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00:00 Bonsoir, Claude Blanchemaison. Merci d'être l'invité de France 24 ce soir.
00:03 Vous avez été ambassadeur de France en Russie de 2000 à 2004.
00:06 Vous avez signé en 2018 aux éditions Temporis "Vivre avec Poutine".
00:10 Cette 59e édition, cette ouverture en Russie, c'est symbolique, mais dans le même temps,
00:16 comment on aurait pu faire autrement du fait du contexte ?
00:18 Certainement, on ne pouvait pas faire autrement.
00:20 D'ailleurs, l'Iran également n'a pas été invité.
00:22 Mais on peut remarquer en effet qu'il y a 16 ans, l'invité qui soulevait toute la curiosité
00:27 était un certain Vladimir Poutine.
00:29 Le fameux discours de 1917.
00:30 Il avait d'ailleurs un petit peu déçu parce que son discours était assez négatif
00:34 en disant "bon voilà, l'Ukraine, on ne tient absolument aucun compte des avertissements de la Russie,
00:42 l'OTAN s'élargit vers les frontières russes, on n'en tient aucun compte,
00:47 donc à partir de maintenant, je vais défendre les intérêts de la Russie".
00:51 Travaux pratiques, l'année suivante, la Géorgie, avec les chars russes qui pénètrent en Géorgie.
00:56 Et puis plus tard, en 2014, la Lacrimae, en 2015, la déstabilisation du Donbass,
01:02 et la guerre qui a continué jusqu'à l'invasion de la Crimae le 24 février dernier.
01:09 Nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement était dirigé.
01:14 C'était les mots précisément de Vladimir Poutine en 2007 à ce discours de Munich.
01:18 Ce discours était justement une déclaration de guerre déguisée avec la Géorgie,
01:21 la Crimae en 2014 et l'Ukraine en 2022.
01:24 En tout cas, un avertissement.
01:26 En effet, Mme Merkel avait été choquée par les paroles, puisqu'elle était au premier rang,
01:30 elle recevait, par les paroles tenues par Vladimir Poutine, avec qui elle avait de bons rapports,
01:36 puisqu'ils discutaient ensemble dans les deux langues, en allemand, en russe,
01:40 tous les deux parlaient les deux langues couramment.
01:42 Elle avait été un peu choquée par cette sortie, parce que dans le fond,
01:46 les élargissements de l'Union européenne s'étaient très bien passés, sans que la Russie proteste,
01:51 les élargissements de l'OTAN un peu moins bien, il y avait eu des protestations,
01:54 mais dans le fond, assez verbales, il n'y avait pas eu de menaces précises.
01:58 Et là, on a vu que le ton changeait.
02:01 Peut-être que les pays occidentaux auraient dû écouter, discuter à partir de ce moment-là
02:07 et lui dire "mais quel est exactement le problème ?"
02:10 C'est difficile de discuter avec Vladimir Poutine.
02:14 Écoutez, moi j'ai eu la chance d'être ambassadeur à Moscou pendant son premier mandat,
02:19 - C'était 2000 à 2004, on le rappelle.
02:21 - Oui, tout le monde discutait avec lui, il écoutait,
02:25 il mettait en œuvre une politique pro-occidentale qu'avait engagée Yeltsin,
02:29 il s'est engagé à le faire, il a respecté cet engagement, en tout cas sur le plan extérieur.
02:33 Et en effet, la plupart des dirigeants occidentaux, que ce soit Chirac,
02:37 que ce soit le chancelier allemand, que ce soit le Premier ministre britannique,
02:41 que ce soit le président des États-Unis, W. Bush, se précipitaient pour avoir des discussions avec lui
02:48 et voir comment on pouvait coopérer avec la Russie,
02:51 et pour ce qui concernait les Européens, comment on pouvait, dans le fond,
02:54 arrimer la Russie à l'Europe, puisqu'il avait même été question,
02:57 Poutine avait été d'accord, de construire une sorte d'espace économique commun
03:03 qui aurait englobé tout l'espace de Vladivostok jusqu'à Lisbonne,
03:08 incluant donc par conséquent l'Ukraine.
03:10 - Et c'est justement pour ça qu'Emmanuel Macron, qui on s'en souvient,
03:15 au début de ses mandats, était pour parler à Vladimir Poutine,
03:20 il disait vouloir parler avec tout le monde, c'est pour ça qu'il a mis du temps à s'en détacher,
03:24 parce que, et on va l'écouter dans un instant, il l'a répété.
03:27 Aujourd'hui, l'heure n'est plus au dialogue.
03:29 - Oui, je crois qu'il a changé. Nous avons tous changé, parce que les circonstances ont changé.
03:33 - Parce que Vladimir Poutine a changé aussi.
03:35 - Parce que Vladimir Poutine a changé.
03:37 Qui imaginait, même il y a un an, huit jours avant l'invasion,
03:41 que les troupes russes allaient déferler sur l'Ukraine.
03:45 À l'époque, il y avait quelques observateurs, mais en nombre très limité,
03:49 qui disaient que ça pourrait bien arriver.
03:52 Les renseignements britanniques et américains qui écoutaient les communications militaires russes
03:57 prévenaient que ça allait probablement arriver.
04:00 Et puis c'est arrivé. Et en effet, à la surprise un peu générale,
04:05 même d'ailleurs, la façon dont ça s'est passé a été une grande surprise pour Poutine,
04:09 parce que ça s'est mal passé.
04:11 - Il pensait aussi que ça irait beaucoup plus vite.
04:13 - Il pensait surtout que les militaires avaient emporté leurs tenues de parade
04:16 pour défiler dans les chars dans les rues de Kiev.
04:18 Et puis ils se sont fait très mal accueillir, n'ont pas pu aboutir,
04:21 arriver dans le centre de Kiev.
04:23 Et par conséquent, l'opération a été complètement ratée.
04:28 - On va écouter justement Emmanuel Macron qui s'exprimait lors de cette conférence.
04:34 "L'heure n'est pas au dialogue", dit le président français. On l'écoutait, on en parle juste après.
04:39 - Pas de facilité, pas de naïveté, une vraie détermination,
04:45 la force dont nous devons l'avoir, mais aussi le courage du réengagement du dialogue
04:50 pour trouver des solutions durables.
04:52 Mais très clairement, aujourd'hui, l'heure n'est pas au dialogue,
04:55 parce que nous avons une Russie qui a choisi la guerre,
04:58 qui a choisi d'intensifier la guerre et qui a choisi d'aller jusqu'au crime de guerre
05:04 et à l'attaque des infrastructures civiles.
05:06 - Si on ne discute pas avec Vladimir Poutine, qu'est-ce qu'on fait ?
05:10 - Je crois que Macron a raison d'insister sur le fait qu'il s'agit bien d'une invasion
05:15 par la Russie de son voisin ukrainien, que c'est complètement inacceptable,
05:19 qu'en plus lorsqu'il y a des zones qui ont été occupées par l'armée russe
05:23 et qui sont reprises par l'Ukraine, on découvre des horreurs, des atrocités
05:27 qui méritent en effet... qui sont des crimes de guerre en réalité
05:30 et qui méritent d'être jugés comme tels.
05:32 - On a Poucha en tête, notamment.
05:33 - Oui, Poucha, notamment.
05:34 Donc, effectivement, l'actualité aujourd'hui, c'est la défense de l'Ukraine.
05:39 Il n'est pas question de négocier, bien entendu.
05:41 D'ailleurs, il n'y a pas de base de négociation, puisque chacun,
05:44 chacune des deux parties considère qu'elle peut gagner par des moyens militaires.
05:49 Monsieur Zelensky pense qu'il peut gagner,
05:52 c'est-à-dire qu'il peut booter hors des frontières ukrainiennes l'armée russe
05:56 et Poutine pense qu'il peut, en tout cas, au moins conquérir
06:00 les quatre oblastes qu'il a à l'excès et qu'il n'occupe pas complètement actuellement,
06:04 mais peut-être même plus, parce qu'il n'a probablement pas renoncé
06:07 à l'objectif initial de renverser le gouvernement ukrainien.
06:10 Donc, on en est là, il n'y a aucune base pour la négociation.
06:13 Donc, aujourd'hui, l'ordre du jour, c'est la guerre
06:17 et en effet, il faut aider Zelensky à gagner cette guerre.
06:21 Il n'est pas question que ce soit la Russie qui gagne cette guerre.
06:24 Alors, justement, cette aide à l'Ukraine,
06:27 elle passe notamment par la livraison de matériel militaire.
06:30 Comment expliquer que cette livraison prenne autant de temps ?
06:32 Est-ce que les Occidentaux ont justement tardé à fournir cette aide militaire ?
06:36 Je crois que les Occidentaux ont adopté une stratégie assez habile
06:40 parce qu'à chaque étape, chaque mois, ils ont évalué
06:44 quels étaient les besoins les plus urgents de l'Ukraine pour mener la bataille,
06:48 avec un souci, c'est qu'ils ne voulaient pas que la guerre sorte du territoire ukrainien,
06:54 donc qu'elle s'étende à d'autres territoires voisins,
06:56 et ils ne voulaient pas non plus que l'OTAN entre en guerre,
06:58 puisqu'à ce moment-là, ça serait la confrontation nucléaire, probablement.
07:02 Donc, c'est un jeu assez subtil.
07:04 À chaque fois que les Occidentaux ont dit "on va envoyer tel type de munitions,
07:09 tel type de canons, tel type d'armement",
07:11 à chaque fois, le Kremlin a hurlé,
07:14 les porte-parole de Moscou ont dit "vous allez franchir une ligne rouge,
07:18 c'est extrêmement dangereux, il va y avoir des rétorsions",
07:21 et puis il n'y a jamais eu de rétorsions.
07:23 Donc, effectivement, ça encourage les Ukrainiens à dire "mais les lignes rouges, il n'y en a pas,
07:27 il n'y en a pas du tout, or il y en a peut-être", et ça, on ne le sait pas,
07:30 puisque justement, c'est à chaque fois un pari,
07:33 c'est pour ça sans doute que les Occidentaux, c'est même pour ça certainement
07:37 que les Occidentaux ont avancé pas à pas, très prudemment,
07:40 en testant en effet la Russie,
07:42 et je crois qu'on peut dire que le dialogue sur la dissuasion nucléaire
07:47 entre Moscou et Washington a bien fonctionné,
07:49 c'est-à-dire que l'usage du nucléaire est exclu,
07:52 en tout cas, il est exclu sauf si la Russie était acculée à la capitulation,
07:58 mais ça n'est pas le cas, et ça ne sera pas le cas.
08:00 Donc je crois qu'on peut dire que ce dialogue a bien fonctionné,
08:03 qu'il est efficace, mais que, évidemment, avec les armes classiques,
08:07 tous les coups sont permis,
08:09 et je pense que les Russes vont être obligés d'accepter la montée en gamme
08:13 des aides occidentales à l'Ukraine,
08:15 on arrive maintenant aux blindés, aux chars,
08:18 chars légers cette semaine, chars lourds un petit peu plus tard,
08:22 et puis après, la question des avions, pour le moment c'est non,
08:25 mais la question reste ouvert, ça dépendra effectivement
08:28 si c'est vraiment nécessaire pour les Ukrainiens.
08:32 Actuellement, le plus utile, c'est d'ailleurs les munitions,
08:34 c'est quelque chose de très basique,
08:36 parce qu'ils n'ont plus de munitions, il faut les munitions,
08:38 il faut en trouver partout où il y en a.
08:40 - Précisément, on est à une semaine de l'anniversaire, si on peut dire,
08:44 en tout cas, d'un an de guerre en Ukraine,
08:47 on s'inscrit dans une guerre d'usure, finalement,
08:50 les Ukrainiens, est-ce qu'ils peuvent tenir, justement,
08:52 si les armes viennent à leur manquer ?
08:54 - Non, il ne faut pas que les armes leur manquent,
08:56 et surtout les munitions.
08:58 Or, effectivement, la difficulté, c'est que tous les pays occidentaux
09:01 croyaient qu'il n'y aurait plus de guerre de forte intensité de ce genre,
09:04 l'armée française elle-même pensait que les seules interventions
09:07 qu'elle aurait à faire étaient les interventions en Afrique
09:10 ou au Proche-Orient, où le rôle des bombardements aériens
09:13 jouait un rôle important, et par conséquent,
09:16 il n'y a pas de stock.
09:18 Et comme les "cost killers" qui sont dans les ministères
09:22 ont fait leur office, partout d'ailleurs, dans tous les pays européens,
09:25 il n'y a pas de stock, il n'y a tout simplement pas de stock.
09:28 On se joue à flux tendu, parce que ce n'était pas nécessaire
09:31 d'avoir des stocks qui seraient coûteux.
09:33 Et là, en effet, on est amené à réarmer, à activer les usines
09:39 qui fabriquent ces munitions, mais c'est très difficile.
09:42 On voit bien que la France a dû conclure un accord avec l'Australie
09:45 pour fabriquer les obus de canon qu'on ne pouvait plus fabriquer
09:48 en nombre suffisant.
09:50 - Alors, il y a eu cette actualité aujourd'hui,
09:53 cette enquête, ces révélations faites par Le Monde,
09:56 qui affirme que le groupe Auchan, qui a maintenu ses activités
10:00 en Russie malgré la guerre en Ukraine,
10:03 aurait fourni des denrées gratuitement à l'armée de Vladimir Poutine.
10:09 Est-ce que des entreprises françaises de ce type,
10:12 comme Auchan et le Roi Merlin, qui d'ailleurs appartiennent
10:14 au même groupe, Muliez, peuvent rester sur le territoire russe
10:17 sans contribuer, même indirectement, à l'effort de guerre russe ?
10:21 - On a vu qu'Auchan a démenti.
10:24 - Précision effectivement importante.
10:26 - Ce dont on l'accuse n'a pas existé.
10:29 - Donc moi, je n'ai pas de raison de mettre en doute la parole des gens d'Auchan.
10:32 - Sans mettre en doute, est-ce que des entreprises françaises
10:34 présentes sur le territoire russe peuvent ne pas contribuer,
10:38 ne serait-ce qu'indirectement, à l'effort de guerre russe ?
10:40 - C'est une question très difficile, parce que, comme vous le savez,
10:42 il y avait beaucoup d'investissements français en Russie.
10:45 La France était un des plus grands employeurs étrangers.
10:48 Et effectivement, progressivement, un certain nombre de ces activités
10:52 ont dû fermer, mais ça dépend des entreprises.
10:55 Ce sont des entreprises privées.
10:56 Et si leur activité n'est pas juridiquement sous sanction de Bruxelles,
11:00 après tout, c'est à elles qu'il revient d'apprécier ce qu'elles doivent faire.
11:04 Et beaucoup ont dû fermer parce qu'elles craignaient que leur clientèle
11:08 en France ou ailleurs en Europe leur reproche, évidemment,
11:12 d'être restées en Russie.
11:14 Par conséquent, c'est la pression de l'opinion publique
11:16 qui en fait, finit par faire le ménage.
11:18 - Dernière question.
11:20 La présence d'un autre acteur clé à cette conférence de Munich,
11:25 dans cette 59e édition, c'est la Chine, pour deux raisons.
11:28 D'abord parce qu'elle est alliée de la Russie
11:30 et que les Européens aimeraient bien se la mettre de côté,
11:33 si je puis dire, pour ce qui est de la guerre en Ukraine.
11:35 Mais aussi, la deuxième raison, c'est après cet épisode des ballons chinois
11:38 et de ce regain de tension avec Washington.
11:41 - Oui, la raison, c'est très important.
11:43 Et vous avez remarqué que le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Li,
11:46 était à Paris juste avant d'aller, de se rendre à Munich,
11:49 qu'il a été reçu par le président de la République,
11:51 qui est quand même inhabituel,
11:52 et qu'il a évidemment travaillé avec sa collègue,
11:55 la ministre des Affaires étrangères française.
11:57 Et vous avez vu qu'ils ont fait un communiqué
12:00 qui dit qu'en ce qui concerne l'Ukraine,
12:02 il fallait naturellement... C'était favorable à la paix,
12:05 mais la paix dans le respect du droit international
12:08 et de l'intégrité territoriale des États.
12:11 C'est très important que le Chinois accepte ça.
12:13 On le savait, on savait que la Chine
12:15 est pour l'intégrité territoriale des États
12:17 et pour un système international fondé sur l'intégrité territoriale des États.
12:21 C'est plus le cas de M. Poutine.
12:23 M. Poutine l'avait encore accepté dans les accords de Minsk en 2015,
12:28 sur le Donbass, qu'il n'a pas respecté,
12:31 enfin que personne n'a respecté d'ailleurs,
12:33 mais il avait respecté...
12:34 C'est très difficile pour un pays de dire
12:37 "je ne reconnais pas le principe du droit à l'intégrité territoriale",
12:40 parce que c'est le fondement, dans le fond,
12:42 de l'organisation internationale et de l'ONU.
12:44 Et le fait que le Chinois dise ça,
12:46 que le communiqué conjoint franco-chinois le précise,
12:49 est très important.
12:50 Il reste que la Chine ne veut pas condamner la Russie
12:53 et il reste que la Chine n'utilise pas
12:56 les sanctions économiques comme art de politique étrangère.
12:59 D'ailleurs l'Inde non plus.
13:01 L'Inde est un peu dans le même cas.
13:03 Et c'est vrai aussi que l'Inde comme la Chine
13:06 font des achats opportunistes, par exemple de pétrole,
13:10 parce que la Russie leur fait des restournes très importantes
13:14 et qu'elles ont des besoins énormes de pétrole.
13:16 Par conséquent, elles profitent de l'occasion,
13:18 ce qui en effet contribue à alimenter le budget russe,
13:21 qui n'en a pas tellement besoin d'ailleurs,
13:23 parce qu'il y a des réserves financières considérables.
13:25 Et à tel enseigne que Poutine a relancé
13:28 ces usines qui fabriquent des armes,
13:31 en disant "il n'y aura pas de limites budgétaires".
13:33 Merci beaucoup Claude Blanchemaison.
13:35 On aurait pu évidemment en parler encore beaucoup plus longuement,
13:38 mais le temps nous manque.
13:40 Je rappelle que vous avez été ambassadeur de France en Russie
13:42 de 2000 à 2004.
13:43 Merci d'avoir partagé avec nous votre analyse et votre expérience.