Le marché mondial de la friperie était estimé à 6 milliards de dollars en 2021. Le premier pays exportateur de friperie sont les Etats-Unis, le premier pays importateur est le Ghana. 15 millions de vêtements y arrivent chaque semaine. Commerçants, grossistes, recycleurs... vous allez découvrir les dessous de cet immense business en Côte d'Ivoire.
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00:00 Marché de Belleville, dans la commune de Trècheville.
00:06 Ce samedi est jour de vente de vêtements.
00:08 "Nouveauté là, nouveauté là, nouveauté là !"
00:12 De la nouveauté, mais pas tout à fait du neuf.
00:15 Car il s'agit de la vente de friperies.
00:18 Des vêtements et des objets ayant déjà servi ailleurs, en Europe.
00:23 "C'est des balles de premier choix.
00:25 Vous voyez comment ça sort, y'a comme les longs-ropes, c'est ce que les femmes là
00:28 aiment."
00:29 Rachibu Ali est détaillant de friperies, depuis plus de 3 ans.
00:34 Par mois, il vend 5 à 6 balleaux de friperies, selon la demande.
00:38 "Moi je veux une robe à 4 500, 5 000, j'ai fait bon aussi, si ça sort joli."
00:46 Ce Nigérian d'origine s'est fait une réputation dans le marché, celle d'avoir de la friperie
00:50 en bon état.
00:51 Pour le plus grand plaisir de la clientèle.
00:54 "C'est la meilleure qualité.
00:55 Ce sont des marques, ce sont des films de série, donc ça fait que ça sort plus en
01:00 corps d'ivoire.
01:01 Et ce que je recherche c'est tout ce qui est un peu neuf, avec des étiquettes.
01:05 Parce que je suis nouveau vendeur, donc faut pas prendre tout ce qui est délavé ou autre."
01:10 S'habiller avec des vêtements de seconde main, une habitude bien ancrée chez les
01:14 Ivoiriens.
01:15 Portée au quotidien, ou encore pour les grandes occasions, la friperie est bien plus qu'une
01:20 option dans les dressings.
01:22 Aujourd'hui, elle est au premier plan et est devenue un véritable business en Côte
01:27 d'Ivoire.
01:28 Raison principale de ce succès, l'accès à des pièces de qualité et à de grandes
01:32 marques à moindre coût.
01:33 A certaines périodes, la seconde main surplante même le neuf, représentant plus de 60% des
01:40 achats vestimentaires.
01:41 Comment se présente aujourd'hui ce marché encore sous le sceau de l'informel ? Comment
01:47 réagissent les créateurs de mode qui parient, eux, sur le prêt à porter ?
01:51 Kokodi, quartier Faya.
02:02 Cet immeuble abrite un appartement pas comme les autres.
02:06 Il fait office de boutique pour la vente de friperies.
02:09 Ce jour-là, Madoussou Diarassouba, la patronne, a la tête dans le guidon.
02:13 "Non, ça, on va mettre ça de côté."
02:16 Dans ses mains, des robes en soie ou encore en coton.
02:20 De la seconde main, sortie de ses ballots de 55 kilos.
02:23 "Quand je casse, ce que je regarde, ce sont les couleurs.
02:26 Parce qu'aujourd'hui, les articles colorés sont plus tendance.
02:32 Il y a des couleurs qui sont très tendance actuellement."
02:34 4 balles, venues tout droit de Londres, dont elle découvre le contenu.
02:38 "Il y a des articles qui sont effilochés, c'est-à-dire il y a des fils qui quittent
02:43 à chaque fois.
02:44 Il y en a qui sont délavés.
02:47 Cette robe-là, par exemple, elle a des défauts, elle est déchirée.
02:51 Donc on a des articles comme ça.
02:52 Souvent, dans une balle, on peut avoir plusieurs articles comme ça.
02:55 Donc ça nous fait véritablement un manque à gagner."
02:57 Récupérer des articles en bon état, c'est toute la difficulté du business.
03:01 Impossible pour les vendeurs de vérifier au préalable le contenu des balles.
03:06 Le business de la friperie s'apparente ainsi à un jeu de hasard.
03:09 "C'est une manière de travailler qui est très risquée.
03:12 Le risque est peut-être à 80%, je peux le dire.
03:15 On peut prendre des balles aujourd'hui, je peux prendre 10 balles, 10 balles, je peux
03:19 perdre 5 balles, ce n'est pas impossible.
03:20 Et le reste, on va essayer de se rattraper dans les 5 autres balles qui restent."
03:26 Pour cette fois, coup de chance, le contenu des 4 balles est dans l'ensemble satisfaisant.
03:31 "Pour les 4 balles qu'on a cassées, on a eu environ 600 pièces.
03:34 Pour le moment, on ne parle pas encore de perte.
03:37 Au contraire, 600 pièces, ce n'est pas petit aussi.
03:39 Ça va nous permettre de savoir si on va faire des choses en plus qui vont nous permettre
03:45 de mieux vendre."
03:46 Des choses en plus, entendez par là une stratégie de vente pour mettre des articles en valeur.
03:51 "Coucou, bonsoir Isora, ça va ?"
03:56 Pour cela, Madoussou Diarassouba a donné rendez-vous à un mannequin pour un shooting.
04:01 "Comme je t'ai dit au téléphone, on a cassé des balles tout à l'heure.
04:04 On va commencer par ceux qui ont déjà été défroissés.
04:07 On va faire des vidéos et des photos."
04:10 Titulaire d'une licence en communication, marketing et publicité, Madoussou Diarassouba
04:18 mise sur les réseaux sociaux pour booster ses ventes.
04:20 Le mannequin enchaîne les poses et les tenues, le tout devant l'objectif de la commerçante.
04:32 "La séance de shooting photo nous permet de mieux nous projeter dans le vêtement qu'on
04:40 met en vente et permet aux clients d'imaginer aussi le look qu'ils veulent faire, de mieux
04:47 voir la couleur, la matière, comment c'est porté.
04:51 C'est exclusivement pour la vente en ligne, donc on les met sur nos différents réseaux
04:55 sociaux, donc WhatsApp, Facebook, Snapchat et Instagram.
04:58 Approximativement, cette robe, on peut la vendre à 7000, parce qu'elle est portée.
05:04 Si c'était sur un mannequin, peut-être même que la robe n'allait pas sortir, peut-être
05:08 que ça n'allait pas donner ce rondu."
05:10 Près de 7000 personnes déjà sur sa page Facebook, de potentiels clients ont acquis
05:15 elle pourrait vendre une pièce à 5000 francs CFA au minimum.
05:18 Grâce à ses 600 pièces, elle pourra atteindre 3 millions de francs CFA de chiffre d'affaires.
05:24 Son investissement de départ, environ 1 million 500 mille francs CFA pour les 4 balles.
05:29 Madhusudhira Suba peut donc espérer un bénéfice de 1 million 500 mille francs CFA.
05:35 Le business de la friperie en plein essor en Côte d'Ivoire profite à toute la chaîne
05:40 de distribution, de la clientèle au vendeur, au revendeur, en passant par les gros systèmes
05:46 portateurs.
05:47 Adjame, commune reputée pour être la plaque tournante de la vente de friperie à Abidjan.
05:56 C'est ici, dans cet entrepôt, que Abou Sangaré stocke les balles de friperie.
06:01 Environ 550 balles arrivaient par conteneur il y a quelques jours.
06:06 Ils sont entassés pour être vendus.
06:09 "A chaque moment, on en a servi deux containers comme ça, souvent cinq minutes, un container."
06:15 Des conteneurs chargés de tonnes de friperie en provenance de l'Angleterre pour la plupart.
06:20 "Ca là, c'est Abidjan, ça c'est Minasé.
06:24 Y a pantalon dedans, petit robe, petit culotte, petit tricot.
06:30 Ca c'est un gros prix, 190 milles.
06:34 Ca c'est les mini-robes, c'est les robes des zonifilles, moi c'est 10 ans, 13 ans, 16
06:42 ans.
06:43 Ca c'est en gros prix 5 milles."
06:46 40 à 250 balles sont vendues par semaine.
06:49 La clientèle débourse entre 80 et 250 milles francs CFA pour obtenir une balle, sans toujours
06:55 connaître au préalable le contenu.
06:56 "On vient ici pour casser des voies, avant que nous ne puissions commencer à vendre.
07:02 C'est bon, c'est pas bon.
07:04 Donc nous, on voit qu'il y a des pots d'ici.
07:06 Nous portons un pèle derrière nous.
07:09 Ah, pour seulement, ça là, les bras là, ça n'a pas bien sorti.
07:13 Mais pour seulement, vous n'avez qu'à voir, c'est bien ranger."
07:16 Abou Sangaré fait ici allusion à une collaboration entre son patron, le grossiste importateur,
07:22 et le responsable du centre de collecte et de recyclage des textiles basé en Europe.
07:26 Pour rappel, au départ, l'histoire de la friperie est une histoire de générosité
07:32 entre continents.
07:33 Des dons de vêtements de l'Amérique à l'Europe, suite à la seconde guerre mondiale.
07:37 Puis à présent, de l'Europe à l'Afrique.
07:40 Seulement, aujourd'hui, la friperie n'est pas qu'une affaire de générosité.
07:44 Des entreprises spécialisées dans le domaine de la récolte et du recyclage ont mis en
07:49 place un véritable réseau de distribution, dont le but de dégager des ressources financières,
07:54 ce qui donne lieu à un business à grande échelle.
07:57 En 2021, la Côte d'Ivoire a importé pour 52,4 millions de dollars de vêtements usagés.
08:05 Pourtant, les créateurs de textiles africains ne manquent pas.
08:09 Pateo, Cissin Moïse, ou encore Rebecca Zorro, des talents qui se retrouvent confrontés
08:15 à la friperie.
08:16 Dans cet atelier, situé dans les quartiers des deux plateaux, nous retrouvons Passy Morocco.
08:27 Elle est la fondatrice de Yaleri, une marque ivoirienne de prête à porter.
08:32 Ce jour-là, elle supervise les travaux d'une nouvelle collection, qu'elle prépare depuis
08:42 quelques mois.
08:43 Les produits de prête à porter, ça demande un temps de préparation parce que dans un
08:56 premier temps, il y a le dessin qu'on va confier à la personne qui va faire le patronage.
09:01 Donc ça, c'est un travail préalable qu'il faut faire.
09:04 Si par exemple, il y a une erreur sur le patron, toute la série qu'on va couper sera faussée.
09:10 Donc c'est vraiment un travail préparatoire qu'il faut faire.
09:13 Un travail minutieux qu'elle effectue depuis 18 ans pour promouvoir le textile africain.
09:18 J'utilise du pagne fabriqué en Côte d'Ivoire.
09:23 C'est vraiment la majorité de ce que j'utilise.
09:26 Après, ça peut être si j'aime beaucoup un pagne fabriqué en Afrique, idéalement.
09:32 On utilise aussi du pagne tissée.
09:33 Donc on travaille avec un tisserant qui est dans la région de Titoumaudi.
09:36 Donc on fait travailler l'artisanat, on développe l'artisanat à travers les tisserants.
09:41 Sortir une collection d'une centaine de pièces de prêt-à-porter nécessite des mois de
09:47 travail et surtout un préfinancement à coût de millions de francs CFA.
09:52 Mais problème, une fois le prêt-à-porter mis en vente sur le marché, il sera mis en
09:57 concurrence directe avec la seconde main.
09:59 Tous logés à la même enseigne, en quelque sorte, par la clientèle.
10:03 Aux grandes dames des défenseurs d'une industrie locale du textile.
10:07 La fripe est une barrière pour l'industrialisation de l'industrie textile.
10:13 Parce que tant qu'on a autant de choix et on n'a pas d'autre solution, c'est comme
10:19 ça que ça va se passer.
10:20 Mais à un moment donné, si on ne réagit pas, ce sera comme pour tout.
10:25 On ne produira rien, ni vêtements, ni nourriture, ni voiture.
10:29 Si on n'industrialise pas nos pays, on sera toujours tributaire de ce qu'on vient nous
10:34 déverser et ce qu'on veut bien nous vendre.
10:36 Direction le marché Cocovico de Cocody, nous avons proposé à Passy Moroccro de venir
10:47 flairer les étals de friperie.
10:49 Des tas de vêtements de seconde main déversés sur le marché à prix cassé.
10:57 Il y a des beaux tissus, il y a du lin, du coton, c'est assez varié.
11:01 500 francs, ça défie toute concurrence, c'est vraiment très abordable.
11:07 Une concurrence pour vous ? Je ne dirais pas une concurrence parce qu'acheter
11:14 chez un créateur local, c'est un acte volontaire.
11:20 C'est vraiment décider de soutenir l'industrie, l'économie locale.
11:26 Maintenant, il faut voir un peu plus loin que ça.
11:29 Qu'est-ce que c'est la fripe ? La fripe, c'est du déchet.
11:31 Des déchets, car tout ne sera pas vendu.
11:35 Et les vêtements qui ne trouveront pas de preneur finiront dans la nature.
11:39 Ça va se retrouver où ? Ça va se retrouver dans nos poubelles, dans nos caniveaux.
11:44 Et c'est des matières qui ne sont pas biodégradables, donc forcément, ça va polluer.
11:50 Donc si les pays occidentaux s'en débarrassent, c'est bien parce que c'est des déchets
11:57 qu'ils ne savent pas recycler ou dont ils ne peuvent rien faire.
12:00 Un cri d'alerte, loin pour l'instant de faire vaciller le business de la friperie,
12:07 en plein boom économique en Côte d'Ivoire et dans tout le continent.
12:10 [Bruits de la foule]