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Dans la deuxième heure de son émission consacrée à la culture, Philippe Vandel reçoit chaque jour un invité.
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News
Transcription
00:00 Et vous écoutez Culture Média jusqu'à 11h.
00:04 Littérature avec votre invité Philippe Bandel.
00:06 Bonjour Claire Castillon.
00:07 Bonjour.
00:08 Vous êtes romancière et nouveliste, c'est ce qui est écrit au dos de votre nouveau
00:11 recueil de nouvelles justement.
00:12 13 romans depuis le grenier, c'est en 2000.
00:15 6 recueils de nouvelles dont "Insectes" traduit dans plus de 20 langues.
00:18 Et donc votre actualité, c'est, sont ces nouvelles.
00:21 "L'œil", elles sont réunies sous ce titre, c'est aussi le titre d'une nouvelle, mais
00:24 c'est pas la première.
00:25 On va en parler alors, c'est des nouvelles étranges ou plutôt avec des personnages étranges
00:29 à la limite de la folie et paradoxalement totalement ordinaires, comme s'ils étaient
00:33 à la fois ébouriffés et bien peignés.
00:35 Et il y a surtout des femmes.
00:37 Oui.
00:38 C'est un choix, c'est comme ça ou c'est parce que vous vous mettez plus facilement
00:41 dans leur peau, dans leur cerveau ?
00:42 Je ne pense pas que ce soit un choix, c'est vraiment que quand je me retrouve en face
00:46 de quelqu'un qui m'inspire, parfois il y a quelque chose qui fait tilt, une légère
00:52 défaillance je crois dans le système mental ou nerveux.
00:55 Alors est-ce que ça me fait ça plus souvent face aux femmes ? Peut-être.
00:57 Je me dis tiens, ça j'ai vraiment envie d'écrire là-dessus, de percer ce secret-là.
01:04 Mais je ne sais pas pourquoi il y a autant de femmes.
01:06 C'est un secret ou c'est une invention ? Parce qu'en vous lisant, je me suis demandé
01:10 si ces gens existaient ou s'ils ont été construits par les méandres de votre matière
01:16 grise ?
01:17 Je pense que c'est vraiment un mariage des deux.
01:19 Ils peuvent exister, ça ne me paraîtrait pas étrange qu'ils existent.
01:23 Je pense que c'est des pensées qui nous traversent ces personnages-là.
01:27 C'est des fragments de nous, sauf que le portrait qui est tiré d'eux est tiré à
01:32 ce moment-là, au moment de la chose étrange.
01:35 J'aime bien l'idée du portrait tiré, vous allez comprendre pourquoi.
01:37 Je vais commencer par le commencement, c'est la première.
01:39 Première nouvelle, elle s'appelle Madame Gunn.
01:41 Alors à la radio, on entend "gunn" comme un fusil en anglais, donc il faut tirer.
01:44 Mais non pas du tout, c'est Gunn, G-U-N-N-E, comme une "gunon".
01:48 C'est le surnom qui lui a été donné par ses parents chez qui elle vit toujours.
01:51 Qui est cette Madame Gunn ? Que lui est-il arrivé ?
01:53 C'est une femme qui a une soixantaine d'années et qui, alors qu'elle était encore étudiante,
01:59 a subi tout à coup les assauts de la peur dans un parc, alors qu'il ne se passait rien
02:06 finalement.
02:07 Elle a eu peur pour la première fois de l'extérieur, de la rue, de la foule.
02:12 Elle est alors rentrée chez elle pour toujours et elle n'a plus jamais pu quitter d'abord
02:16 son appartement, puis sa chambre.
02:18 Elle s'est mise à écrire, par malchance, des poèmes.
02:21 Elle est rentrée chez elle en touchant les murs.
02:23 - Voilà, en s'appuyant contre les murs, bien sûr.
02:26 - Et alors évidemment, je vous demande si c'est du vécu, parce que vous avez connu
02:30 une période agoraphobe.
02:32 - Oui, c'est du vécu si j'avais 60 ans et que ça avait duré tout ce temps, bien sûr.
02:37 - Mais est-ce que quand vous l'avez vécu, vous vous êtes dit que ça pourrait durer
02:39 toujours ?
02:40 - Oui, je me suis dit comment je vais faire si ça dure toujours ? Enfin, comment on fait
02:43 pour que ça s'arrête de durer, surtout ?
02:45 - Voilà.
02:46 Et ça arrive à certains grands écrivains.
02:47 Je pense à Jean-Patrick Manchette, par exemple, qui ne sortait plus de chez lui.
02:50 - Ah oui, je pense que ça arrive à beaucoup de monde et à beaucoup d'êtres sensibles,
02:54 en effet.
02:55 - Oui, mais il vaut mieux être écrivain que barman.
02:56 - Bien sûr.
02:57 - Parce que si vous êtes barman, vous êtes obligé de sortir de chez vous.
02:59 - Je pense que c'est même pour ça que je le suis devenu, en me disant tiens, mais
03:02 maintenant que je suis enfermée, il faut peut-être que je réussisse à participer
03:05 au monde ou à lui écrire de temps en temps.
03:07 - Magnifique tournure de style.
03:08 Elle parle, c'est Anna M.
03:09 Gunn, elle parle de ses parents.
03:11 "Depuis, elle écrit dit style, car eux seuls savent les milliers de feuilles qui abritent
03:15 la grande valise de ma chambre.
03:16 Elle ne part pas en voyage avec moi, mais elle m'emmène."
03:19 C'est beau comme du Pessoa.
03:21 Et vous aussi, vous avez des milliers de textes dans votre chambre, quelque part ?
03:26 - Non, moi je ne garde pas.
03:28 Tout ce que je garde est publié et le reste est jeté.
03:32 - Vous savez quoi ? J'ai complètement oublié de dire quelque chose, c'est qu'à la fin
03:37 de chaque nouvelle, ce n'est pas fini.
03:38 Qu'y a-t-il après chaque nouvelle ? Ah ah, on marque une courte pause.
03:42 Claire Castillon reste avec nous, on parle de l'œil sur Europe 1 dans Culture Média.
03:46 - Culture Média sur Europe 1, à la découverte jusqu'à 11h, des nouvelles de Claire Castillon,
03:52 paru chez Gallimard sous le titre "L'œil".
03:54 - Vous avez tout dit, ce que je n'ai pas dit et j'ai fait un petit teaser en ce sens,
03:58 c'est que ce sont un recueil de 20 ou 21 nouvelles et à la fin de chaque nouvelle,
04:02 on tourne la page et il y a une annexe.
04:04 Racontez le principe de cette annexe.
04:06 - L'annexe est vraiment là, un peu comme une deuxième chute.
04:10 Je pense que quand on lit des nouvelles, on aime bien être bouleversé, tourmenté ou
04:15 étonné à la fin, en tout cas étonné.
04:18 Et je pense que l'annexe servait vraiment à étonner deux fois ou à faire comprendre
04:25 l'histoire autrement, c'est-à-dire que la chute de la nouvelle vous raconte quelque
04:30 chose, boucle l'histoire et puis juste après, un autre point de vue renforce ou au contraire
04:35 contrarie totalement la première chute.
04:37 Et on se dit "ah oui, j'ai lu ça, mais peut-être que c'est toute autre chose".
04:40 - Il y a une double chute et du coup, quand on les lit, une fois qu'on a compris le principe,
04:43 qu'on comprend au premier coup, on se dit "est-ce qu'elle nous balade ou pas ?"
04:47 Mais quand même, on adhère à ce que vous nous racontez.
04:49 Je parlais de la nouvelle qui donne le titre au recueil, c'est "L'œil".
04:53 C'est les gens qui oublient les bons souvenirs, par exemple, ils partent en vacances et ils
04:57 se souviennent que du train bondé, de la valise trop lourde, une sorte d'amnésie du plaisir.
05:01 Ça vous est venu d'où ? C'est le Covid ou vous connaissez des gens comme ça ou même
05:05 parfois êtes-vous comme ça ? - Oui, j'ai eu une tendance à me dire "c'est
05:09 pas la peine de partir parce qu'il faudra rentrer".
05:11 Mais ça m'est venu...
05:13 J'ai une amie qui un jour m'a raconté ses vacances en mentionnant sans cesse le poids
05:17 de sa valise.
05:18 Et chaque fois qu'elle bougeait, elle me disait "la valise était lourde, il fallait la porter".
05:24 Et c'est vraiment ça qui m'a donné l'idée de tout le reste.
05:28 Je me suis dit "voilà, imaginons un virus qui fait qu'on oublie systématiquement toute
05:32 notion de plaisir".
05:33 - Les bonnes choses.
05:34 Et ça m'a rappelé quelque chose qui m'exaspère depuis des années, c'est les gens qui font
05:37 des photos en disant "ça me fera des souvenirs".
05:40 Mais non, le souvenir c'est dans le cerveau.
05:41 La photo c'est une photo.
05:42 Mais une photo fait pas de souvenir.
05:44 C'est le souvenir qui fait un souvenir.
05:46 Et eux ils ont que les photos mais pas les souvenirs.
05:48 Ils dînent un splendide dîner et ils ont tout oublié.
05:52 - Ils ont tout oublié.
05:54 - Son fladdition.
05:55 - Voilà.
05:56 Il y a cette frustration immense qui pousse les êtres petit à petit à préférer en
06:03 fait perdre la vue que vivre comme ça dans l'amnésie de tout.
06:07 - Vous baladez tout le monde, même les titres nous baladent.
06:09 Le gras du poulet.
06:10 Vous inventez une agence qui s'occupe de tout.
06:13 Plutôt, vous avez inventé une agence particulière.
06:16 - Une agence de rupture.
06:18 - C'est votre première phrase qui dit "le mieux serait qu'une agence s'occupe de tout".
06:22 - Voilà.
06:23 Ce serait une agence de rupture en fait qui se chargerait pour les uns et pour les autres
06:28 et de rompre avec la personne qui les accompagne en fait quand c'est pas possible de le dire
06:34 soi-même.
06:35 Et donc c'est l'histoire d'une femme qui part en vacances avec son compagnon et qui
06:38 tout le temps se dit "mais alors est-ce que l'agence va apparaître ? Est-ce que l'agence
06:42 va dire quelque chose à ma place ?" Et elle espère en voyage avec lui trouver la force
06:47 ou la personne qui se chargera d'évacuer son compagnon.
06:50 - Voilà.
06:51 Là aussi c'est du vécu ou pas ? Vous vous êtes déjà dit "j'aimerais bien que cette
06:54 agence existe".
06:55 Vous avez déjà eu du mal à quitter ?
06:56 - Oui.
06:57 Cette histoire d'agence je l'ai pensée très souvent dans ma vie en me disant "il faudrait
07:02 quand même créer une agence".
07:03 - Mais qu'est-ce qu'elle fait avec ce type ? Parce qu'en vous lisant la question qu'on
07:07 se pose...
07:08 Alors je vais raconter.
07:09 Ils sont en vacances, ils rencontrent un type qui est pêcheur et qui arrange le coup, elle
07:13 comprend que ce type est très malin, il s'appelle Razoul et elle en peut plus de son type, son
07:17 mec qui s'appelle Ludovic.
07:18 Alors comment dire, Razoul il vend des colliers sur la plage mais il est génial dites-vous.
07:26 Et son Ludovic avec qui elle est depuis des années, il est bête, il est radin, il est
07:30 possessif pour se dire il est con.
07:31 Et on se dit "mais qu'est-ce qu'elle fout avec lui depuis aussi longtemps ?"
07:34 - Je pense qu'elle ne le sait pas très bien en fait et qu'elle sait seulement qu'il y
07:39 a parfois une espèce de quotidien, un quotidien perpétuel comme ça et en fait c'est entrer
07:47 dans son quotidien de penser du mal de lui.
07:50 Donc en fait qu'est-ce qui reste si elle arrête de penser comme ça ? Donc en permanence elle
07:54 l'a sous les yeux puis il y a une espèce de, je ne sais même pas si c'est de la tendresse,
07:58 quelque chose comme ça et ce qui lui plaît dans sa tête en revanche c'est d'échafauder
08:02 toutes sortes de scénarios pour le jour où enfin elle osera lui dire "on arrête".
08:07 - Voilà, évidemment je ne vais pas dire ni la chute ni la double chute.
08:11 Il y a le grand-père qui découvre Instagram, ça m'a vraiment amusé parce que moi je ne
08:14 suis pas sur Instagram donc je ne savais pas que c'était comme ça Instagram.
08:17 - C'est pas possible.
08:18 - Bah non, je ne suis pas.
08:20 Mais vous êtes sur Instagram vous-même ?
08:22 - Mes chiens le sont.
08:23 - Comment ça ?
08:25 - J'ai fait un Instagram de mes chiens parce qu'en effet j'éprouve beaucoup de gêne à
08:32 regarder les Instagram des autres et à noter à quel point on découvre une intimité très
08:39 obscène en fait et beaucoup de, comment dire, beaucoup d'orgueil, beaucoup, etc.
08:45 Et donc j'ai imaginé un grand-père qui s'inscrit en espérant avoir des nouvelles de ses petits
08:51 enfants et qui les voit comme ça se montrer dans leur vie soi-disant fabuleuse parce que
08:57 ça m'a amusé.
08:58 - Moi aussi ça m'a amusé.
08:59 Ils ont combien de followers vos chiens ?
09:01 - Oh bah pas beaucoup.
09:03 - Mais quoi ? 100, 200, 1000, 30 ?
09:06 - Oui, oh non, on est plutôt dans les centaines.
09:09 - Il y a quand même des centaines de gens qui suivent vos chiens.
09:11 Vous vous rappelez de l'émission "30 millions d'amis" ?
09:13 - Oui.
09:14 - C'était sur TF1, ils avaient une mascotte qui était le chien Mabrouk.
09:18 - Bien sûr.
09:19 - Et bien Mabrouk recevait du courrier.
09:20 - Ah oui.
09:21 - Il y avait des gens qui mettaient un timbre, ils mettaient l'adresse Mabrouk, ils lui écrivaient
09:25 une lettre.
09:26 - Ah bah moi j'ai écrit, enfin j'ai fait ce, j'ai pas écrit, j'ai fait cet Instagram
09:30 parce que ma chienne est l'héroïne d'une série pour enfants que j'écris, donc "Zoreilles
09:36 du bois joli", c'est pour à ce moment-là que j'ai fait.
09:38 - Ah bah oui, c'est différent.
09:39 - Donc elle, elle peut recevoir du courrier.
09:40 - Elle est avec nous, Claire Castillon, ça s'appelle "L'œil", c'est un recueil de nouvelles.
09:45 On va parler de cinéma, on va parler de littérature avec un concours un tout petit peu particulier.
09:50 Culture Média continue sur Europe 1.