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Transcription
00:00 On va parler d'art avec vous Frédéric Le Ternier. Une fois n'est pas coutume, vous souhaitiez nous parler d'un livre.
00:05 - Eh oui j'ai fait mon petit caprice aujourd'hui Philippe, mais rassurez-vous, un livre en rapport avec l'art évidemment,
00:10 et plus particulièrement avec un peintre, Francis Picabia.
00:13 Alors pour ceux qui ne connaissent pas, l'artiste est né en 1879, il est décédé en 1953,
00:18 et il était connu pour ses peintures et ses dessins, bien évidemment, mais également pour son travail d'écriture.
00:23 Il a été proche du mouvement Dada, et puis ensuite des surréalistes,
00:26 et encore ce ne sont que certaines facettes de sa palette qui est très large.
00:30 Et ce sont donc les éditions Segers qui proposent la publication de lettres et de poèmes,
00:35 tous inédits, de Francis Picabia, et adressés à une femme, pas n'importe qui,
00:39 à celle qui a été son épouse, la mère de certains de ses enfants, mais plus globalement,
00:43 sa muse, son double, Gabrielle Buffet.
00:46 Alors ils se sont séparés au bout d'une dizaine d'années, mais il est pourtant resté fidèle, intellectuellement en tout cas,
00:50 jusqu'à sa mort, à cette femme dont il disait, je trouve que c'est joli, qu'elle avait un cerveau érotique.
00:55 - C'est joli, c'est joli. - On dit ça de moi aussi !
00:58 (Rires)
01:02 - Alors d'ailleurs les écrits inédits du livre se situent tous entre le début de la guerre et le début des années 50,
01:07 une période où ils ne formaient déjà plus un couple.
01:09 - Et même ce livre a une histoire, qui est à l'origine de cette publication ?
01:12 - Alors ce sont, accrochez-vous, les arrières petites filles de la fameuse Gabrielle Buffet,
01:16 qui ne sont pas non plus des inconnues du grand public, Anne et Claire Berest, toutes deux autrices.
01:21 Anne elle a notamment sorti, je ne sais pas si ça vous parle, La carte postale, un grand succès de l'épreuve.
01:25 - C'est un livre que j'ai adoré, Anne Barest fait.
01:27 - Et elle est charmante, je peux vous le dire, c'est justement elle qui nous raconte comment et pourquoi
01:31 elles ont toutes les deux rendu ce livre possible.
01:34 - Vous savez, ce sont des lettres que mes cousines ont retrouvées,
01:37 qui étaient comme des trésors cachés qui n'attendaient qu'à être découverts,
01:42 et je les trouve très inspirants.
01:45 Ce sont des lettres qu'on a envie de lire à haute voix, ou qu'on a envie d'offrir à quelqu'un qu'on aime.
01:50 - Les deux sœurs ont donc préfacé cet ouvrage de Picabia, chacune à tour de rôle,
01:54 c'est ce que j'ai apprécié.
01:55 Claire, elle évoque cette relation si particulière entre son aïeul,
01:58 qui était, il faut que je vous la situe un petit peu quand même,
02:00 qui était une musicienne supérieurement intelligente, tournée vers la modernité.
02:03 Donc cette relation entre elle et le maître, en nous disant que pour eux,
02:06 alors je cite Claire Barest,
02:08 "il leur a été à jamais impensable d'interrompre ce dialogue commencé à leur première rencontre,
02:14 car leur pacte bien au-delà d'un contrat de mariage,
02:17 est celui de frères et sœurs jumeaux, nés à eux-mêmes et ensemble dans la contradiction."
02:21 - C'est joli aussi, elle écrit bien Claire Barest !
02:25 Anne de son côté nous indique que Picabia n'était pas seulement un peintre, on l'écoute.
02:29 - Francis Picabia est évidemment connu en tant que peintre,
02:32 un peintre qui a révolutionné l'histoire de l'art.
02:35 Mais c'était aussi quelqu'un qui avait le goût de l'écriture,
02:38 et qui écrivait des poèmes et des aphorismes géniaux,
02:41 que vous allez découvrir en lisant ce petit recueil.
02:44 - Moi je le connais aussi comme le roi de la punchline, Picabia.
02:46 De quoi parle-t-il dans ses lettres, dans ses poèmes ?
02:48 - Eh bien de tout en fait !
02:50 - Cela pourrait être un journal intime, un journal poétique.
02:54 On y trouve ses pensées, ses états d'âme, les convictions et les doutes de l'artiste,
02:58 des propos sur les autres peintres également,
03:00 où il est d'ailleurs pas tendre avec un certain Pablo Picasso.
03:03 - Oui au fond il lui parle de tout ce qui lui passe par la tête.
03:06 Donc cela va de considération très pragmatique sur les difficultés de la vie pendant la guerre.
03:12 Par exemple il doit acheter un rasoir pour un certain Robert,
03:15 et alors il trouve que c'est affreusement cher.
03:17 Et puis deux lignes plus tard, il va faire un portrait de Picasso
03:20 en disant qu'il ne le supporte pas, que c'est un artiste surfait.
03:27 Donc voilà, c'est très intéressant à lire pour nous, lecteurs du 21ème siècle.
03:32 - Et en effet, page 126, Picasso toujours, on lit
03:35 "Gabriel, la peinture était une glace que les cubistes ont cassée.
03:39 Je t'assure que l'amusant de la chose, c'est que l'histoire est un mythe.
03:42 La peinture de Picasso se classe dans le désert,
03:45 véritable décadence, ces tableaux sont des relations de fait bas,
03:49 ils me dégoûtent, leur vie est morne et je me fiche pas mal de ce qui peut leur arriver."
03:53 A bon entendeur...
03:55 - C'est peut-être un peu trompé sur Picasso,
03:57 qu'est-ce qu'il recherchait dans son travail Picabia ?
03:58 Est-ce qu'il le dit dans le livre ?
03:59 - Oui enfin il donne des pistes.
04:01 Ce qu'il explique à Gabriel, c'est qu'il veut repousser les limites.
04:03 Il faut bien comprendre que Picabia c'était un artiste total,
04:06 et que ses émotions le poussaient à vouloir s'exprimer,
04:08 et que ce soit par le biais, donc on l'a compris, de la peinture, de l'écriture,
04:11 pour traduire ses émotions en fait.
04:13 Et quand on lui demandait ce qu'était un artiste,
04:15 il avait cette réponse que je trouve formidable,
04:17 "un artiste c'est un homme qui mange du feu,
04:19 qui est capable d'avaler du feu,
04:21 beaucoup plus capable d'avaler du feu qu'un savant."
04:24 - Et il y a des punchlines alors ? Est-ce qu'il y a de l'humour aussi ?
04:25 - Oui il y a des traits d'esprit en tout cas, Philippe,
04:27 notamment dans les aphorismes, on en parlait tout à l'heure,
04:29 qui ponctue le livre, en voici un rien que pour vous,
04:32 "l'amour et la jaunisse sont des maladies peu graves à l'âge de 7 ans."
04:35 - C'est adorable !
04:37 - Ou encore, "Paris se vide, je ne suis pas assez fort pour le remplir."
04:41 - Et il évoque dans le livre ceux qui l'ont inspiré ?
04:43 - Bien sûr, et juste après Gabriel on l'a compris,
04:45 c'est Nietzsche qui vient en premier,
04:46 puis toutes les femmes, il le dit noir sur blanc,
04:48 "les femmes sont les dépositaires de ma liberté."
04:50 Ce qui est très beau, c'est qu'il a lui aussi inspiré d'autres artistes,
04:53 et bien plus tard, tel que le chanteur Serge Gainsbourg,
04:56 en tête, grand admirateur,
04:58 qui lui a d'ailleurs emprunté ses mots,
04:59 extrait du livre de Jésus-Christ Rastaquaère.
05:02 - Tu sais les femmes, il ne faut pas chercher à les retenir,
05:12 c'est comme les cheveux.
05:13 - Rebecca, recommencez, recommencez !
05:15 - Tu sais les femmes, il ne faut pas chercher à les retenir,
05:17 c'est comme les cheveux.
05:18 On peut un peu retarder leur départ,
05:19 mais ils finissent toujours par s'en aller.
05:21 - C'est Rebecca Marder qui tient ce livre,
05:24 donnez-moi le titre, donnez-moi "Lettre et poème" à Gabriel.
05:27 - Et c'est aux éditions Segers,
05:28 grande, grande maison d'édition de poésie.
05:30 Merci Gabrielle Le Tornier,
05:32 C'est la dernière ligne droite de Culture Média maintenant !