éducation,
28:13 l'indépendance, la démocratie, la liberté.
28:17 Ce sont les demandes que nous avons posées au long de nos 500 ans.
28:22 Ce sont aujourd'hui nos exigences."
28:26 La stratégie zapatiste, occupation, sécession, autogestion,
28:30 vient relancer des expériences déjà en cours,
28:33 ou en inspirer de nouvelles un peu partout.
28:35 Dans le centre des empires, contre les grands projets inutiles et leur monde,
28:39 comme à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes,
28:42 dans le berceau de la civilisation occidentale,
28:45 comme à Athènes où le quartier d'Exarchia s'insurge contre les politiques d'austérité,
28:51 ou au cœur même des combats, comme au Rojava,
28:54 où les Kurdes, pris en atout entre les mercenaires fanatisés de Daesh
28:58 et les armées régulières du pouvoir autoritaire turc,
29:00 font tout à la fois la guerre et la révolution.
29:05 Car malgré leur diversité, ces luttes se font bien au nom d'un même idéal,
29:11 comme en témoignent les messages de solidarité
29:14 que les combattants échangent au plus fort des combats.
29:18 Mais au tournant du troisième millénaire,
29:31 on sent que la réponse locale apportée dans les pays du sud est insuffisante,
29:35 et c'est donc au nord que la globalisation néolibérale va recevoir sa première réponse globale.
29:41 C'est bien sous l'œil des caméras des chaînes d'info en continu
29:52 et au cœur de la première puissance mondiale que le troisième millénaire commence,
29:57 avec l'attaque d'un trade center.
29:59 Seulement, pour l'histoire de l'anarchisme, ce n'est pas celle de 2001 à New York,
30:04 mais celle qui a lieu deux ans auparavant de manière tout aussi inattendue
30:08 sur l'autre côte des États-Unis d'Amérique.
30:10 Je situerais pour l'Amérique du Nord un point tournant,
30:13 c'est la rencontre de Seattle en 1999, la fameuse rencontre de Seattle en 1999.
30:20 Qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là?
30:22 Moi-même, qui étais déjà un militant libertaire à l'époque, je ne l'ai pas vu venir.
30:28 De manière totalement inattendue, il y a eu cette énorme manifestation à Seattle
30:33 contre le capitalisme international et aussi contre l'OMC,
30:39 qui a révélé soudain qu'une nouvelle génération d'anarchistes était présente
30:45 et qu'elle organisait cette opposition à l'OMC et à la Banque mondiale.
30:51 Novembre 1999, au pied du Mont Rainier,
30:55 un sommet de l'Organisation mondiale du commerce doit avoir lieu
30:59 qui n'entend rien moins que définir les règles du prochain millénaire.
31:02 Déjà, on s'avoue une nouvelle avancée du capitalisme
31:06 qui étendra son empire marchand aux productions de l'esprit, aux vivants et à tous les éléments.
31:11 Le président de l'OMC et les gouvernants des principales puissances économiques
31:16 n'ont pas choisi Seattle au hasard.
31:19 Ville natale de Bill Gates, alors l'homme le plus riche du monde,
31:23 la cité d'Emerauld est en effet la capitale mondiale de l'aéronautique commerciale
31:27 et le centre planétaire du logiciel informatique.
31:30 Elle accueille le siège social de certaines des grandes compagnies
31:33 dont le nom rime déjà avec la globalisation néolibérale.
31:37 Mais c'était sans compter la permanence ici d'une longue tradition libertaire
31:43 dont l'éclosion toute récente du grunge,
31:46 une fusion entre le mouvement punk et le mouvement hippie,
31:49 avec Nirvana en tête de gondole qui aimait à parsemer ses cliptes acerclées,
31:54 n'était que la dernière expression.
31:56 Et sur le grand appel international à la mobilisation,
31:59 lancée par tout un agglomérat d'organisations, de collectifs et d'individus
32:04 rassemblés au sein d'un mouvement des mouvements
32:07 qui a choisi de profiter de cette occasion pour manifester son opposition au nouvel ordre mondial.
32:15 Il n'y a pas de leader.
32:17 C'est un mouvement horizontal, d'action directe, contre les multinationales.
32:23 Bref, il y a tous ces marqueurs.
32:26 Et si un grand nombre de personnes impliquées ne se considéraient pas comme anarchistes,
32:31 il y avait tout de même beaucoup d'anarchistes présents.
32:34 Et c'était clairement un mouvement anti-parti et anti-institutionnel.
32:42 Et si en ce sens, on peut dire qu'il était anarchisant ?
32:46 Le 30 novembre, le matin,
32:48 malgré le fait que la réunion n'ait jamais autant mérité son surnom,
32:52 l'ambiance est joyeuse et taquine.
32:54 On plaisante, on chante, on appelle les participants qui seront à la conférence.
33:00 On pousse aussi un peu pour essayer d'entrer.
33:03 Les autorités qui avaient sous-estimé l'ampleur de la mobilisation prennent peur.
33:08 On appelle l'armée en renfort et la garde nationale intervient.
33:13 Ce que l'histoire populaire a appris sous le nom de la bataille de Seattle, commence.
33:19 Car pour répondre aux violences policières et défendre le cortège,
33:25 un petit groupe de manifestants a décidé de répliquer.
33:29 Soudain, un Black Bloc s'est formé.
33:32 Là, il y a quelque chose qui fait intégralement partie aujourd'hui de l'identité du mouvement.
33:41 Cette composante des Black Blocs.
33:45 Et que nous ne connaissions pas, en Europe occidentale.
33:50 Et que nous avons vu surgir.
33:52 D'où vient-elle ?
33:55 Le Black Bloc vient d'Allemagne de l'Ouest.
33:59 Dans les années 70, il y avait les autonomes.
34:03 Certains se disaient anarchistes, d'autres ne se réclamaient d'aucun parti,
34:07 et se disaient juste autonomes.
34:11 Ils ont inventé la technique du Black Bloc,
34:14 en portant le casque, le masque,
34:16 et en se protégeant contre les violences policières et les identifications.
34:20 Il faut dire qu'à l'époque, en Allemagne de l'Ouest, la répression était très dure.
34:24 Et les lois antiterroristes, très sévères.
34:28 Si le Black Bloc, qui désigne une stratégie et non des individus,
34:36 a déjà existé depuis longtemps,
34:38 c'est ici, et ce jour-là, qu'il est connu par le monde.
34:42 Pendant plusieurs heures, devant les caméras des premières chaînes d'infos,
34:48 les révolutionnaires qu'il adopte, acceptent la confrontation
34:51 et demandent l'utilisation de la violence.
34:54 La violence, ce n'est pas contre les personnes,
34:57 mais contre les choses.
34:59 Ce qui se casse, c'est les vitrines,
35:03 par exemple, ou les caissiers automatiques.
35:06 C'est une violence très largement symbolique,
35:08 qui n'est pas du tout une violence physique directe sur des personnes,
35:13 qui bien souvent consiste en des affrontements avec la police,
35:16 mais pas dans une violence extrême du tout,
35:18 qui consiste dans la destruction éventuellement symbolique de la propriété,
35:23 casser des banques, etc.
35:25 Loin d'être chaotique et désordonné,
35:28 l'action du Black Bloc est en effet raisonné et réfléchi.
35:33 Et si sur son passage, les vitrines volent en éclats,
35:36 ce n'est pas seulement pour exprimer la colère,
35:39 piller ou jouir du plaisir de casser pour casser,
35:42 les cibles ne sont jamais prises au hasard.
35:45 C'est pour montrer qu'il est possible d'attaquer les succursales du capitalisme
35:49 et avec ce spectacle d'une violence très télégénique,
35:52 fasciner les caméras.
35:54 Coup double en quelque sorte, à l'heure du tout médiatique,
35:59 où une image sensationnelle vaut mieux parfois que de longs discours,
36:03 ce recours synecdoquique à la violence est en effet une propagande à la fois
36:07 par le fait et par l'image.
36:10 Ils considèrent qu'il faut aller lutter contre le capitalisme.
36:15 Et c'est pour lutter contre le capitalisme qu'ils utilisent ces techniques.
36:19 Donc c'est facile à lire, les banques c'est les banques, c'est le fric,
36:22 c'est le capitalisme financier actuel, donc on attaque les banques.
36:25 Même si on ne fait qu'égratigner sa surface.
36:28 Mais au moins ça attire l'attention de tout le monde
36:31 et seule la propagande gouvernementale fait semblant de ne pas comprendre
36:34 pourquoi on attaque les banques.
36:36 Tout le monde comprend pourquoi on attaque les banques.
36:39 À propagande, propagande et demi.
36:42 Les chaînes d'info en continu, diffusant en boucle les images.
36:46 Mais à Seattle, on a beau déclarer l'état d'urgence,
36:50 imposer le couvre-feu et donner l'autorisation de tirer sur les semeurs de trouble,
36:55 le pouvoir a perdu l'initiative.
36:58 On préfère interrompre le sommet.
37:00 Grâce à la mobilisation et à l'action inattendue du Black Bloc,
37:04 la bataille de Seattle est gagnée.
37:07 Étonnamment, ça a été un succès.
37:18 On a vu qu'il était possible de faire reculer le pouvoir
37:21 et que l'autorité ne pouvait pas se maintenir avec seulement la police dans la rue.
37:25 L'autorité était sapée parce que c'est une question de foi,
37:28 juste une question de foi.
37:30 Et depuis lors, il y a eu de telles manifestations partout dans le monde.
37:36 À Gênes, Naples, Québec.
37:40 Ça a explosé partout où les gens étaient en conflit avec l'autorité.
37:44 Dans les années suivantes, sur tous les continents,
37:49 on voit les membres du Black Bloc se battre sur les sommets.
37:53 À la suite de Seattle, son nombre a continué de grandir.
37:58 Sa présence devient de plus en plus massive dans les manifestations,
38:02 son action rapide et efficace, et ses images, toujours plus fascinantes.
38:07 Le phénomène est tel qu'en 2012,
38:10 Lé Meutier devient le personnage de l'année Time Magazine.
38:15 Comme à la fin du 19e siècle, dans les cercles du pouvoir,
38:19 on parle à nouveau d'une internationale noire.
38:22 Et l'on met tout en œuvre pour que Seattle ne puisse plus se reproduire.
38:26 On s'est servi de Seattle pour justifier des recherches dans le domaine des nouvelles armes.
38:31 Aux États-Unis, par exemple, il y a eu des recherches sur des armes non létales, comme ils disent.
38:37 Des ultrasons, des lasers,
38:40 tout ce qui pourrait être utilisé dans des manifestations contre les manifestants.
38:45 Et on a commencé à voir la police se comporter comme une armée.
38:50 Les forces de l'ordre se sont en quelque sorte militarisées un peu partout.
38:55 Ce nouvel arsenal de maintien de l'ordre et de pacification est aussitôt mis à contribution.
39:02 Dans toutes les grandes manifestations, avec ces armes non létales,
39:06 on les borne, mutilé, occasionnellement on en tue,
39:10 comme c'est arrivé en France avec Rémi Fraisse,
39:13 qui meurt soufflé par une grenade, pour ne pas vouloir détruire l'écosystème.
39:17 Mais quand on perd le contrôle, on n'hésite pas à ressortir les armes, les vraies.
39:23 Comme en Grèce, où Alexandros Grigoropoulos, un enfant de 15 ans,
39:27 qui participait à une manifestation, est assassiné par la police.
39:31 Comme en Oaxaca, au Mexique, où le journaliste anarchiste Brad Will,
39:35 qui filmait la révolte des professeurs, est tué par un sniper sous l'œil de sa caméra.
39:41 Ou comme à Gênes, où Carlo Giuliani, un jeune libertaire de 22 ans,
39:49 est abattu d'une balle dans la tête,
39:52 et pour se dégager, la Jeep des carabiniers part ses repasses sur son corps.
40:00 À la fin de la décennie,
40:02 de nombreux libertaires se demandent comment se déroule la stratégie du Bloc.
40:06 Est-ce qu'elle n'est pas trop systématique,
40:09 et peut-être qu'elle se retourne parfois contre les manifestants eux-mêmes ?
40:13 Après 10 ans de luttes, il est important d'imaginer de nouvelles formes de lutte.
40:18 Depuis quelques années, un nouveau monde est né, Internet.
40:29 Et grâce à la révolution numérique et les échanges informatiques,
40:35 nous avons vu une augmentation sans précédent dans l'histoire des flux financiers.
40:41 Ce nouveau Eldorado est le centre des multinationales et des grands organismes bancaires,
40:46 qui sont de plus en plus grands, sans contrôle.
40:50 Une bulle financière se crée, qui a explosé en 2008,
40:54 symbolisé par la chute de Lehman Brothers.
40:57 Nous avons vu la plus importante banque de l'histoire.
41:01 Pour la première fois depuis la crise de 1929, en Occident,
41:05 des millions de personnes sont éliminées du jour au lendemain,
41:09 et des pays entiers sont détruits.
41:12 Si les révoltes se déroulent, c'est en automne 2011,
41:16 grâce à une mobilisation internationale,
41:19 que les anarchistes, sans toujours dire leur nom,
41:22 vont à nouveau faire parler d'eux, avec le mouvement Occupy.
41:27 C'est pour cela que ça a commencé à Wall Street.
41:34 Parce que Wall Street avait ruiné l'économie mondiale,
41:38 avec des fraudes massives, pour lesquelles personne ne sera jamais condamné.
41:42 Ce qui montre d'ailleurs la totale inefficacité des États
41:46 quand il s'agit de contrôler le capitalisme international.
41:50 Aucune action sérieuse n'a été prise en ce qui concerne
41:53 les responsables de ces gigantesques dévastations économiques,
41:56 pour lesquelles des pays comme la Grèce, l'Espagne et ailleurs,
41:59 continuent de payer.
42:02 Inspiré par les mouvements d'occupation des places
42:07 lors des printemps arabes et du mouvement des indignés en Espagne,
42:11 en organisant un gigantesque be-in au pied du temple de la finance internationale,
42:16 Occupy Wall Street enchevêtre un rassemblement de protestations
42:20 et création d'une zone autonome temporaire.
42:24 Le mouvement Occupy Wall Street,
42:29 qui n'est pas un mouvement anarchiste à proprement parler,
42:32 est très fortement influencé par des anarchistes.
42:35 D'ailleurs, beaucoup d'anarchistes ont mis en place l'architecture de ce mouvement.
42:43 Des gens comme David Graeber, par exemple,
42:46 un anarchiste américain qui a beaucoup écrit sur l'anthropologie.
42:50 Et d'autres encore, qui, sans se dire anarchistes, le sont dans les faits.
42:56 Parmi eux, il y a aussi Carl Lahn,
43:02 journaliste canadien fondateur de Adbuster
43:05 et auteur du très beau design anarchique.
43:08 Tom Morello, le guitariste de Rage Against the Machine,
43:11 et un militant très actif de l'IWW,
43:14 le syndicat anarchiste nord-américain.
43:17 Et l'éternel Noam Chomsky, qui vient faire des conférences.
43:21 Mais si toutes les tendances de l'anarchisme se trouvent ici,
43:25 et que toutes ces tactiques sont déployées,
43:27 la mobilisation a aussi la particularité d'agréger de nombreuses personnalités
43:32 qui ne sont pas des membres du mouvement libertaire,
43:34 mais qui doivent se positionner en fonction de lui.
43:38 Car ce n'est pas le moindre des paradoxes de l'anarchisme,
43:42 au moment où ces pensées et ces pratiques se généralisent,
43:45 que de se fondre et de disparaître dans les mouvements.
43:49 Il s'agit d'idées et d'expériences qui doivent avoir un sens pour nos vies
43:53 et qui puissent apporter des réponses à nos questions.
43:57 Le problème pour l'anarchisme n'est pas de se faire connaître,
44:01 mais de nous offrir une sorte de questionnaire.
44:04 Le problème pour l'anarchisme n'est pas de se faire connaître,
44:07 mais de nous offrir une sorte de caisse à outils
44:09 pour les problèmes de la vie quotidienne.
44:12 Est-ce important de se réclamer de l'anarchisme ?
44:16 Non.
44:17 Les anarchistes ne se battent pas pour un monde anarchiste, heureusement.
44:21 Ils se battent pour un monde libre.
44:24 Et la différence est cruciale.
44:26 En venant des quatre coins du monde pour filmer l'événement,
44:29 les caméras d'échelle d'info laissent voir,
44:32 que ce soit dans des théâtres ou dans une violence spectaculaire,
44:36 mais aussi dans la vie quotidienne et dans les coins de la rue,
44:39 ce qui pourrait être une vie débarrassée
44:41 de nombreuses formes de domination et d'exploitation.
44:44 Car pendant plusieurs mois, ici, on médite,
44:47 on discute, on rêve, on chante, on aime,
44:50 on partage et on s'éduque.
44:52 On abolit comme toujours les prisons, les polices, l'argent et les frontières.
44:56 On imagine ensemble d'autres mondes possibles
44:59 et on essaie de les réaliser maintenant.
45:02 Ils ont adopté des formes d'organisation anarchistes,
45:08 des petits groupes qui se coordonnent
45:11 et essayent de trouver le consensus au travers de la démocratie directe,
45:15 tout en se posant la question de ce qu'il fallait faire
45:18 pour que le mouvement continue d'avancer.
45:21 Mais ces gens qui sont violents se s'obstinent à agir
45:25 comme s'ils étaient déjà libres des ranges.
45:28 Dans l'urgence, des lois sont votées et la répression s'abat.
45:32 Les autorités, comme toujours,
45:42 ont essayé de stopper le mouvement Occupy Wall Street.
45:45 Elles ont remis en vigueur les lois contre le vagabondage
45:50 et toutes ces lois du 19e siècle.
45:54 Et puis la police a cherché toutes les excuses pour empêcher le mouvement.
45:58 Elle a parlé de troubles à l'ordre public ou d'assemblées illégales.
46:03 Elle disait qu'il y allait avoir des émeutes.
46:06 Mais plus on réprime et plus on censure,
46:13 plus le mouvement Occupy s'étend.
46:15 Et grâce à ces images qui se diffusent via Internet,
46:18 plus il croit, se transforme et se multiplie
46:21 dans l'espace et dans le temps.
46:24 On occupe à Londres, Francfort, devant le siège de la Banque Centrale Européenne,
46:28 à Tochtour, Paris, Montréal, Séoul, Rome, Hong Kong, Melbourne ou Tel Aviv,
46:33 dans plus de 1500 villes de 82 pays différents.
46:37 Et au travers de ces grandes mobilisations,
46:43 sans toujours dire leur nom,
46:45 les idées libertaires se diffusent petit à petit
46:48 et imprègnent à nouveau toute une partie du mouvement social.
46:52 Peu importe que vous soyez pour ou contre l'anarchisme,
47:00 à l'intérieur du mouvement anticapitaliste,
47:03 vous devrez vous définir en fonction de lui.
47:06 Et vous devrez rendre des comptes.
47:09 Votre pratique et vos organisations sont-elles vraiment démocratiques ?
47:15 Avez-vous un fonctionnement horizontal ?
47:18 Écoutez-vous chacun ?
47:20 Êtes-vous sensibles aux différences de genre, aux sexualités
47:23 et aux autres formes de diversité ?
47:26 En un mot, êtes-vous plus humain ?
47:29 L'anarchisme ne s'enseigne pas, ça ne s'apprend pas,
47:33 dans les livres, dans les écoles, dans les conférences,
47:36 l'anarchisme ça se contagie.
47:39 C'est-à-dire qu'il y a une transmission
47:42 de l'ordre de la didactique.
47:45 Le mouvement libertaire profite lui aussi
47:48 de cette nouvelle popularisation de ses idées et de ses pratiques,
47:51 comme l'a prouvé le succès inattendu des rencontres internationales
47:54 de l'anarchisme qui eurent lieu en août 2012
47:57 en Suisse à Saint-Imier.
48:00 Et cette vigueur neuve tord le cou aux idées reçues sur l'anarchisme.
48:03 Lui que l'on avait voulu limiter à l'Occident,
48:06 conquire encore des territoires,
48:09 le 1er mai 2019 en Indonésie.
48:12 Lui que l'on avait qualifié de révolte petite bourgeoise,
48:15 touche à nouveau les milieux les plus humbles.
48:18 Lui que l'on avait prétendu minoritaire, trouve un écho
48:21 dans les nouvelles générations qui se dit "c'est ingouvernable".
48:24 Et lui que l'on avait si souvent dit vaincu,
48:27 prouve malgré toutes ses défaites qu'il est toujours vivant.
48:30 Il y a eu beaucoup de défaites dans l'histoire du mouvement anarchiste,
48:33 des défaites aussi grandes que les aspirations que ces gens-là portaient.
48:36 Mais il y a une autre façon de voir l'histoire de l'anarchisme
48:39 qui me semble-t-il est plus intéressante, plus juste aussi,
48:42 plus respectueuse des faits.
48:44 C'est qu'à travers ces grands moments qui sont des moments d'échec réel,
48:47 c'est-à-dire que c'est vrai que la Commune a perdu,
48:49 c'est vrai qu'en Espagne on a perdu,
48:51 il y a constamment des victoires moins visibles, moins spectaculaires,
48:56 mais qui sont présentes partout.
48:58 Mais il est tout de même remarquable que ce que les anarchistes ont pensé,
49:01 senti, promu, défendu depuis très très longtemps
49:06 est aujourd'hui présent dans beaucoup d'éléments de notre culture.
49:09 L'anarchisme a eu un rôle fondamental dans le progrès des idées
49:14 et dans le progrès de l'humanité en général.
49:17 Mais l'anarchisme a toujours l'air d'être là et de ne pas y être.
49:22 Les anarchistes semblent être partout
49:25 et en même temps on se demande tout le temps
49:27 "mais où sont les anarchistes ?"
49:30 L'anarchisme ne disparaîtra jamais parce qu'il appartient à l'être humain.
49:35 Chaque fois que quelqu'un se demandera pourquoi il faut obéir,
49:38 il y aura de l'anarchisme.
49:40 Loin d'être achevé, l'histoire de l'anarchisme se poursuit donc.
49:54 Mais au terme de ces presque deux siècles d'existence,
49:58 alors que des figures plus récentes ont succédé aux anciennes,
50:02 que ses courants se sont multipliés,
50:05 que ses stratégies et ses tactiques se sont diversifiées
50:09 et que de nouveaux défis et de nouvelles menaces
50:12 sont apparus pour lui comme pour l'humanité,
50:15 il semble que le message d'espérance qu'elle porte
50:18 et que rappelait déjà Louise Michel dans sa plaidoirie,
50:21 soit resté le même qu'au premier jour.
50:26 Nous sommes à une époque d'anxiété.
50:29 Tout le monde cherche sa route.
50:32 Nous dirons quand même "Advienne que pourra !"
50:37 Que la liberté se fasse.
50:40 Que l'égalité se fasse.
50:43 Et nous serons heureux !
50:46 Car notre sang bleu est noir !
50:49 Notre rapport rouge est noir !
50:53 Notre étoile jaune et noir !
50:56 Notre vie en rose est noir !
51:00 Oui, notre sang bleu est noir !
51:03 Notre rapport rouge est noir !
51:07 Notre étoile jaune et noir !
51:10 Notre vie en rose est noir !
51:14 Notre vie en rose est noir !
51:17 Notre vie en rose est noir !
51:20 Notre vie en rose est noir !
51:23 Nous sommes unis !
51:26 Nous sommes unis !
51:30 Nous sommes unis !
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