À l'occasion du festival de Cannes, Valérie Donzelli, réalisatrice et actrice, est l'invitée du 7h50 pour son film "L'amour et les forêts", en sélection officielle Cannes Première. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-18-mai-2023-1910635
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00:00 7h49, Alexandra Bensahid, votre invitée ce matin est actrice et réalisatrice.
00:04 Bonjour Valérie Donzelli.
00:05 Bonjour.
00:06 C'est la réalisatrice que je reçois ce matin, votre sixième long métrage, L'amour et
00:10 les forêts, une adaptation du roman d'Eric Rennard, est au Festival de Cannes, dans la
00:15 sélection Cannes Première.
00:16 C'est l'histoire de Blanche Renard, elle est professeure de français, incarnée par
00:20 Virginie Effira, elle tombe amoureuse de Grégoire Lamoureux, ça c'est Melville Poupeau.
00:25 Passion réciproque et pendant 20 minutes vous nous décrivez le bonheur simple et puis
00:30 on comprend le nom des personnages Valérie Donzelli.
00:33 Blanche c'est un agneau, Lamoureux c'est un bourreau.
00:36 Vous avez voulu, vous avez eu envie de faire un cœur du film sur la mécanique de l'emprise
00:42 qui s'installe lentement.
00:43 Oui tout à fait.
00:45 Alors Blanche c'est pas non plus un agneau dans le sens où c'est pas quelqu'un de
00:48 complètement vierge de tout.
00:50 C'est une femme, elle est intelligente, elle travaille, elle a une forme d'autonomie
00:56 qu'elle va perdre en rencontrant cet homme sans s'en rendre compte en fait.
00:59 Et c'est ça qui m'intéressait, c'était de décortiquer, de montrer de façon la plus
01:04 juste possible comment l'emprise s'installe.
01:08 C'est-à-dire, je crois que c'est à un moment donné quelqu'un qui décide d'investir
01:11 l'autre, comme une maison en fait.
01:14 Et cette maison qu'on n'investit pas soi-même, c'est-à-dire Blanche Renard, elle arrive
01:18 pas complètement à s'investir elle, et donc elle se laisse envahir comme ça par
01:22 quelqu'un qui vient la dévaliser.
01:25 Avec une gradation, ça commence par quoi ? L'éloignement ? L'isolement ?
01:30 Oui, sans raconter tout le film, ça commence d'abord par la charmer, la séduire.
01:37 Ensuite ça commence aussi par une forme de passion physique, la faire jouir, lui donner
01:44 du plaisir.
01:45 Ça continue par l'isoler petit à petit, la couper des gens qu'elle aime.
01:51 Il faut savoir que dans le livre, il y avait cette relation de sœur, jumelle, et je trouvais
01:57 ça très intéressant à garder.
01:58 Également incarnée par Virginie Fiora ?
02:00 Alors moi j'en ai fait des jumelles monozygotes, comme on dit, c'est-à-dire qu'ils se ressemblent
02:05 comme deux gouttes d'eau.
02:06 Et je trouvais ça intéressant que Virginie joue les deux rôles, comme un miroir de l'une
02:10 et de l'autre, et aussi pour Greg l'amoureux, comme un double, la sœur et un lien qu'il
02:17 ne pourra jamais réussir à rompre et qui sera toujours plus fort que celui qu'il pourra
02:22 créer avec celle qu'il aime, Blanche.
02:25 Et en effet, Rose, la sœur jumelle, c'est le miroir de la vie qu'elle pourrait avoir
02:29 si elle avait mis des limites ?
02:32 Je pense que c'est aussi une partie d'elle.
02:34 Rose, c'est celle qui est quelque part, oui, bien dans sa peau, ancrée dans le réel.
02:42 C'est quelqu'un sur qui Greg l'amoureux n'a pas d'emprise.
02:46 Et donc on est un petit peu Blanche et Rose, tout le monde est un petit peu Blanche et Rose.
02:51 Justement, vous avez dit qu'à la lecture du roman, vous aviez ressenti des résonances personnelles.
02:57 Ce qui vous tenait à cœur, c'est de montrer comment un homme peut broyer l'estime de
03:01 soi d'une femme et comment une femme peut glisser de la première emprise, qui est la
03:05 passion amoureuse, à la prison tout court.
03:08 Est-ce que vous pensez que tout le monde peut ressentir ces résonances personnelles ?
03:12 Oui, je crois qu'on a toutes des petits CV quand même.
03:15 C'est compliqué quand on est une femme.
03:17 Je ne sais pas si c'est un truc...
03:20 Je pense qu'il existe évidemment de l'emprise à tous les niveaux, pas que dans les relations
03:26 amoureuses.
03:27 Et je pense qu'il y a des femmes qui ont des emprises sur les hommes, etc.
03:29 Mais il y a un rapport à la domination.
03:31 Et quand on a un petit problème avec l'estime de soi, on a cette petite faille qui fait
03:36 que...
03:37 Ce qui m'a surtout passionnée dans le personnage de Blanche, c'est qu'elle est une idéaliste
03:42 et quelqu'un qui pense que les choses vont toujours s'arranger.
03:44 Et donc, c'est une croyante.
03:46 Et c'est en ça que je me suis identifiée à elle.
03:48 Et je crois que mon côté un peu croyant, un peu idéaliste, fait que je me dis tout
03:52 le temps "bon, on fait des compromis et tout, et puis petit à petit, on se laisse...
03:56 Et puis on perd un peu en confiance au final".
04:00 - Encore plus, pardon.
04:01 - Non, je vous en prie, c'est votre interview, la parole est à vous.
04:05 Dans les médias désormais, pour comprendre ce qui vous a mené, le livre est sorti en
04:09 2014 et vous, vous le tournez l'année dernière.
04:11 Pour comprendre ce qui vous mène à ce désir de faire un thriller psychologique alors que
04:16 vous avez une grande fantaisie dans votre filmographie, vous aimez la comédie, alors
04:20 là on est dans le sérieux, on est dans la psycho.
04:22 Est-ce que, par exemple, l'actualité a joué un rôle ? Le décompte des féminicides que
04:27 nous nous tenons, chaque année ça ne s'améliore pas, si on donne les chiffres.
04:31 122 femmes tuées en 2021, c'était déjà 20% plus que l'année précédente.
04:36 146 femmes en 2022 selon le collectif "Nous Toutes".
04:40 Est-ce que ça, ça marque la femme et la réalisatrice ? Est-ce que ça donne une envie
04:43 de tourner ?
04:44 - Oh, je pense quand même, ça m'est insupportable.
04:47 C'est insupportable en fait.
04:48 Vraiment.
04:49 C'est insupportable de savoir qu'il y a une femme qui meurt tous les trois jours sous
04:52 les coups de son mari.
04:53 Moi, ça me donne envie de pleurer en fait.
04:57 Je trouve ça insupportable.
04:58 Et effectivement, j'ai connu autour de moi des violences faites sur des femmes qui sont
05:04 des proches.
05:05 Je trouve ça insupportable et je pense que ça m'a peut-être aussi donné envie de
05:09 faire le film, évidemment.
05:10 - L'auteur du roman, Éric Rennart, vous l'avez invité plusieurs fois sur le tournage,
05:15 il dit qu'il vous a laissé libre, mais alors il avait placé la barre très haut.
05:19 Il dit qu'il voulait un film qui soit le même électrochoc que son roman parce qu'il
05:24 a eu des témoignages de lectrice.
05:26 En fait, il souhaitait avec ce film, et visiblement il est satisfait, que dans les salles obscures,
05:31 des femmes se disent "il faut partir avant de mourir".
05:34 Est-ce que vous, vous aviez cette ambition en fait de faire un film politique ?
05:39 - Je pense que le cinéma, il est politique.
05:42 Est-ce que j'avais cette ambition ? Je pense pas que je me suis dit des choses comme ça
05:45 parce que c'est vraiment le moyen de rater son film, de se dire "je vais faire un film
05:48 comme ci ou comme ça".
05:49 Je crois que j'ai fait le film parce que j'ai pas pu faire autrement que de le faire.
05:52 C'était plus fort que moi.
05:53 À un moment donné, les films nous envahissent et il faut qu'ils sortent de nous.
05:58 Donc j'ai avant tout voulu faire un film de cinéma, un thriller psychologique, et par
06:04 le biais de ce genre, raconter quelque chose qui me tient à cœur sur, évidemment, les
06:13 violences faites aux femmes et sur le parcours initiatique d'une femme.
06:16 Parce que souvent dans mes films, je me suis rendu compte qu'il y avait quand même toujours
06:19 l'histoire d'un parcours initiatique.
06:21 - Et des femmes, et des univers de femmes.
06:23 Vous décrivez, même dans votre série, Nona et Sophie, une sororité, une solidarité,
06:28 un regard libérateur des femmes sur les autres femmes, sur les petits-maris des autres femmes,
06:33 sur ces petits tyrans domestiques dans certains cas, pas dans tous.
06:37 Est-ce que pour vous, cette sororité, c'est une constante de la société, ou vous vivez
06:43 ça comme une nouveauté aujourd'hui ?
06:45 - Non, je le vis un peu comme une nouveauté.
06:47 Pour moi, ça a toujours été une constante.
06:49 C'est-à-dire que j'ai beaucoup d'amis femmes, j'aime les femmes, j'ai toujours été entourée
06:53 par des femmes.
06:54 En tant qu'actrice, j'ai beaucoup tourné avec des femmes et je me sens bien avec les
06:58 femmes, en fait.
06:59 C'est vrai.
07:00 Je trouve qu'aujourd'hui, les choses, depuis Me Too, évoluent un peu.
07:03 Je sens dans la rue les femmes qui osent dire des choses, qui osent dire à des hommes
07:10 qui se comportent mal.
07:11 Une fois, j'étais dans la rue, il y avait une femme qui disait "mais vous arrêtez maintenant,
07:14 ça suffit, votre comportement, vous êtes vue, monsieur, vous êtes vue".
07:17 Je trouvais ça génial, parce qu'en fait, maintenant, il y a quand même ce truc où
07:21 on ne se sent pas toute seule.
07:22 On sent qu'on veille les unes sur les autres.
07:24 Moi, je le trouve un peu.
07:25 - Et dans votre film, il y a une femme formidable, c'est une actrice, Virginie Effira.
07:29 Vous filmez des scènes où il y a vraiment, on ne va pas tout dire, très peu d'action.
07:33 Mais en réalité, tout se passe sur son visage.
07:36 Est-ce que c'est pour ça que le cinéma français a tant besoin de Virginie Effira ?
07:39 - Mais je crois que Virginie Effira aime passionnément son métier d'actrice.
07:44 Elle aime passionnément ça et c'est ce qui fait qu'on l'aime autant.
07:48 C'est qu'elle nous transmet cet amour en jouant.
07:49 - Valérie Dorzelli, vous parliez de Me Too.
07:53 Une question quand même sur Cannes.
07:55 Six ans après l'explosion de l'affaire Weinstein, de Me Too, le monde du cinéma est toujours
08:00 secoué par les violences faites aux femmes.
08:02 On a eu l'actrice Adèle Hedel qui dit qu'elle se met en grève du cinéma.
08:06 Elle dénonce une complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels.
08:10 Il y a eu une tribune cette semaine dans Libération, une centaine d'acteurs et d'actrices, Julie
08:15 Gaillet, Géraldine Lacache, Laure Calamy, qui fustigent le festival de Cannes, qui déroulerait
08:20 un tapis rouge aux hommes et aux femmes qui agressent.
08:22 Ça c'est pour Johnny Depp et Mai Wen.
08:24 Vous n'avez pas signé, en tout cas je n'ai pas vu votre signature.
08:27 Est-ce que vous comprenez ces dénonciations ? Est-ce que vous, Johnny Depp sur le tapis
08:30 rouge, ça vous choque ?
08:32 - Est-ce que ça me choque ? C'est compliqué ces questions.
08:38 Je ne sais pas.
08:40 Franchement, je n'en sais rien.
08:42 D'abord, je n'ai pas trop suivi ces histoires avec son ex-femme.
08:46 Non mais je sais qu'il y a eu…
08:47 Je ne connais pas au final le procès, qu'est-ce qu'il a dit, est-ce qu'il a été condamné
08:51 ou pas.
08:52 - Mais est-ce que les dénonciations, c'est quand même très fort.
08:54 Le festival, le tapis rouge aux hommes et aux femmes qui agressent, la complaisance
08:59 généralisée du métier.
09:00 - Non mais en fait, je pense qu'on a le droit de s'offusquer et je trouve que c'est
09:03 normal.
09:04 Et en même temps, c'est le festival de Cannes, ça fait partie aussi du festival
09:10 de Cannes.
09:11 C'est le choix de Thierry Frémont, ça dit quelque chose de lui, j'ai envie de dire.
09:15 Ça dit quelque chose de celui qui fait le festival de Cannes, de prendre le film de
09:20 Maïwenn en ouverture.
09:22 - Et plus globalement ?
09:23 - Oui, bah…
09:24 - Les femmes, ça progresse ? La place des femmes ?
09:28 - Oui mais doucement quand même.
09:29 Ça progresse mais doucement.
09:31 Mais ça progresse mais doucement.
09:32 - Mais ça progresse mais doucement.
09:35 L'amour et les forêts, c'est votre film.
09:37 Il est projeté mercredi sur la croisette.
09:39 Il sort en même temps dans nos salles.
09:40 C'est un film beau, c'est un film qui résonne.
09:42 Allez-y.
09:43 Et merci Valérie Donzelli.
09:44 - Merci.