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00:00 Et c'est vous Elodie Andriaux. Bonjour, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:03 Vous êtes essayiste, spécialiste des questions de parité en entreprise,
00:07 autrice de ce livre, patronne, ça porte bien son nom,
00:10 tête à tête avec les numéros une ici en France.
00:14 Alors je rappelle que vous avez créé en 2019 un média éphémère,
00:17 Madame, pour mettre en lumière le parcours de chef d'entreprise,
00:19 ça commence par là.
00:20 Vous réitérez aujourd'hui avec ce livre qui est sorti en octobre dernier.
00:24 L'idée c'était quoi ? C'était de parler de celles qu'on ne voit pas forcément.
00:28 Absolument, celles qui ne font pas forcément la couvre, comme on dit.
00:31 Nous les femmes, en cette journée internationale de la femme,
00:34 sommes 52% de la population, donc en majorité.
00:38 Mais finalement, les patronnes, il y en a beaucoup moins.
00:40 Quand on regarde en France, K40, elles ne sont que trois.
00:42 Et ce n'est pas récent.
00:43 Pendant hyper longtemps, il n'y avait qu'une femme à la tête d'une entreprise du K40.
00:47 Les 120 plus grandes entreprises françaises, du coup, il n'y en a que 18.
00:51 Et là, moi, je me disais, bon, ça, c'est l'ancienne génération, la nouvelle,
00:54 c'est beaucoup mieux, la tech, les start-up, tout ça.
00:56 Et en fait, pas du tout.
00:57 Les derniers chiffres sont sortis.
00:58 Elles innovent beaucoup, pourtant, elles créent des start-up, elles sont assez nombreuses,
01:02 mais elles ne sont pas forcément à la tête des entreprises après.
01:04 Elles ne sont que 15 sur la French Tech 120, donc 15 sur 120.
01:08 Et donc, moi, j'ai voulu partir à la rencontre de celles qui, finalement,
01:11 ont atteint la première place pour savoir déjà pourquoi il y en avait si peu
01:15 et comment elles ont fait, toutes celles qui ont monté tous les échelons
01:19 pour arriver à ce poste de numéro une.
01:21 Et donc, ça a donné Patron.
01:23 Alors, c'est le fruit de trois ans de rencontres qui vont Delphine Arnault du groupe LVMH,
01:27 Delphine Arnault, présidente de France Télévisions,
01:29 monument de la gastronomie Anne-Sophie Pic,
01:31 il y en a pour tous les goûts, tous les genres.
01:33 À chaque fois, ça commence par une fiche résumant le parcours scolaire, en fait, en somme,
01:38 les rencontres aussi, forcément.
01:40 Qu'est-ce qu'elles vous ont dit, ces femmes 52 ?
01:42 Est-ce qu'il y a des éléments qui se croisent ? J'imagine que oui.
01:45 Des points en commun, absolument.
01:46 Les premiers, alors, je les ai appelés les six commandements de la Patron.
01:52 Qu'est-ce que, finalement, c'est quoi leur magic sauce ?
01:54 Comment elles sont arrivées jusqu'au sommet ?
01:56 Et alors, je vous en donnais quelques-uns.
02:00 Finalement, le premier, c'est que la patronne, elle a clairement la main sur la caisse.
02:04 À chaque fois, il y a une vraie anti-chambre du pouvoir dans ces grandes organisations.
02:08 Et l'anti-chambre du pouvoir, elle passe par la gestion d'un cash flow,
02:11 que ce soit le cash flow entrant ou sortant.
02:13 Clairement, quand vous avez été directrice financière,
02:15 quand vous avez été directrice des grands comptes,
02:17 comme par exemple Marie Guimaud, qui dirige aujourd'hui KPMG,
02:21 eh bien, vous êtes dans les succession plans.
02:22 Vous arrivez jusqu'à cette première place.
02:24 Tandis que dans la plupart des cas,
02:26 les femmes sont souvent reléguées à ces rôles de second plan,
02:30 directrice de la communication, directrice des ressources humaines.
02:34 Donc ça, c'est vraiment le premier point qui revenait à chaque entretien.
02:37 Le deuxième point, c'est qu'elles ont quand même un sacré réseau,
02:41 toutes ces patronnes. Et ça, il faut le dire.
02:42 Mais elles sont issues de milieux différents.
02:43 Il faut le rappeler, parce que je citais Delphine Arnault,
02:47 qui, évidemment, a un héritage familial conséquent.
02:50 Mais c'est pas qu'à...
02:51 Il y a aussi Diana Brondel, voilà, qui est d'origine sénégalaise.
02:54 Moi, ce que j'ai voulu faire, c'est...
02:56 J'ai fait un fichier Excel avec toutes les typologies de diversité
02:59 auxquelles on peut penser.
03:01 Diversité de background, diversité...
03:03 - Vous avez fait comment, d'ailleurs, ce choix ?
03:05 Peut-être celle aussi qui vous a ouvert les portes.
03:06 Ça n'a pas été toujours simple, j'imagine.
03:08 Mais c'est quoi ? C'est celle qui vous inspirait le plus ?
03:11 - Je voulais vraiment que... - Celle qui pèse le plus en France.
03:13 - Alors, je voulais vraiment que chaque Française et Français
03:15 puissent se reconnaître dans un parcours.
03:16 Et en fait, on ne se reconnaît pas dans celui que l'on pense.
03:20 Mais j'ai voulu, voilà, des femmes qui dirigent 420 000 personnes
03:24 et parfois deux personnes, des secteurs différents,
03:26 pas que la mode ou la beauté, toute typologie d'âge,
03:30 toute typologie d'origine, toute typologie de milieu.
03:33 Parce que je pense finalement que la parité,
03:35 c'est la porte d'entrée pour toutes les autres typologies de diversité.
03:38 Et ça a été vraiment le but de cet ouvrage,
03:42 c'est de créer ces rôles modèles,
03:44 parce que c'est tellement plus simple d'être la seconde, je pense.
03:48 - Vous dites recueillir le témoignage de 52 femmes
03:51 pour inspirer 52% des Françaises.
03:54 Elles ont encore besoin d'être inspirées,
03:56 de leur donner de l'élan, les Françaises, aujourd'hui.
03:58 Elles ont tendance à peut-être s'auto-censurer.
03:59 Ça, c'est ce qu'on dit souvent.
04:00 - Oui, alors c'est vrai, voilà, le fameux syndrome de l'imposteur
04:03 qui est le talon d'âge style féminin.
04:05 Quand vous avez Anne Riegel qui dirigeait Air France,
04:07 qui m'a dit "moi, j'ai refusé deux fois le poste avant de l'accepter".
04:11 Ça faisait plus 20 ans qu'elle était dans la société.
04:13 Elle avait fait tous les postes.
04:14 Elle a une légitimité folle.
04:16 Je me disais "ok, donc si elle, elle doute, et nous toutes alors".
04:20 Et donc, je pense qu'on les montre peu.
04:23 Elles sont peu, déjà, quand on regarde la data, vraiment,
04:25 moi, c'est ça qui m'a choquée.
04:26 Et ça commence d'ailleurs dès les écoles d'ingé,
04:29 il n'y a que 26% d'élèves étudiantes aujourd'hui
04:31 dans les écoles d'ingénieurs françaises.
04:33 Donc, je me suis dit qu'il fallait montrer celles qui ont réussi
04:36 pour que les autres se disent "bon, ben moi aussi, je peux le faire,
04:39 ça ouvre le champ de mes possibles et j'y vais, pourquoi pas".
04:42 - Des difficultés, il y en a forcément.
04:44 Elles en ont rencontré, toutes ces femmes.
04:46 C'est quoi le dénominateur commun,
04:48 peut-être le top 3 des grandes difficultés
04:50 que les femmes rencontrent pour accéder en haut ?
04:53 - Pour accéder jusqu'au bout ?
04:55 La première, c'est un truc qui s'appelle la maternité.
04:57 On a l'impression d'enfoncer une porte.
04:59 - On en parle beaucoup en ce moment avec la réforme des retraites, d'ailleurs.
05:01 Les fameux trimestres qui vont disparaître pour la maternité.
05:04 Ça, ça rentre en jeu, évidemment, dans les inégalités.
05:06 - Oui, clairement, quand vous avez un homme qui part 32 jours maximum,
05:09 une femme 36 semaines quand c'est son troisième.
05:12 72% de la charge domestique incombe encore aux femmes dans la sphère privée.
05:16 Et en fait, on se rend compte que finalement,
05:18 comme disait Sheryl Sandberg il y a 10 ans et sa pape Renry de Lenin,
05:21 elles "step back", elles ont tendance à se mettre en retrait
05:24 pendant cette période où on les met en retrait.
05:26 On lui dit "ah, peut-être qu'il faudrait que tu restes au siège",
05:29 alors que les patronnes, elles, elles restent dans l'opérationnel.
05:31 Et par exemple, Catherine McGregor, qui dirige Engie,
05:33 elle m'a dit "moi, j'ai compris qu'il fallait rester sur ces plateformes pétrolières
05:37 au large du Congo, au large de l'Ecosse, qu'il fallait rester dans le dur
05:40 parce que c'était là où ça se passait et c'est comme ça que j'allais monter plus vite".
05:43 Et je pense que ça, il y a une manière dans la gestion de la maternité et de la paternité
05:48 qui est encore à revoir dans les entreprises au sens large.
05:51 Donc ça, c'est clairement pour moi le premier frein.
05:54 Le deuxième, c'est celui que j'ai dit, dans certaines filières scientifiques, techniques,
05:58 il y en a peu, en fait, des femmes.
06:01 Et donc, il y a un problème de pipeline, tout simplement, notamment dans la tech.
06:05 Et le troisième, pour moi, c'est clairement ce manque de représentation.
06:08 J'ai beaucoup ri avec Stéphane Palaise, qui dirige la Française des Jeux.
06:13 Et Stéphane, elle a un prénom mixte.
06:15 Et aujourd'hui encore, on lui adresse encore des mails en disant "bonjour, monsieur".
06:19 Et je pense que tout est dit parce que finalement, ça veut dire que le patron
06:22 ne pourrait pas être une patronne dans l'inconscient collectif.
06:26 Ce n'est pas forcément une prédestination féminine.
06:28 Mais y compris chez les femmes, d'ailleurs.
06:30 Vous le disiez tout à l'heure, qui ont tendance à dire "ce n'est peut-être pas fait pour moi,
06:33 finalement, ce rôle-là aujourd'hui".
06:35 Oui, oui, oui.
06:36 Et je pense que c'est bien d'avoir le choix, tout simplement.
06:38 Mais il y a encore du chemin à faire.
06:40 Alors, il y a du mieux quand même, c'est ce que vous nous disiez,
06:42 parce qu'il y a encore quelques décennies, on était loin des chiffres.
06:48 Aujourd'hui, est-ce que ça a une tendance à s'accélérer avec le temps ?
06:51 Moi, je pense que les quotas et je pense que les lois, la loi Zimmermann, la loi Rixain,
06:55 ont tendance à accélérer le processus par la contrainte, finalement.
06:58 Et pourquoi pas ?
07:00 Pour rééquilibrer les choses de manière plus rapide.
07:03 Je pense qu'il y avait une écute qui disait qu'il faudrait 100 ans pour atteindre la parité,
07:07 selon le World Economic Forum.
07:09 Bon, on va peut-être faire un peu plus vite.
07:12 Sachant que, moi, je pense qu'une entreprise qui représente la société au sens large,
07:17 y compris évidemment les femmes et toutes les autres typologies de diversité,
07:20 elle est beaucoup plus compétitive, elle est beaucoup plus créative,
07:24 parce que ça enlève quand même des sacrés angles morts.
07:27 Et c'est l'objet de cet ouvrage.
07:29 Et en même temps, moins payé.
07:30 Ça, c'est quand même toujours un constat qui est bien réel.
07:33 Et notamment, c'est parlant avec ces patronnes,
07:35 où les montants atteignent des sommes parfois astronomiques.
07:39 Les écarts de rémunération, on va peut-être regarder ces chiffres,
07:41 qui sont importants.
07:42 En moyenne, le salaire des femmes représente 77% de celui des hommes.
07:47 Sans surprise, plus de 60% des travailleurs les plus pauvres sont aujourd'hui des femmes.
07:51 Qu'est-ce qu'elles vous disent là-dessus ?
07:52 Vous les avez interrogées sur ce point.
07:54 L'argent et les femmes, un tabou.
07:57 Donc, il y a évidemment plein de personnalités différentes.
08:00 Encore une fois, Anne Riegel m'a dit,
08:01 hier j'ai reçu des jeunes femmes dans mon bureau,
08:05 qui venaient d'être embauchées.
08:07 Et je me suis dit, chouette, on ne va pas parler de négociation de salaire.
08:10 Bon, c'est quand même qu'il y a une problématique.
08:12 Les femmes négocient moins encore aujourd'hui.
08:16 Et le salaire, en tout cas, ce n'est pas l'argument,
08:17 ce n'est pas ça qui motive les femmes à accéder à des postes, à une ascension sociale.
08:22 Oui, ça, elle peut.
08:22 Mais en tout cas, elles ont tendance à moins négocier.
08:26 Et donc, je pense que, est-ce que ça explique ce fameux écart salarial qui stagne, en fait,
08:31 tous les ans, qui ne bouge pas 17%, il me semble.
08:34 Donc, oui, non, moi, je n'ai pas d'explication rationnelle pour ça.
08:37 Je pense qu'il faut attaquer de tous les côtés.
08:39 Et je pense que ça se joue aussi pendant la maternité,
08:41 parce que clairement, c'est un lieu durant cette trentaine qui est phare,
08:45 généralement, peut-être au début de la quarantaine, à la fin de la vingtaine.
08:48 Et à ce moment-là, on a tendance peut-être à enlever les bonus ces années-là.
08:52 On a tendance à ne pas penser à l'étape d'après.
08:55 Et je pense que c'est à ce moment-là, peut-être, qu'elles prennent du retard.
08:58 Peut-être.
08:59 52 femmes interrogées.
09:01 Qu'est-ce que vous, personnellement, en tant que femme,
09:04 vous retenez de ce travail que vous avez opéré pendant ces trois années ?
09:08 Alors, plein de choses.
09:09 Moi, aujourd'hui, je fais un MBA à l'Université d'Oxford, en Angleterre.
09:14 Peut-être que j'aurais dû me plonger dans les chiffres un peu plus tôt.
09:17 Voilà ce que j'ai appris à titre personnel.
09:20 Évidemment, ça donne envie de lancer son entreprise.
09:23 Ça ouvre le champ des possibles.
09:24 Moi aussi, elles m'ont voulu.
09:25 Ça efface les craintes, peut-être ?
09:27 Peut-être, oui.
09:28 Parce qu'on s'identifie à un parcours et on ne sait pas trop pourquoi.
09:31 Peut-être que c'est une histoire personnelle.
09:33 Et d'un coup, ça résonne.
09:35 Et on se dit "Ah, je n'avais pas pensé à cette voie-là pour moi".
09:39 Et c'est pour ça que je pense que la culture, les médias,
09:41 ont un rôle extraordinaire à jouer pour ouvrir ce champ des possibles
09:46 pour les jeunes femmes qui nous regardent.
09:48 Derrière ces femmes, aussi, il y a peut-être des mères, d'ailleurs,
09:50 qui ont donné ce souffle à leur petite-fille.
09:52 Ça commence souvent par là.
09:54 Il y a une étude qui disait que les petites-filles dans les cours de récré
09:58 occupent 20% de l'espace.
10:01 Alors, je me disais "Est-ce que c'est parce qu'elles jouent..."
10:02 C'est la faute au terrain de foot, ça.
10:04 Voilà, c'est ce que je veux dire.
10:05 Et alors ?
10:07 Donc, voilà.
10:08 Est-ce que c'est ça ?
10:09 Non, je pense que ça démarre tôt.
10:10 En effet, quand on voit les chiffres, même au lycée,
10:13 je crois que c'était 17%, la première ministre a dit,
10:16 dans ces filières scientifiques, dès la terminale.
10:20 Donc, il faut que les choses se rééquilibrent dans un sens comme dans l'autre.
10:24 Et l'entreprise se portera mieux, je pense.
10:28 Merci beaucoup, Élodie Andriot, en cette journée du 8 mars, journée des droits des femmes,
10:32 d'être passée par ce plateau, je rappelle votre livre "Patronne tête à tête"
10:34 avec les numéro 1, 52 portraits de femmes qui se sont hissés tout en haut.