Telegram, le réseau du terrorisme
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00:00 Nicolas Pagian, bonsoir.
00:02 Vous êtes expert en cybersécurité, auteur d'un que sais-je d'ailleurs sur le sujet aux éditions PUF,
00:07 Prefs Universitaires de France.
00:09 Alors je voudrais avec vous qu'on s'arrête sur cette fameuse application Telegram,
00:13 dont on entend parler depuis des semaines.
00:16 Visiblement, c'est l'outil de prédilection de discussion pour ces djihadistes,
00:21 entre la France, la Syrie, entre eux aussi.
00:24 On nous dit que c'est une application extrêmement protégée, indéchiffrable.
00:29 C'est vrai ça ?
00:30 Alors effectivement, elle a la particularité d'être chiffrée,
00:33 parce que ses fondateurs, deux frères d'origine russe,
00:36 qui l'ont créée récemment en 2013,
00:38 ont justement cette ambition politique, ou en tout cas ce projet,
00:41 d'être justement des libertariens.
00:43 C'est-à-dire de faire en sorte que, de toujours suspecter l'État, le contrôle,
00:47 et de privilégier l'individu.
00:49 Et c'est à ce titre qu'ils ont fait cette application,
00:51 qui a vocation justement à assurer la confidentialité des échanges,
00:55 sachant qu'il faut distinguer les communications entre deux personnes,
00:59 et également le fait d'avoir des chaînes qui ont vocation à quelqu'un
01:03 qui va émettre des messages, et il va avoir un public.
01:06 Alors la seule chose, c'est que là on est dans un public qui n'est pas,
01:09 comme après avec Google par exemple, lorsque vous recherchez des informations,
01:12 et qui sont librement accessibles, là ce sont des adresses de chaînes
01:16 qui effectivement fonctionnent un peu presque sur la logique de la cooptation.
01:19 C'est-à-dire que des personnes qui se connaissent,
01:22 ils donnent les coordonnées des chaînes qui peuvent les intéresser.
01:26 Alors, pour bien comprendre, on a essayé de faire très basique,
01:28 tout le monde peut se connecter, mais tout le monde ne peut pas voir ce qui s'y dit.
01:31 Voilà, enfin, ne peut pas voir ce qui se dit partout.
01:34 C'est vrai qu'il y a un peu comme des alcoves, en quelque sorte,
01:37 sur ce système de messagerie, qui effectivement, d'ailleurs,
01:41 un certain nombre d'hommes politiques français ont même revendiqué le fait
01:44 de dire qu'ils avaient cette application, à la Juppé, d'autres ont communiqué là-dessus.
01:48 Alors, peut-être parce que c'est déjà un signal de défiance vis-à-vis des autorités,
01:52 mais c'est justement cet appétit pour la discrétion, manifestement,
01:57 qui va bien au-delà des seuls criminels,
01:59 puisqu'on parle plusieurs dizaines de millions,
02:01 on parle de jusqu'à 100 millions d'utilisateurs,
02:03 donc ça va bien au-delà des seules activités illicites.
02:06 Techniquement, les policiers, même ceux qui sont les plus perfectionnés
02:09 sur ce genre de choses, ne peuvent pas avoir accès à cette solution.
02:11 Alors, il ne faut jamais dire jamais dans le domaine du numérique,
02:14 par contre, ce qui est certain, c'est que ça demande de la puissance de calcul
02:17 extrêmement importante, donc ça mobilise des ressources,
02:20 ça mobilise du temps, et c'est pour ça qu'il faut garder à l'idée,
02:23 même si on est dans le monde numérique, qu'il faut avoir les vieilles techniques
02:26 de renseignement, c'est-à-dire connaître quelqu'un,
02:29 passer du temps à infiltrer physiquement un réseau.
02:31 Vous avez des confrères qui ont fait l'exercice, justement,
02:35 de manière à être acceptés, cooptés.
02:38 - Pour infiltrer, en fait, c'est à dire ?
02:40 - Exactement, en fait, être spectateur.
02:41 C'est un peu comme si vous vous invitiez dans une salle de cinéma
02:43 où se donne un film illicite, vous avez passé du temps
02:46 pour qu'on vous signale l'accès de la salle et faire en sorte
02:49 d'avoir accès au contenu au même titre que les autres participants.
02:51 - Je vais poser une question qui est peut-être bête,
02:54 mais on a fait d'énormes progrès pour tout ce qui est surveillance,
02:56 pédopornographie, pédocriminalité.
02:59 Là, on n'y arrive pas sur le terrorisme ?
03:00 - Alors, on y arrive, pourquoi ? Parce que la masse est extrêmement diffuse,
03:03 on le voit avec des particuliers, des individus qui n'ont pas forcément d'antécédent,
03:07 et d'autre part, effectivement, ça demande beaucoup de moyens,
03:10 surtout que ces applications, ces messageries,
03:12 n'ont pas le statut d'opérateur télécom.
03:14 Il s'avère que la loi française, la loi européenne,
03:17 fixe des obligations aux opérateurs télécom,
03:19 alors que quand vous utilisez Telegram, vous utilisez même WhatsApp, Skype,
03:23 ça a toute la couleur, la saveur d'un opérateur télécom,
03:27 puisque vous pouvez joindre, parler avec votre interlocuteur,
03:30 mais vous n'êtes pas soumis à la réglementation.
03:32 - C'est pour ça que Bernard Cazeneuve demande un changement de la réglementation.
03:35 - En fait, il s'avère que même l'Europe le demande,
03:37 et d'ailleurs, même les opérateurs télécom demandent au moins un rétablissement,
03:40 et c'est là où, en tout cas pour ces entreprises
03:42 qui collaboreraient spontanément avec les services étatiques,
03:46 répondraient à des demandes concernant les utilisateurs,
03:49 mais ça vaut également pour WhatsApp, ça vaut pour Skype,
03:52 donc on voit que ça va bien au-delà.
03:54 L'idée, c'est aussi d'appliquer du droit
03:56 dans un univers qui s'est construit à la vitesse de la technologie,
03:59 ce n'est pas adapté.
04:00 L'ARCEP, l'autorité de régulation des télécoms,
04:03 a vocation également à imposer à un certain nombre de ces acteurs de messagerie
04:07 le statut d'opérateur, de manière à ce qu'ils aient l'obligation
04:10 de coopérer avec les États.
04:13 Bien évidemment, ils peuvent rester sourds aux requêtes,
04:15 et c'est là où l'infiltration et l'action des services de renseignement
04:18 deviennent déterminantes.
04:19 Juste un tout petit mot pour l'interdire, purement et simplement, ce télégramme.
04:22 Alors, il faut pas garder...
04:23 Une technologie, c'est jamais quelque chose...
04:25 C'est toujours quelque chose de provisoire,
04:27 c'est-à-dire que si demain, les criminels, les djihadistes,
04:30 ne trouvaient plus d'attrait à cet outil,
04:32 ils iraient sur un autre.
04:33 On est toujours dans la recherche de la performance
04:35 et des bénéfices de l'utilisation,
04:38 donc évidemment, interdire celle-ci n'assurerait pas
04:41 une totale transparence des échanges et une sécurité totale.
04:44 Ça déplacerait le problème à un autre prestataire, à un autre service.