• l’année dernière
Dans son dernier roman, “Tsunami”, Marc Dugain met en scène un président de la République qui affronte une crise de grande ampleur. Marc Dugain est en public pour parler d’écriture, du pouvoir en France et des Etats-Unis.

Category

📺
TV
Transcription
00:00 *Applaudissements*
00:08 Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille.
00:11 L'auteur de cette phrase connaissait vraisemblablement le dossier puisqu'il s'agit de Jerk Chirac.
00:16 On pense à cette déclaration à la lecture de Tsunami, votre dernier roman, Marc Dugain,
00:21 parce que le narrateur est président de la République française.
00:24 Il écrit son journal de bord et comme il le dit,
00:27 "Tout ce qui ne marche pas en France a vocation à échouer sur mon bureau".
00:31 Il va devoir faire face à des manifestations massives
00:34 contre une réforme qu'il tente d'imposer aux français.
00:37 Je précise que vous avez terminé ce roman il y a un an.
00:40 À la lecture, on pense à bien des personnages de notre vie politique,
00:44 de Jérôme Cahuzac à François Mitterrand, en passant par Emmanuel Macron.
00:48 Vous êtes entré en littérature avec la Chambre des Officiers en 1999, Marc Dugain,
00:53 depuis vous publiez romans, essais, articles, vous réalisez et produisez aussi des films.
00:59 Je vous souhaite la bienvenue, c'est Totemic en public.
01:02 Totemic.
01:03 Rebecca Manzoni sur France Inter.
01:08 Tsunami, votre dernier roman, est évidemment une fiction, Marc Dugain,
01:12 et c'est aussi très inspiré de notre réalité et de notre histoire politique.
01:18 Pourquoi avez-vous fait de votre président inventé un cocaïnomane ?
01:24 - C'est un peu pour m'abuser, parce que je trouvais que...
01:28 Je trouve que la charge est tellement lourde, que j'imagine que comme les cyclistes,
01:31 vous savez, à qui on met 50 cols de première catégorie dans le Tour de France,
01:36 il y a un moment, ils sont obligés de se doper.
01:39 Mais j'ai imaginé qu'ils n'avaient pas...
01:42 En fait, ils commencent à se doper pendant la campagne électorale,
01:45 parce qu'ils se rendent compte que le rythme est infernal.
01:48 Il n'est pas habitué.
01:50 Parce que c'est un président un peu opportuniste.
01:52 Il n'avait pas prévu de se présenter.
01:55 Finalement, il se présente sur les conseils de sa conseillère en communication.
02:01 Et là, il joue le jeu, il y va à fond, mais c'est extrêmement fatigant.
02:05 Et après, évidemment, il y a le début du quinquennat.
02:09 Et on se trouve en fait, pas les toutes premières semaines, mais quasiment,
02:14 après deux, trois mois, il est arrivé il y a deux, trois mois.
02:17 Et là, on vit 21 jours avec lui.
02:21 Et bizarrement, la cocaïne va le quitter parce qu'il a un problème d'approvisionnement.
02:26 Donc ensuite, ça devient un président normal.
02:29 - Oui, enfin, comme il le dit, ça fait ça fait cinq mois que je ne connais plus le mot normal.
02:33 Ça fait cinq mois que quelque chose de normal ne m'est pas arrivé,
02:35 au point qu'au fil de ces 21 jours où votre personnage tient son journal de bord,
02:41 il y a un moment où il doit décider de la vie ou de la mort d'une femme qui est djihadiste.
02:45 Il doit donner son accord pour qu'elle soit empoisonnée.
02:47 Vous utilisez d'ailleurs l'expression "Rainbow Warrior" version hypocrate,
02:52 en référence à cet attentat contre ce bateau de Greenpeace appelé "Rainbow Warrior"
02:57 qui a causé la mort d'un photographe et où la responsabilité de François Mitterrand a été établie.
03:03 Ce président de la République aussi, il a d'une certaine façon droit de vie et de mort sur ses citoyens,
03:09 puisque à l'annonce de manifestations populaires contre sa réforme,
03:14 qui s'annonce selon les services secrets très violente,
03:17 il doit donner son accord pour que la police utilise de la violence et des armes contre les manifestants.
03:24 Qu'est-ce qui vous intéressait dans l'écriture de ces pages-ci, Marc Dugas ?
03:28 - En réalité, c'est-à-dire qu'il a des informations comme quoi des personnes qui sont assez mal identifiées
03:35 pourraient profiter de la manifestation pour tirer sur la police avec l'espoir,
03:43 un espoir sinistre évidemment, mais que la police réplique et donc que tout ça tourne au bain de sang.
03:51 Et c'est les seules informations qu'il a parce qu'il ne sait pas qui est derrière tout ça.
03:55 Et simplement, évidemment, la police lui dit "est-ce qu'on a le droit de riposter ou pas ?"
03:58 Et donc c'est toute la question qui le hante pendant tout le livre,
04:02 de savoir s'il va donner son accord pour que la police riposte ou pas,
04:06 sachant que si la police ne riposte pas, il y aura la police à dos pendant tout son mandat.
04:12 S'il n'autorise pas la police à riposter contre des tirs réels,
04:17 il se dit "je vais avoir la police à dos pendant tout mon mandat".
04:21 Et si j'autorise la police à riposter, je vais avoir le peuple contre moi pendant tout mon mandat.
04:26 Donc il y a un moment, et c'est ça qui est intéressant parce qu'en fait c'est tous ces moments qui sont ces dilemmes.
04:36 Moi ce que je trouve assez intéressant avec cette fonction, je pense qu'elle est faite constamment de dilemmes.
04:41 Et ces dilemmes remontent au président et il doit trancher.
04:45 Et en fait, il est très très seul pour trancher, même s'il a des armées de conseillers.
04:50 Il y a un moment où la décision de tuer par exemple, qui est une décision réelle,
04:56 mais qui normalement, le président évidemment n'a pas le droit de donner l'ordre de tuer quelqu'un en France,
05:00 mais à l'étranger, il a le droit d'autoriser les services secrets français à tuer des gens qui pourraient nuire à la France.
05:13 Donc il faut quand même la prendre cette décision.
05:15 Quand on n'est pas habitué, et ils sont rarement habitués, et qu'on leur dit "est-ce que monsieur le président peut tuer un tel, un tel endroit ?"
05:25 Il faut dire oui ou non.
05:27 Et alors c'est très intéressant parce que tous les présidents ne réagissaient pas de la même façon.
05:33 Il y en a qui étaient très décidés, et il y en a qui sont absolument conscients de ce que ça représente.
05:41 Les autres aussi, mais avec quelque chose qui vraiment les traumatise.
05:46 Et alors lui, il prend sa décision.
05:50 - Qu'on ne va pas révéler. Mais ce qui est au cœur aussi de cette fonction, c'est le mensonge.
05:55 Au point qu'il déclare "j'ai le réflexe immédiat du mensonge. C'est rassurant, je commence à prendre la mesure de la fonction".
06:04 Pour vous, le mensonge est forcément lié à l'exercice du pouvoir, Marc Dugas ?
06:09 - De toute façon déjà, l'homme est avant tout trompeur.
06:13 Je ne sais plus qui c'est qui a dit ça, mais je crois que c'est Grasse.
06:16 Mais dans la fonction, évidemment, on ment. Et on ment beaucoup.
06:22 D'abord, on ment par le simple fait que tout est...
06:25 Si vous voulez, le pouvoir, ce qui est très intéressant, c'est que le pouvoir offre une narration.
06:31 À partir du moment où il se passe quelque chose, on a ce qu'on appelle la version officielle.
06:37 Et ça, c'est déjà une mise en abîme de communication.
06:42 Alors forcément, quand on essaye de présenter les choses sous un jour intéressant pour le pouvoir, on commence à mentir.
06:50 En règle générale, ou on essaye d'arranger.
06:54 Et évidemment, ensuite, ce récit, il est confronté à d'autres récits qui sont ceux des journalistes, des journalistes d'investigation.
07:06 Alors là, c'est par le travail vraiment d'investigation, de recherche.
07:11 Et puis, il y a un deuxième contre-pouvoir à ce récit, à la fois national et officiel, qui est celui de la fiction,
07:21 qui vient s'ajouter à celui du journalisme et de l'investigation.
07:25 Et moi, j'aime bien les deux, d'ailleurs, parce que j'ai fait les deux.
07:29 Mais je trouve que les deux sont très intéressants.
07:31 Donc, oui, pour répondre à votre question, le mensonge est inhérent à la fonction.
07:37 C'est quelqu'un qui ne sait pas mentir.
07:42 D'abord, vous savez que moi, je connaissais bien la question pour avoir des enfants Asperger.
07:49 Et chez Asperger, par exemple, on ne ment pas.
07:53 - Un des personnages est comme ça, d'ailleurs.
07:54 - Voilà, il y a un personnage que j'ai appris qui ressemble à un de mes proches.
07:59 Et en fait, très souvent, les enfants Asperger ne comprennent pas le mensonge.
08:04 Et on dit qu'ils sont anormaux.
08:07 Alors qu'en fait, c'est nous qui sommes anormaux, parce qu'on passe notre temps à mentir.
08:11 Et donc, un président de la République n'est jamais aussi qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas,
08:20 qu'on en veuille ou qu'on n'en veuille pas.
08:22 Il représente quand même ce que nous sommes, d'une certaine façon.
08:24 - Et il est porteur d'une histoire.
08:26 - Et il est porteur d'une histoire.
08:27 Et cette histoire, forcément, il essaie de la ranger pour qu'elle soit aussi belle que possible.
08:32 C'est vraiment ce que les Anglais appellent "the fairy tale".
08:35 C'est vraiment le conte de fées, comme ça, qu'on fait avancer.
08:38 D'ailleurs, il y a des presses.
08:39 Il y a une presse spécialisée là-dedans, dans le conte de fées.
08:42 Il y a plein. Il y a une presse, je ne le citerai pas, mais qui, à chaque fois,
08:49 met en perspective le pouvoir, le président avec sa femme, etc.
08:54 Ça, c'est vraiment le conte de fées à la monégasque.
08:58 Et puis, il y a la réalité.
09:00 Évidemment, cette réalité, elle est très intéressante.
09:07 - Je précisais au début de l'émission que ce roman, vous l'avez terminé au printemps 2022.
09:13 Et à la lecture aujourd'hui, le livre est sorti il y a quelques semaines.
09:18 On a l'impression de vous parler de notre présent avec ces manifestations,
09:23 même si l'objet de la manifestation n'est pas la même.
09:26 Un président qui doit faire face à des manifestations massives,
09:31 là, il est question de guerre civile dans le roman,
09:35 mais un président qui doit faire face à des manifestations massives,
09:39 plus ou moins violentes.
09:41 C'est ce qui se passe aujourd'hui.
09:42 Vous avez dû être quand même particulièrement troublé par l'actualité présente.
09:48 - Oui, mais ça ne fait pas de moi un prophète d'abord.
09:51 Et puis, c'est toujours facile de ne pas se tromper
09:57 quand il n'y a jamais qu'une année entre l'écrit et la réalité.
10:02 C'était beaucoup plus dur pour des gens comme Philippe Kadic ou d'autres,
10:08 ou Orwell, de ne pas se tromper, mais avec 40 ans, 50 ans d'avance.
10:12 Voilà, je remets au passage.
10:15 Je crois que, en fait, quand j'ai écrit le livre,
10:19 je sentais que tout ça allait arriver parce qu'il y avait déjà ce bouillonnement
10:23 et cette fracture qu'il y a entre cette fonction présidentielle,
10:28 qui a mon âge exactement, à quelques semaines près.
10:31 Donc, on ne peut pas dire qu'elle soit un poussin de la veille.
10:34 - Parce que vous êtes né en 57.
10:36 - Oui, voilà, je suis né en 57.
10:38 Elle est même presque plus jeune que moi.
10:43 Et un peuple et cette fonction, finalement, qui n'est pas si inintéressante
10:50 que ça, d'ailleurs, dans la Constitution, quand on la lit bien,
10:53 n'a pas été respectée.
10:54 Elle a été dévoyée, de plus en plus dévoyée.
10:57 C'est comme les textes liturgiques.
11:01 Aujourd'hui, vous avez quand même Poutine qui se réclame de la Bible.
11:05 Alors, je ne sais pas quelle Bible a lu.
11:06 On n'a pas dû lire la même.
11:09 Donc, la Constitution, c'est pareil.
11:12 C'est-à-dire qu'on se réclame de la Constitution.
11:15 Mais la Constitution prévoyait un président fédérateur au-dessus des partis,
11:21 avec un lien direct avec le peuple.
11:23 Et aujourd'hui, je ne veux pas rentrer dans la politique politicienne.
11:26 Ce n'est pas du tout mon but.
11:27 Mais on se rend compte que, finalement, ce lien avec le peuple a été rompu.
11:34 En tout cas, c'est le sentiment qu'on a.
11:38 Et que le président est très partisan.
11:41 Il faut qu'il est très, très minoritaire.
11:43 Il est très minoritaire parce qu'il a été élu contre quelque chose et non pas pour quelque chose.
11:50 Et ça, c'est quelque chose de très, très nouveau.
11:52 C'est pour ça que j'ai senti que ça allait arriver, qu'il y aurait ce moment de rupture
11:56 où, finalement, le président serait définitivement minoritaire.
12:04 Et ce moment est arrivé.
12:05 Donc, après, il y a d'autres choses.
12:07 Il y a un bouillonnement général.
12:08 Je pense qu'il ne faut pas, sans tenir aux institutions,
12:14 il y a un bouillonnement général qui tient, et je l'ai beaucoup mis dans le livre,
12:18 à la crise climatique, qui est quand même très, très inquiétante.
12:23 Il y a aussi la révolution numérique qui a transformé nos vies et qui va les transformer de plus en plus.
12:30 L'arrivée de l'intelligence artificielle, qu'est ce que ça veut dire ?
12:33 Et puis le retour des totalitarismes.
12:35 Donc, tout ça, c'est très déstabilisant.
12:38 Et parce que, aussi, le numérique donne aux gens le sentiment d'être surveillés en permanence.
12:42 Donc, il y a un fond de révolte qui est là aussi, qu'on a vu avec le pass sanitaire,
12:47 mais qui, la surveillance n'est pas que sur le pass sanitaire, elle est sur plein de choses.
12:51 - Mais d'ailleurs, ce qu'on appelle les GAFAM, c'est-à-dire Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft,
12:59 c'est l'un des personnages de votre roman de Tsunami aussi,
13:01 parce que ce président fictif a été élu avec l'illusion de la démocratie,
13:07 dans la mesure où ces fameux GAFAM ont très concrètement participé à son élection.
13:13 Et j'aimerais lire un des passages du livre, où donc ce président récemment élu rencontre ceux qui l'ont élu,
13:21 ces fameux GAFAM, et voilà ce qu'il déclare.
13:25 "Les GAFAM, nous l'avons fait pour Obama et nous sommes capables de vous dire, d'après les données que nous collectons,
13:30 ce que les gens attendent précisément de cette élection,
13:33 d'une façon infiniment plus précise que les instituts de sondage qui interpellent les gens à un moment donné,
13:38 alors que nous, nous vivons avec eux, nous sommes en eux.
13:43 Mais la question va beaucoup plus loin.
13:45 Aujourd'hui, elle n'est pas de savoir ce que les gens souhaitent, mais de leur faire souhaiter ce que vous voulez."
13:54 - C'est toute la question. Alors j'ai écrit des livres là-dessus aussi, mais alors qui étaient des essais pour le coup.
13:59 Parce que c'est évidemment une question qui me concerne énormément, qui m'inquiète.
14:03 C'est-à-dire la façon... Alors dans le roman, et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai écrit ce roman d'ailleurs,
14:10 c'est que c'est intéressant parce que l'autre jour, j'ai croisé dans une émission Bernard Cazeneuve, qui a été Premier ministre.
14:17 Il avait lu le livre et il me dit "vos personnages ne sont pas les politiciens de demain, de d'aujourd'hui,
14:26 mais ce sont les politiciens de demain".
14:29 Et il m'a dit "c'est ça qui m'a beaucoup plu dans le livre".
14:32 Et en fait, c'est ça que j'ai essayé de faire avec ce lien de cet homme qui est totalement soumis finalement à un lobby,
14:40 qui est le lobby du numérique, qui va s'arranger pour faire une réforme verte,
14:47 mais dans laquelle on oublie la consommation d'énergie du numérique avec les portables, avec tout ça,
14:54 qui en plus va se faire aider par le numérique pour attirer les jeunes sur son nom.
15:01 Et donc tout ça va être...
15:05 Ça décrit en fait... C'est un peu une métaphore de ce qui se passe, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de pouvoir politique aujourd'hui,
15:14 je pense dans les démocraties et ailleurs, on n'en parle même pas, sans un lien avec des intérêts.
15:22 Avec des intérêts plus ou moins puissants, avec un lien plus ou moins fort.
15:25 - Ça a pu être par le passé des intérêts issus de la révolution industrielle,
15:30 et aujourd'hui, ce sont les intérêts de la révolution numérique.
15:33 - Aujourd'hui, c'est ceux de la révolution numérique. On sait que, par exemple, aux États-Unis, la période Bush et Cheney,
15:40 on est quand même dans une collusion totale...
15:44 Je ne dis pas totale énergie, je dis totale.
15:47 On est dans une collusion totale entre les lobbies pétroliers et Bush et Cheney, qui ont tous des intérêts croisés.
15:56 Et donc l'invasion d'Irak est liée à ça, ce qui est quand même extrêmement grave.
16:01 Donc c'est pour ça que j'ai voulu reprendre ça, parce que c'est une réalité aussi.
16:06 De même que Trump, sous ses airs comme ça de démago, a des liens très puissants avec l'industrie américaine
16:13 et avec certains secteurs de l'industrie américaine.
16:16 Donc en fait, c'est à nous de révéler ça, en fait.
16:20 Parce que très souvent, on voit des politiques qui donnent l'impression d'être totalement indépendants,
16:26 et ils ne le sont pas, parce que leurs campagnes sont financées largement par ces gens-là, on les aide.
16:33 - Mais quand vous dites "c'est à nous", c'est le rôle de la littérature pour vous ?
16:37 - Non, quand je dis "nous", je parle de ce contre-pouvoir que sont les journalistes et les écrivains, qui pour moi, est le même.
16:45 Pour moi, c'est la même nature avec deux formes d'expression.
16:48 Sachant que dans un cas, vous risquez des procès, quand vous êtes journaliste,
16:52 et quand vous êtes écrivain, vous risquez rien.
16:54 Donc c'est la différence, c'est juste que je suis un peu plus lâche.
16:59 - Au deux tiers du roman "Tsunami", votre président de fiction déclare
17:03 "Heureusement que personne ne connaît mes choix musicaux, on lirait en moi un livre ouvert".
17:10 C'est précisément l'un des principes de cette émission, vous découvrir avec une chanson, et vous avez choisi "Here Comes the Sun" des Beatles.
17:24 Here comes the sun, I say it's alright.
17:30 Little darling, it's been a long, cold, lonely winter.
17:40 Little darling, it feels like years since it's been here.
17:48 Here comes the sun, here comes the sun, I say it's alright.
17:58 - Alors pourquoi les Beatles, et pourquoi ce titre si précisément Marc Dugain ?
18:07 - Parce que je trouve que c'est un titre optimisant, plus optimisant que mon livre.
18:13 - C'est vous qui l'avez lu.
18:15 - Non mais même si le livre est pas triste, j'ai essayé d'être drôle dedans.
18:19 - Oui absolument.
18:21 - Mais c'est vrai que, c'est vrai que les Beatles pour moi, je me souviens du jour où j'ai acheté le disque avec ma mère, au Nouvelle Galerie à Grenoble.
18:30 Et c'était un moment, un grand moment de mon ouverture à la musique déjà.
18:36 Et puis surtout c'est le début d'une période, on est juste avant le mouvement hippie.
18:41 Et c'est avant la contre-culture qui m'a quand même beaucoup façonné sur le plan intellectuel et artistique.
18:47 Et qui d'ailleurs sur le plan écologique avait ouvert une période d'espoir, où on pensait qu'on allait un peu calmer ce...
18:55 On sortait des Trente Glorieuses, donc on était dans l'industrialisation massive.
18:59 Et on se disait il y a peut-être une alternative, on va peut-être changer le monde.
19:03 Bon, comme on dit c'est le monde qui nous a changé, donc voilà ça c'est fait, c'est fini.
19:08 - Mais vous y avez cru ?
19:09 - Moi j'y ai cru, oui. J'y ai cru, je me suis engagé à ma façon, à l'âge qui était le mien.
19:17 C'est-à-dire à l'époque quand même assez jeune encore.
19:19 Mais j'y croyais, je croyais qu'on allait sortir de cette spirale de production, de consommation,
19:26 qui nous amène aujourd'hui un peu dans une impasse écologique.
19:29 Et puis finalement, ça n'a pas eu lieu.
19:31 - Et comment êtes-vous devenu chef d'entreprise, Marc Duguin ?
19:35 Vous avez à un moment dans la première partie de votre vie, je dirais, dirigé une entreprise d'aviation.
19:42 Comment vous en êtes venu à cette activité ?
19:45 - C'est ce qu'on appelle une erreur de casting.
19:47 En réalité, si vous voulez, on est toujours conditionné par son milieu familial.
19:52 Alors j'ai eu une période de révolte, hippie, contestataire, tout ça.
19:57 Puis à un moment donné, avec des charges familiales, je suis rentré dans le moule.
20:00 Et comme dans ma famille, ma mère avait dirigé une grosse entreprise,
20:05 mon père était physicien nucléaire, lui était dans les étoiles, mais bon, c'était différent.
20:10 Mais du coup, j'ai emprunté le chemin de mes parents.
20:12 J'ai plutôt bien réussi et j'en ai eu très vite marre, en fait.
20:16 Ça ne m'intéressait pas parce qu'en fait, la logique des affaires, c'est très difficile de faire comprendre.
20:24 J'ai essayé, je crois que j'ai agi dans ce sens-là, qu'une entreprise, ce n'est pas que des actionnaires.
20:31 Une entreprise, c'est avant tout des salariés.
20:33 Et quand on est soi-même actionnaire et qu'il y a d'autres actionnaires,
20:37 on est dans des conflits permanents avec eux.
20:39 Si on a l'idée de dire l'entreprise, c'est avant tout pour faire vivre des gens et pas uniquement.
20:46 Et j'ai vu en plus cette dégradation du rapport entre le capital et le travail
20:52 qui a fait que de plus en plus, l'idée, c'était de rémunérer les actionnaires le plus possible
20:59 en tirant sur la corde, sur les salariés.
21:02 Et il y a arrivé un moment où j'étais dans...
21:05 Bon, j'ai géré tout ça comme j'ai pu.
21:09 Et quand j'ai eu la possibilité d'arrêter, j'ai arrêté parce que ça devenait trop compliqué.
21:14 Parce que cette logique, cette logique, il faut le dire, capitaliste, en fait,
21:21 je la trouve très limitée au fond.
21:24 Et donc j'ai changé de vie, j'ai eu cette chance.
21:27 - Vous avez changé de vie en écrivant des livres.
21:29 - En écrivant des livres.
21:30 - Et le premier s'intitulait "La chambre des officiers".
21:32 Qu'est-ce qui a décidé de ce basculement ?
21:35 Qu'est-ce qui a décidé de cette entrée en littérature ?
21:38 - Alors là, c'est une chose très banale.
21:42 C'est que "La chambre des officiers" est un livre que j'ai écrit sur mon grand-père
21:48 qui a été défiguré pendant la guerre de 1914.
21:51 Et donc j'avais vécu avec mon grand-père très longtemps dans les châteaux de Galcacée
21:57 avec des gens défigurés.
21:58 Moi, j'étais habitué aux gens défigurés.
22:00 Je n'avais pas l'idée d'écrire un livre.
22:01 Et un jour, dans la maison de mes parents, dans un coffre,
22:05 je tombe sur une photo de mon grand-père avant sa défiguration.
22:09 Je ne l'avais jamais vue avant sa défiguration.
22:12 Et là, je me suis dit, mais quel chemin il a parcouru.
22:16 Comment il a fait pour accepter ça, pour le vivre ?
22:20 Et d'un seul coup, je me suis dit, je vais témoigner pour lui,
22:23 puisqu'il n'a pas pu le faire lui-même.
22:25 Et j'ai décidé d'écrire ce livre.
22:27 Et c'est parti comme ça.
22:28 Mais ce n'est pas ça qui m'a fait changer de vie, en fait, tout de suite.
22:31 Après, le livre a été un succès,
22:33 mais je sentais que moi, je commençais à tomber un peu dans les sables mouvants,
22:39 que ma motivation dans la vie d'entreprise était en train de...
22:45 Et donc tout ça, c'est fait d'une façon assez naturelle, finalement.
22:49 - Parmi les toutes premières phrases de Tsunami, votre nouveau roman,
22:53 "Le Président que vous avez inventé",
22:55 expose les raisons qui le poussent à tenir un journal de bord.
22:59 Et il écrit, je cite,
23:00 "C'est pour avoir un miroir dans lequel je puisse me regarder."
23:04 Est-ce que pour vous, l'écriture, elle a cette fonction aussi, comme un miroir ?
23:08 Vous avez écrit très peu de livres autobiographiques.
23:10 Il y en a un qui s'intitule "La Volonté", qui est dédié à votre père.
23:14 C'est un roman, mais il parle de votre père.
23:18 Est-ce que pour vous, écrire, c'est précisément aussi se tendre un miroir à soi-même ?
23:24 - Manquablement.
23:25 Je pense qu'il y a quelque chose qui participe de régler des comptes avec soi-même.
23:33 Après, vous avez raison, ça dépend des livres.
23:36 C'est-à-dire qu'il y a des livres...
23:38 Moi, je suis plus porté naturellement par la création pure.
23:43 Est-ce que la fiction pure, ça existe ? Non, parce qu'on s'inspire toujours du réel.
23:47 Sinon, ce seraient des livres de... même pas de science-fiction.
23:51 Mais ce que j'aime, c'est construire une histoire.
23:55 Parce qu'il y a plein d'histoires qui me viennent à l'esprit en permanence.
23:58 Je les élimine au fur et à mesure.
24:01 Et puis, de temps en temps, il y en a une qui reste, et puis je pars avec elle,
24:03 parce que je sais que je vais quand même partir pour un bout de temps.
24:05 Et donc là, je suis plus à l'aise dans cet exercice-là.
24:12 C'est pour ça que je n'ai jamais fait vraiment ce qu'on appelle de l'autofiction.
24:15 Je lis, par exemple, beaucoup Knausgaard, que j'apprécie beaucoup.
24:20 Et je l'apprécie d'autant plus que je ne saurais pas faire ce qu'il fait.
24:23 C'est une espèce de journal de sa vie au jour le jour, quasiment minute par minute,
24:29 et qui prend une saveur extraordinaire, alors qu'il ne se passe rien non plus d'extraordinaire.
24:33 Mais je suis plus dans la tradition du roman américain.
24:36 C'est-à-dire qu'on part d'une histoire, ça peut être un peu la sienne, déguisée.
24:40 On maquille, puis on ment. On en a parlé tout à l'heure.
24:44 Écrire, c'est beaucoup mentir aussi.
24:47 Mais je suis plus porté par cette façon-là de m'exprimer que par l'autobiographie, l'expression.
25:01 C'est vrai que j'aime bien rendre des hommages.
25:08 Je l'ai fait avec mon grand-père et avec mon père.
25:12 Évidemment, je parle de ma mère aussi.
25:15 Mais après, Jérôme Garcin, par exemple, lui, toute son œuvre, c'est un hommage aux disparus.
25:21 C'est magnifique parce qu'il y a une cohérence.
25:23 Moi, ce n'est pas très cohérence.
25:24 Je passe de l'hommage à un disparu, à mes disparus, à une invention totale.
25:31 Complètement, j'espère, pas trop loufoque, mais totale.
25:36 * Extrait de « L'homme pâle » de Jérôme Garcin *
25:42 Voici « L'homme pâle » et décréchons d'eau, c'est le titre du morceau.
25:46 * Extrait de « L'homme pâle » de Jérôme Garcin *
25:57 Je veux qu'ils le ressentent
26:00 Je le garde prisonnier chez moi
26:02 Les prochains mois seront moches si on va les passer ensemble
26:06 Ah, je suis trop malheureux sans elles
26:09 Et je veux qu'ils le ressentent
26:12 Je veux le voir, le voir et j'irai jusqu'à en avoir
26:15 Le pull taché de sang
26:17 Jusqu'à la bave et les sanglots
26:20 Je parlerai comme un Italien avec les mains
26:24 Et j'aurai enfin plus aucun secret à dire
26:27 Sculpture ou marteau, peinture ou couteau
26:30 J'ai jamais senti autant créatif
26:33 Demain j'irai graver mon veille sur sa peau
26:36 Et ma balance affichera 10 kilos de moins
26:39 Increvable colère, je suis pas désolé, il est mort le soleil
26:43 Mon Dieu, qu'elle me manque
26:46 Tout s'éteint, décréchent d'eau
26:50 Ma terre s'arrêtera bientôt
26:52 Et c'est la faute de quelqu'un d'autre
26:55 Oh mon Dieu, qu'elle manque
26:58 Tout s'éteint, décréchent d'eau
27:02 Bientôt plus rien à perdre
27:04 Je vais m'occuper de ce quelqu'un d'autre
27:09 Oh je veux qu'ils le ressentent
27:12 Je recherche le bruit comme une drogue
27:14 Dans le silence ma mémoire joue les pires mélodies
27:18 J'essaye d'éjecter le disque
27:21 Mais ça repare et mes mots là font des étincelles
27:24 Je déraillais la seule qui pourrait m'aider, c'est elle
27:27 Quelle ironie, ah ouais, quelle ironie
27:32 Ok, si je suis resté à fixer les aiguilles
27:36 Jusqu'à la fin de la nuit
27:38 C'était pas pour voir si l'horloge marchait
27:41 Plus je m'interviewe, moins je sais qui je suis
27:44 Juste cette fille-là, c'est tout ce que je demande
27:47 Je ne saurais que faire du reste du monde
27:50 Je l'ai désirée perdument
27:53 Et maintenant je me sens tellement perdu
27:55 Oh mon Dieu, qu'elle me manque
27:58 Tout s'éteint des crescendos
28:02 Ma terre s'arrêtera bientôt
28:04 Et c'est la faute de quelqu'un d'autre
28:07 Oh mon Dieu, qu'elle me manque
28:10 Tout s'éteint des crescendos
28:14 Bientôt plus rien à perdre
28:16 Je vais m'occuper de ce quelqu'un d'autre
28:19 Mon Dieu, qu'elle me manque
28:22 Tout s'éteint des crescendos
28:26 Ma terre s'arrêtera bientôt
28:28 C'est sûr, c'est la faute de quelqu'un d'autre
28:31 Oh mon Dieu, qu'elle me manque
28:34 Tout s'éteint des crescendos
28:38 J'ai bientôt plus rien à perdre
28:40 Je vais m'occuper de ce quelqu'un d'autre
28:43 M'occuper de ce quelqu'un d'autre
28:46 Oh mon Dieu, qu'elle me manque
28:49 Tout s'éteint des crescendos
28:52 Ma terre s'arrêtera bientôt
28:55 Et c'est la faute de quelqu'un d'autre
28:58 Oh mon Dieu, qu'elle me manque
29:01 Tout s'éteint des crescendos
29:04 Je vais m'occuper de ce quelqu'un d'autre
29:08 Marc Dugain, écrivain, est l'invité de Totemic jusqu'à 10h
29:12 Nous sommes le 28 août 1963
29:19 Martin Luther King se tient devant le Lincoln Memorial à Washington DC
29:23 pour tenir un discours qui va entrer dans l'histoire
29:26 et vous avez souhaité nous le faire écouter ce matin Marc Dugain
29:29 Je rêve qu'un jour
29:32 sur les collines russes de Géorgie
29:36 les fils d'anciens esclaves
29:39 et ceux d'anciens propriétaires d'esclaves
29:42 pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité
29:47 Je rêve qu'un jour
29:50 même l'état du Mississippi
29:53 un état où brûlent les feux de l'injustice
29:59 et de l'oppression
30:02 sera transformé en un oasis de liberté
30:07 et de justice
30:10 Le micro est à vous Marc Dugain
30:13 C'est toujours un discours qui m'émeut énormément
30:18 Vous savez que j'ai passé énormément de temps
30:21 d'abord j'ai vécu aux Etats-Unis
30:24 et je crois que je suis vraiment rentré en littérature
30:30 à cause de l'assassinat de Kennedy et de Martin Luther King
30:34 C'est un moment de l'histoire américaine qui est terrifiant
30:39 parce que c'est un moment où il y a
30:42 sans tomber dans les thèses complotistes
30:44 mais il y a une véritable conspiration, un véritable coup d'état
30:47 c'est-à-dire qu'on sent que la démocratie va vraiment prendre son envol
30:51 que les libertés civiques vont être accordées
30:56 qu'on va sortir de cette tension raciale
31:01 et non, ils sont tous tués les uns après les autres
31:05 et c'est quelque chose qui m'a énormément marqué
31:08 et c'est pour ça que j'ai commencé très tôt à m'intéresser à la question
31:12 ce qui a donné la malédiction d'Edgar et ils vont tuer Robert Kennedy
31:16 et peut-être qu'un jour je ferai quelque chose sur Martin Luther King lui-même
31:20 et puis il y a ce côté, j'ajouterai ce côté assez désespérant
31:25 qui est que cette Amérique n'évolue pas bien
31:30 elle n'évolue pas bien du tout, il n'y a jamais eu autant de violence envers les Noirs
31:35 c'est ahurissant parce qu'en plus ils ont un système juridique
31:41 qui est terriblement pénalisant pour la communauté noire
31:46 ils enferment les Noirs à tour de bras, il y a un truc d'une violence
31:51 et je pense que ce pays est devenu complètement fou
31:55 c'est-à-dire qu'il y a une violence qui semble être le nœud de l'Amérique
32:03 il y a déjà une violence évidemment dans les rapports économiques
32:06 parce qu'il y a cette sorte de frénésie de l'argent
32:11 qui pour moi relève de la psychopathologie quand même
32:15 gagner de l'argent c'est bien mais il y a des limites
32:18 chez les Américains il y a un côté totalement délirant
32:22 et il y a des classes sociales et raciales qui sont à peine au minimum
32:29 c'est un pays de... et en même temps il y a cette promotion des armes
32:33 en même temps on voit des enfants tuer d'autres enfants toutes les semaines
32:36 c'est quelque chose qui continue à...
32:41 je ne vais pas dire à me passionner parce que ça montrerait un côté positif
32:46 mais à me hanter
32:48 parce que cette Amérique en même temps
32:51 quelque part je l'ai aimée, mon grand-père a fait la guerre dans l'armée américaine
32:57 mon grand-père a été médaillé du courage de la ville de New York
33:03 donc l'Amérique c'est une partie de mon histoire personnelle
33:06 mais la voir d'abord avec Trump, voir comment elle évolue
33:11 et dans quel état elle est
33:13 c'est une vraie source d'inquiétude et c'est vrai que...
33:17 après quand on essaie d'être moins émotionnel et plus froid
33:22 et qu'on se dit que c'est notre allié
33:25 c'est vrai qu'il y a des moments où on peut se poser des questions quand même
33:28 - Vous citiez "La malédiction d'Edgar"
33:31 qui est... ce roman c'est le journal de l'amende d'Edgar Hoover
33:38 qui a dirigé le FBI entre 1924 et 1972 si je ne me trompe pas
33:43 donc on est à ce moment-là dans le monde de l'espionnage
33:46 - 50 ans, Hoover a dirigé le FBI 50 ans
33:50 - Je me suis plantée là, je ne vais pas donner les bonnes dates
33:52 - Ce n'est pas grave, il a commencé dans les années...
33:56 en 1922 et il a fini en 1972 à peu près dans ces eaux-là
34:00 c'est là qu'il a été quasiment le créateur du FBI
34:03 et il s'y est maintenu jusqu'en 1972
34:07 ne voulant jamais accepter la moindre promotion
34:10 parce qu'il savait que s'il était Premier ministre
34:13 ensuite il serait dégagé d'être ministre à un moment donné
34:15 et il ne pourrait pas revenir au FBI
34:17 - Mais ne voulant dégager, il ne voulait aucune promotion
34:21 parce que le savoir est un pouvoir
34:24 c'est ce que raconte aussi ce livre
34:26 - C'est exactement ce que je raconte dans "La malédiction d'Edgar"
34:28 c'est-à-dire qu'il y avait des dossiers sur tout le monde
34:30 en particulier sur la sexualité
34:32 - Et ça c'est avoir plus de pouvoir qu'un Premier ministre
34:34 - Ah mais il avait un pouvoir
34:36 et il savait tout sur la sexualité de tous les sénateurs
34:39 de tous les congressmen
34:42 en même temps il était...
34:44 il vivait en couple
34:47 donc il était homosexuel et il était particulièrement homophobe
34:50 donc ça il faut le vivre quand même
34:53 et c'est un personnage extraordinaire
34:55 de contradiction, de violence
34:58 et il n'est pas non plus totalement pour rien dans "La mort de Kennedy"
35:01 et en fait au départ je voulais faire
35:04 ce livre que j'ai fait plus tard sur Robert Kennedy
35:08 et je me suis noyé dans les archives
35:11 et à un moment donné je me suis dit
35:13 j'avais des milliers de pages d'archives
35:15 j'en avais 15 000, un peu comme ça, c'était monstrueux
35:18 et je me suis dit en fait c'est Hoover que je vais prendre
35:21 donc j'ai changé de perspective
35:23 - Comment l'espionnage est entré dans votre vie, Marc Dugas ?
35:26 - Alors l'espionnage c'est un...
35:29 c'est venu à la fois par mon père
35:32 qui était physicien nucléaire
35:34 et qui était très lié au patron de l'espionnage français à une époque
35:37 parce qu'ils avaient été amis en Afrique
35:39 ils avaient servi ensemble en Afrique
35:42 et donc mon père renseignait apparemment
35:45 parce que je n'ai jamais rien vu
35:48 mais en tout cas on m'a dit
35:50 les gens qui étaient concernés me l'ont dit
35:53 mon père renseignait sur les questions atomiques
35:56 sur les questions nucléaires
35:59 certaines personnes dans les services français
36:02 et mon oncle, du côté de ma mère
36:05 lui a été un...
36:07 fait partie des cadres de la DGSE
36:09 enfin du SDEC avant la DGSE
36:12 et a été un grand espion au service des Anglais pendant la guerre
36:16 donc voilà c'est rentré comme ça dans ma vie
36:19 - C'est une famille !
36:20 - Voilà c'est une famille
36:22 après bon, moi j'ai côtoyé plein de gens dans cette mouvance
36:26 et c'est intéressant
36:29 bon après j'ai plus le droit d'aller en Russie
36:32 parce qu'on m'a apparemment accusé d'espionnage
36:35 mais j'ai toujours aimé le contact
36:38 mais pas avec tout le monde
36:40 je ne connais pas tous les espions
36:42 mais j'ai toujours eu...
36:44 et j'ai travaillé sur des affaires qui étaient très sensibles en termes d'espionnage
36:47 comme la disparition de l'avion MH370
36:51 pour lequel j'ai refusé de faire des interviews sur la série Netflix
36:56 parce que je pressentais ce qu'allait être le documentaire
37:00 qui a été fait par des Anglais qui sont très impliqués dans l'histoire
37:03 et là j'ai eu des menaces de mort
37:06 donc c'est un monde compliqué
37:09 mais la littérature n'est plus tranquille
37:13 - D'ailleurs vous venez de lancer une collection de littérature d'espionnage
37:17 chez Gallimard
37:19 mais pourquoi la littérature d'espionnage en France
37:22 est si peu représentée finalement
37:24 alors qu'elle l'est aux Etats-Unis
37:26 alors qu'elle l'est au Royaume-Uni avec une icône du genre qui était John le Carré
37:30 - Oui mais parce que vous le dites vous-même
37:32 il y a un John le Carré tous les 150 ans peut-être
37:36 parce que John le Carré avait toutes les qualités
37:38 c'est très dur de faire des livres d'espionnage en France
37:41 pour une simple raison
37:42 c'est que vous avez des gens qui font de l'espionnage
37:45 qui se disent "bon je suis à la retraite je vais écrire un bouquin"
37:49 bon d'abord parfois ils ne savent pas très bien écrire
37:53 ensuite ceux dont ils voulaient parler
37:55 ils se rendent compte que c'est quand même très protégé, secret défense
37:58 donc ils n'ont plus rien à dire et ils ne savent pas comment le dire
38:01 c'est un peu compliqué
38:03 après vous avez des grands littérateurs
38:06 qui pourraient faire des livres d'espionnage formidables comme John le Carré
38:08 mais qui ne connaissent rien à l'espionnage
38:10 donc qui vont dans les lieux communs
38:13 et là ça ne marche pas
38:15 donc c'est très compliqué
38:16 c'est pour ça que John le Carré reste la référence
38:19 parce qu'il y avait chez cet homme
38:21 une connaissance suffisante des services secrets
38:23 il n'était pas non plus en première ligne
38:25 mais comme Graham Greene
38:28 Graham Greene lui était peut-être encore plus impliqué
38:31 mais il y avait surtout ce fond d'écrivain
38:35 c'était avant tout des écrivains
38:37 et d'ailleurs ce qui est incroyable
38:39 parce qu'on ne le dit jamais assez avec John le Carré
38:42 John le Carré a servi comme espion pour l'Angleterre toute sa vie
38:45 et à la fin de sa vie
38:47 il quitte sa nationalité anglaise
38:49 pour prendre la nationalité irlandaise
38:51 ça dit beaucoup quand même
38:53 sur l'idée qu'il se fait du renseignement dans son pays
38:56 mais c'est vrai que la matière est très intéressante
39:00 et est-ce que finalement il faut la cloisonner ?
39:03 est-ce qu'il faut dire on fait des livres d'espionnage ?
39:06 parce que quand on dit ça
39:07 en plus aujourd'hui, on ne va pas se mentir
39:10 il y a plein de gens qui viennent
39:12 non pas dans l'idée de faire un livre
39:13 mais de faire un livre qui va servir à faire une série
39:16 parce qu'il y a la fascination
39:18 se dire un jour mon livre sera en série sur Netflix
39:21 or Netflix fait quelques séries d'espionnage
39:24 mais pas tant que ça
39:25 et il y a eu le Bureau des Légendes qui était intéressant
39:28 - C'est la question tout le monde
39:30 - Oui je pense que le Bureau des Légendes
39:31 - ça a changé la perception du monde de l'espionnage ?
39:33 - ça a changé la perception
39:35 ça a fait que beaucoup de jeunes se sont intéressés à l'espionnage
39:39 déjà et ont eu envie de faire de l'espionnage
39:41 bon après c'est assez sélectif
39:45 mais oui parce que là
39:49 c'est vous qui en avez parlé tout à l'heure
39:51 l'affaire du Rainbow Warrior a été très très dommageable
39:55 à l'image de l'espionnage français
39:58 puisque l'idée n'était pas de tuer quelqu'un
40:00 déjà l'idée était très mauvaise
40:03 puisque c'était de couler un bateau de Greenpeace
40:05 ce que personnellement je trouve ignoble
40:08 mais en plus ils ont raté ça
40:11 ils ont coulé le bateau mais ils ont tué quelqu'un en même temps
40:14 donc ça faisait un peu pieds niquelés
40:17 et beaucoup de gens sont restés sur cette idée là
40:20 alors qu'on a en fait un des tout meilleurs services de renseignement
40:26 enfin les tout meilleurs services de renseignement au monde
40:29 mais on en a plusieurs, on n'a pas que la DGSE
40:31 on a aussi la DRM, on en a plein d'autres
40:34 - C'est le moment où vous allez vous révéler encore plus Marc Duguin
40:36 parce que vous allez lire le texte
40:39 que vous avez écrit pour Totemic ce matin
40:42 et je crois que ça se passe la nuit
40:45 - Chaque fois que je contemple le ciel étoilé dans la nuit Sévenol
40:49 la même question me revient
40:51 sommes-nous seuls dans l'univers
40:54 ou y a-t-il quelqu'un d'autre quelque part ?
40:56 à quoi ressemble-t-il ?
40:58 est-il parvenu jusqu'à ce stade qu'on nomme la vie intelligente ?
41:02 nous regarde-t-il ?
41:05 et que pense-t-il de nous
41:07 affairés à produire toujours plus d'objets
41:10 toujours plus de richesses qu'on peine à se répartir
41:13 sujet de ces conflits incessants qui nous déchirent
41:16 pour au final détruire les autres formes de vie qui nous entourent
41:20 la vie évolue-t-elle toujours dans le sens de sa propre destruction
41:24 comme nous en montrons l'exemple ?
41:26 ce qu'on sait de la vie dans l'univers c'est qu'elle est improbable
41:29 qu'elle surgit pour disparaître ensuite
41:33 nous avons oublié ce lien à l'univers, à la nature qu'on nomme la spiritualité
41:37 pour nous enfermer dans nos obsessions possessoires
41:40 sujet de toutes nos convoitises et de toutes nos violences
41:44 si l'on ne veut pas disparaître prématurément
41:47 victime de nous-mêmes
41:49 il faut nous réinventer
41:51 élargir ce champ de conscience qui est le nôtre
41:53 aujourd'hui rétrécit par ceux qui n'en ont jamais assez
41:56 comme si à l'heure de notre mort
41:58 un coffre-fort pouvait suivre un corbillard
42:02 pour cela il suffit de revenir à ce qui nous distingue
42:05 notre intelligence
42:07 pas celle qui est artificielle
42:10 mais celle qui est en nous
42:12 débarrassée de la tyrannie technologique
42:14 qui n'en est que l'illusion
42:16 l'ombre portée de notre impuissance à penser le monde
42:19 Merci Marc Dugas
42:21 Les portables sont éteints et plusieurs micros ouverts pour les questions à suivre
42:26 France Inter
42:28 Totemic
42:30 Le micro est à vous, je compte sur vous
42:34 Allez-y
42:36 Bonjour
42:38 Je suis venu un peu par hasard
42:41 et du coup je connaissais votre nom mais pas du tout votre oeuvre
42:44 ça me donne envie de découvrir et ma question est toute bête
42:47 A votre avis, par quel livre pourrais-je commencer votre découverte ?
42:53 Ah, c'est une bonne question
42:56 J'ai toujours essayé de faire des choses assez différentes
43:00 c'est souvent une grande qualité d'être dans une seule obsession
43:09 comme Modiano par exemple
43:11 Moi j'ai fait des trucs très différents
43:14 ce qui fait que c'est difficile
43:16 peut-être celui que je préfère de mes livres
43:19 si tant que je suis un bon juge
43:21 c'est Avenue des Géants
43:23 parce que c'est l'histoire d'un tueur en série aux Etats-Unis
43:26 que j'ai vécu là-bas pour faire le livre
43:29 que je l'ai suivi pas à pas
43:31 que j'ai remonté toute sa psychologie
43:33 tout le mécanisme
43:35 c'est pas un livre violent
43:37 c'est pas comme ces trucs de tueur en série qu'on a sur Netflix
43:41 c'est vraiment essayer de comprendre
43:44 qu'est-ce qui fait que quelqu'un qui a un QI supérieur à Einstein
43:49 qui sait très bien pourquoi il tue
43:51 continue à tuer
43:53 et ça, ça m'a fasciné
43:55 donc ça peut être celui-là
43:58 sinon au hasard
44:00 par contre il y en a un qui vaut vraiment pas le coup
44:02 c'est Campagne Anglaise, c'est mon deuxième livre
44:04 c'est nul
44:05 non, celui-là, commencez pas avec celui-là
44:07 parce que vous allez me détester
44:09 c'est pas nécessaire
44:11 - Merci
44:13 - J'ajouterais pour ma part La Malédiction d'Edgar
44:15 et dans un tout autre registre La Volonté
44:19 - Bonjour
44:21 alors une question aussi sur votre
44:25 une question un peu
44:27 moi j'aimerais bien que vous nous fassiez rentrer
44:29 dans votre fabrique de l'écriture
44:31 que vous nous ouvriez un peu les portes de votre atelier
44:34 est-ce que quand vous commencez un roman
44:37 vous avez déjà le plan
44:39 est-ce que vous savez déjà
44:41 comment ça va se terminer
44:43 est-ce que vous procédez déjà par
44:45 une trame très rigoureuse
44:47 avec des chapitres
44:48 ou est-ce que parfois vos personnages vous surprennent
44:51 est-ce que parfois ils prennent le pouvoir
44:53 est-ce qu'il y a parfois une part d'improvisation
44:56 ou d'inédit qui contrecarre un peu un plan établi
45:00 - Alors sur le processus de création
45:03 c'est à peu près toujours le même
45:05 c'est-à-dire qu'en fait
45:07 les idées me viennent
45:11 entre le moment où j'ai décidé de me coucher
45:13 et le moment où je vais arriver à m'endormir
45:15 c'est à ce moment-là que...
45:19 - Ça dure longtemps ou pas ?
45:20 - Quelquefois ça dure longtemps, oui
45:22 alors comme je ne veux pas prendre des trucs pour dormir
45:24 je me dis au moins ça va me servir pour mon livre
45:26 et du coup
45:28 il y a cette gestation qui se fait
45:32 alors déjà ça c'est ça qui alimente au fur et à mesure
45:38 mais en réalité
45:41 je ne prends jamais de notes
45:43 je ne fais jamais de plans
45:45 je n'écris rien avant de commencer à écrire
45:48 après j'écris
45:50 je m'y mets
45:51 j'ai dans ma tête
45:53 je sais où je vais à peu près
45:55 là pour Tsunami par exemple
45:57 j'avais aucune idée de là où j'allais vraiment
46:00 je me suis dit je vais
46:02 je vais me mettre dans la tête d'un président
46:04 qu'est-ce que ça fait d'être président ?
46:07 et j'ai démarré comme ça
46:09 je me suis dit par quoi ça commence ?
46:11 forcément par des ennuis
46:13 ou alors une ambition
46:15 et puis ça part comme ça
46:17 et puis ça s'alimente
46:19 et les personnages viennent au fur et à mesure
46:22 alors quelquefois je fais une halte quand même
46:24 pour essayer de réfléchir sur un personnage
46:27 pour le travail un peu plus
46:29 qu'il soit plus établi
46:31 et donc j'ai ce rythme
46:35 qui est d'écrire le matin
46:38 alors moi j'écris sans jamais me relire
46:40 jamais
46:42 j'essaye de finir toujours au milieu d'une phrase
46:48 pour démarrer plus facilement le lendemain
46:50 c'était la méthode d'Hemingway je crois
46:52 c'est pas de moi
46:54 je suis pas assez intelligent pour ça
46:56 mais Hemingway avait cette
46:58 et j'ai trouvé que c'était pas mal
47:00 parce que du coup, il faisait un début de phrase
47:02 et puis ça repart tout de suite
47:04 et après quand c'est fini
47:07 là je me relis
47:09 alors là il y a des surprises
47:11 il y a des moments où vous vous trouvez génial
47:13 et c'est vraiment nul
47:15 c'est très...
47:17 là il y a un gros travail d'humilité
47:19 avant de le donner à mon éditeur
47:21 qui va le relire une première fois
47:23 après qui me le donne, moi je le relis encore
47:25 mais après ça dépend des livres
47:27 par exemple la "Magicien d'Edgar"
47:29 j'ai travaillé très très longtemps dessus
47:31 et là ça a été énorme
47:33 parce que j'ai travaillé sur
47:35 des centaines et des centaines de pages d'archives
47:37 dont des archives du FBI
47:39 qui avaient été caviardées
47:41 et là c'est un travail
47:43 énorme
47:45 mais pareil
47:47 une fois que j'avais lu
47:49 toutes ces archives, c'est-à-dire plusieurs mois
47:51 3-4 mois à plein temps
47:53 je m'y suis mis
47:55 puis c'est parti
47:57 relativement tout seul
47:59 je ne m'interdis rien
48:01 mais c'est très rare que
48:03 très souvent
48:05 des idées de livres
48:07 j'en ai assez régulièrement
48:09 et évidemment je les laisse
48:11 tomber au fur et à mesure
48:13 en me disant "ça ne sera pas celui-là"
48:15 puis à un moment je me dis "oui ça va être celui-là"
48:17 donc là à partir du moment
48:19 où c'est décidé et que je me mets
48:21 à écrire
48:23 je ne suis jamais revenu en arrière
48:25 - En tout cas, pardon
48:27 - Il y a juste un livre que j'ai écrit
48:29 je n'ai toujours pas compris pourquoi
48:31 l'année dernière, juste avant celui-là
48:33 avant Tsunami
48:35 que j'ai écrit complètement et que je n'ai donné à personne pour l'instant
48:37 je ne sais pas pourquoi
48:39 je n'arrive pas à le donner à quelqu'un
48:41 alors il est là
48:43 mais je ne sais pas ce que je vais en faire
48:45 mais je l'ai fini
48:47 voilà
48:49 - En tout cas celui qui est accessible
48:51 à toutes et tous là s'intitule
48:53 Tsunami et il est apparu chez
48:55 Albain Michel, merci beaucoup d'être venu
48:57 dans Totemic en public
48:59 ce matin, Marc Dugain
49:01 et merci à toutes et tous d'avoir participé
49:03 à l'émission
49:05 *Musique*
49:07 *Musique*
49:09 *Musique*
49:11 *Musique*
49:13 Lola Constantini réalise Totemic
49:15 et c'était avec Nicolas Delmas ce matin
49:17 Perrine Malinge et Florence Gimalac
49:19 programment Les Invités, Ilinka Negulesco s'occupe
49:21 de la documentation avec Simeon Brand
49:23 et JB Odibert programme Nos Disques
49:25 et là, il ne me reste plus qu'à vous dire
49:27 souriez, c'est vendredi
49:29 *Musique*
49:31 [SILENCE]

Recommandations