Mathieu Bock-Côté sur les «pâtes inclusives» : «Est-ce que la cuisine italienne est discriminatoire ?»

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Mathieu Bock-Côté sur les «pâtes inclusives» : «Est-ce que la cuisine italienne est discriminatoire ? Pour s'ouvrir à l'autre il faut s'ouvrir soi-même, c'est bien trouvé»

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00:00 s'effacer dans toute l'histoire de notre temps
00:02 et condenser dans ce petit récit.
00:04 J'y vais.
00:05 6 avril, Barilla lance une initiative
00:08 qui s'appelle Open Carbonara,
00:10 qui propose une version interculturelle
00:13 et multiculturelle de la carbonara.
00:16 Qu'est-ce que c'est?
00:17 Bon, la carbonara, on connaît le plat,
00:19 traditionnel plat d'origine romaine
00:22 avec des spaghettis, de viande séchée,
00:24 du pecorino romano, des oeufs, du poivre.
00:27 Et tout ce temps, le problème,
00:28 c'est que ça peut probablement,
00:30 dit-on, heurter aujourd'hui des gens
00:31 qui ont des interdictions alimentaires,
00:33 morales, religieuses ou autres par rapport à cela.
00:36 - Vous parlez du cochon.
00:37 - Notamment, j'y arrive.
00:39 Alors, Barilla lance une publicité.
00:41 Une publicité qui est sur là-haut.
00:42 C'est une petite vidéo qu'on peut attraper sur Internet.
00:44 Ça dure cinq minutes environ
00:45 et ça raconte la chose suivante.
00:47 Des enfants sont à l'école, heureux, tous ensemble.
00:50 Et là, vient le temps du déjeuner
00:51 et on présente à chacun un plat de carbonara.
00:54 Et là, il y a un petit qui ne peut pas en manger.
00:57 Il y a du porc dans l'assiette, ce n'est pas possible.
00:59 Il n'en mange pas.
01:01 La petite fille, son amie, est bouleversée.
01:03 Elle dit, mon petit ami ne peut pas à l'école prendre ce plat.
01:06 Elle arrive à la maison le soir, elle est triste.
01:07 Elle raconte ça à son père,
01:09 qui est un grand chef cuisinier par ailleurs,
01:10 ça tombe comme ça.
01:12 Et là, elle dit, c'est terrible,
01:14 il ne peut pas à cause du porc.
01:15 Il dit ça.
01:16 Je comprends.
01:16 Qu'est-ce qu'il fait, le grand chef cuisinier?
01:18 Il appelle ses collègues.
01:19 Et là, ils décident de concocter ensemble
01:21 une nouvelle recette de carbonara inclusive.
01:24 Inclusive qui pourrait être mangée par tous,
01:26 donc là où il n'y aura pas de porc.
01:27 Et on change la recette.
01:28 Et qu'est-ce qu'on met dans la recette désormais?
01:31 Une version alternative.
01:33 Ses ingrédients sont les spaghettis sans gluten,
01:35 du safran, des pommes de terre, du cileri rave,
01:38 des flocons de soja, du poivre et de l'huile d'olive.
01:41 Tout choisi pour préserver, à ce qu'on dit,
01:43 le goût, la texture de la véritable carbonara.
01:46 Donc là, vous comprenez qu'on change le plat,
01:48 on change son contenu, on change sa saveur,
01:51 mais on explique que c'est la même chose
01:52 en version inclusive.
01:53 Et là, dans la petite vidéo, parce que c'est formidable,
01:55 vous regardez, un mois plus tard,
01:57 les enfants sont à l'école et là, il y a de la carbonara.
01:59 Et le petit qui ne pouvait pas en manger
02:00 parce qu'il y avait du porc dedans,
02:01 et vous savez, le porc, c'est terrible.
02:03 Là, il peut en manger désormais.
02:05 On lui dit, tu peux en prendre, c'est permis,
02:07 il n'y a pas de porc.
02:08 Et là, les enfants sont tous heureux
02:09 parce que le patron l'a dit, le chef l'a dit,
02:11 on a désormais une carbonara inclusive.
02:14 C'est une carbonara inclusive
02:16 parce qu'elle n'est plus la carbonara d'hier.
02:19 Je retiens quelques idées à propos de cela.
02:22 La première, dois-je comprendre que la carbonara d'hier,
02:24 celle qu'on vient de tasser,
02:25 était une carbonara exclusive?
02:28 C'est ce que je comprends.
02:28 Si je fais une opération logique de base,
02:30 la carbonara qu'on a connue comme carbonara
02:32 à travers l'histoire de la gastronomie
02:34 est une carbonara exclusive.
02:36 C'est ce qu'on nous dit.
02:37 Donc, on doit changer de carbonara
02:39 pour que tous en mangent, même si ce n'est plus de carbonara.
02:41 Ensuite, est-ce que la cuisine italienne
02:43 est une cuisine discriminatoire?
02:46 C'est particulier.
02:46 Donc, pour être inclusive, des gens arrivent en Italie,
02:49 disent, c'est formidable l'Italie, c'est beau, ça sent bon,
02:51 les gens sont merveilleux.
02:52 Et là, on mange mieux en plus.
02:54 Mais pour que les gens continuent à bien manger en Italie,
02:57 il faut s'assurer que la cuisine italienne
02:58 ne soit plus la culture, la cuisine italienne.
03:01 Donc, pour être capable de s'ouvrir à l'autre,
03:03 il faut s'effacer soi-même,
03:04 comme qui dirait, c'est bien trouvé.
03:07 - Est-ce que Mathieu Bocote,
03:08 vous n'êtes pas en train de surinterpréter
03:10 un peu cet événement?
03:12 Vous croyez vraiment qu'il est à ce point marqué idéologiquement?
03:15 - Ah, mais ce n'est pas moi qui suis en charge de le surinterpréter,
03:17 Barilla s'en est chargé.
03:19 Je cite,
03:20 "Le monde devient de plus en plus inclusif,
03:26 la nourriture devrait l'être aussi."
03:29 Donc, on doit changer la carbonara.
03:32 Je la sous-titre,
03:33 "La nourriture devrait être un pont entre les cultures,
03:36 pas les diviser."
03:37 J'en comprends, la carbonara traditionnelle divise,
03:40 elle est exclusive.
03:41 Sale carbonara de merde, si je peux me permettre.
03:44 Hé, je poursuis, je poursuis, c'est terrible,
03:47 la carbonara qui divise et qui est exclusive.
03:49 Il faut la bannir.
03:50 Ça va plus loin, je cite encore dans ma petite vidéo.
03:53 "Le monde change, il devient multiculturel,
03:56 avoir des amis de différentes cultures
03:58 et pouvoir les inviter à sa table, c'est un enrichissement.
04:00 Donc, de quelle manière peut-on inviter les amis à sa table
04:04 en bannissant les plats traditionnels de son pays?"
04:06 Et là, on arrive au point culminant du paradoxe
04:08 du multiculturalisme.
04:11 Dans le multiculturalisme, il y a la place pour toutes les cultures,
04:13 mais pour qu'elles puissent se déployer,
04:14 vous devez bannir la gastronomie italienne,
04:17 vous devez bannir la culture italienne,
04:19 et en France, pour être capable justement
04:22 d'avoir une culture inclusive, une gastronomie inclusive,
04:24 demain, il faudra bannir le jambon, le porc,
04:26 et peut-être même c'est pas demain,
04:27 peut-être c'est aujourd'hui et c'est déjà hier.
04:29 Alors, pour être capable de s'ouvrir à l'autre,
04:31 vous devez vous effacer vous-même.
04:33 Pour être capable de proposer une nourriture inclusive,
04:36 vous conservez le nom, vous changez la recette,
04:38 vous changez les ingrédients, mais vous conservez le nom,
04:41 vous rajoutez "inclusif" et tout le monde est censé applaudir
04:43 en disant "le multiculturalisme est une richesse merveilleuse".
04:46 Bravo, Barilla, vous avez réinventé Orwell,
04:48 vous l'avez poussé plus loin, c'est de l'orwellisme alimentaire.
04:51 Il nous épate.
04:52 - Excellent.
04:53 J'ai une petite question subsidière pour vous, Mathieu.
04:56 Est-ce que c'est possible de s'ouvrir aux autres sans s'effacer?
05:00 - Bien sûr que oui. La France a toujours fait ça,
05:02 on appelait ça l'assimilation.
05:03 La main tendue, quelqu'un arrive dans le pays,
05:05 on dit "tu peux participer à l'histoire".
05:07 Prends les mœurs, on t'en améliorera de la place pour toi.
05:10 Mais il faut accepter de dire "nous" avec le pays qui nous accueille.
05:13 Si on arrive dans un pays qui nous accueille,
05:15 et on dit "désolé, tout me dérange,
05:17 votre cuisine me dérange, votre littérature dérange,
05:19 votre histoire dérange",
05:20 c'est sûr que ça ne pousse pas à l'hospitalité.
05:22 Mais les Français sont accueillants,
05:23 les Québécois sont accueillants, les Italiens sont accueillants.
05:26 Mais encore doit-on accepter minimalement
05:28 que la culture italienne ait une place en Italie,
05:30 que la culture française ait une place en France,
05:32 et qu'on ne voit pas dans l'affirmation de cette culture
05:34 la manifestation d'une idéologie discriminatoire et exclusive.
05:37 C'est quand même marché sur la tête.
05:39 Sous-titrage Société Radio-Canada
05:43 [SILENCE]

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