Anne Fulda reçoit François Heilbronn pour son livre «Deux étés 44» dans #HDLivres
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00:00 Bienvenue à l'Heure des livres, François Elbron.
00:02 Alors, vous êtes professeur associé à Sciences Po,
00:05 vous êtes vice-président du Mémorial de la Shoah
00:07 et vous venez de publier un livre très intéressant,
00:10 très bien écrit et instructif qui s'appelle "Deux étés 44"
00:13 et c'est paru chez Stock.
00:15 Alors, c'est un livre qui est entre le récit et le roman
00:18 et qui dresse un parallèle entre deux événements,
00:20 l'un qui s'est passé en 1744,
00:23 l'autre deux siècles exactement plus tard.
00:25 Et ces deux événements concernent deux membres de votre famille,
00:30 pouvez-vous nous les présenter rapidement ?
00:32 Tout à fait, le premier était effectivement,
00:34 c'est une partie plus romancée,
00:35 parce qu'en 1744, on ne sait pas trop comment les choses se sont passées.
00:38 Le roi Louis XV arrive à Metz,
00:41 partant faire la guerre contre les Autrichiens en Alsace,
00:43 il tombe très malade et de purge,
00:45 enseigné par ses médecins de la cour,
00:49 il va être déclaré quasiment comme mort le 15 août 1744.
00:53 Et là, très mystérieusement, il y a un médecin qui intervient à son cheveu,
00:55 on ne sait pas qui il est.
00:57 Et dans la recherche historique,
00:59 on soupçonne que c'est un médecin juif.
01:01 Et j'ai creusé un peu plus l'histoire, parce que j'adore l'histoire.
01:03 Et j'ai découvert que c'était le docteur Isaïe Serfouleman,
01:06 qui est par ailleurs mon ancêtre à la huitième génération.
01:09 Donc il y avait le récit dans la famille
01:10 qu'il y a un ancêtre qui a guéri le roi Louis XV à Metz en 1744, improbable.
01:14 Donc j'ai creusé l'histoire et j'ai trouvé que l'histoire très romanesque.
01:17 Et j'ai raconté cette histoire.
01:18 Et comme vous l'avez dit, effectivement, il y a un deuxième récit.
01:21 Et en fait, j'ai écrit ce deuxième récit,
01:23 parce qu'au départ, je voulais concentrer mon roman sur 1744.
01:26 Et puis, à un moment donné, j'ai écrit
01:29 "Le docteur Houlemane sauve le roi Louis XV le 18 août 1744".
01:34 Et là, comme un flash, ce jour-là, 200 ans, jour pour jour,
01:38 plus tard, donc le 18 août 1944, le père de ma grand-mère, Henri Klotz,
01:43 lieutenant-colonel de réserve, héros de la Première Guerre mondiale,
01:46 chef d'entreprise, écrivain, est en train de mourir et d'agoniser,
01:50 d'agoniser et de mourir plutôt, dans une annexe du camp de Drancy,
01:53 où il va mourir le 18 août 1944, le jour de la libération de Drancy.
01:57 Et donc, la juxtaposition de ces deux événements,
01:59 la même date de cent ans d'écart, me dit "il faut que je raconte ces deux étés".
02:03 En fait, un été de l'espérance, de la guérison,
02:06 un peu du début de l'émancipation des Juifs en France,
02:08 où ils intègrent la société.
02:10 On fait appel à un médecin juif pour sauver un roi.
02:13 Et puis, 200 ans plus tard, ses descendants, patriotes, engagés,
02:18 citoyens exemplaires, sont arrêtés en masse et déportés.
02:21 Alors, ce qui est intéressant, c'est que vous nous peignez un peu
02:23 ce qu'est la vie de la communauté juive de Metz en 1744,
02:29 justement, qui a un statut un peu particulier par rapport aux Juifs
02:33 qui, par exemple, ne peuvent pas exercer ou être présents à Paris ou à Versailles.
02:38 C'est vraiment un statut à part.
02:40 Vous avez lu parfaitement l'histoire.
02:41 En fait, c'est effectivement une situation assez étonnante en France.
02:45 En fait, depuis 1394, les Juifs ont été chassés du royaume de France.
02:48 Et c'est pour ça qu'il y en a beaucoup en Lorraine, en Alsace,
02:50 parce qu'à l'époque, ce n'était pas le royaume de France.
02:52 Et à Metz, depuis 1595, les Juifs ont le droit de citer,
02:56 c'est-à-dire qu'ils ont le droit d'être dans la ville, ce qui n'est pas le cas à Paris,
02:58 à Strasbourg, à Versailles.
03:00 C'est pour ça que Louis XV n'a jamais rencontré de Juif, par exemple.
03:02 Et ce que j'ai aimé imaginer,
03:04 c'est le dialogue entre Louis XV et son médecin juif,
03:07 parce qu'on sait que Hullman est resté au chevet de Louis XV
03:10 pendant trois jours et trois nuits.
03:11 Et alors, c'est là où c'est du roman.
03:13 Qu'est-ce qu'ils se sont racontés ?
03:14 Donc voilà, ça, je me suis amusé à le faire.
03:16 Mais effectivement, à Metz, c'est un peu particulier.
03:19 Ils ont 400 familles, ils sont 2000 membres, ils ont des représentants,
03:22 ils ont un grand rabbin qui est très important, ils ont des médecins.
03:25 C'est une communauté organisée, c'est une communauté qui est très utile à la France,
03:29 puisque ce sont les pourvoyeurs de chevaux, de foins et de céréales
03:33 pour la grosse garnison de Metz.
03:35 Metz, à l'époque, c'est une des villes des Trois-Évêchés
03:37 qui protège la France contre les invasions de l'Est.
03:40 Alors, est-ce que c'est une communauté qui est monarchiste ?
03:42 Parce que vous décrivez dans le roman la cavalcade qui accueille le roi
03:45 comme une manière de lui rendre hommage.
03:48 Alors, c'est une scène totalement exacte.
03:50 Le 5 août 1744, il y a deux compagnies de cavaliers juifs
03:54 qui défilent devant le roi
03:55 et défilent devant le roi pour le rendre hommage.
03:58 Et ça m'a frappé aussi, parce que c'est...
04:00 Il n'y avait pas eu plus de cavalcade ou de défilé devant les juifs.
04:03 Les juifs étaient très intégrés, par exemple, dans la cour de Charlemagne.
04:05 Charlemagne avait un médecin juif, avait des conseillers juifs,
04:07 avait des ambassadeurs juifs.
04:09 Mais depuis la croisade, les juifs en France étaient un peu mis à l'écart
04:12 et puis, à partir de 1395, expulsés.
04:14 Là, on est au 18e siècle, en 1744.
04:16 Ce n'est pas encore la Révolution française, ce n'est pas encore l'émancipation.
04:18 Et les juifs vont défiler devant le roi et le roi va apprécier ce défilé.
04:22 Il est un peu surpris au début, évidemment.
04:24 Les juifs, c'est quoi ?
04:25 Lui, il a la vision, souvent, d'ailleurs, à cette époque,
04:27 on avait la vision des rois David et Salomon,
04:29 de ces rois temporels et spirituels de la Judée antique,
04:33 mais que les juifs étaient tombés en déchéance.
04:35 Là, non, ce sont des juifs fiers d'eux-mêmes
04:37 et qui défilent à cheval devant le roi avec une belle prestance.
04:40 - Alors, est-ce qu'à travers ces deux événements,
04:43 et on terminera là-dessus et surtout le premier,
04:46 vous allez voulu montrer l'attachement très ancien des juifs en général
04:51 et de votre famille en particulier à la France ?
04:54 - Oui, en fait, il y a un profond amour du franco-judaïsme à la France.
04:58 La France, c'est la France d'abord qui a accueilli les juifs depuis 2000 ans.
05:01 Et puis, il y a la France qui a émancipé les juifs.
05:03 Et puis, au 19e siècle, c'est un des rares pays d'Europe
05:05 où les juifs peuvent rester juifs et devenir ministres,
05:08 devenir chefs d'entreprise, ambassadeurs, généraux.
05:11 Il y a un très beau livre de Pierre Birnbaum,
05:13 "Les fous de la République", là-dessus.
05:14 Et en 1913 et en 1917, je le raconte dans ce livre,
05:18 un des cousins de mon arrière-grand-père, Louis-Lucien Klotz,
05:21 est ministre de l'Intérieur, puis ministre des Finances de Clémenceau.
05:24 Et pourtant, 30 ans plus tard,
05:26 ses deux cousins, Henri et Georges Klotz,
05:29 un va mourir à Dancy, l'autre va mourir à Gazet, à Birkenau.
05:32 Et donc, malgré cet amour, il y a la trahison.
05:36 Et même pour les juifs français, il y a cette trahison de Pétain et de Laval
05:40 de livrer ces juifs à l'occupant allemand pour qu'ils soient exterminés.
05:44 Et l'été 1944, c'est l'été que je raconte,
05:46 neuf membres de ma famille, Klotz, descendants de ce sauveur du roi
05:50 Louis XV, vont finir dans les chambres à gaz de Auschwitz-Birkenau.
05:55 Donc, c'est votre premier roman.
05:57 Ça s'appelle "Deux étés 44", c'est paru chez Stock.
05:59 Merci beaucoup, François Elbron.
06:00 Merci beaucoup.
06:01 Merci.
06:02 [Musique]
06:05 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]