• il y a 2 ans
Ce sont les images d’une bataille qui aurait pu changer le cours de la guerre en Ukraine. Le 24 février 2022, alors que les troupes russes franchissent les frontières du pays, une trentaine d’hélicoptères du Kremlin bondés de parachutistes d’élites se dirigent vers l’aéroport d’Hostomel, à quelques dizaines de kilomètres de Kyiv. Leur objectif? Utiliser ces pistes pour faire atterrir des renforts dans la nuit du 24 au 25 février. Assez de troupes, d’après les plans de Moscou, pour prendre la capitale ukrainienne avant l’arrivée des renforts du Donbass ou que la communauté internationale ne puisse réagir. Une tentative de blitzkrieg russe, que l’état major ukrainien va rapidement comprendre, jetant toutes ses forces disponibles dans les combats.

Après son récit de la bataille d’Hostomel, CheckNews raconte avec le service vidéo de Libération ces trois jours qui ont changé la guerre en Ukraine : les images de l’assaut, des interviews d’experts, et le récit d’un parachutiste ukrainien qui a combattu à l’aéroport.

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Transcription
00:00 Ces hélicoptères russes volent au-dessus des eaux du Dniepr au nord de Kiev.
00:06 24 février 2022, c'est le premier jour de l'invasion en Ukraine.
00:11 Ils sont bourrés de troupes d'élite, des parachutistes de la 45e brigade Spetnaz,
00:18 plus généralement appelée VDV.
00:20 Leur objectif, capturer l'aéroport d'Ostomel.
00:25 À Chek News, on a interrogé des experts.
00:31 C'est un plan qui peut sembler intéressant, le problème c'est qu'il a échoué.
00:35 Retrouver des soldats qui ont pris part à cette bataille.
00:37 Ils ont lancé la première grenade.
00:39 J'ai compris qu'ils savaient qu'on était là.
00:41 J'ai donné l'ordre d'y aller.
00:42 Et rassembler les images des combats pour raconter ces quelques dizaines d'heures
00:46 où Moscou a perdu son Paris et peut-être sa guerre.
00:48 La prise de l'aéroport permet d'amener des avions,
01:01 débarquant des troupes et du matériel,
01:03 rapidement rentrer dans Kiev dans l'hypothèse d'une décapitation du pouvoir
01:08 avant que les Ukrainiens aient pu s'organiser.
01:11 Ça en tout cas, ça peut être le plan.
01:12 Pour accomplir cette mission, les parachutistes russes décollent de Biélorussie.
01:17 Longent le réservoir de Kiev et traversent le Dniepr vers les pistes d'Ostomel.
01:24 Plusieurs appareils sont abattus durant le trajet par les Ukrainiens.
01:29 Mais le gros DVD des Russes arrive à destination.
01:35 Si on le sait, c'est qu'une majeure partie de la bataille
01:37 a été filmée directement par les soldats russes.
01:39 Probablement pour alimenter de futurs films de propagande ou immortaliser l'assaut.
01:46 Après avoir débarqué, les Russes prennent possession des bâtiments.
01:50 Ils placent des missiles anti-chars, des mortiers, ils consolident leur position.
01:57 Face à la caméra, un des soldats de Moscou
01:59 attache un drapeau russe sur le toit de la tour de contrôle.
02:02 L'image des couleurs russes hissées au-dessus de l'aéroport
02:04 fera la joie de la propagande du Kremlin.
02:06 Mais elle ne reflète pas l'incertitude qui va régner à Ostomel le reste de la journée.
02:13 De l'autre côté du front, en milieu d'après-midi,
02:15 l'état-major ukrainien pense déjà avoir repris l'aéroport.
02:18 C'est le flou.
02:19 Qui contrôle réellement Ostomel ?
02:23 Un reporter de CNN se rend sur le site pour le vérifier.
02:28 Mais à 16h pile, quand ils commencent son direct,
02:30 ce ne sont pas des hommes de Kiev qu'ils croisent,
02:31 mais des parachutistes russes, bien implantés.
02:34 Les VDV, qui ont installé un lance-missile anti-char et un tireur d'élite,
02:37 scrutent vers l'ouest, en direction de Kiev.
02:41 Devant les caméras, ils ouvrent le feu.
02:43 Les combats pour l'aéroport continuent.
02:53 [Sonnerie de téléphone]
02:57 Je peux utiliser ?
02:59 Pour moi il est bien.
03:01 Anatoli est un parachutiste ukrainien.
03:03 À 18h, il décolle pour mener la contre-offensive sur Ostomel avec 42 de ses hommes.
03:08 L'aéroport est toujours occupé par les Russes.
03:10 À ce moment-là, nous savions que 18 avions-cargos russes étaient en route,
03:14 avec des troupes d'assaut et des blindés pour la prise de Kiev.
03:17 Notre mission était de ne pas les laisser atterrir.
03:20 Et pour ceux qui allaient réussir à se poser,
03:22 et bien de les détruire, purement et simplement.
03:25 On a atterri à environ 3 km de l'aéroport.
03:31 Dès qu'on a débarqué, ils nous ont tirés dessus,
03:34 avec des mortiers de 82 mm.
03:36 C'étaient des soldats professionnels.
03:39 Dans ces conditions, nous n'avions qu'une seule option, la vitesse.
03:44 Les soldats ukrainiens parviennent à atteindre le bord de l'aéroport.
03:47 Problème, ils découvrent un mur de plusieurs mètres
03:49 et des barbelés qui leur bloquent le passage.
03:51 Anatoli est le seul à posséder une pince.
03:53 Il entreprend de couper les barbelés, mais dans la pénombre,
03:56 il aperçoit plusieurs groupes de parachutistes russes de l'autre côté du mur.
04:00 Ils ont lancé la première grenade.
04:02 J'ai compris qu'ils savaient qu'on était là.
04:04 J'ai donné l'ordre d'y aller.
04:06 Je me suis mis à quatre pattes et les membres de mon groupe
04:09 ont commencé à entrer dans l'aéroport en prenant appui sur mon dos.
04:12 Et là, j'ai réalisé qu'ils étaient en train de nous tirer dessus.
04:16 Chek News a retrouvé le récit d'un VDV russe,
04:18 présent de l'autre côté du mur.
04:20 Un témoignage dans lequel Anatoli retrouve plusieurs éléments cohérents
04:23 avec les événements qu'il a vécus.
04:25 Les ukrainiens n'ont pas perdu de temps non plus
04:27 et ont fait quelques préparatifs pour passer à l'offensive.
04:29 Ils avaient coupé le barbelé à environ 150 mètres de notre position.
04:33 C'était comme un stand de tir.
04:35 Vous vous asseyez dans un confortable terrier
04:38 et vous tirez sur des cibles.
04:40 Ces cibles sont les cinq soldats d'Anatoli,
04:43 bloqués de l'autre côté du mur.
04:45 Ils sont cloués au sol par les tirs des VDV.
04:48 Les parachutistes ukrainiens tentent de riposter,
04:50 mais des grenades blessent gravement trois des hommes bloqués du côté des russes.
04:53 Tout ce bordel arrive d'un coup, simultanément.
04:57 Et des gars de l'autre côté,
04:59 comme on l'a appris plus tard, leurs blessures étaient, disons, graves.
05:03 Elles les ont conduits à une perte de sang importante.
05:06 Ils criaient fort, ce qui a beaucoup démoralisé mes soldats.
05:09 Au même moment, d'autres unités ukrainiennes
05:16 essayent elles aussi d'attaquer l'aéroport,
05:18 mais toutes subissent des pertes.
05:20 Elles se replient une à une,
05:22 les parachutistes d'Anatoli sont les derniers à se battre à l'aéroport.
05:25 Ils restent pour diriger des tirs d'artillerie
05:27 sur les forces russes qui tiennent encore les pistes.
05:30 Finalement, les soldats d'Anatoli se retirent à leur tour.
05:34 Ils laissent derrière eux trois de leurs hommes,
05:36 dont deux ne survivront pas.
05:38 Il m'était déjà arrivé de perdre des amis,
05:42 mais pas des gens qui étaient sous mon autorité.
05:44 Et encore moins avec des décisions aussi lourdes
05:47 comme l'impossibilité de sortir les corps des gars.
05:50 Ça m'a beaucoup frappé moralement.
05:54 Si c'était à refaire, j'aurais fait la même chose, à nouveau.
05:57 Mais connaissant déjà les pertes qu'on a subies,
06:00 j'aurais fait en sorte que les gars ne tombent pas.
06:03 C'est la seule chose que j'aurais changé.
06:05 Je serais monté dans cet hélicoptère,
06:07 je me serais porté volontaire pour monter dans cet hélicoptère,
06:10 mais j'aurais fait tout mon possible pour que les gars ne meurent pas.
06:13 Mais la mission ne s'arrête pas là pour les parachutistes.
06:20 Quand on est arrivé au bord du champ,
06:23 on a entendu le bourdonnement des moteurs d'avion.
06:26 Anatoli et ses hommes entendent au moins un avion cargo russe.
06:29 Des appareils qu'ils doivent à tout prix abattre.
06:31 Le soldat de son groupe équipé d'un lanceur antiaérien
06:33 scrute son radar et essaye de verrouiller la cible.
06:36 Au bout de quelques instants, le bruit des réacteurs change.
06:40 Les parachutistes ukrainiens comprennent que l'avion a fait demi-tour.
06:42 L'objectif numéro un était rempli.
06:46 Les avions russes n'allaient pas se poser à Ostomel.
06:51 Et de fait, aucun avion ne se posera à Ostomel.
06:54 Car même si les forces ukrainiennes n'ont pas réussi à prendre l'aéroport,
06:57 elles ont maintenu assez de pression sur les VDV pour bloquer leur opération.
07:02 Et en réalité, l'utilisation de l'aéroport devient impossible.
07:06 Sans prendre des risques insensés,
07:08 l'aéroport devient donc bel et bien une tête de pont de troupes russes,
07:12 mais ne permet pas de ramener ces renforts
07:16 qui eux devaient prendre des objectifs dans Kiev.
07:18 Au 25 au soir, on peut déjà dire que
07:21 l'intérêt de la prise de l'aéroport a quasiment disparu.
07:25 Les combats pour Ostomel continuent les jours suivants
07:27 jusqu'à l'arrivée tardive des renforts russes par le nord,
07:29 le 26 et 27 février.
07:31 Pourtant, la bataille est perdue.
07:34 Les colonnes russes au nord de Kiev vont progressivement s'effondrer
07:38 sous le poids de leurs insuffisances.
07:40 Insuffisance qui, encore une fois, n'aurait pas été un problème
07:43 si l'armée russe avait pu saisir Kiev dans les premiers jours.
07:46 À partir du moment où l'armée russe échoue dans ses premiers jours,
07:50 elle est condamnée à rentrer dans une guerre pour laquelle elle n'est pas bâtie.
07:53 Pire encore, Ostomel devient un enfer pour l'armée russe.
07:57 Elle y perd une centaine de véhicules à partir du 27 au soir.
08:01 Les tentatives russes d'avancer vers Kiev sont un échec.
08:03 Chaque attaque des forces du Kremlin se heurte à la résistance et la combativité ukrainienne.
08:08 Les troupes d'élite russe, comme les parachutistes, sont décimées au fil des semaines.
08:13 Après un ultime assaut raté sur la capitale,
08:16 les forces de Moscou se retirent laborieusement d'Ostomel et de toute la région.
08:22 Dès que l'aéroport est libéré, début avril, les Ukrainiens y organisent une remise de médailles.
08:28 La bataille de Kiev est officiellement perdue pour Moscou.
08:31 Poutine a perdu son pari et raté sa guerre éclair.
08:35 En réalité, cette armée russe professionnelle qui avait utilisé une partie des bénéfices de l'armée soviétique
08:42 et des stocks massifs de l'armée soviétique,
08:45 cette armée-là, quoi qu'il arrive, elle n'existera plus sous la forme qu'elle avait.
08:51 Et l'armée russe de demain, qui sera probablement un adversaire important et toujours dangereux,
08:59 en tout cas, ça ne sera pas le même.
09:01 Et ça va nécessiter des moyens considérables à la Russie pour reconstituer l'armée qu'elle a perdue,
09:07 sans parler du choc de l'humiliation qui, lui, risque de durer des mois.
09:20 Vous pouvez retrouver la version longue de cette enquête dans la rubrique TechNews de Libération.
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