• il y a 2 ans
Isabelle Ryl, directrice de l'INRIA, Cédric Villani, l'auteur du rapport "Donner un sens à l’intelligence artificielle" remis en mars 2018, et Cécile Badoual, cheffe de service en anatomo-pathologie à l’hôpital Pompidou, échangent à propos de l'intelligence artificielle. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-02-mars-2023-6866012

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00:00 Le grand entretien ce matin consacré aux défis que nous posent les dernières avancées
00:04 de l'intelligence artificielle.
00:06 Voilà plusieurs dizaines d'années maintenant qu'on nous promet des changements majeurs
00:10 dans nos vies.
00:11 Grâce à l'IA, il y a 26 ans, la victoire pour la première fois d'un ordinateur Deep
00:15 Blue face à un champion d'échec, Garry Kasparov, était une étape symbolique.
00:20 Mais les applications concrètes semblaient encore éloignées de nos vies, jusqu'à
00:23 l'arrivée ces dernières semaines de Chad Jipiti, le générateur de textes de la société
00:27 américaine OpenAI, qui a marqué les esprits autant qu'il a caricaturé le débat.
00:32 Car l'intelligence artificielle aide déjà aujourd'hui nos médecins à soigner, les
00:36 magistrats américains à rendre des jugements, les policiers français à enquêter, entre
00:41 autres.
00:42 Alors pourquoi est-on aujourd'hui à un tournant ? Quels sont les espoirs soulevés
00:45 par l'intelligence artificielle dans la santé notamment ? Les risques en matière
00:49 de liberté par exemple ? Ce 7-9-30 sera-t-il présenté dans quelques années par une intelligence
00:54 artificielle pour répondre à ces questions et aux vôtres au 01-45-24-7000 et via l'application
01:01 France Inter ? Trois invités sont avec nous ce matin.
01:04 Cédric Villani, bonjour à vous !
01:05 Cédric Villani, bonjour à vous ! Bonjour Jérôme Cadet !
01:06 Vous êtes ancien député et mathématicien, professeur à Lyon 1 et à l'Institut des
01:11 Hautes Etudes Scientifiques.
01:12 Vous avez publié en 2018 un rapport intitulé « Donnez un sens à l'intelligence artificielle
01:18 ». Avec nous également Isabelle Rille.
01:19 Bonjour à vous ! Bonjour Jérôme Cadet !
01:21 Vous êtes directrice de l'Institut de Recherche en Intelligence Artificielle.
01:24 C'est l'un des trois centres qui a été créé justement après le rapport rendu
01:28 par Cédric Villani.
01:29 Vous avez publié « Géopolitique de l'IA ». C'est aux éditions Le Cavalier Bleu.
01:34 Également avec nous, Cécile Badoile.
01:35 Bonjour ! Bonjour Jérôme Cadet !
01:37 Vous êtes médecin en anatomie-pathologie à l'hôpital Georges Pompidou à Paris.
01:42 Qu'est-ce que c'est l'anatomie-pathologie Cécile Badoile ?
01:46 Alors l'anatomie-pathologie c'est une spécialité qu'on ne connaît pas très bien.
01:50 À vrai dire quand il y a des biopsies, des prélèvements d'organes ou des examens
01:54 de liquide, ça part dans un laboratoire et ce n'est pas l'IA qui regarde tous ces
02:00 prélèvements.
02:01 Ce sont des médecins qui sont anatomo-pathologistes et qui vont regarder au microscope et puis
02:05 maintenant sur écran les lésions pour faire un diagnostic.
02:08 Et en quoi aujourd'hui l'intelligence artificielle vous aide-t-elle dans votre travail de médecin ?
02:13 Est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement ?
02:14 Alors il y a plusieurs niveaux.
02:16 Vous l'avez compris, on travaille sur des images.
02:19 Donc les images, on les voit au microscope et de façon traditionnelle, quand on nous
02:24 imagine, on est derrière nos binoculaires et on va scruter les cellules et faire des
02:30 diagnostics puis des pronostics avec, vous le savez, une médecine de précision qui
02:35 est de plus en plus importante avec la détection de marqueurs qui vont nous aider à faire
02:40 des diagnostics et puis aider à des prises de décisions thérapeutiques.
02:43 Alors ce qui va changer à l'heure actuelle dans notre quotidien, c'est qu'on est
02:49 déjà sur une révolution numérique.
02:52 Comme les radiologues, au lieu de regarder autrefois au négatoscope les radiologies,
02:58 on se met à voir nos lames qui sont en glace, directement sur des écrans puisqu'on va
03:08 les transformer en lames virtuelles.
03:09 Et à partir du moment où ça devient un objet numérique, l'IA arrive avec la nécessité
03:17 de développer des algorithmes d'aide au diagnostic.
03:21 Et comment ça fonctionne ? Il y a des spécialistes qui rendent des algorithmes avec des connaissances
03:28 médicales et ça vous aide ensuite à votre diagnostic, c'est ça ?
03:31 Pour l'instant, les algorithmes qui sont retrouvés sont extrêmement rares et pour
03:37 l'instant ils sont dans le domaine plutôt massivement de la recherche.
03:41 Mais l'idée c'est par exemple nous aider sur des tâches répétitives ou qui peuvent
03:47 être avec une seule question, nous aider à faire ce qu'on appelle un screening, c'est-à-dire
03:53 voir rapidement les lames pour pouvoir aller directement et les lésions et être efficace.
03:58 Par exemple, gagner du temps et de l'efficacité.
04:01 Par exemple, chercher des cellules anormales dans une cytologie, donc des examens de cellules
04:07 d'urine.
04:08 Donc on voit des urines et puis on va chercher les cellules.
04:11 Donc si l'IA nous aide et nous permet d'aller les trouver plus vite, on gagne du temps.
04:16 Mais derrière, il faut toujours un médecin pour aller valider.
04:19 Concrètement, Cédric Villani, comment ça fonctionne l'IA ? C'est une intelligence
04:23 qui fonctionne comme la nôtre, qui est différente de l'intelligence humaine ?
04:27 On va dire très clairement que ce n'est pas de l'intelligence.
04:30 Ça s'apparente plus aujourd'hui dans les formes qui sont les plus utilisées à la
04:33 statistique.
04:34 À partir du moment où on a vu beaucoup de compositions ou de données qui sont de telles
04:39 catégories, l'algorithme sait automatiquement reconnaître que c'est de telles catégories.
04:42 Et dans certains domaines, reconnaissance d'images, diagnostique avec des performances
04:46 supérieures à celles des humains.
04:47 Sur des choses telles que diagnostic de cancer du sein, aujourd'hui, les meilleurs algorithmes
04:53 font mieux statistiquement que les meilleurs humains.
04:55 Ils font moins d'erreurs.
04:56 Moins d'erreurs.
04:57 Et on peut dire qu'il y a déjà des personnes qui ont eu la vie sauve grâce à l'aide
05:01 de tel ou tel algorithme.
05:02 Je ne vous prétends pas que c'est une révolution, mais qu'on a vu déjà des avancées significatives
05:07 symboliquement hautement intéressantes.
05:09 Maintenant, dans ce que vient de dire Cécile Badoille, je vais m'appuyer là-dessus pour
05:13 insister sur certaines des caractéristiques de l'intelligence artificielle.
05:16 Le premier, c'est le défi en termes d'éthique et de responsabilité.
05:19 Vous imaginez bien que s'il y a derrière des choses aussi sérieuses que faire un diagnostic
05:24 de cancer ou de maladie grave, évidemment, il y a une forte responsabilité qui vient
05:27 avec.
05:28 Vous évoquiez les questions de police prédictive ou de justice prédictive.
05:31 Il y a déjà eu tant et tant de scandales aux États-Unis en particulier, tels que dénoncés
05:36 par Cathy O'Neill là-dedans.
05:37 Et puis la deuxième chose qu'on voyait très bien dans l'exposé de Cécile Badoille
05:40 il y a quelques instants, c'est la façon dont ça vient pas remplacer la spécialité,
05:44 mais s'interconnecter avec, demandant une collaboration entre le spécialiste de données
05:50 et d'algorithmiques et le spécialiste de santé.
05:52 Et cette collaboration, c'est quelque chose qu'il faut construire dans la durée, de
05:56 façon dynamique, dans la confiance entre les institutions, dans une expérimentation
06:00 renouvelée, avec les enjeux de formation, avec des enjeux de sensibilisation.
06:06 C'est du capital humain.
06:07 Nos jeunes, nos hommes, nos jeunes femmes bien trop peu nombreuses dans ce sujet.
06:12 Alors vous avez embrassé beaucoup de sujets, Cédric Villagny, on va y revenir en détail.
06:16 Je voudrais d'abord qu'on élargisse un peu le spectre avec vous.
06:19 Isabelle Rilh, on a parlé de la santé.
06:20 Quels sont les secteurs dans lesquels l'intelligence artificielle est la plus utilisée aujourd'hui ?
06:25 C'est une très bonne question.
06:27 J'ai envie de répondre tous.
06:29 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, l'intelligence artificielle a eu un essor très, très important
06:34 dans les 10-15 dernières années et a vraiment commencé à percoler dans tous les secteurs.
06:39 C'est-à-dire que c'est un outil qui se met au service des autres domaines scientifiques
06:45 et qui percole dans toutes les applications, dans toute la vie.
06:48 Tout ce qui peut être optimisé, traité, comme le disait Cécile Badoile.
06:52 Tout ce qui permet de simplifier les tâches, c'est-à-dire de remplacer l'humain dans
06:56 les tâches automatiques, de manière à ce qu'il puisse se concentrer sur sa vraie
06:59 valeur ajoutée, à peu près dans tous les métiers.
07:02 Si je poursuis sur l'exemple de la santé, pour qu'on prenne la mesure des changements
07:06 à venir, est-ce qu'on peut imaginer que demain, on parle beaucoup de la question des
07:09 déserts médicaux, on échange à distance avec une intelligence artificielle, qu'elle
07:14 nous pose un diagnostic et qu'elle nous prescrive un traitement sans passer par une
07:19 intervention humaine ? Est-ce que ça vous paraît envisageable ?
07:22 Ce n'est pas du tout la posture qui est choisie en France et en Europe.
07:25 C'est bien de garder un être humain quelque part dans les cycles de décision, surtout
07:30 sur des sujets très importants comme la santé.
07:32 Par contre, il y a déjà des choses qui se font à distance.
07:35 En particulier, il y a des gens, par exemple chez un médecin sans frontières, qui travaillent
07:40 sur la lecture à distance d'imagerie.
07:45 Mais il ne s'agit pas de remplacer le médecin, c'est-à-dire de lui apporter à proximité
07:50 des appareils qu'il n'a pas sur le terrain.
07:53 Donc c'est toujours un outil, un outil de lecture, un outil d'analyse, mais qui ne
07:57 remplace pas le médecin.
07:58 Il faut toujours un médecin, Cécile Badoile, parce qu'il peut y avoir des biais dans les
08:05 algorithmes.
08:06 Si on prend l'exemple de l'intelligence artificielle qui prescrirait un traitement,
08:10 il pourrait y avoir un biais qui fait qu'il prescrirait plus de médicaments qu'un autre
08:13 ou qui serait, pourquoi pas, infiltré par un laboratoire pour prescrire davantage de
08:17 médicaments de ce laboratoire ?
08:18 En fait, il y a plusieurs points extrêmement importants.
08:23 D'abord, la responsabilité.
08:26 Un médecin est responsable de son diagnostic.
08:29 Qui est responsable d'un diagnostic fait par une machine ?
08:37 Est-ce que c'est le médecin qui va le rapporter sans y apporter son propre jugement et sa
08:42 propre validation ?
08:43 Est-ce que c'est le constructeur de l'algorithme ou le revendeur de ces algorithmes ?
08:49 Donc là, il y a un point essentiel qui est sur la responsabilité et ce que ça veut
08:55 dire dans l'engagement de poser un diagnostic.
08:59 Vraiment repositionner le rôle du médecin et de l'accompagnement sur un diagnostic.
09:03 Ensuite, et on le voit, alors bien sûr, les algorithmes sont de plus en plus efficients
09:12 et de plus en plus intéressants.
09:13 Pour autant, pour une question donnée, on va avoir un algorithme donné.
09:18 Un patient, c'est une complexité d'informations qui vont être traitées par des algorithmes,
09:25 par exemple d'aide à la décision, qui vont cumuler, par exemple, on parlait de liquide,
09:32 donc là ça sera des taux sanguins divers et variés, une radiologie et puis un examen
09:38 clinique qui sera rapporté par un médecin et puis qui va en faire quelque chose d'aide
09:42 au diagnostic.
09:43 Mais pour autant, toutes ces données, elles sont avec des médecins et il va falloir les
09:47 valider à un moment donné.
09:48 Y compris contre l'avis formulé par l'intelligence artificielle, c'est-à-dire que vous, vous
09:54 pouvez vous dire "moi je pense que ça ne va pas dans la bonne direction, l'IA me dit
09:59 ça mais moi j'ai la conviction qu'il ne faut pas aller vers ce traitement-là ou vers
10:03 ce diagnostic-là".
10:04 Les IA, elles sont faites à partir de données qu'on leur donne.
10:09 Donc elles ne sont que, alors c'est même pas "i" si on suit Cédric Villani, mais il
10:15 a raison.
10:16 En fait, c'est des performances machines qui vont aider à partir de choses qu'on leur
10:22 a données.
10:23 Donc c'est là l'importance aussi des données.
10:26 Quand on va utiliser un algorithme, donc on ne sait pas comment il a été validé,
10:29 fait et donc, c'est ce qu'on dit en ce moment, c'est des applications sur des corps
10:33 de vraie vie.
10:35 Parce que les données dans des projets avec des données lissées, c'est pas tout à fait
10:39 la même chose que d'utiliser la vraie vie.
10:42 Isabelle, tu voulais dire ?
10:43 Je pense que Cédric Villani avait dit le bon mot, c'est la statistique.
10:46 Il ne faut pas oublier qu'un algorithme qui est statistique, s'il est prouvé avoir
10:51 2% d'erreurs, dans 2% des cas, il se trompe.
10:54 Pour revenir, c'est aussi la question du contrôle de cette technologie.
10:58 Aujourd'hui, Isabelle Rille, d'où est-ce qu'elles viennent ces technologies ? Elles
11:00 sont produites en France ou elles sont produites majoritairement en Chine ou aux Etats-Unis
11:04 par exemple ?
11:05 Ça dépend desquels.
11:07 Les plus populaires de nos jours, les plus diffusées dans la presse, sont plutôt de
11:14 pays hors Europe.
11:16 Parce qu'on est en train de parler de modèles gigantesques et qui nécessitent de grandes
11:20 ressources de calcul, il ne faut pas oublier qu'on en fait aussi en Europe.
11:23 Si on parle par exemple des modèles de langue, il y a un modèle ouvert qui a été fait
11:27 par un consortium de chercheurs, dont une grande partie basé en France, qui n'a pas
11:31 les équivalents de ceux d'OpenAI, mais quand même.
11:34 OpenAI, c'est l'entreprise qui a réalisé ChatGPT dont on a beaucoup parlé ces dernières
11:41 semaines.
11:42 Le modèle est de taille similaire, il a des performances inférieures pour l'instant,
11:45 mais pas complètement ridicules.
11:47 Il s'appelle Bloom.
11:48 Et si vous avez suivi la presse, il y a un modèle qui a été publié par un autre grand
11:51 groupe META il y a quelques jours.
11:54 L'article est consigné par une quinzaine de chercheurs.
11:58 La plupart d'entre eux sont issus de Polytechnique ou de l'ENES.
12:02 Donc la place de la France existe dans l'intelligence artificielle.
12:07 Vous aviez rendu un rapport, je l'ai dit, Cédric Villani, c'était en 2018.
12:10 Vous pointiez à l'époque le nombre d'étudiants insuffisants dans ce secteur.
12:15 L'objectif c'était de tripler le nombre de personnes formées d'ici 2020, 5 ans après.
12:19 Où est-ce qu'on en est ?
12:20 L'objectif n'a pas été atteint, très clairement.
12:22 Et je dirais que d'abord, sur ce rapport, il y a eu un vrai travail qui a été fait.
12:27 Par exemple, le ministre Cédric O s'est beaucoup investi là-dessus.
12:30 Mais à l'arrivée, quand on regarde les 10 objectifs principaux, disons qu'il y
12:35 en a deux qui ont été remplis complètement, trois en partie, cinq non.
12:39 Est-ce que c'est grave que ces technologies viennent des Etats-Unis ou de Chine et pas
12:44 d'Europe ?
12:45 C'est ce qu'on voit au fond.
12:46 Il y a, je vais vous répondre dans un instant, mais d'abord je voudrais dire aussi que sur
12:49 la question des formations, en ce moment, il y a une prise de conscience qui a été
12:52 faite par exemple au niveau de France 2030.
12:54 Pour en avoir discuté avec Bona Bonnel, je sais que l'enjeu des formations et cet enjeu
12:58 du triplement a été bien identifié et va continuer à l'être.
13:02 Maintenant, on est là sur une question de souveraineté, au sens où si ces logiciels,
13:08 ces algorithmes, ils vont venir changer la façon dont les médecins travaillent, la
13:12 façon que nous avons de nous déplacer, de nous guider pour prendre certaines décisions,
13:16 ce sont des questions de société.
13:17 Et nous ne voulons pas, pour ces questions de société, être dépendants des choix
13:21 qui sont imposés par telle ou telle multinationale, telle ou telle puissance, tel ou tel pays.
13:26 D'autant que, comme le disait Isabelle Rilhe il y a quelques instants, la recherche française
13:30 et européenne en la matière est très forte.
13:32 Certes, au niveau du développement technologique et de la mise en œuvre économique, l'Europe
13:38 est aujourd'hui à la traîne derrière les États-Unis ou derrière le continent
13:42 asiatique.
13:43 Mais en ce qui concerne la recherche, les atouts sont considérables et nous avons un
13:46 vrai problème de fuite des cerveaux qui participe à ce problème de souveraineté.
13:52 Autre chose sur lequel je voudrais insister, c'est la question de la confiance et du
13:56 narratif.
13:57 Année après année, suivant ce sujet, j'ai été frappé de voir que, par exemple, quand
14:01 telle start-up avait des performances extraordinaires en matière de reconnaissance automatique,
14:06 de diagnostic de cancer, personne n'en parlait.
14:09 Ça faisait notre filet dans la presse si c'était une start-up française.
14:12 Ça faisait les gros titres de toute la presse si c'était un géant américain.
14:16 Le même algorithme.
14:17 Au sens où nous avons, pour l'instant, été à la traîne dans la bataille du narratif,
14:23 dans la bataille culturelle sur un sujet qui est éminemment un sujet des broufous.
14:27 Et Chats GPT, c'est là-dessus.
14:28 Sans qu'il y ait de révolution particulière dans les algorithmes qui ont été là sur
14:32 Chats GPT, le fait d'avoir su tellement le mettre en avant.
14:35 Quand Google sort son propre algorithme, Bard, et que suite à un bug au moment de
14:43 la démonstration, elle perd 100 milliards de valorisation, on est dans l'irrationnel
14:48 complet qui est juste sur les effets d'annonce.
14:52 Et les messages à marteler aussi, c'est toute l'excellence, la compétence qu'il
14:56 y a dans nos jeunes là-dessus, dans nos écoles de chercheurs et qui est à valoriser.
14:59 De plus en plus de jeunes donc qui s'orientent vers ces études, ce travail autour de l'intelligence
15:05 artificielle.
15:06 Mais je lis ce matin dans les échos, vous en avez dit un mot, Cédric Villani, que ce
15:09 sont surtout des hommes.
15:10 Je cite l'édito du journal "Le monde de la tech et de l'IA est un monde sans femmes
15:13 ou presque.
15:14 Comme l'ont écrit deux chercheuses, le secteur de l'IA est aussi masculin qu'un
15:18 bar des sports un soir de match de ligue 1".
15:20 Est-ce que vous partagez ce constat Isabelle Rilh ?
15:23 Alors, il est vrai que nous avons un problème d'attractivité des jeunes filles, des femmes
15:30 dans nos disciplines.
15:31 Je pense que ça commence bien avant les études en IA, c'est-à-dire l'attractivité
15:38 vers les sciences, les maths, y compris pour les collégiennes.
15:41 Et on voit qu'il y a vraiment un biais de présentation.
15:45 Cette année, l'université Paris Dauphine-PSL a ouvert une licence double cursus, sciences
15:51 des organisations et intelligence artificielle.
15:53 Ce sont vraiment deux licences à faire en parallèle.
15:55 Mais le fait qu'elle ne s'appelle pas MathInfo, elle a accueilli 50% de femmes.
16:02 Il y avait 50% de candidates, 50% de filles qui ont intégré la licence et qui s'en
16:07 sortent très bien.
16:08 Juste parce que l'intitulé était différent ?
16:10 L'avenir nous le dira, mais en tout état de cause, l'expérience est là.
16:16 Mais quel problème ça pose selon vous s'il n'y a que des hommes au-delà de la parité,
16:20 mais même dans la réalisation de ces algorithmes ?
16:23 Est-ce que ça peut amener l'intelligence artificielle vers des chemins et pas vers
16:27 d'autres si les réalisations ne sont pas paritaires ?
16:29 Je rappellerai que les meilleurs experts en éthique de l'intelligence artificielle,
16:38 l'expérience a montré que c'est des femmes.
16:40 Je pense à Cathy O'Neill, je pense à LaTanya Sweeney, je pense à d'autres.
16:43 Et que ça a été étudié, réétudié, la mixité en tant que telle.
16:49 Quand vous avez au moins 30% de femmes, ça change l'état d'esprit dans lequel les
16:54 choses se font.
16:55 Vous parliez de Barre de Sport il y a quelques instants.
16:58 Ce sont deux chercheuses qui l'écrivent.
17:00 Oui, elles ont raison.
17:01 J'ai ce souvenir il y a quelques semaines de me retrouver à présider un jury d'intelligence
17:05 artificielle sur les questions de mobilité, avec une dizaine de très grandes entreprises
17:10 qui avaient fourni des ingénieurs pour le jury, etc.
17:13 Le jury était 100% masculin, les candidats étaient 100% masculins.
17:18 Il y avait une femme sur les 60 personnes de la journée.
17:20 Ce qui pose problème, évidemment.
17:21 Ce qui pose un problème, je recommande un très joli ouvrage écrit par deux chercheuses,
17:25 Aude Bernheim et Flora Vincent, qui s'appelle "Intelligence artificielle, pas sans elle",
17:29 et qui vous rappellera d'une part qu'il y a de l'excellence féminine à tous les
17:32 niveaux, y compris depuis la fondation de l'informatique avec des personnes comme Ada
17:36 Lovelace.
17:37 Et d'autre part que c'est un sujet dans lequel il faut accompagner et en proximité
17:41 encourager nos jeunes femmes, nos étudiantes à se lancer dans l'intelligence artificielle
17:46 aussi, parce que c'est un sujet qui ouvre les portes vers toutes sortes de sujets de
17:50 société et d'application.
17:51 - Beaucoup de questions sur l'application de France Inter et au standard 01, 45, 24,
17:56 7000.
17:57 Sophie nous appelle de Lyon.
17:58 Bonjour à vous.
17:59 - Oui bonjour, merci de prendre ma question.
18:02 C'est une question pour Frédéric Villani.
18:04 Si je ne me trompe pas, je crois que nos données de santé sont stockées chez Microsoft Azure.
18:10 Est-ce que ce n'est pas un petit peu sensible de confier nos données de santé françaises
18:17 à un grand groupe américain ? Et que pensez-vous du projet Gaia X qui est censé être le garant
18:27 de notre souveraineté sur ces sujets et qui laisse entrer les mêmes gaffes amies ?
18:33 - Merci à vous Sophie pour cette question Gaia X.
18:37 Qu'est-ce que c'est ?
18:38 C'est un projet européen pour assurer un service de cloud aux entreprises européennes
18:44 qu'ils souhaitent.
18:45 Je vais répondre très rapidement que d'une part, je ne suis pas un fan de Gaia X parce
18:49 qu'il n'aborde pas le vrai sujet qui est faire monter la compétence technique de nos entreprises
18:55 et leur compétence économique en faisant monter en compétence et en marché des acteurs
19:00 comme OVH ou d'autres marchés.
19:02 Sur ce sujet-là, si on pense juste en termes de services et de contrats, on loupe l'enjeu
19:07 qui est les savoir-faire et les métiers.
19:09 Sur la question du Health Data Hub, de la plateforme de données de santé telle qu'elle
19:14 a été mise en avant à partir de mon rapport et sur laquelle Cécile Badoit a beaucoup
19:19 travaillé aussi, je dois dire que personnellement je n'étais pas si inquiet du fait que Microsoft
19:26 soit là-dedans.
19:27 C'est un acteur qui me fait moins peur que d'autres acteurs dans la partie.
19:32 En revanche, ce qui est sûr maintenant, c'est que pour des raisons qui sont en partie politiques
19:37 et en partie la crainte du bad buzz, le gouvernement aujourd'hui n'a pas donné les moyens à
19:41 la plateforme nationale de données de santé pour qu'elle puisse travailler de façon
19:44 correcte et efficace et je le regrette.
19:46 Cécile Badoit sur ce point ?
19:47 La conservation des données, la protection des données, il ne faut pas oublier que toute
19:53 information est une donnée de santé.
19:56 On parlait de formation, il faut former aussi les médecins, les data scientists à comprendre
20:03 que ces informations sont extrêmement sensibles et nous devons nous positionner en gardien
20:10 du temple.
20:11 Mais gardien du temple, ça veut dire quoi une fois que les données sont possédées
20:17 par un grand groupe ? Ça veut dire avoir un droit de regard ?
20:20 Alors moi, j'avoue que je ne sais pas toutes les interférences possibles mais il est de
20:30 notre devoir d'interroger l'État pour savoir et garantir toute la protection de
20:36 ces données.
20:37 Question de Baptiste sur l'application de France Inter, pourquoi personne ne parle de
20:40 la consommation énergétique liée à ces outils ? Est-ce un progrès de faire une recherche
20:44 internet avec chaque GPT qui consomme 100 ou 1000 fois plus qu'avant ?
20:48 Isabelle Rilha ?
20:49 Alors la question de la consommation énergétique c'est quelque chose de très… comment dire
20:56 ? Une question d'aujourd'hui, c'est-à-dire que tout le monde se pose sur la question,
20:59 c'est déjà très difficile de définir la consommation énergétique de l'IA et
21:06 à savoir est-ce qu'un très gros modèle qui a été entraîné de manière très coûteuse
21:09 mais qu'on interroge après est plus coûteux qu'un petit modèle qu'on va réentraîner
21:14 plusieurs fois, etc.
21:15 La mesure fine de cette consommation énergétique, on ne sait pas le faire.
21:22 Par contre, il est vrai que c'est extrêmement coûteux en général et il y a beaucoup de
21:28 recherches actuellement qui justement s'orientent vers la manière de faire des modèles plus
21:33 petits, donc avec moins de paramètres, moins de données, etc. qu'on entraîne moins
21:37 longtemps et dont on espère qu'ils vont être évidemment beaucoup plus performants
21:42 en utilisant pas seulement justement les grandes masses de données mais en utilisant des choses
21:46 un peu hybrides et en utilisant la connaissance a priori du monde physique pour les rendre
21:51 plus petits et plus performants.
21:53 Alors je voudrais qu'on pose la question de l'impact de cette généralisation ou
21:56 de ces avancées de l'intelligence artificielle sur l'emploi.
21:59 On a commencé à dire un mot sur le secteur de la santé.
22:02 Dernier exemple en date, c'est dans le milieu de la presse avec des suppressions de postes
22:05 qui ont été annoncées en Allemagne avant-hier par le groupe de médias Axel Springer.
22:10 Le patron du groupe a écrit aux journalistes pour leur dire ceci, la création journalistique,
22:14 donc les reportages, les scoops, les éditoriaux, ça c'est le cœur du métier mais la production
22:18 va devenir un sous-produit de plus en plus automatisé en raison de l'importance croissante
22:24 de l'intelligence artificielle.
22:25 C'est ce qu'il dit, d'où réduction d'emploi.
22:28 Est-ce que ça veut dire qu'on aura moins besoin d'hommes et de femmes pour faire
22:34 tourner l'économie et que les machines vont petit à petit nous remplacer ?
22:37 Alors j'avoue que votre métier n'est pas celui que je maîtrise le mieux donc je ne
22:41 sais pas quelles sont les subtilités de chaque poste.
22:44 Je pense que dans beaucoup de métiers on a vu des transformations mais on ne parle
22:48 pas de suppression d'emplois sèche, on parle de modification des pratiques.
22:52 Exactement comme le disait Cécile Badoile au début, l'idée n'est pas de remplacer
22:57 les humains, c'est de concentrer leur temps sur les tâches à haute valeur.
23:01 Quand vous imaginez dans une usine quelqu'un qui en bout de chaîne doit vérifier que
23:07 les pièces qui sortent, doit scruter les pièces qui sortent d'une chaîne de montage
23:10 pour vérifier qu'elles n'ont pas de défaut, ça n'est pas un métier très intéressant
23:14 en soi.
23:15 C'est une tâcherie barbative.
23:17 Si vous remplacez ce scrutage par une IA qui va utiliser la vision artificielle pour
23:21 le voir et que vous réaffectez cette personne à des tâches à haute valeur ajoutées,
23:26 tout le monde est gagnant.
23:27 L'idée n'est pas de faire du remplacement mais de l'amélioration.
23:29 Je vais citer le groupe Feuchterton qu'on écoute régulièrement sur France Inter.
23:33 Un monde nouveau, on en rêvait tous, mais que savions-nous faire de nos mains ? Zéro.
23:37 Cédric Villani.
23:38 Je vais en profiter pour parler d'un métier où les mains et la tête sont importants
23:44 et qui sera fondamental pour le monde de demain, c'est le métier d'agriculteur.
23:49 Et si vous avez l'occasion d'aller au salon d'agriculture, allez faire un tour
23:54 au stand de la ferme digitale où on parle d'innovation et de numérique en lien avec
23:59 des métiers agricoles.
24:01 Et il est clair que dans le monde à venir, si on veut faire la transition agroécologique,
24:05 nous aurons besoin de beaucoup, beaucoup plus d'agriculteurs que maintenant.
24:08 Et que ces métiers, c'est un sujet où l'intelligence artificielle sera associée
24:13 à des choses qui sont des pratiques.
24:15 Je veux dire sortir des pesticides.
24:18 Mais concrètement, quels sont les apports pour l'agriculture ?
24:20 Cédric Villani.
24:21 Par exemple, de l'aide à diagnostic.
24:23 Par exemple, je prends juste un exemple sur les soixantaines de jeunes pousses qui étaient
24:28 présentes au salon de la ferme digitale, tel que j'ai pu visiter avant-hier, qui
24:33 s'appellent Mycophyto et qui s'occupent d'utiliser des champignons pour travailler
24:38 sur la performance des plantes pour qu'elles demandent moins d'eau, pour qu'elles soient
24:43 plus résistantes à telle ou telle maladie et ainsi de suite.
24:46 C'est de l'agroécologie avec des méthodes de biologie et pas des intrants chimiques.
24:51 Et avec une aide algorithmique pour, à partir d'images satellitaires, pour à partir de
24:57 données statistiques, avoir une idée, deviner en fonction du type de sol quels sont les
25:02 organismes qui peuvent être présents et éviter la multiplication des prélèvements
25:07 et des analyses en laboratoire.
25:09 Ici, comme dans beaucoup de sujets, l'IA n'est pas la révolution, mais quelque chose
25:13 qui va aider le métier qui est mis à l'honneur et dans lequel le savoir-faire technique reste
25:19 majeur.
25:20 On a beaucoup de questions toujours autour de la consommation énergétique liée à
25:26 tous ces outils.
25:27 Clara qui nous dit que vous avez beaucoup parlé d'éthique.
25:28 Quels sont les enjeux liés à la frugalité, à l'éco-conception de l'IA, souvent gourmande
25:32 en ressources ? Est-ce que ce sont des questions que vous vous posez, Cécile Badoit ?
25:36 Alors c'est vrai que ce sont des questions que nous nous posons.
25:39 Il faut, je pense, aborder le soin dans sa globalité, c'est-à-dire la mobilité des
25:49 personnes, de regarder comment l'IA pourra apporter éventuellement des informations
25:54 directement sans faire déplacer le patient.
25:57 Parce qu'un déplacement coûte aussi sur le plan énergétique.
26:02 Et puis il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses qui sont autour de nos actions à
26:07 l'hôpital et bien évidemment la question de l'IA est une question centrale.
26:12 Merci d'être venue en parler ce matin sur France Inter, de répondre aux questions qui
26:16 sont très nombreuses de nos auditeurs.
26:19 Merci à vous Cédric Villani, Isabelle Rilh, Cécile Badoit.
26:22 A l'excellente journée.

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