L'interview d'actualité - Françoise Vimeux

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Estelle Colin


Estelle Colin reçoit Françoise Vimeux, climatologue et directrice de recherche à l'Institut de recherche pour le développement. La France connait un de ses hivers les plus secs. 31 jours sans pluies significatives ainsi que des températures douces. Véritable record, cette saison est inédite.

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Transcript
00:00 Bonjour Françoise Vimeux, on parlait justement de météo, on parlait de la sécheresse qui sévit en France.
00:07 La France qui connaît actuellement l'un de ses hivers les plus secs, quatre semaines sans pluie,
00:13 ajouté à cela des températures très très très douces, c'est des records.
00:18 Est-ce que cette saison est inédite ?
00:21 Oui, il y a vraiment un caractère inédit, vous l'avez dit,
00:24 quatre semaines sans presque aucune pluie sur le territoire métropolitain.
00:29 On a battu le record de 1989 en termes de période sans pluie à cette saison.
00:36 Et puis on est dans un état de sécheresse pour les sols qui dure en fait depuis quasiment un an,
00:43 voire un peu plus, qui a commencé à l'hiver 2021-2022.
00:47 On a eu cette sécheresse vraiment extrême au cœur de l'été 2022.
00:51 On n'a pas eu beaucoup de pluie à l'automne et là on arrive cet hiver,
00:55 une saison où normalement il pleut, où on a vraiment un déficit flagrant de précipitation.
01:00 Sécheresse qu'on a connue bien évidemment l'été, c'est presque plus acceptable intellectuellement que l'hiver.
01:05 Alors quelles sont les conséquences immédiates de ce manque d'eau ?
01:09 Alors il y a des conséquences immédiates qui sont diverses.
01:11 D'abord on a vu par exemple dans les Pyrénées-Orientales des départs de feu
01:16 qui très probablement se sont développés à cause de la sécheresse du sol.
01:20 On a des niveaux de lacs qui sont bas et on a des lacs d'usage par exemple pour l'hydroélectricité.
01:25 Donc on s'attend à avoir des baisses de production d'électricité.
01:28 Et puis surtout on ne remplit pas nos nappes phréatiques qui se remplissent l'hiver.
01:32 Pourquoi ? Parce qu'il pleut, parce que la température est basse
01:35 et donc on limite énormément l'évaporation de l'eau du sol et de l'eau des plantes.
01:39 Et puis en parlant des plantes et de la végétation, la végétation est en dormance.
01:43 Donc elle a une demande très faible et on diminue énormément la transpiration de la végétation.
01:49 Les arbres n'ont pas de feuilles.
01:50 Vous parliez justement de ces lacs d'usage, ces lacs qui retiennent l'eau pour produire l'électricité.
01:56 C'est un vrai problème compte tenu du contexte actuel ?
01:59 Alors c'est un problème.
02:00 On sait que l'année dernière, pendant la sécheresse, au printemps et l'été,
02:05 certains lacs ont diminué tellement de niveaux que la production a été diminuée d'à peu près un quart, 25%.
02:12 Des paysages qui ont complètement changé d'ailleurs, d'une année à l'autre.
02:15 C'est ça qui est complètement surprenant.
02:17 Alors sur les lacs, on le voit bien.
02:19 Quand on compare des photos cette année, l'année dernière, avec il y a quelques années,
02:24 on voit vraiment la diminution de ce niveau des lacs.
02:26 On voit aussi ces sols très secs, même en ce moment, qui craquellent.
02:30 Donc c'est vraiment problématique.
02:32 Alors ces pluies hivernales, Françoise, elles sont extrêmement importantes.
02:36 Ces dernières semaines, il n'a pas plu ou quasiment pas.
02:39 Que va-t-il se passer ?
02:40 Alors les pluies hivernales, au-delà de remplir les nappes phréatiques,
02:43 ça permet de réhumidifier les sols après la période estivale.
02:48 Donc là, on a déjà des sols très secs, en particulier dans le sud de la France, dans les Pyrénées.
02:53 L'indice d'humidité des sols est déjà au plus bas.
02:57 On sait qu'il faudrait qu'il pleuve dans les semaines qui viennent, avant que la végétation se mette en place.
03:03 Une fois que la végétation va être en place, elle va utiliser l'eau qui va tomber.
03:07 Et donc, on risque de se retrouver dans une situation similaire à celle de l'an passé,
03:12 où encore une fois, la sécheresse de l'été a été préparée à l'hiver et au printemps.
03:18 Et donc, s'il ne pleut pas, et s'il ne pleut pas beaucoup dans les semaines à venir,
03:21 la situation risque d'être difficile, mais tout n'est pas perdu.
03:24 En fait, c'est difficile d'avoir des prévisions saisonnières,
03:27 mais il est possible qu'on ait des pluies importantes dans les semaines à venir.
03:31 Alors Françoise Lemieux, si on doit faire face justement à cette pénurie d'eau,
03:35 ce qui nous inquiète aujourd'hui, comment faire ?
03:37 Est-ce qu'il est possible, par exemple, de puiser dans les nappes phréatiques,
03:42 comme le font nos voisins ?
03:43 Alors, il y a plusieurs adaptations possibles qui doivent vraiment être réfléchies en amont,
03:48 si on pense à l'agriculture et aux cultures.
03:52 Donc d'abord, il faut réfléchir à la diversité des cultures que l'on a,
03:56 se poser la question sur la culture du maïs.
03:58 Il y a des techniques d'agroforesterie,
04:00 c'est mettre des arbres fruitiers au milieu des céréales pour couper le vent,
04:05 apporter de l'eau avec des racines qui vont être plus profondes.
04:08 Ça peut être une des solutions ?
04:10 Voilà, il y a la gestion des sols aussi.
04:11 Il faut que les sols soient en bonne santé, c'est-à-dire pas trop compactés,
04:15 avec de la matière organique, donc des organismes vivants qui se sentent bien,
04:19 qui sont heureux dans ces sols et qui font leur travail.
04:22 Et puis, il y a ce que vous avez mentionné, c'est les bassines,
04:26 où on va chercher de l'eau, normalement l'hiver,
04:30 pendant qu'elle est là pour finalement la redistribuer l'été.
04:33 C'est un sujet qui est très complexe et aussi polémique,
04:36 parce que c'est une solution, c'est une adaptation qui part d'une bonne intention
04:40 si notre climat était constant, mais notre climat varie.
04:43 Et donc finalement, ça bloque les autres adaptations possibles,
04:46 les adaptations à long terme.
04:48 Les bassines, une grosse polémique, on les a vues dans les journaux.
04:51 Recycler les eaux usées, est-ce que ça peut être une bonne solution ?
04:56 Les Italiens le font, l'Espagne le fait, mais la France, on n'est pas très bon là-dessus.
05:00 Oui, c'est une des pistes aussi, c'est recycler notre eau.
05:04 Et puis, en termes de cycle de l'eau locale,
05:07 il y a aussi le fait d'avoir une irrigation qui est vraiment surveillée,
05:11 qui est propre, où il n'y a pas de fuite, par exemple.
05:13 Donc vraiment faire la chasse aux fuites.
05:15 On parle de ce mois de mars qui arrive,
05:18 c'est un mois critique pour recharger justement la nature,
05:22 avant l'arrivée des bourgeons.
05:25 Que se passe-t-il, que va-t-il se passer s'il ne pleut pas d'ici là ?
05:29 S'il ne pleut pas, en fait, les sols vont rester secs.
05:34 La végétation va repartir avec certainement quelques difficultés.
05:38 Au niveau de la culture, on va avoir besoin d'irrigation,
05:41 donc on va avoir besoin d'irriguer assez tôt.
05:44 Donc finalement, on va quand même avoir besoin à un moment d'eau.
05:46 Donc ça pose la question de la disponibilité de l'eau,
05:49 de la pénurie d'eau, de restrictions.
05:51 On sait déjà qu'on a des restrictions aujourd'hui dans plusieurs départements,
05:54 je crois dans 60 à 70 vines.
05:57 Donc la question se pose, est-ce que ces restrictions vont être
05:59 beaucoup plus importantes que l'an passé et beaucoup plus tôt ?
06:03 Francesca Vimeu, la sécheresse qui sévit depuis quelques semaines,
06:07 risque-t-elle de nous faire revivre ces terribles incendies de l'été dernier ?
06:12 Oui, bien sûr.
06:13 La sécheresse des sols et de la végétation,
06:16 c'est un des éléments pour que les feux se propagent.
06:19 On sait que le risque d'incendie augmente avec la sécheresse,
06:22 la température et les vents.
06:24 On sait aujourd'hui que dans le cadre d'un climat qui se réchauffe,
06:26 les risques d'incendie qui étaient, je dirais,
06:29 cloisonnés au sud de la France remontent.
06:31 On a des régions comme le centre, comme le Jura ou même comme la Bretagne.
06:35 C'est ça qui est complètement surprenant, c'est que c'est plus cantonné à des régions du sud.
06:38 Exactement. On voit ce risque incendie qui se développe beaucoup plus au nord.
06:41 Et ça, je dirais que c'est évident.
06:45 Ça veut dire que ces incendies pourraient devenir,
06:48 je n'aime pas le mot, mais presque banals dans notre quotidien ?
06:51 Oui, clairement. Avec un cocktail qui est sécheresse,
06:54 surtout de la végétation, mais aussi des sols,
06:56 parce que le feu se propage par le sol,
06:59 avec des vents importants et des températures très élevées,
07:03 on s'attend à avoir des incendies nombreux pendant la saison estivale.
07:07 Mais vous avez vu, on en a aussi pendant l'hiver,
07:09 ce qui était quand même très rare sur notre territoire.
07:12 Et si tout ça est causé par le réchauffement climatique,
07:16 c'est vraiment l'huile coupable ?
07:18 Alors, ce que l'on sait, c'est qu'on va avoir des événements de sécheresse
07:23 plus intenses, plus fréquents et surtout plus longs,
07:26 sur un réchauffement qui atteindrait 3 degrés à la fin du siècle.
07:29 Ce sont les trajectoires sur lesquelles nous sommes.
07:31 On sait qu'on pourrait avoir des sécheresses de plusieurs années.
07:34 En revanche, il existe d'autres territoires
07:36 où il y a des sécheresses en ce moment, comme en Amérique du Sud,
07:39 où le changement climatique n'est pas la première cause de ces sécheresses.
07:43 C'est là la variabilité naturelle du climat.
07:46 Merci beaucoup, Françoise Wim, d'avoir été avec nous ce matin.
07:50 Merci pour votre éclairage.
07:51 Je rappelle que vous êtes climatologue et directrice de recherche à l'IRD,
07:55 et l'Institut de recherche pour le développement.

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