Le 17 décembre 2012, Maureen Kearney, syndicaliste en chef chez le géant du nucléaire français Areva, est violée à son domicile. Mais la justice ne la croit pas et elle est condamnée pour "dénonciation mensongère", avant d'être définitivement blanchie en 2018. Son incroyable histoire est racontée dans le film La Syndicaliste.
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Court métrageTranscription
00:00 Ça fait six ans que je vous dis que j'étais sauvagement agressée.
00:04 Et tout le monde saute de joie aujourd'hui parce que je suis crue.
00:08 Enfin, moi je suis détruite.
00:10 Il y a une ambiance qui plane au-dessus de cette affaire qui est absolument délirante.
00:14 Il fallait que j'arrête toutes mes conneries de arrivades, de contrats.
00:19 Vous bataillez dans ces années-là contre un partenariat secret
00:23 qui vient d'être signé avec les Chinois,
00:24 jusqu'au jour où on vous retrouve à votre domicile ligotée, violée, scarifiée.
00:30 En 2019, un livre est sorti chez Stock sur mon histoire qui s'appelle "La syndicaliste".
00:44 Ce livre a été adapté au cinéma.
00:53 Maureen Quirney s'est fait agresser chez elle. C'est quoi cette histoire ?
00:57 Vous ne pensez quand même pas que j'y suis pour quelque chose ?
00:59 Vous avez des ennemis ?
01:00 Depuis un an, je travaille sur un dossier sensible chez Areva.
01:04 Je suis arrivée chez Areva en 1986.
01:07 J'ai été embauchée comme professeure d'anglais
01:11 pour préparer les techniciens, les ingénieurs, tous les projets à l'étranger.
01:17 Areva était, parce que ça n'existe plus,
01:21 une entreprise nucléaire dans la conception et les études des réacteurs.
01:27 À la fin des années 90, je suis devenue syndicaliste
01:31 parce que j'avais des stagiaires qui craquaient en cours.
01:34 Humainement, je ne pouvais pas laisser passer cela.
01:38 En 2011, j'ai reçu une copie d'un contrat entre EDF et CGNPC,
01:45 qui est une entreprise d'État chinoise.
01:47 Il y avait des transferts de technologies de la part d'EDF envers CGNPC
01:54 et c'était le savoir-faire d'Areva, qui n'appartenait pas à EDF.
01:59 C'est un peu comme si Renault vendait des voitures
02:05 avec des moteurs de Peugeot dedans, sans que Peugeot soit au courant.
02:10 J'étais abasourdie.
02:11 Comment une entreprise peut vendre une technologie qui ne lui appartient pas
02:15 à une puissance étrangère ?
02:17 Nos craintes à l'époque, c'était le démantèlement d'Areva,
02:20 des licenciements massifs.
02:23 Une fois que j'ai eu une copie de ce contrat,
02:25 j'ai dû envoyer 600 ou 800 courriers à tous les députés sénateurs de France.
02:31 J'ai demandé des réunions avec la direction générale, qui niaient.
02:36 J'ai dit, dans le respect, au PDG que c'était un menteur.
02:42 J'avais la preuve que c'était un menteur.
02:45 J'ai commencé à avoir des quêtes supérieures chez Areva, qui m'intimidaient.
02:52 J'ai eu quelques coups de fil où on a recroché quand je décrochais.
02:56 J'ai eu un coup de fil qui me disait de me mêler de mes affaires,
03:01 de ne pas regarder ce que je faisais.
03:03 Il disait à la fin, ça je me rappelle, "Je ne vous souhaite pas une bonne nuit."
03:07 J'étais très stressée, ça je me rappelle,
03:10 mais je n'allais pas lâcher.
03:13 Je n'avais jamais pensé que j'étais en danger.
03:16 Le 17 décembre 2012, au matin,
03:19 j'avais un rendez-vous pour un IRM à 8 heures.
03:21 La dernière chose que je faisais tous les matins avant de partir,
03:25 c'était dans la salle de bain, je prends mon brosse à dents.
03:29 Je me mets à me brosser les dents
03:33 et quelque chose m'est tombé sur la tête.
03:37 Le noir, je me suis retrouvée dans le noir
03:42 avec ce que je pensais être un revolver sur le dos.
03:49 C'est très confus.
03:51 La chose dont je me rappelle, c'est mon cœur
03:55 qui s'est mis à battre, mais je l'entendais.
03:58 J'entendais le son dans mes oreilles
04:02 et l'impression que mon cœur allait traverser ma protéine.
04:08 Il m'a traînée dans le salon et il a commencé à m'attacher.
04:14 Quand j'ai senti un couteau sur le ventre,
04:20 ça me coupait.
04:25 J'ai senti mes intestins sur mes genoux.
04:31 Je n'ai plus rien senti à partir de là.
04:35 J'avais peur de bouger.
04:39 J'avais peur que mes intestins tombent par terre.
04:46 Il m'a violée avec une manche d'un couteau.
04:51 Je n'ai rien senti.
04:56 Je suis restée là pendant des heures.
05:05 Quelques heures plus tard, Maria, ma femme de ménage, est arrivée.
05:11 Elle m'a libérée.
05:14 Je sais que j'ai été examinée tout de suite intimement à l'hôpital par un homme.
05:20 On ne m'a jamais demandé mon avis.
05:23 Il a vu le A gravé sur mon ventre.
05:27 Il m'a dit que c'était le nom de la personne qui m'a agressée.
05:32 J'ai commencé à chercher des noms qui commençaient avec A.
05:35 J'ai quelques copains dont le nom commence avec A.
05:38 Mais je savais que c'était impossible.
05:41 Dans les jours qui ont suivi, j'ai été examinée deux à trois fois gynécologiquement par des hommes.
05:48 À chaque fois, je ne voulais plus avoir de médecin.
05:52 Toujours seulement des dignités.
05:54 Aucune humanité.
05:56 Les jours passent, les semaines passent.
05:58 Je ne dors pas.
06:00 Je ne mange pas.
06:01 Des fois, je n'arrive même pas à parler.
06:04 Et quelques semaines après, je suis convoquée et mon mari est convoqué par la police.
06:11 Je me retrouve dans un bureau avec deux enquêteurs que j'avais déjà rencontrés.
06:18 Ils me disent qu'on ne croit pas un mot.
06:20 "Vous avez tout inventé, on le sait."
06:22 Mais j'étais violée !
06:23 Vous pensez qu'elle pourrait avoir tout inventé ?
06:25 Moi, des agressions sans trace d'agresseur, je n'en connais pas.
06:27 Et la cicatrice, alors ? Qui me l'a faite ?
06:29 C'est le même que votre scotch.
06:30 Je n'y crois pas à la version de votre femme.
06:32 Arrêtez de dire mon scotch.
06:33 Ça a commencé, les questionnements.
06:35 Et ça a duré heure après heure après heure après heure après heure.
06:40 L'horreur, l'horreur totale.
06:42 J'étais terrorisée, pétrifiée.
06:44 Ils m'ont laissée tout seule dans le bureau.
06:46 Quelqu'un est rentré que je ne connaissais pas.
06:50 Il m'a dit qu'il n'aimait pas des gens comme moi.
06:53 Et que soit je disais que j'avais tout inventé,
06:58 soit la rue, le commissaire de la justice,
07:02 fera en sorte que ni moi ni ma famille ne se relèveront.
07:06 Et à ce moment-là, dans ma tête, j'ai vu ma fille, ma petite-fille.
07:09 Et j'ai vu un deuxième avertissement et il n'y avait pas de troisième.
07:13 Je me suis dit que c'était la prochaine cible.
07:16 Et on me laisse les deux enquêteurs rentrer.
07:21 Et je leur ai dit d'accord, je dirai ce que vous voulez.
07:24 Et j'ai tenté d'inventer une histoire.
07:28 Quelques semaines d'après, j'ai reçu de la part du procureur
07:31 le classement de l'affaire.
07:33 Et a commencé les mois et les années d'attente.
07:37 Il ne se passait rien.
07:39 Rien, rien, rien, rien.
07:40 Pendant des années, je ne dormais pas.
07:42 Je suis descendue à un peu près à 43 kilos.
07:45 Il y avait des cauchemars mais épouvantables.
07:48 Épouvantables.
07:49 J'ai vécu des années et des années et des années dans une peur viscérale.
07:54 Et j'avais cette peur pour ma famille.
07:58 J'étais prête à faire n'importe quoi pour les protéger.
08:01 J'ai pensé au suicide.
08:03 En me disant, peut-être si moi je ne suis plus là,
08:07 eux ne risquent plus rien.
08:09 En 2017, il y a un premier procès.
08:11 J'étais poursuivie pour délit imaginaire.
08:30 Donc c'était moi l'accusée.
08:32 Et de le départ, c'était clair qu'on ne me croyait pas.
08:38 Et on n'allait rien faire pour me rendre la tâche facile.
08:43 Donc j'ai été condamnée à 5 mois avec souci et à 5 000 euros d'amende.
08:49 Il n'y a eu aucune humanité, aucune bienveillance.
08:54 Des conclusions indiquaient que que 3 ADN ont été trouvés.
08:59 Le mien, celui de mon mari et la femme de ménage.
09:03 Donc il y avait un faisceau d'indices qui indiquait que j'étais coupable.
09:10 J'étais effondrée, totalement effondrée avec la verdict.
09:14 Je n'arrivais pas à le croire.
09:16 J'ai fait appel tout de suite.
09:18 Et rapidement, je crois que j'ai changé d'avocat.
09:22 Et là, il tombe sur erreur, sur erreur, sur erreur.
09:29 Le procès en appel a eu lieu au mois de septembre 2018.
09:35 J'étais complètement blanchie.
09:36 Effectivement, il n'y avait pas de dossier ADN.
09:39 Il n'y avait pas de mise en preinte sur le scotch.
09:43 Les juges d'appel ont fait leur travail comme ça,
09:46 et il doit être fait dès le départ.
09:48 Et on était à la maison avec mon mari et des amis.
09:51 Tout le monde a commencé à sauter de joie.
09:53 Et moi j'ai regardé et j'ai dit "moi je suis détruite".
09:57 Ça fait six ans que je vous dis que j'étais sauvagement agressée.
10:01 Et tout le monde saute de joie aujourd'hui parce que je suis crue, enfin.
10:05 C'était absurde.
10:07 Et à partir de là, j'ai commencé réellement à me reconstruire.
10:14 Je travaille bénévolement dans une association qui s'appelle Intermed79.
10:20 Et c'est pour les personnes victimes de violences conjugales.
10:24 C'est beaucoup, beaucoup de femmes.
10:26 On met en place des ateliers,
10:28 des ateliers par exemple d'écriture,
10:31 pour qu'elles aussi arrivent à mettre des mots sur leurs mots, M-A-U-X.
10:36 Des ateliers de bien-être, des groupes de parole,
10:39 des séances avec des psychologues.
10:41 Et la première chose qu'on leur dit quand même,
10:44 quand elles arrivent chez nous, c'est "je vous crois".
10:49 Et c'est des mots très importants.
10:51 "Solidarité avec les femmes du monde entier."
10:55 J'ai pas peur de le dire.
10:57 Et encore aujourd'hui, on est un pays très machiste.
11:01 Il y a quand même 250 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année en France.
11:07 100 000 femmes victimes de viols.
11:10 Je pose la question, ça veut dire quoi de nous en tant que société, qu'on cache tout ça ?
11:18 On en parle beaucoup dans les médias.
11:21 Certaines politiques parlent également.
11:23 Mais derrière, il n'y a aucun moyen humain, aucun moyen financier
11:28 qui a été mis en place pour rectifier cette violence épouvantable qui existe dans notre pays.
11:37 Mon message aux femmes, c'est de dire de persévérer, qu'on peut s'en sortir,
11:44 que le chemin est très long, douloureux, plein de souffrance.
11:48 On va tomber à plusieurs reprises, mais le courage, ce n'est pas de ne pas tomber,
11:54 c'est de tomber et pouvoir se relever quand même.
11:56 Alors accrochez-nous à ça et soyons là, à côté de ces femmes victimes de violences.
12:02 Elles méritent toute notre empathie et toute notre attention
12:07 parce qu'elles sont courageuses et dignes.
12:10 Et c'est ça mon combat aujourd'hui.
12:13 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
12:16 "La vie est une aventure" - Albert Einstein
12:45 [Musique]