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Le cerveau humain a besoin "de beaucoup moins de données" que l'IA pour "tirer les conclusions qu'il tire", assure le neuroscientifique Stanislas Dehaene, qui s'attaque aux idées reçues sur ce qui se passe dans notre boite crânienne.

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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin, je vais prendre mon souffle, un professeur
00:06au Collège de France, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale, membre
00:12de l'Académie des sciences, président du Conseil scientifique de l'Éducation Nationale,
00:19il publie une idée dans la tête, 40 pépites réjouissantes sur le cerveau et l'apprentissage,
00:26c'est une co-édition France Inter, et Odile Jacob qui sera en librairie le 30 octobre.
00:33Stanislas Dehaene, bonjour, et bienvenue sur Inter, un micro que vous connaissez bien puisque
00:41ce livre est l'anthologie de vos chroniques de l'été dernier dans La Matinale où vous
00:45nous expliquiez le fonctionnement de notre cerveau.
00:48Il en ressort un ouvrage passionnant, bourré d'informations, une mine qui tord d'ailleurs
00:55le coup à certaines idées reçues, ce que vous appelez les neuromythes, comme par exemple
01:00cette idée popularisée par un film de Luc Besson qu'on n'utiliserait que 10% seulement
01:07de son cerveau, pour être honnête, je pensais même que c'était moins, et bien c'est faux !
01:13Stanislas Dehaene, expliquez-nous !
01:16J'ai essayé justement d'expliquer toutes sortes de petits faits comme ça qui sont accessibles,
01:20l'idée c'est de rendre la science la plus accessible possible, parce que je pense que
01:23le cerveau fait parfois un peu peur aux gens, et puis aussi effectivement ils ont l'impression
01:27de comprendre alors qu'en fait ce qu'on leur a expliqué ce sont des mythes.
01:31Alors les 10% qu'on utilise de son cerveau, c'est une idée très ancienne qui vient
01:36du fait que chez le rat, on pouvait enlever des morceaux de cerveau et parce qu'on n'avait
01:41pas les bons tests aussi, on ne voyait pas trop de différence, mais c'est tout à fait
01:44faux évidemment dans le cerveau de l'adulte humain, c'est faux aussi d'une manière
01:50subtile, c'est-à-dire que tous nos neurones sont utilisés en permanence, si on enregistre
01:55des neurones, on met des électrodes dans le cerveau, on voit que les régions sont
01:59activées, que tout travaille, mais ça ne veut pas dire qu'elles ne peuvent pas apprendre
02:02quelque chose de nouveau, et pour apprendre quelque chose de nouveau, on ne va pas créer
02:06de nouveaux neurones, on a un nombre de neurones fixes depuis la naissance pratiquement, mais
02:10on va différencier ces neurones, quand on apprend, on apprend à faire des différences
02:15à l'intérieur de populations qui sinon feraient toutes la même chose.
02:18Et alors, on utilise combien de pourcentage de son cerveau ?
02:21La question n'a pas de sens, la question n'a vraiment pas de sens, on ne peut pas compter
02:27le pourcentage, on ne peut pas compter, ça ne veut pas dire que ça n'a pas de sens,
02:32ça veut dire que la réponse n'est pas un certain pourcentage, c'est pas qu'on ne sait
02:35pas, il y a vraiment des régions très spécialisées dans notre cerveau, les unes, les autres,
02:39mais il y a un concept que j'essaie d'expliquer dans le livre, c'est celui de recyclage neuronal,
02:43c'est-à-dire que quand on va à l'école, grâce à la culture qui nous entoure, on
02:48va pouvoir prendre certaines régions de notre cerveau et les transformer en autre chose.
02:51Et c'est plus une transformation que des régions qui ne servent à rien et qui vont
02:55se mettre à servir à quelque chose.
02:56La lecture transforme, les mathématiques transforment.
02:58On va parler de la lecture et des mathématiques, parce que vous donnez des exemples très précis,
03:02mais comment expliquez-vous qu'on ne connaisse pas bien le cerveau ? Vous écrivez « il
03:07est proprement stupéfiant que l'on en sache souvent plus sur le fonctionnement de sa voiture
03:11ou de son téléphone portable que sur celui de son propre cerveau ». Ce manque de connaissances,
03:16il vient d'où à votre avis ? C'est un manque de curiosité ou tout simplement les
03:20neurologues neuroscientifiques, neuropsychologues, neuro-x, neuro-y, ça fait peur aux profanes
03:26que nous sommes ?
03:27Je pense qu'il y a un petit peu tout ça.
03:28Il faut se rendre compte aussi que les neurosciences, ce sont quand même des disciplines très
03:31récentes qui continuent de faire des progrès bouleversants, c'est aussi le cas de l'intelligence
03:37artificielle.
03:38Mais aussi, étant tellement récent, on n'a pas encore eu le temps d'expliquer.
03:42C'est ce que j'essaye de faire dans ce livre, c'est de prendre le temps d'expliquer
03:45des choses à la fois très récentes et très bouleversantes, je pense, pour ce que nous
03:49sommes.
03:50Mais vous avez raison, c'est vraiment peut-être la science qui nous concerne le plus intimement
03:53nous-mêmes.
03:54Je militerais pour qu'il y ait un meilleur enseignement, par exemple au sein des cours
03:58de biologie à l'école, c'est peut-être plus intéressant d'apprendre comment fonctionne
04:03son propre cerveau et plus déterminant pour le reste de notre vie que d'apprendre tel
04:08ou tel fait sur les escargots ou les bactéries.
04:10Tout est important, mais cette science-là, elle prend vraiment une importance capitale,
04:14je crois en ce moment.
04:15Vous dites beaucoup de choses sur l'apprentissage dans ce livre et notamment vous expliquez que
04:20nous les humains apprenons les uns des autres en société avec une vitesse et une efficacité
04:28que même les algorithmes les plus avancés d'intelligence artificielle ne parviennent
04:34pas à approcher.
04:36Plus vite donc que l'IA ? Vraiment ? Ça aussi on a du mal à y croire, excusez-moi.
04:41Il faut voir ce qu'on veut dire par « plus vite ». Ce qu'on veut dire, c'est avec
04:45moins de données.
04:46Le cerveau humain a besoin de beaucoup moins de données pour tirer les conclusions qu'il
04:51tire par rapport aux intelligences artificielles qui ont besoin de masse absolument extraordinaire
04:55de données, à tel point qu'on considère que l'intelligence artificielle et les big
04:59data, c'est synonyme, ça ne devrait pas être synonyme.
05:02Pour le cerveau humain, pour un petit enfant par exemple, très peu de données suffisent
05:07pour apprendre sa langue maternelle.
05:08Pourquoi ? Parce qu'il a déjà dans son cerveau des structures préexistantes qui
05:13sont prêtes à l'apprentissage, qui le préparent à l'apprentissage.
05:16Et ça c'est un message très important.
05:18On parle toujours de ce dialogue entre l'inné et l'acquis, il y a les tenants de l'un,
05:22les tenants de l'autre.
05:23C'est aussi un neuromythe ou deux neuromythes, la réalité se trouve au milieu, nous avons
05:27énormément de structures qui se mettent en place au cours de la gestation, qui font
05:31du cerveau un cerveau préparé, qui a des cartes, qui a des arbres pour le langage,
05:37des régions qui vont se spécialiser mais qui évidemment ont besoin aussi de ces entrées
05:41pour se stabiliser.
05:42Mais beaucoup moins d'entrées que les IA actuelles.
05:45Ce que vous racontez sur les bébés est fascinant dans votre livre, vous parlez du génie des
05:49bébés.
05:50Vous nous apprenez d'abord, mais ça on le savait un peu, que l'acquisition du langage
05:53commence dans le ventre de la mère et vous expliquez qu'il faut parler au bébé tout
05:58le temps, même avant la naissance et vous dites qu'à la naissance, un bébé serait
06:03potentiellement capable de parler toutes les langues du monde, en tout cas qu'il serait
06:06capable de distinguer tous les sons de toutes les langues du monde.
06:11Le problème c'est qu'en grandissant, il va désapprendre.
06:14Expliquez-nous.
06:15Il y a un message d'universalisme dans mon livre parce qu'effectivement, parce que nous
06:19sommes tous des membres de l'espèce humaine, homo sapiens, nous avons tous ce potentiel
06:24au départ.
06:25Et dans le cas du langage, effectivement, c'est un potentiel de discrimination de tous
06:29les traits phonétiques qui font que dans toutes les langues, il y a un certain nombre
06:33de contrastes entre un « be », un « de », un « gue », un « te », etc. qui vont être
06:38utilisés.
06:39Mais il y en a beaucoup plus que ce qu'on croit exister parce que dans la langue française,
06:43on a cessé d'utiliser certains des contrastes.
06:46Par exemple, dans les langues indiennes, il y a un contraste que j'avais à peine à
06:49faire entre un « ta » dental et un « ta » rétroflex.
06:54Ce sont deux consonnes complètement différentes.
06:56Et les bébés, vous auriez pu le faire ?
06:57Les bébés le font.
06:58Et les bébés vont « désapprendre ». Donc là encore, vous voyez, ce n'est pas un cerveau
07:02qui se remplit, qui n'aurait que 5% au départ, puis 10%, puis 20%.
07:06C'est un cerveau qui a énormément de potentialité et l'apprentissage consiste en partie à
07:10« désapprendre » de manière à sélectionner, à couper les branches, on appelle ça pruning
07:14en anglais, couper les branches d'un arbre jusqu'à ce qu'il soit taillé dans une
07:18certaine direction.
07:19Et jusqu'à ce que ce qui est utile soit là, préservé, créé, c'est pour ça qu'on taille ?
07:27Oui, exactement.
07:28C'est pour ça qu'on « désapprend ».
07:29On parle aussi d'apprentissage par sélection.
07:31Donc, ce qui est assez étonnant, d'ailleurs, dans le cerveau, c'est qu'au cours de la
07:34petite enfance, il y a une surproduction de synapse et d'arborescence.
07:39Les neurones poussent trop, quelque part, et c'est en réduisant ces arbres qu'on
07:44va créer un apprentissage dans ces premières années.
07:46C'est pour ça aussi que ces premières années sont tellement essentielles.
07:49Et c'est pour ça que vous dites qu'il faut exposer les enfants aux langues étrangères
07:52le plus tôt possible, même dès la maternelle, ce qui n'est pas vraiment le cas aujourd'hui
07:56en France.
07:57Même avant.
07:58Parce qu'après, ça se complique.
07:59Vous parlez de la barrière à l'âge de 15 ans.
08:01Alors, barrière, je ne crois pas que j'utilise ce terme.
08:04Mais ce qu'on voit dans les données, c'est une décroissance assez rapide du potentiel
08:08d'apprendre des langues étrangères, avec toujours à ce moment-là un accent étranger
08:13et aussi des erreurs de grammaire.
08:15Ce qui se passe, c'est que la plasticité cérébrale se ferme, en tout cas diminue
08:19considérablement aux alentours de la puberté.
08:21Et comme il faut à peu près 10 ans pour apprendre une langue, ça veut dire que vers
08:25l'âge de 10 ans, c'est déjà devenu plus difficile.
08:28C'est ce qu'on appelle l'âge bête, c'est ça Stanislas ?
08:30Ça c'est autre chose, je ne pense pas que ce soit un concept des neurosciences.
08:33Je ne sais pas, je vous le soumets.
08:35Mais en tout cas, une baisse de sensibilité.
08:38Les différentes étapes de l'apprentissage se produisent encore.
08:41Il y a encore des changements synaptiques, mais avec une moindre efficacité.
08:45C'est vrai aussi pour le sommeil.
08:46Les petits-enfants, dans une nuit de sommeil, consolident les apprentissages 3 fois plus
08:52que les adultes.
08:53D'où l'importance capitale.
08:55Vous parlez d'ailleurs du sommeil dans le livre.
08:57Mais apprendre les langues étrangères à un enfant de 2-3 ans qui n'a pas un parent
09:00étranger ou une baby-sitter anglaise, comment on fait ?
09:04C'est effectivement une bonne idée d'avoir des gens qui parlent une seconde langue autour.
09:09Ça n'a pas besoin d'être une baby-sitter extrêmement raffinée parce que les enfants
09:13vont apprendre très spontanément du dialogue.
09:15Mais ça veut dire que, par exemple, les parents qui ont la chance d'avoir une deuxième
09:20langue, ou même une première langue qui n'est pas le français, il ne faut surtout
09:23pas qu'ils s'inhibent.
09:24Or malheureusement, c'est souvent le cas, on rencontre des parents qui préfèrent
09:28mettre leurs enfants devant la télévision plutôt que de parler leur langue maternelle
09:32parce qu'ils considèrent que leurs enfants auront plus de chances de s'intégrer en
09:36France.
09:37Ça n'est pas vrai.
09:38Il vaut mieux qu'ils aient une très solide langue maternelle et bien sûr, ils vont être
09:41exposés aux Français, autour d'eux, à l'école, etc.
09:43Deux langues, ça n'est pas un problème pour le cerveau.
09:46Stanislas Dehaene, sur les bébés et les chiffres, parlez-nous de cette expérience
09:52fascinante et un peu cruelle qui nous a médusés avec Léa.
09:57Vous manipulez de pauvres bébés pour prouver qu'ils savent déjà compter ou qu'ils disposent
10:03d'un ombrillon d'arithmétique.
10:07Racontez-nous l'expérience.
10:08Il n'y a rien d'éthiquement dommageable.
10:11Je l'imaginais avec sa petite couche en train de se faire manipuler dans un labo.
10:14Non, non, pas du tout.
10:15Donc, vous asseyez un bébé devant un petit théâtre, le labo est comme ça, vous le
10:19filmez de très près, vous avez une caméra qui regarde ses yeux et vous allez mesurer
10:23la surprise du bébé lorsque vous lui faites des tours de magie.
10:25Donc, c'est juste ça.
10:26Ce sont des tours de magie.
10:27Oui, mais avec des chiffres.
10:28Avec des chiffres représentés de façon concrète, ce qui est essentiel pour la pédagogie.
10:32Expliquez.
10:33Vous imaginez, vous avez un théâtre, il y a une main qui amène deux miquets, c'était
10:39le cas dans l'expérience originale, et puis ensuite, il y a un écran qui descend qui
10:44les cache et il y a une main qui vient enlever et on voit la main qui plonge derrière l'écran
10:49et qui enlève un des miquets, d'accord ? Et puis l'écran va s'abaisser.
10:52Et alors, tout le monde s'attend à voir un miquet, n'est-ce pas ? Et certaines fois,
10:55c'est le cas.
10:56Et d'autres fois, par magie, par derrière, on a rajouté un deuxième miquet.
11:00Ou bien on a enlevé, on a mis zéro, etc.
11:02On change le nombre.
11:03Et le bébé est stupéfait.
11:04Le bébé a un regard plus long, prolongé, qui traduit le fait qu'il s'attendait à
11:10ce que deux moins un fassent un.
11:12Et quand vous faites deux moins un égale trois, vous voyez dans ses yeux la réaction
11:17? Absolument.
11:18De surprise.
11:19Il dit « là, on me l'a fait à l'envers ! ».
11:24Mais ça veut dire aussi que quand il y a quelque chose qui ne va pas, j'ai quelque
11:27chose à apprendre.
11:28Donc, ce n'est pas juste la surprise pour la surprise, c'est la surprise qui crée
11:32de l'apprentissage.
11:33En permanence, le cerveau projette des hypothèses et puis si ça ne colle pas, eh bien il va
11:37apprendre à se corriger.
11:38Sur les maths, toujours, vous vous élevez contre l'idée d'une bosse des maths ou
11:41d'un don inné pour les maths.
11:43Pour vous, on est tous des matheux en puissance, il suffit de stimuler l'envie.
11:47Et là aussi, le plus tôt, c'est le mieux.
11:49Je pense vraiment que c'est un des messages essentiels de ce livre.
11:52Je parle beaucoup des mathématiques.
11:53Je n'étais pas revenu depuis la bosse des maths il y a bien longtemps.
11:56Il y a énormément de données supplémentaires et elles montrent tout à quel point l'éducation
12:01transforme le cerveau, recycle certaines régions cérébrales.
12:04Il n'y a pas un cerveau de matheux qui serait complètement différent des autres.
12:07Il y a des gens qui vont plus ou moins loin dans leur éducation mathématique.
12:11Et ce que nous avons vu avec nos outils d'imagerie cérébrale, c'est que ce sont toujours les
12:15mêmes régions du cerveau qui travaillent, mais de façon plus différenciée, plus approfondie.
12:19Donc, quand un mathématicien réfléchit, je ne sais pas, à la théorie des nombres
12:22complexes, mais il continue d'utiliser exactement les mêmes régions qui chez le jeune enfant
12:26permettaient de faire 2 plus 2 égale 4, celles que nous avons toutes.
12:29Donc, tous et toutes ! Il n'y a d'ailleurs pas de différence entre les petits garçons
12:33et les petites filles.
12:34C'est ça.
12:35Autre neuromythe, les filles seraient moins bonnes que les garçons en maths, vous élevez
12:39contre ça.
12:40Alors, on a maintenant des données très très claires contre ça, parce qu'on voit
12:43toutes ces expériences chez le bébé, aucune différence entre les petits garçons et les
12:46petites filles.
12:47Jusqu'à l'âge de 5-6 ans, aucune différence.
12:49Dans les évaluations nationales, à l'entrée en CP, aucune différence.
12:53Et puis en quelques mois, on voit apparaître un avantage pour les garçons.
12:57Et il semble bien que ce soit une sorte de biais culturel, comme on le voit dans beaucoup
13:01d'autres pays.
13:02Ce n'est pas universel, mais il y a beaucoup de pays dans lesquels on a ce mythe que le
13:06cerveau des filles n'est pas fait pour les maths et les filles malheureusement l'internalisent.
13:10C'est totalement faux, je peux le prouver presque, je dirais, familialement également
13:15puisque en ce moment j'ai une petite fille à la maison et tous les jours on fait des
13:18mathématiques à 4 ans, à 6 ans, elles adorent ça, le dessin, les chiffres, manipuler
13:24les objets mathématiques, ça peut être un jeu.
13:26Et c'est un message qu'on donne aussi au Conseil scientifique de l'éducation nationale.
13:30Et que vous donnez aux parents qui nous écoutent.
13:32Absolument.
13:33Le jeu, le casse-tête, manipuler des objets, créer des puzzles, tout ceci, ce sont déjà
13:38des objets qu'on peut dire proto-mathématiques.
13:40Et si vous vous dites surtout, on fait des maths tous les jours, c'est-à-dire que vous,
13:44vous faites des maths avec vos filles tous les jours, c'est ça le message aussi du
13:47livre, c'est qu'il faut les stimuler.
13:49Absolument, il faut une stimulation.
13:52Souvent on a la stimulation linguistique mais pas la stimulation mathématique, je pense
13:55dans notre environnement.
13:56Or c'est très facile, il y a énormément d'objets qui sont stimulants.
13:59Une chose très simple, à la maison on a un tableau, un tableau que les filles adorent
14:04parce qu'elles vont dessiner dessus à la craie tout ce qu'elles veulent à chaque moment.
14:08Et c'est très facile, on a des expériences aux Etats-Unis qui nous montrent par exemple
14:12que dans les arrêts de bus on peut mettre des tableaux ou des jeux qui stimulent les
14:16enfants.
14:17C'est-à-dire que l'environnement tout entier devrait aider les enfants à mieux
14:20apprendre et c'est effectivement tous les jours, le cerveau apprend tous les jours et
14:23toutes les nuits.
14:24On passe au Standard Inter, Christophe, bonjour !
14:27Oui, bonjour à tous, j'ai une question pour votre invité, j'ai entendu qu'il était
14:32membre du Conseil scientifique de l'éducation nationale.
14:34Pourquoi est-ce que dans l'éducation nationale, on ne tient pas compte de ses connaissances
14:40typiquement sur la structuration des heures de cours où on a toujours des cours de 2h,
14:45de 3h, sans pause, alors qu'on sait que le temps d'attention du cerveau il est bien
14:49inférieur à ça ? Pour ne prendre qu'un exemple simple.
14:51Merci Christophe pour cette question à laquelle Stanislas Dehaene répond.
14:56Alors je réponds avec ma casquette de président du Conseil scientifique de l'éducation nationale.
15:00Je pense que les scientifiques sont de plus en plus entendus, je crois que ça commence
15:05à rentrer dans la formation des enseignants et dans l'organisation des classes sans aucun
15:10doute.
15:11Il y a de très nombreux messages qui commencent à passer et par exemple dans les nouveaux
15:15programmes de mathématiques, vous allez voir qu'il y a une emphase sur les motifs mathématiques
15:19des lains maternels, sur la question des graphes et des objets visuels des mathématiques à
15:25partir du primaire.
15:26Et sur l'organisation de la classe, oui, il y a un message très simple qui est l'enseignement
15:29explicite, c'est-à-dire donner aux élèves un cours explicite mais court et ensuite passer
15:35à la pratique.
15:36Donc effectivement, il y a des messages sur l'organisation de l'enseignement qui très
15:41honnêtement sont déjà mis en place par beaucoup d'enseignants.
15:44Ce n'est pas une science révolutionnaire mais c'est quelque chose qui demande à être
15:48enseigné dans les cours de formation des enseignants.
15:50J'ai une pensée particulière pour les enseignants parce que je pense qu'en France, on a beaucoup
15:54moins de formations que dans les autres pays et franchement, c'est quelque chose qu'il
15:58faut corriger.
15:59Est-ce qu'à 74 ans, notre cerveau est encore capable d'apprendre ? Question d'un auditeur
16:05sur l'application France Inter.
16:07Fort heureusement oui, comme on le sait tous.
16:09Mais avec plus de difficultés que dans le jeune âge et pas de la même manière pour
16:14tous les circuits.
16:15Il y a des circuits sensoriels qui se figent assez tôt.
16:18Et par exemple, c'est bien connu, si un enfant louche précocement, en quelques années son
16:24système visuel va perdre la capacité de fusionner les messages des deux yeux et ça,
16:27ça ne reviendra jamais pour autant qu'on puisse le savoir.
16:30Il ne verra pas la profondeur.
16:31Autre question d'auditeur, d'auditrice en l'occurrence.
16:34Mon fils a totalement décroché à l'école, il a 13 ans, maths et français.
16:39Qu'est-ce que je peux faire ? Le redoublement ?
16:42Alors le redoublement, dans des cas particuliers, pourquoi pas ? Mais en général, pour le
16:48système, ça n'est pas une très bonne idée.
16:49Vous n'y êtes pas favorable au redoublement, notamment au collège ?
16:51Au conseil scientifique, on n'y était pas favorable parce que les données montrent
16:54que souvent, ça consiste essentiellement à retirer une année, notamment pour les
16:57familles défavorisées parce que les enfants vont s'arrêter plus tôt.
17:00Localement, on va peut-être gagner, bien qu'on ne fasse pas beaucoup d'efforts pour
17:04aider l'élève à nouveau, on se contente de répéter ce qui n'a déjà pas marché
17:07très souvent.
17:08Donc le redoublement, peut-être pas.
17:11Non, ce qui compte, c'est la motivation, le bien-être, l'envie d'apprendre.
17:14Et on a eu une conférence au conseil scientifique récemment là-dessus.
17:18Vous savez, on parle des fondamentaux à l'école et on dit bon, il y a le langage,
17:22les mathématiques.
17:23On ne pense pas assez au bien-être des élèves, c'est le troisième fondamental.
17:27Et donc, un élève qui a décroché, il faut absolument qu'on arrive à lui montrer que
17:30ce n'est pas vrai, il est capable d'apprendre.
17:33Ce n'est pas vrai que c'est un zéro.
17:35Il a en lui la capacité d'apprentissage.
17:37Vous dites que ça n'existe pas les élèves nuls.
17:39Ça n'existe pas.
17:40Tous les cerveaux sont capables d'apprentissage.
17:43Il y a peut-être des vitesses un peu moins grandes chez telle ou telle personne, mais
17:46tout le monde est capable d'apprentissage à condition qu'on ait les bonnes explications.
17:50Et donc, chez ces élèves qui sont allés trop vite quelque part dans une classe trop
17:53difficile pour eux, il faut peut-être être capable de revenir en arrière, non pas en
17:56redoublant, mais simplement en revenant à des manuels, à des objets mathématiques
18:00qui sont plus faciles à apprendre et en reconstruisant la pyramide.
18:04Stanislas Dehaene, parmi, je vous cite, les idées fausses sur l'apprentissage, et on
18:08est en train d'en parler, il y en a une qui est particulièrement perverse, c'est votre
18:13mot, c'est celle que l'erreur est une mauvaise chose, une faute, comme on dit en orthographe,
18:18comme si c'était un péché qui devait donc être sanctionné par une mauvaise note,
18:24voire une punition.
18:25Qu'est-ce qu'on fait malgré tout face à un enfant ou à un élève qui fait des erreurs,
18:33qu'est-ce qu'il faut faire sans punir ?
18:35Alors il faut faire une distinction entre le feedback et la punition.
18:39Une erreur demande un feedback très précis pour dire « tu t'es trompé à tel endroit
18:46très particulier, il y a une étape de ton raisonnement qui ne fonctionne pas, il y a
18:49une faute d'orthographe particulière, mais ça ne remet pas en cause ce que tu es, ça
18:54ne remet simplement en cause un aspect très particulier de ce que tu as essayé de faire.
18:58» Et beaucoup d'enseignants font ça, mais il ne faut donc pas confondre l'erreur particulière
19:03et la confiance en soi qu'on a besoin de construire chez l'élève.
19:06Est-ce qu'on imaginerait, si vous apprenez à surfer, quelqu'un qui surfe sans tomber ?
19:10Ça n'existe pas, il faut absolument tomber pour mieux apprendre à surfer, c'est la
19:16règle même d'apprentissage dans notre cerveau.
19:17Vous parlez des bénéfices incroyables de la lecture pour les enfants, faites lire
19:21vos enfants tous les jours, c'est bon pour leur cerveau, mais quand un jeune à qui vous
19:25dites « lis un livre », vous répond « je suis sur Snapchat, c'est mieux », vous répondez quoi ?
19:31Malheureusement, je crois que nos cerveaux sont un peu attaqués par un certain nombre
19:35d'outils récemment, et non, ça n'est pas mieux, il y a beaucoup de données qui
19:39montrent par exemple que dans les textes écrits, on utilise des constructions syntaxiques et
19:43du vocabulaire qui est beaucoup plus élaboré que dans le langage parlé quotidien.
19:48Certes, mais comment faire face à des jeunes qui ont plus de plaisir à regarder TikTok
19:55ou Snapchat qu'à ouvrir un livre ?
19:57Ils n'ont peut-être pas connu le vrai plaisir qu'il peut y avoir à lire « Les
20:00trois mousquetaires » ou « Harry Potter » qui a eu un succès phénoménal et qui
20:05a ramené beaucoup de jeunes à la lecture, donc n'oublions pas ces livres phénoménaux
20:09qui vous inspirent.
20:10Et je pense qu'ils n'ont pas connu cet état tout à fait particulier qu'on n'explique
20:15pas encore au niveau cérébral qu'il n'y a que pendant trois heures, vous ne savez
20:17plus où vous êtes, vous ne voyez plus le temps passé parce que vous êtes plongé
20:19dans un livre.
20:20Je ne crois pas que ça existe sur TikTok, ça, pas du tout.
20:22Stanislas Lehane, il y a aujourd'hui deux acronymes qu'on entend à la sortie des
20:27écoles tout le temps, qu'utilisent les parents, c'est TDAH, mon fils est TDAH,
20:32trouble déficit de la tension avec ou sans hyperactivité, et HPI, ma fille est haut
20:37potentiel intellectuel.
20:38Qu'est-ce que vous pensez de ça, de l'un et de l'autre ?
20:41Il est important d'avoir un bon diagnostic pour certaines de ces catégories.
20:45Il n'y a aucun doute que le déficit d'attention, ça existe.
20:49Il faut quand même être très clair.
20:50Il y a des enfants qui ont vraiment besoin d'aide et en particulier de médicaments.
20:55Ritaline, par exemple, peut aider beaucoup de ces enfants.
20:58Il ne faut pas penser que c'est démoniser ou, je ne sais pas, médicaliser les enfants
21:05que de prendre en compte leurs difficultés.
21:07À nouveau, dans ce colloque récent sur la santé mentale des enfants, on a appris des
21:11chiffres absolument extraordinaires.
21:13Il y a, parmi les lycéens, si vous demandez dans les douze derniers mois, avez-vous eu
21:17des pensées suicidaires ? 24% des enfants ont des pensées suicidaires.
21:22Il faut prendre en compte cette souffrance qui existe, mais ça peut passer par des solutions
21:26assez simples.
21:27Donc, oui, le TDAH, ça existe.
21:29Oui, le potentiel intellectuel élevé, ça existe aussi.
21:32Dans les deux cas, les algorithmes d'apprentissage sont toujours les mêmes.
21:36La motivation est le cœur de l'apprentissage.
21:40Un dernier mot, Stanislas, de Anne, sur l'éloge du sommeil que vous faites.
21:45Tout de même, nous, on se lève très, très tôt.
21:47J'ai un gros sacre de chapitre.
21:48C'est plus que ça, c'est plus que c'est.
21:49Il se passe quoi ? Quand on dort ?
21:51Alors, quand on dort, on apprend, ou plus exactement, on consolide ce qu'on a appris
21:55la veille.
21:56Et un peu plus que ça, on recombine, le cerveau rejoue.
21:59C'est intéressant, vous enregistrez les neurones, vous les voyez qui recombinent
22:03les objets de la veille, dans des combinaisons nouvelles qui parfois font clic, et c'est
22:07le fameux Eureka.
22:08Mais alors, on croit que le Eureka, ça concerne des grands scientifiques.
22:11Pas du tout, ça nous concerne tous, ça existe dans le cerveau de chaque enfant.
22:14Et ça permet d'apprendre, par exemple, le sens profond des mots, ou de comprendre telle
22:19ou telle situation sociale que sur le coup, on n'avait pas à expliquer.
22:22Dommage pour nous ! Dormir un petit peu plus.
22:25C'est fini, il n'y a plus d'Eureka.
22:28Il y a une épidémie de baisse de sommeil.
22:30C'est vraiment un problème de santé publique.
22:32Il faut qu'on revienne à la raison de ce côté-là.

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