Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach replonge dans les heures sombres de la guerre d’Espagne (1936-1939) pendant laquelle des milliers d’enfants sont envoyés à l’étranger pour échapper à l’horreur. Retour sur l'itinéraire de ces jeunes forcés à l’exil dont certains ne reverront jamais leur terre d’origine.
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00:00 Historiquement Vôtre avec Stéphane Bern.
00:02 - Tous les jours, vous le savez, Historiquement Vôtre vous raconte l'histoire sans se la raconter avec
00:07 Jean-Luc Lemoyne qui vient tout juste de mettre le point d'interrogation finale à son quiz du jour à suivre.
00:12 - Oui, et aujourd'hui je vous emmène au cinéma tous les deux.
00:14 - Ah oui ? - Écoutez.
00:16 * Extrait de Harry Potter *
00:20 - C'est Harry Potter ça ? - Exactement.
00:22 * Extrait de Harry Potter *
00:24 - Madame Poufsouffle. - J'adore.
00:28 - J'ai visité les studios là près de Londres, c'est extraordinaire.
00:31 - Ah bah écoutez, peut-être que vous pourrez répondre à une question aujourd'hui alors, ça fait plaisir.
00:34 - Sur Harry Potter peut-être. - On verra ça.
00:36 - Mais avant cet affrontement entre elle et moi, je vais lui laisser la parole.
00:40 C'est Clémentine Portier-Keltenbach qui nous raconte des histoires dont elle seule a le secret.
00:44 * Extrait de Harry Potter *
00:48 - Et aujourd'hui Clémentine va nous raconter le destin de ses milliers d'enfants pendant la guerre d'Espagne
00:52 qui ont été envoyés dans le monde entier pour être mis à l'abri de la guerre.
00:55 Et pour certains il a été bien difficile de les faire revenir.
00:59 - Oui parce que voyez-vous, la situation des enfants en temps de guerre est évidemment particulièrement atroce
01:06 et là c'était le cas en particulier au début de la guerre à Madrid.
01:10 Madrid dont le siège par les nationalistes va durer pratiquement toute la guerre.
01:15 La ville est constamment bombardée par l'aviation allemande,
01:18 les enfants sont complètement traumatisés, sont affamés.
01:22 Ils doivent faire la queue pendant des heures pour un malheureux plat de lentilles.
01:26 Et les personnes les plus, les madrilènes les plus âgées qui ont été enfants à Madrid pendant ce siège
01:31 évoquent, paraît-il, souvent ces plats de lentilles
01:34 comme les soldats dans la ligne Maginot mangeaient du thon et du corned beef.
01:39 Alors les lentilles, il n'y avait plus que ça à manger pendant le siège de Madrid.
01:43 Les enfants en plus sont livrés à eux-mêmes dans les rues.
01:46 Evidemment il n'y a plus d'école et leurs parents se battent.
01:49 Donc ils ne peuvent pas s'occuper d'eux.
01:52 Les enfants apprennent du coup à être autonomes, à chaparder, à faire du troc.
01:58 Et puis rapidement ils vivent au milieu des cadavres.
02:02 Et entre deux débarquements ils voient les cadavres qui sont embarqués pour être sortis de la ville
02:08 ou enterrés là où on peut.
02:09 Et puis quand les enfants sont blessés, il n'y a pas de médicaments, il n'y a plus de médecins.
02:14 C'est vraiment, toute cette violence, il faut les en protéger.
02:18 Alors le gouvernement républicain décide de procéder à des évacuations massives.
02:23 Et en tout cela va concerner près de 50 000 enfants
02:26 qui vont être évacués d'abord de Madrid, ensuite évidemment d'ailleurs,
02:30 en train, en taxi, en voiture à cheval, en bus, en voiture particulière.
02:36 Tous les moyens de transport qu'on trouve naturellement, un peu comme la débarque en France en 40.
02:41 Et on commence par les évacuer dans les zones qui sont les moins touchées par les combats, évidemment.
02:47 Et qui sont encore contrôlées par la République.
02:50 Donc c'est d'abord la Catalogne et ensuite la zone du Levant espagnol.
02:54 Le Levant c'est le sud de l'Espagne côté méditerranée.
02:57 Et puis devant l'avance franquiste, on ne peut plus les envoyer en Espagne
03:02 parce que progressivement toute l'Espagne devient franquiste.
03:05 Alors on commence à les embarquer, à les évacuer à l'étranger.
03:09 Et la France, le saviez-vous, on sait bien que la France a accueilli beaucoup de familles du côté de Perpignan.
03:18 Mais la France va accueillir 20 000 de ses enfants espagnols.
03:21 Et la première fois que certains d'entre eux sont accueillis en France est à l'île de Léron.
03:26 Il faut imaginer cette petite île de Léron où débarquent du jour au lendemain 450 enfants espagnols.
03:33 En Angleterre on va en accueillir près de 4 000, en Belgique 5 000.
03:38 En Angleterre, en fait, on va accueillir essentiellement des Basques.
03:42 Parce qu'après le bombardement de sinistre mémoire de Guernica en avril 37 et la chute de Bilbao,
03:49 il y avait là un consul anglais que les franquistes appelaient le "consul rouge" évidemment pour le dénigrer.
03:56 Il s'appelait Ralph Stevenson.
03:58 Et Ralph Stevenson va négocier avec le gouvernement britannique
04:01 pour qu'on puisse évacuer les enfants de Bilbao qui ont été victimes des bombardements et des bombardements de Guernica notamment.
04:09 Donc il y a un bateau qui s'appelle la Havan qui part du port de Bilbao avec 4 000 personnes à bord.
04:16 Des enfants, des enseignants, des infirmières, des médecins, des prêtres.
04:21 Et puis qui sont escortés par des troupes espagnoles et britanniques.
04:25 Et trois jours plus tard, la Havan est accueillie à Southampton par des milliers de bénévoles.
04:32 Alors là on a mis en place un camp de 500 tentes.
04:35 Les enfants sont soignés, nourris et puis envoyés dans toute l'Angleterre.
04:39 Et ce qui est amusant c'est que notamment il y a beaucoup d'enfants qui vont être envoyés au Pays de Galles
04:43 et qui vont créer une équipe de foot qui s'appelle les Diables Rouges
04:47 qui remportent un certain succès parce que c'est des ados qui sont très bons en foot.
04:51 Et bientôt ils vont organiser des matchs de foot dont les bénéfices sont utilisés
04:56 pour essayer de rembourser un peu à l'Angleterre les frais qu'elle investit dans l'accueil de ces enfants.
05:04 Ça servait à payer une partie de leur séjour.
05:07 Alors tous ces enfants là, la plupart d'entre eux vont retrouver l'Espagne naturellement.
05:13 Mais avec d'autres pays c'est plus compliqué parce que par exemple,
05:16 il y a des enfants qui sont partis au Mexique et dont certains avaient leur famille déjà partie au Mexique
05:22 et le Mexique a refusé de les renvoyer.
05:25 500 enfants en juin 1937, on les appelle les enfants de la Morelia
05:30 mais le régime mexicain ne voulait pas les renvoyer ces enfants là
05:35 parce qu'ils ne reconnaissaient pas le régime franquiste.
05:38 Donc quand vous ne reconnaissez pas un régime politique, vous vous dites "attendez, moi j'envoie pas mes enfants là-bas".
05:43 Donc sur les 500 enfants qu'on appelle les enfants de la Morelia, il n'y en a que 61 qui sont retournés en Espagne.
05:49 Pareil pour l'URSS. L'URSS à l'époque est une amie du gouvernement républicain
05:55 et donc elle va recevoir 3000 enfants espagnols sans leurs parents.
06:01 C'est beaucoup. Par exemple, Dolores Ibaruri, celle qu'on appelle la "pasionaria", j'en avais parlé ici même,
06:09 elle était en 36 députée des Asturies et membre du comité central du PC espagnol.
06:13 C'est à elle qu'on voit le fameux slogan antifasciste "No pasarán".
06:17 Vous voyez ces deux expressions très fortes, "No pasarán" quoi,
06:20 le slogan antifasciste de la guerre d'Espagne et la "pasionaria", c'est Dolores Ibaruri.
06:25 Elle, elle avait pris les deux vents, en 36 elle envoie, elle a eu 6 enfants,
06:30 je crois qu'il n'y en a que 2 qui ont survécu, ou 4 et seulement 2 qui ont survécu,
06:34 elle envoie 2 de ses enfants, Ruben et Amaya, en 36, en URSS.
06:39 Elle les rejoint d'ailleurs en 39.
06:41 Et à 15 ans, son fils Ruben s'engage dans l'armée soviétique.
06:46 Et saviez-vous qu'il y a eu 1000 volontaires espagnols qui se sont engagés dans l'armée soviétique.
06:53 Et le petit Ruben, fils de Dolores Ibaruri, en fin 42, donc 6 ans plus tard, 6 ans après son arrivée en URSS,
07:03 de sa maman, Dolores Ibaruri, reçoit un coup de fil de Khrouchev,
07:08 qui à l'époque était évidemment à des années-lumières de devenir le patron de l'URSS,
07:13 mais c'est Khrouchev qui lui apprend la mort de son fils Ruben à Stalingrad.
07:17 Il n'avait pas 22 ans, il s'était battu pendant toutes ces années pour l'Union soviétique.
07:23 Ruben Ibaruri, d'ailleurs, a été fait héros de l'Union soviétique en 56.
07:28 Donc voyez, avant même la fin de la guerre d'Espagne, un certain nombre de ces enfants reçus en URSS
07:34 qui sont rapatriés dans leur pays, mais d'autres n'y sont revenus qu'en 56 et 57,
07:38 et d'autres n'y sont jamais revenus. Ils ont attendu désespérément de pouvoir le faire sans y parvenir.
07:45 Il y a tout un documentaire intitulé "Los niños de Rusia" qui leur a été consacré en 2001,
07:51 et à la suite de ce documentaire, on s'est rendu compte de ce qu'avait été la situation de ces enfants-là.
07:55 Il y a des quantités d'associations d'enfants de la guerre civile, mais aussi d'enfants d'exilés,
08:01 qui se sont multipliées, et même une loi qui a été votée, une loi en 2007, dite "Mémoire historique",
08:07 qui a permis aux fils et aux petits-fils de ceux qui avaient dû renoncer à la nationalité espagnole,
08:12 de l'acquérir, rendant ainsi une justice tardive mais réparatrice aux niños de Rusia
08:18 et aux enfants de la Morelia qui avaient jamais pu revoir leur pays.
08:22 Merci beaucoup Clémentine.