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Stéphane Sirot, historien français et spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils font le point sur le bilan de Philippe Martinez à la tête de la CGT.
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Stéphane Sirot, historien français et spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils font le point sur le bilan de Philippe Martinez à la tête de la CGT.
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NewsTranscription
00:00 Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le spécialiste des syndicats Stéphane Sirot.
00:06 Bonjour Stéphane Sirot.
00:07 Bonjour.
00:09 Bienvenue sur Europe 1, vous êtes professeur d'histoire des idées politiques à l'université de Sergi-Pontoise,
00:13 spécialiste de l'histoire et de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales.
00:19 Alors beaucoup de matière pour vous dans l'actualité en ce moment Stéphane Sirot.
00:23 On va parler du congrès de la CGT qui s'ouvre à Clermont-Ferrand aujourd'hui,
00:26 mais d'abord peut-être un mot sur la crise des retraites.
00:29 Alors d'ailleurs ce sera sûrement l'un des grands sujets de conversation à Clermont pour les délégués de la CGT.
00:34 Est-ce que vous avez Stéphane Sirot peut-être des échos de l'intérieur de la Confédération ?
00:39 Qu'est-ce qu'on pense des derniers développements de cette crise des retraites ?
00:44 Alors je dirais que ce mouvement social va forcément s'inviter dans le congrès de la CGT.
00:49 De mon point de vue, il peut avoir un double effet.
00:52 Soit il peut en quelque sorte ressouder une majorité autour du secrétaire général sortant
01:00 et de la candidate qu'il cherche à promouvoir et dont on le sait que sa candidature est relativement contestée en interne.
01:08 Ou alors à l'inverse, il peut y avoir un autre effet qui est de favoriser au fond une forme de syndicalisme
01:15 qui se présente précisément en alternative à celle portée par Philippe Martinez et Marie Buisson,
01:20 celle qui est candidate à sa succession, qui est la version d'Olivier Matheux qu'on a beaucoup vu et entendu ces dernières semaines,
01:28 qui est le secrétaire général de Lyon départemental des Bouches-du-Rhône,
01:32 dont la pratique de syndicalisme, qui est une pratique qui se veut beaucoup plus de terrain, de confrontation,
01:38 de rapport de force et beaucoup moins de dialogue social,
01:41 rencontre généralement un certain écho à l'intérieur d'une organisation comme la CGT,
01:45 dont c'est en quelque sorte la déhaine historique, si je puis dire.
01:48 C'est aussi quelque chose qui peut renforcer sa position à Lyon.
01:51 Alors justement, vous allez nous expliquer un petit peu les lignes de front peut-être idéologiques
01:56 qui opposent les défenseurs de Marie Buisson, donc la candidate soutenue par Philippe Martinez
02:02 et celle qui se présente peut-être comme l'alternative, Céline Verzeletti.
02:07 Mais peut-être d'abord un petit mot sur le bilan de Philippe Martinez.
02:10 Il est à la tête de la CGT depuis 2015.
02:13 On se rappelle les conditions de son arrivée au pouvoir à la CGT, un peu compliquées pour lui,
02:17 puisqu'il arrive après Thierry Le Pen,
02:20 tombé rapidement à la suite d'un scandale pour une histoire de logement de fonction.
02:24 Ça fait huit ans qu'il était à la tête de la CGT.
02:27 Qu'est-ce que vous retenez, vous, de ces huit années de Philippe Martinez
02:30 comme secrétaire général de la CGT ?
02:32 Je dirais que ce sont des années quand même assez compliquées.
02:36 Alors pas seulement pour lui, bien sûr, mais pour son organisation,
02:39 parce que comme vous le dites, il a hérité d'une situation extrêmement compliquée.
02:42 Et quand on regarde dans l'espace de huit ans,
02:44 cette situation ne s'est pas vraiment améliorée ni clarifiée.
02:47 La CGT a perdu plusieurs dizaines de milliers d'adhérents aux élections professionnelles.
02:51 Elle a vu la CFDT passer devant elle.
02:54 Et depuis 2017.
02:56 Voilà, tout à fait.
02:57 Et puis par ailleurs, Philippe Martinez lui-même a subi, a essuyé une défaite quand même assez cinglante
03:04 dans le mouvement social qu'il avait mené contre la loi El Khomri à l'époque de François Hollande,
03:09 ce qui est toujours compliqué à gérer, je dirais, dans le cadre d'une organisation comme la CGT.
03:14 Mais cela étant, ce n'est pas purement son bilan personnel de ce point de vue.
03:19 En revanche, il y a deux choses qui me semblent davantage relevées de son bilan personnel.
03:24 D'abord, il est passé, à mon sens, complètement à côté du mouvement des Gilets jaunes.
03:29 Il y a eu une incompréhension de ce mouvement, un certain rejet.
03:32 Il n'a pas été identifié comme un mouvement social,
03:34 ce qui me semble être, de mon point de vue, en tout cas une erreur d'appréciation.
03:37 — Il n'est pas le seul syndicaliste, Stéphane Sirot, à être passé à côté.
03:40 — Non, il n'est pas le seul syndicaliste à être passé à côté, sauf qu'évidemment,
03:43 la mobilisation sociale, le mouvement social, c'est quand même, j'irais,
03:47 un objet qui est plus particulièrement celui de la CGT.
03:50 C'est la raison pour laquelle elle pouvait être davantage attendue que d'autres dans ce mouvement-là.
03:56 Et puis par ailleurs, il n'a pas dénoué les tensions en interne.
03:59 Et on le voit bien, parce que s'il était parvenu à apaiser en quelque sorte le climat interne,
04:04 qui était déjà quelque peu tendu avant son arrivée, mais qui ne s'est pas du tout détendu depuis,
04:08 on n'aurait pas ces triples candidatures qui se dessinent à l'ouverture du congrès de la CGT.
04:15 — Oui. Alors Marie Buisson, un mot sur elle.
04:17 55 ans, elle dirige la petite fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture.
04:22 Pourquoi ça coince autour de son nom ?
04:24 Donc elle est soutenue par Philippe Martinez.
04:25 C'est à cause notamment d'un document de travail qui remonte à il y a de ça deux ans, 2021,
04:31 co-signé par Marie Buisson avec des ONG, dont Greenpeace et Oxfam,
04:36 où on s'en prend dans ce texte ouvertement aux nucléaires, aux aides publiques, aux entreprises polluantes.
04:41 Et ça a eu pour effet, Stéphane Sirot, de braquer des fédérations très importantes à la CGT.
04:46 Je pense à l'énergie, les ports, les DOC, la chimie, les cheminots, etc.
04:50 Finalement, Philippe Martinez n'aurait-il pas dû voir venir, finalement, cette crise interne
04:55 qui va sans doute se manifester cette semaine lors du congrès ?
05:00 Alors je dirais que ce document, "Le plus jamais ça", c'est un peu le réceptacle, en effet, des conflits internes.
05:05 Il n'en est pas forcément la seule cause, mais en revanche, il est vrai que cela reflète
05:11 ce que certains ont du mal à admettre à l'intérieur de la CGT, c'est-à-dire deux choses.
05:17 L'ouverture de la CGT à des organisations extérieures, qui sont en effet les ONG type Greenpeace,
05:24 ou les associations de type TAC.
05:25 Ce qu'a fait la CFDT, d'ailleurs, Stéphane Sirot.
05:27 Ce qu'a fait la CFDT, parallèlement, effectivement, mais je dirais que ça pose moins de problèmes chez elle,
05:32 parce que c'est davantage dans le modèle de syndicalisme qu'elle promeut.
05:36 Pour la CGT, il y a cette idée qu'au fond, cette organisation doit être suffisamment forte par elle-même
05:41 pour porter le discours de la transformation sociale, et qu'au fond, si elle s'associe un peu trop avec d'autres,
05:46 sur des bases qui ne sont pas forcément les siennes, sur le nucléaire, comme vous l'avez dit,
05:50 ça peut en quelque sorte diluer son identité, diluer sa spécificité.
05:54 Donc ça, c'est le premier point.
05:55 Et puis le deuxième point, qui va au-delà du "plus jamais ça",
05:59 mais qui est en quelque sorte le point renvoyé à Marie Buisson,
06:03 c'est ce que certains considèrent comme étant un peu trop cette ouverture à ce qu'on appelle communément le sociétal,
06:09 c'est-à-dire au fond à tout ce qui se passe hors travail.
06:11 Les questions environnementales, les questions, par ailleurs, de cause des femmes,
06:18 qui sont des questions qui, bien sûr, relèvent du syndicalisme,
06:21 mais qui, pour ses opposants, relèvent davantage du prisme du travail.
06:25 Et ces questions-là, pour eux, doivent être abordées à partir du prisme du travail et pas indépendamment de celui-ci.
06:30 Et donc, pour ceux qui, par exemple, se reconnaissent dans la candidature d'Olivier Matheux,
06:35 c'est un syndicalisme qui part de l'entreprise, qui part des problématiques de l'entreprise,
06:39 qui doit camper sur les idées de lutte de classe et de conflictualité sociale,
06:43 qui sont la bonne démarche pour eux, pour la CGT.
06:47 En revanche, cette ouverture vers l'extérieur, ce sociétal, pour eux,
06:50 c'est quelque chose qui met au fond en danger l'identité de la CGT
06:54 et l'aligne, en quelque sorte, sur le positionnement qui est celui du syndicalisme européen
06:59 et, pourquoi pas, d'un modèle qui se rapprocherait, sans vraiment le dire, de la pratique de la CFDT.
07:05 – Voilà, l'ONGisation de la CGT en débat cette semaine.
07:08 Merci Stéphane Sirot de nous avoir éclairé sur les enjeux de ce congrès de la CGT qui s'ouvre aujourd'hui.
07:14 Tiens, Philippe Martinez, il a annoncé qu'après, il comptait retourner chez Renault,
07:17 où il est entré en 82. C'est un métalo, Philippe Martinez.
07:21 Il a refusé sa mise en pré-retraite, mais on aura l'occasion d'en reparler cette semaine.
07:25 Bonne journée à vous Stéphane Sirot, merci.