Muriel tient depuis plus de vingt ans un restaurant à Lyon. Mais derrière la vitrine de ce bouchon traditionnel, on trouve bien plus qu'une restauratrice. Une personnalité pas banale aux vies multiples, marquée par l'abandon familial, la délinquance et la prison, la prostitution.
Ecouter le reportage radio en intégralité : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/des-vies-francaises/des-vies-francaise-du-samedi-03-decembre-2022-3559581
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00:00 J'étais en voiture avec une amie, mon téléphone sonne, j'y réponds,
00:03 je conduis, elle me dit "C'est la télévision japonaise",
00:05 j'lui dis "Arrête tes conneries".
00:06 Et puis c'est le grand amour avec les Japonais.
00:08 Les artisans.
00:20 Le bouchon de Muriel.
00:23 Cuisine lyonnaise et traditionnelle.
00:30 Bienvenue.
00:31 Pour la famille de mon père, ma mère c'était une traînée,
00:34 une salope, tout ce qu'on veut.
00:35 Et pour l'autre côté, mon père il pensait qu'aux copains,
00:38 à boire, à faire la fête, et c'était la faute à lui aussi.
00:42 C'était impossible que ça marche leur affaire.
00:47 Vous êtes né ailleurs.
00:51 Je suis né ailleurs, oui.
00:52 Vous êtes né quand ?
00:53 Il y a 67 ans, le 11 septembre 55.
00:57 Mon père était artisan plombier,
01:00 et ma mère elle a été étranglée quand j'avais 2 ans,
01:03 donc je ne l'ai pas connue.
01:05 C'est un crime passionnel, c'est le cousin de mon père qui l'a tué.
01:09 Maintenant on dirait un féminicide, mais c'est un crime passionnel.
01:13 Je suis partie de chez mes parents à 15 ans,
01:18 je suis arrivée à Paris en stop au quartier Latin,
01:21 j'ai rencontré des gens aussi paumés que moi,
01:23 et en trainant dans le métro,
01:25 j'étais avec une pote, on a rencontré des gens qui faisaient des pipoquettes,
01:30 on a essayé, voilà, c'est commencé.
01:34 Et moi la première fois que je me suis fait arrêter,
01:37 j'étais à la limite à 15 ans, fier.
01:39 J'alloquais des orfaits, vous vous rendez compte ?
01:42 Je grimpais en grade, quoi.
01:43 Toujours, entre 6 mois et 1 an, le plus que j'ai pris c'est 18 mois.
01:47 En tout j'ai fait 8 ans.
01:49 De toute façon j'ai toujours été bonne joueuse,
01:51 et de temps en temps il faut payer.
01:54 Je vous dis avec du recul, je pense que la prison m'a sauvé la vie,
01:57 parce que j'avais jamais eu de cadre,
01:59 ma famille me laissait faire ce que je voulais,
02:02 ils ne s'occupaient pas de moi,
02:03 et là je retrouvais presque la maison, quoi.
02:06 En 1976 ils m'ont arrêtée, j'avais rien fait ce jour-là,
02:10 et il était hors question que je paye pour quelque chose que je n'avais pas fait.
02:14 J'ai mangé des fourchettes, des couteaux,
02:17 je leur ai fait le cirque.
02:20 Vous avez mangé les fourchettes ?
02:22 Ah oui, deux fois.
02:24 En premier j'ai essayé de faire la grève de la faim, ça n'a pas marché.
02:27 Après je m'étais taillée les bras, ça ne marchait pas,
02:29 et un jour j'ai eu l'idée d'avoir les fourchettes.
02:31 Et j'ai dit, tous les mois, je le fais,
02:33 parce que je ne voulais pas être en prison, j'avais rien fait.
02:36 Et après les médias s'en sont occupés,
02:39 poussés au suicide par l'administration pénitentiaire et tout,
02:42 et le 29 janvier on m'a mis dehors.
02:44 J'étais la première femme à mettre une annonce d'ami B,
02:48 plus de 200 personnes m'ont écrit,
02:51 donc là-dedans il y avait 27 prisonniers,
02:53 et dans les 27 il y en avait un qui était en haute sécurité,
02:56 qui faisait 20 ans en prison.
02:59 Je continue à lui écrire et après on s'est mariés.
03:02 Après il y a un ami à lui qui m'a réceptionnée à Lyon,
03:05 et qui m'a dit, tu vas loger chez ma femme.
03:08 Et sa femme elle se prostituait,
03:10 donc elle m'a hébergée, j'ai vu qu'elle gagnait plein de fric,
03:14 et je me suis dit, c'est pas con ce truc-là.
03:18 Et quand on arrive sur le marché de l'emploi,
03:20 48 heures avec un CV VR, j'ai pas de calife.
03:23 Ce truc-là a été fermé depuis 18 mois,
03:26 et il valait vraiment pas cher.
03:28 J'ai dit allez en avant, comme j'ai mis de cuisiner, c'est bien.
03:31 Un jeudi soir j'étais en voiture avec une amie,
03:33 mon téléphone sonne, j'ai dit réponds,
03:35 je conduis, elle me dit c'est la télévision japonaise,
03:37 j'ai dit arrête tes conneries, accroche.
03:39 Les japonais faisaient une émission mondiale sur les bistrots,
03:42 ils en prenaient deux par coups,
03:44 et le vendredi matin j'arrive, ils sont venus manger à midi,
03:47 à la fin du repas ils ont dit c'est ici,
03:49 et le lundi il y a NHK, la télévision nationale,
03:51 qui a débarqué pendant une semaine.
03:53 Et puis c'est le grand amour avec les japonais.
03:55 Quand j'entends les gens me dire,
03:57 oh c'est bien, vous en êtes sorti,
03:59 je dis je me suis sorti de rien du tout.
04:01 Reconnaître que je m'en suis sorti,
04:03 ça serait renier mes autres vies,
04:05 renier mes amis, ma mentalité, mes principes.
04:07 J'adore faire un manger, j'adore mes clients,
04:10 mais c'est une forme d'enfermement.
04:12 Comme je dis, j'ai pris perpétue ici.
04:14 J'ai commencé à travailler à 48 ans,
04:16 on doit avoir 42 annuités je crois.
04:19 Voilà, 90 ans c'est bon.
04:21 Mais je me console en disant que j'ai commencé par la retraite.
04:25 Et j'ai bien fait parce que ce que j'ai pu faire
04:29 dans les périodes où j'ai eu de l'argent,
04:31 c'est pas maintenant que je pourrais le faire.
04:33 Je cours moins vite,
04:35 je cours moins vite,
04:37 et j'ai moins d'atouts à mettre en évidence au point d'une rue,
04:40 donc je compte à ne rien rester là.
04:43 Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org
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04:56 [Bruit de l'eau qui s'écoule]