Kaouther Ben Mohamed (association "Marseille en colère"): "Il y a trois semaines, ils ont rafalé un snack et en enfant de 16 ans est décédé"

  • l’année dernière
Un homme de 63 ans a été tué et un trentenaire grièvement blessé dans une fusillade lundi soir dans une cité des quartiers nord de Marseille gangrénée par le trafic de drogues. Le sexagénaire a reçu plusieurs impacts de balles au niveau du thorax et était déjà décédé à l'arrivée des secours près d'un établissement de restauration rapide situé à côté d'un point de deal au sein de la cité de la Busserine. Il n'était pas connu de la police pour trafic de stupéfiants a précisé le parquet de Marseille. 

Category

🗞
News
Transcription
00:00 - C'est malheureusement pas la première victime collatérale
00:02 et je crains que ce ne soit pas la dernière.
00:04 Il y a eu des enfants qui ont été tués, il y a eu des mamans qui ont été tuées,
00:06 dont une devant chez ma mère, tout simplement.
00:09 Elle passait par là et elle s'est pris une balle perdue à l'âge de 36 ans,
00:12 elle a laissé trois orphelins.
00:13 Donc malheureusement, ce n'est pas un phénomène nouveau pour nous.
00:16 Par contre, ce niveau de terreur, parce que je crois que c'est Guillaume
00:19 qui disait qu'il rafale des coins de Gilles, absolument pas.
00:22 Il y a trois semaines, ils ont rafalé le snack Patreouine où j'habite.
00:25 Il y a un enfant de 16 ans qui est décédé.
00:27 Il y avait trois enfants, un de 14, un de 15 et un de 16
00:29 et c'était un snack en plein mois de Ramadan.
00:31 Et ça, ça ne se faisait pas.
00:33 La différence qu'il y a entre les années 70 et aujourd'hui,
00:35 c'est que dans les années 70 et 80, il y avait la French Connection
00:37 qui était structurée.
00:38 Aujourd'hui, nous-mêmes qui habitons ces quartiers, qui sommes nés ici,
00:41 on ne sait même plus qui sont à la tête de ces réseaux.
00:43 Il y a tellement de morts quotidiennes.
00:45 Marseille, c'est quoi ?
00:46 En 2002, il y avait trois assassinats.
00:49 Moi, je n'aime pas cette expression de règlement de compte.
00:51 C'est des assassinats en fait.
00:53 C'est des meurtres avec réméditation.
00:55 Alors Marseille, il y en avait trois en 2002.
00:58 En 2022, il y en a eu 32 et il y en a 17 depuis le début de l'année.
01:01 Ça fait trois mois et deux minutes.
01:03 - K. Outert, Ben Mohamed, je vous interromps.
01:04 Vous avez employé, je crois, non pas ce soir,
01:06 mais j'avais déjà entendu dans vos propos,
01:08 le terme de "violence systémique".
01:10 Que voulez-vous dire par là ?
01:13 - Ça dépend dans quel cas on se pose.
01:15 Les violences systémiques, c'est celles que ressentent les habitants
01:17 qui sont largués dans des ghettos à ciel ouvert,
01:19 qui n'ont pas accès à la civilisation limite.
01:22 L'école est en dehors du quartier.
01:23 Il n'y a aucun repère de la République.
01:26 Il n'y a pas de mairie, il n'y a pas de commissariat,
01:27 il n'y a pas de centre social, il n'y a rien.
01:30 Il y a des barres de béton qui sont livrées à elles-mêmes,
01:31 qui sont enclavées géographiquement.
01:33 Et les enfants, parce que c'est des enfants dont il s'agit,
01:36 la seule perspective d'avenir et la seule chose qu'ils connaissent
01:38 en dehors de ce qu'ils voient à la télé,
01:40 c'est ces dealers en fait qu'ils voient quotidiennement.
01:42 Il n'y a plus d'éducateurs.
01:42 Moi, j'en veux beaucoup à Sarkozy,
01:44 qui nous a supprimé la police de proximité
01:47 avec laquelle moi je travaillais en tant qu'habitante des cités
01:49 et en tant qu'ex-éducatrice spécialisée,
01:51 où on a sauvé des centaines d'enfants,
01:53 où il y avait d'autres perspectives d'avenir qui étaient proposées à ces enfants,
01:55 qui sont souvent déscolarisées parce qu'en échec scolaire,
01:58 parce que l'école est elle-même débordée,
01:59 les enseignants n'ont plus les moyens,
02:01 non pas d'éduquer, mais de déstruire les enfants aujourd'hui
02:04 et de laisser ces familles livrées à elles-mêmes
02:07 sans aucune perspective d'avenir.
02:09 Ça donne des violences, mais à tous les niveaux.
02:11 Quand on n'a pas accès à la piscine,
02:12 quand on n'a pas accès à la mer,
02:13 quand on n'a pas accès à l'école,
02:14 quand on n'a pas accès à autre chose que de se dire
02:16 "moi aussi je vais chauffer, moi aussi je vais faire comme lui,
02:19 oh t'as vu la peine d'argent ?"
02:20 c'est que ça notre travail.
02:21 C'est gravissime qu'aujourd'hui la France
02:23 et la deuxième ville de France
02:24 ne sachent fabriquer que des enfants qui n'ont pas de perspective d'avenir
02:27 et pour lesquels se tuer reste presque un jeu pour certains.
02:31 C'est des enfants !
02:32 Et moi je pense à toutes ces familles,
02:33 et je pense à toutes ces victimes latérales,
02:35 et oui je pense à ce grand-père qui était,
02:37 en plus symboliquement, dans une période où on se bat pour accéder à la retraite,
02:40 qui était aux portes de la retraite,
02:41 qui était un grand de la cité,
02:43 que tout le monde connaissait,
02:44 c'est traumatisant !
02:45 Vous vous rendez compte, Maxime a ouvert notre sujet en disant
02:49 qu'il n'y a aucun Marseillais aujourd'hui qui soit témoigné, même masqué.
02:53 Vous vous rendez compte du niveau de terreur ?
02:55 Moi si je ferme les yeux et que je vous écoute,
02:57 j'ai l'impression de me replonger dans la mafia des années 20,
02:59 que ce soit à New York, en Sicile ou à Naples.

Recommandations