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Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous présente George Gershwin (1898-1939), le compositeur et chef d'orchestre américain qui offrit une respectabilité au jazz. Après le triomphe réservé au tout premier concert de jazz donné dans une salle réservée à la musique symphonique, Gershwin est invité à se produire dans les capitales européennes. Paris lui inspirera un poème symphonique en forme d’hommage…
Retrouvez "Dans l'intimité de l'Histoire" sur : http://www.europe1.fr/emissions/dans-lintimite-de-lhistoire

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Transcription
00:00 Europe 1, historiquement vôtre avec Stéphane Berne.
00:04 Tous les jours, vous le savez, historiquement vôtre,
00:06 vous raconte l'histoire sans se la raconter avec Jean-Luc Lemoyne
00:08 qui vient tout juste de mettre le point d'interrogation finale à son quiz à suivre.
00:13 Exactement, alors là, je vous préviens,
00:15 je me suis fait plaisir au niveau de l'indice musical.
00:17 Écoutez plutôt.
00:18 Dites-moi qui c'est le roi de la prédiction ?
00:22 Nostradamus...
00:23 - Gerd Mors ? - Oui ?
00:24 - Le roi de la prédiction ? - Exactement.
00:26 Encore les voyances ?
00:27 Oui, mais vous écoutez bien le titre de la chanson ?
00:29 Nostradamus.
00:30 Nostradamus !
00:31 Nostradamus ?
00:32 Parce qu'on a trop oublié cette chanson magnifique de Carlos, Nostracarlus.
00:36 T'es Nostracarlus ? Oui, c'est ce que j'entends bien.
00:39 Exactement, et on va parler de Nostradamus, évidemment.
00:41 Forcément, Michel de Nostredame.
00:43 Eh bien, avant de procéder à cet affrontement pour le quiz,
00:47 je vous propose de laisser la parole à Clémentine.
00:50 Procédons, procédons !
00:52 Oui, vous êtes procédurière, ça va bien.
00:54 Oui, c'est vrai.
00:55 Clémentine Portier-Kaltenbach nous raconte des histoires
00:58 dont elle seule a le secret.
00:59 Aujourd'hui, Clémentine, vous revenez donc sur le destin d'un compositeur de génie
01:06 à qui l'on doit un Américain à Paris bien avant le film,
01:09 George Gershwin.
01:10 Oui, en effet, Stéphane, mais même avant ça,
01:13 le grand événement dans la vie de George Gershwin,
01:17 c'était il y a tout juste un siècle, en 1923.
01:21 Et à l'époque, le jazz et la musique classique
01:24 sont deux registres musicaux totalement étrangers l'un à l'autre.
01:29 Or, Gershwin obtient d'une chanteuse lyrique québécoise,
01:33 Eva Gauthier, qui n'interprète généralement que du classique,
01:36 qu'elle inscrive trois des chansons dont lui est l'auteur dans son récital,
01:40 donc du jazz, et c'est lui qui l'accompagnera au piano.
01:43 C'est donc la première fois, 1923, qu'on va entendre du jazz
01:47 dans une salle de concert réservée à la musique symphonique,
01:50 et c'est un triomphe.
01:52 Le sentiment unanime des critiques est que la musique de Gershwin
01:55 n'est en rien déplacée à côté de la grande musique.
01:58 Un journal titre "Le jazz acquiert de la respectabilité".
02:03 Et c'est le début d'un vrai mouvement,
02:05 car un célèbre chef d'orchestre de jazz, Paul Whitman,
02:08 pousse Gershwin à aller encore plus loin.
02:10 Il lui commande une œuvre pour l'année suivante,
02:12 "faites-moi quelque chose qui mélange un peu jazz et classique, allez-y".
02:15 Alors, Gershwin traîne des pieds parce qu'il ne se croit pas capable
02:19 techniquement de réaliser une œuvre symphonique comme ça,
02:23 qui mêle les deux.
02:24 Donc, il temporise un peu, puis finalement,
02:27 un petit peu comme Ravel avec le boléro,
02:29 il doit s'y mettre à la dernière minute,
02:31 comme un élève qui rompt sa copie,
02:32 qui fait sa rédaction le dimanche soir pour le lundi,
02:35 et finalement, on a un temps record.
02:37 Il crée cette œuvre, dont la première interprétation
02:41 doit avoir lieu le 12 février 1924 à New York.
02:44 Vous reconnaissez ce glissement de clarinette initial,
02:48 cette œuvre qui mêle jazz et classique,
02:50 et bien c'est Rhapsody in Blue.
02:52 Et le public, rien que par ce petit départ de clarinette très étrange
02:57 qui monte dans les tours,
02:58 est absolument emporté par ces mélodies harmoniques très nouvelles.
03:03 Et c'est un succès immense.
03:05 Alors là, c'est carrément le chef d'orchestre du Philharmonic de New York,
03:09 Walter Dambrosch, qui commande maintenant à Gershwin
03:12 un concerto pour piano et orchestre.
03:14 Et donc, ce sera le concerto en fa et la première,
03:17 cette fois, ce sera Carnegie Hall.
03:19 Et donc vraiment, en termes de respectabilité,
03:21 oui, le jazz a monté d'un cran.
03:23 Et à partir de là, les comédies musicales,
03:26 les opérettes de Gershwin à New York, à Londres,
03:29 ses chansons sont sur toutes les lèvres,
03:31 ses œuvres symphoniques sont interprétées dans le monde entier,
03:34 ses disques sont vendus par dizaines de milliers.
03:36 Et c'est précisément dans ce contexte qu'il arrive à Paris en 1928.
03:41 Car les concerts Padelou ont inscrit au programme
03:44 "Sarabesody in Blue".
03:46 Le Théâtre des Champs-Elysées va tirer de cette œuvre un ballet.
03:49 Son concerto en fa, il est créé à Paris, au Palais Garnier.
03:53 Les impressarios, les éditeurs, les fabricants de disques
03:56 ne cessent de le solliciter.
03:58 Il est vraiment, Gershwin, devenu le compositeur américain
04:01 le plus en vogue du moment.
04:03 Il est riche, célèbre et adulé.
04:05 Mais c'était manifestement un homme extrêmement obligeant,
04:09 extrêmement simple et très humble sur sa propre musique.
04:12 Il devait douter, parce qu'il voyait bien que lui-même
04:14 n'était pas sur les traces d'un Beethoven ou d'un Bach.
04:16 Il était à la fois dans le jazz et le classique.
04:20 Alors, lors de son séjour à Paris, il a demandé à rencontrer
04:22 Ravel et Stravinsky.
04:24 Il leur a demandé des conseils avec beaucoup d'humilité.
04:27 Et Stravinsky lui demande "Mais combien gagnez-vous par an avec votre musique ?"
04:31 "Oh, une centaine de milliers de dollars, peut-être 200 000 dollars",
04:35 lui répond Gershwin.
04:37 "Ah bah écoutez, dans ces conditions, ce serait plutôt à vous de me donner des leçons",
04:41 lui dit Stravinsky.
04:42 "Oui, parce que les musiciens parisiens ne sont pas aussi fortunés."
04:45 Et Gershwin, lors de ce séjour, bien sûr, se promène longuement dans Paris.
04:49 Il prête attention aux mille bruits de la ville,
04:52 entre les klaxons des autos, dont les notes stridentes
04:55 éclatent comme des fanfares.
04:57 Il est évidemment pour un compositeur tout et musique,
05:00 le moindre bruit des souliers ferrés sur les escaliers de la butte Montmartre.
05:04 Il note toutes ses impressions musicales.
05:07 Et bien sûr, une fois rentré à son hôtel majestique,
05:10 il ordonne tout ça.
05:12 Et qu'est-ce que ça donne ?
05:13 Une mélodie, puis une autre.
05:15 Et finalement, le poème symphonique "Un Américain à Paris"
05:19 qui dure 19 minutes, elle est créée aussi au Carnegie Hall à New York,
05:23 devant près de 3 000 spectateurs.
05:25 Et ça raconte la promenade d'un touriste américain sur les Champs-Elysées.
05:29 À un moment, il y a une querelle entre taxis.
05:31 Donc Gershwin a acheté à Paris des klaxons de taxis
05:34 qu'il a rapportés aux États-Unis pour pouvoir faire des "pouet-pouet"
05:38 pendant que l'œuvre était interprétée.
05:40 Comme il voulait un bruit de fanfare,
05:42 il a intégré des instruments qu'on entend rarement dans un orchestre symphonique
05:45 comme le saxophone ou le celesta.
05:47 Et son personnage, alors, se promène, arrive au Luxembourg, s'assied sur un banc.
05:51 Bon, ça a évidemment eu un succès fou.
05:54 Ce qui a eu un succès extraordinaire, c'est évidemment le film de Vincente Minelli,
05:59 mais qui est tourné en 51 et qui sera maintes fois organisé,
06:03 malheureusement, Gershwin ne le verra pas, ce film, puisqu'il meurt prématurément,
06:08 le 11 juillet 1937, à 39 ans.
06:11 En tout cas, je pense que...
06:13 Vous voyez, Gershwin, lui, aimait à dire qu'il avait en tête des mélodies
06:16 pour tenir plus d'un siècle,
06:18 et malheureusement, sa mort prématurée nous en a privé.
06:21 Mais il a quand même laissé une œuvre très originale, immense et sublime,
06:25 et il est rentré donc dans l'histoire,
06:27 non seulement comme le premier compositeur à avoir marié jazz et classique,
06:32 mais aussi comme le premier musicien américain parvenu à une célébrité mondiale.
06:37 Merci beaucoup Clémentine !