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Solène Chalvon-Fioriti, grand reporter, correspondante en Afghanistan pendant dix ans et membre du collectif Accueillir les Afghanes, le 21 avril 2023 sur franceinfo.

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00:00 Bonjour Solène Chalvon-Fioritti. Bonjour. Journaliste, grand reporter, correspondante en Afghanistan pendant dix ans, je signale votre documentaire "Afghan"
00:07 diffusé le mois dernier sur France 5, il y a quelques semaines seulement. Vous publiez une tribune ce matin, signée par
00:13 350 personnalités dont Agnès Jaoui par exemple, Leïla Slimani notamment,
00:17 pour demander à la France d'accueillir des femmes afghanes. On va y revenir d'abord comment vivent
00:22 les femmes en Afghanistan près de deux ans après le retour au pouvoir des talibans.
00:27 Malheureusement elles vivent un cauchemar, je pense que vous vous êtes informés, les femmes
00:31 des villes ont vu leur vie en fait être complètement radicalement transformée, en fait une différence
00:37 peut-être aussi nette que celle du jour et de la nuit, puisqu'elles sont privées d'école après 12 ans et puis les femmes pauvres, les femmes des campagnes
00:44 sont précipitées dans une pauvreté sans nom et sont elles-mêmes en fait les victimes des talibans puisqu'elles n'ont plus le droit
00:49 de mendier, de se rendre aux distributions de nourriture et même de se laver dans les bains publics. Donc c'est un cauchemar
00:55 que vivent les femmes afghanes aujourd'hui et c'est la raison d'ailleurs de notre tribune.
00:58 - Elles existent encore dans les rues de Kaboul par exemple, la capitale où vous étiez il y a quelques mois seulement encore ?
01:04 - Oui alors à Kaboul on en voit c'est vrai, d'abord les femmes afghanes se rendent visibles,
01:07 se continuent de sortir dans la rue, dans les bourgs provinciaux et dans la capitale,
01:12 mais c'est vrai qu'il y en a beaucoup beaucoup moins, d'abord parce qu'elles sortiraient pour aller où, ensuite elles sortent,
01:16 elles sont quand même conspuées, elles sont très très très couvertes, maintenant il fait très chaud puis c'est ramadan en Afghanistan donc il y a ça
01:22 aussi à prendre en compte, donc elles respirent mal et donc elles restent surtout chez elles, on en voit beaucoup moins dans la rue mais
01:28 quand même à Kaboul on voit des femmes sans chaperons, ce qui n'est pas le reste,
01:31 ce qui n'est pas le cas dans le reste du pays. - Et certaines femmes donc continuent de manifester malgré le danger ?
01:36 - Des femmes manifestent oui effectivement à Kaboul, alors elles sont peu nombreuses mais vous savez ça c'est une forme de résistance,
01:42 c'est une résistance que nous on connaît, que nous on comprend, mais il y a beaucoup d'autres façons de résister et elles résistent notamment
01:48 à travers le canal extraordinaire des écoles clandestines, qui sont peut-être entre 10 et 15 000 aujourd'hui en Afghanistan,
01:54 donc c'est leur façon de résister à elles, voilà plus souterraine mais en fait beaucoup plus percutante. - Et elles risquent quoi ?
02:00 - Elles risquent gros malheureusement parce que les talibans récemment s'en sont pris aux écoles clandestines alors qu'ils ont quand même laissé faire
02:06 pendant quasiment un an, un an et demi.
02:08 Maintenant quand les écoles sont tenues par des femmes et qu'ils les repèrent, il y a eu des cas où des femmes ou des hommes,
02:16 d'ailleurs des enseignants, ont été mis en prison récemment et à Kaboul et dans le centre du pays.
02:20 - Alors certaines n'ont pas d'autre choix que fuir et le premier pays d'accueil c'est le Pakistan, voisin.
02:25 En tout, sur plusieurs décennies, 3 millions et demi d'Afghans se sont réfugiés au Pakistan dans des conditions déplorables.
02:31 Écoutez le reportage de Sonia Ghazali et on se retrouve juste après.
02:35 Des dizaines de tantes sont arrivées au cœur d'Islamabad depuis plus d'un an. Une cinquantaine de familles afghanes
02:39 vivent dans ce campon de fortune dans le plus grand dénuement.
02:43 Basira, qui possédait un salon de beauté à Kaboul, a trouvé refuge ici avec ses filles, privées d'école en Afghanistan.
02:48 - Quand les talibans sont arrivés, ils ont détruit les portraits de femmes à l'extérieur de mon salon.
02:54 Ils ont recouvert de peinture noire les visages des femmes imprimées sur les fenêtres
02:57 et ils ont déchiré les portraits qui étaient sur les murs. Ils m'ont dit de fermer mon salon jusqu'à nouvelle heure.
03:03 La plupart des afghanes qui ont fille au Pakistan sont sans papier.
03:06 Elles n'ont pas le droit de travailler, d'étudier, ni même d'acheter une puce locale pour leur téléphone.
03:11 Ancienne sage-femme à Kaboul, Nargis prie pour qu'un pays européen leur accorde l'asile.
03:16 - Nous voulons être libres. Nous voulons avoir des droits comme les autres êtres humains dans le monde.
03:21 Nous ne voulons pas vivre comme les esclaves,
03:23 comme nous le sommes en Afghanistan. Nous voulons être comme vous, les européennes qui choisissiez votre travail,
03:29 qui avaient le droit de voyager, qui avaient des droits, qui étaient libres.
03:33 En Afghanistan, même le droit d'aller au marché, au restaurant, au café nous a été retiré.
03:38 On doit constamment être accompagné d'un homme.
03:41 La crainte de Nargis et des autres femmes du camp est d'être expulsées vers l'Afghanistan,
03:45 où les droits des femmes sont presque inexistants.
03:47 - Sonia Ghazali, RFI pour France Info. Solène Chalvon-Fioriti, leur place à ces femmes n'est donc pas, on l'a bien compris, en Afghanistan.
03:53 Elle n'est même pas au Pakistan, puisqu'on a entendu les conditions sont quasiment les mêmes.
03:58 Finalement, leur place est en France, c'est ce que vous dites dans cette tribune que j'évoquais tout à l'heure.
04:02 - Oui, alors en fait, il faut bien comprendre qu'on peut malheureusement pas aider les afghanes de là où on est.
04:06 Pourquoi ? Parce qu'on n'a plus d'ambassade sur place.
04:08 Pourquoi ? Parce qu'avec les sanctions américaines, vous ne pouvez pas envoyer d'argent en Afghanistan
04:12 autrement que par le prisme des Nations Unies.
04:14 Et les Nations Unies risquent d'ailleurs de quitter l'Afghanistan bientôt,
04:17 justement parce que les talibans veulent supprimer les femmes au sein des Nations Unies.
04:20 Donc en fait, en réalité, si vous voulez, notre impact sur les afghanes en Afghanistan,
04:25 malheureusement, même s'il y a de formidables réseaux de soutien pour les écoles clandestines, il est assez mince.
04:29 - Elles sont presque totalement livrées à elles-mêmes, abandonnées.
04:32 - Elles sont non seulement enfermées chez elles, mais elles sont enfermées dans leur pays, vous l'avez dit.
04:36 Elles sont contenues. C'est très difficile de fuir l'Afghanistan aujourd'hui.
04:39 Il vous faut de l'argent pour acheter un passeport au black, ensuite acheter un visa au black,
04:42 ensuite passer la frontière avec un chaperon qui va vous racketter.
04:46 Ce même chaperon, il faut que vous lui preniez aussi un visa pour le Pakistan ou l'Iran.
04:49 Vous voyez, c'est une machine infernale.
04:51 Et ensuite, dans le pays tiers, le Pakistan, l'Iran ou la Turquie,
04:55 vous allez devoir attendre de longs mois, supplier des ambassades qui souvent sont des ambassades bunkérisées comme les nôtres,
05:00 pour attendre d'avoir une validation. Et ensuite, attendez, vous arrivez en France et vous n'êtes pas hébergé.
05:05 Vous vous retrouvez sous un pont si vous n'aviez pas, encore une fois, des réseaux de bénévoles extraordinaires dans ce pays,
05:10 qui aident les gens à être logés.
05:12 Alors qu'en même temps, on voit très bien que quand on veut, on peut tendre la main aux Ukrainiennes,
05:18 on a les moyens pour le faire, on a les moyens pour les loger, pour les protéger des trafics à l'arrivée,
05:22 pour les mettre dans des centres d'hébergement sans hommes par exemple, etc.
05:26 On pourrait tout à fait déployer ces outils pour les Afghanes, mais on ne le fait pas.
05:29 Donc nous, on demande ça. On demande cette voie protégée pour aider les filles.
05:34 Non seulement à sortir, mais aider les filles à rentrer dans notre pays, dans des conditions dignes et protectrices.
05:38 - Et on parle de combien de personnes ?
05:40 - Alors c'est très difficile à dire, parce que c'est quelques milliers, parce que malheureusement elles n'arrivent pas à sortir,
05:44 pour les raisons qu'on évoquait. En revanche... - Donc quelques milliers seulement, si j'ose dire ?
05:47 - Quelques milliers seulement, merci de le dire. C'est pour ça aussi qu'en fait, on ne comprend pas ce blocage, qu'on ne comprend pas ces délais.
05:53 Ça fait deux ans, on ne va pas encore, deux ans de plus, se dire "ah qu'est-ce qu'ils sont méchants les talibans",
05:57 "ah qu'est-ce que c'est triste pour les pauvres petites Afghanes".
06:00 Il est temps de passer le stade de la contrition, on a bien compris qu'on n'avait pas d'impact sur les talibans,
06:04 qu'on n'avait pas de prise pour eux, donc en fait une façon d'aider ces quelques milliers d'Afghanes, qui sont parties, pourquoi ?
06:09 Parce que leur vie a été complètement transformée.
06:12 Donc vous pensez bien que si leur vie a été transformée, ça veut bien dire que c'était des filles qui étaient à la fac ou qui travaillaient,
06:18 donc elles veulent juste venir travailler ici ou s'éduquer en France.
06:21 - Vous connaissez la citation de Michel Rocard, "on ne peut pas accueillir toute la misère du monde",
06:26 le contexte en France c'est l'inflation, qu'est-ce que vous dites à ces français qui ont du mal à joindre les deux bouts
06:30 et qui se disent "bah c'est malheureux mais on n'a pas les moyens de les accueillir".
06:33 - Je ne crois pas en fait que les français y pensent, d'ailleurs toutes les enquêtes d'opinion prouvent que les français soutiennent l'immigration des ukrainiennes,
06:38 donc en fait ça fait vivre la démocratie, ça fait vivre la solidarité, ça crée de la richesse,
06:44 et bien je pense qu'en fait les français comme vous et moi, ils seraient tout à fait partants
06:47 et même heureux de voir trois gamines de plus dans la classe de leurs enfants ou à la fac avec leur môme et qu'ils en seraient heureux.

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