Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, romancier et poète, auteur de Les nuits étoilées de Vincent Van Gogh (Seghers), est l'invité du Grand entretien de ce vendredi.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 France Inter, Nicolas Demorand, le 7 9 30.
00:07 Et l'invité du grand entretien ce matin est astrophysicien, spécialiste des trous noirs.
00:12 Il est également romancier et poète, il publie aux éditions Segers « Les Nuits étoilées » de Vincent Van Gogh.
00:20 Vos questions amis auditeurs, amis auditrices, au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:27 Jean-Pierre Luminet, bonjour.
00:28 Bonjour Nicolas.
00:29 Et merci d'être à notre micro ce matin.
00:31 Ce livre est fascinant parce qu'il est le fruit d'une méditation, d'une curiosité
00:37 et d'une enquête scientifique de votre part qui remonte à plus de 30 ans.
00:41 Il entremêle deux regards sur la nuit et les étoiles, celui de Van Gogh, celui de l'art et de la peinture,
00:47 et le vôtre, celui de la science et de l'astrophysique.
00:51 Vous avez la Provence en commun, vous y êtes né, Van Gogh lui s'y installe en 1888
00:58 et il découvre cette lumière si particulière, celle du jour mais aussi de la nuit.
01:03 Dans ce livre, vous analysez en détail les rapports extraordinaires que Vincent Van Gogh a entretenus
01:09 avec la vision du ciel provençal et vous cherchez à comprendre de quelle manière il a représenté
01:16 les nuits étoilées dans ses toiles.
01:18 On va y venir.
01:19 Mais d'abord, dites-nous, pour commencer, comment se fait votre rencontre avec Van Gogh ?
01:24 Qu'est-ce qui vous a séduit, intrigué ou peut-être ému chez ce peintre ?
01:30 Merci pour cette belle présentation.
01:34 Oui, donc Van Gogh a passé les deux dernières années de sa vie la plus prolifique en Provence
01:39 où, comme vous l'avez rappelé, il a découvert la beauté du ciel provençal et surtout ses nuits étoilées.
01:47 Donc moi-même, effectivement, je suis originaire de Provence,
01:51 tout près des endroits où Van Gogh s'est installé, à Arles et à Saint-Rémy-de-Provence.
01:57 J'avais dans ma prime enfance, je vivais aussi à la campagne, entouré également de champs de blé,
02:02 je regardais le ciel également en m'interrogeant sur le ciel.
02:05 Et justement, bon, je n'avais pas de vocation d'astrophysicien encore très précoce,
02:09 mais lorsque je regardais le ciel, je voyais certes les lumières des étoiles,
02:12 mais je m'interrogeais aussi sur le noir.
02:14 Ce noir qui après a fasciné Van Gogh, comment représenter, comment peindre la nuit précisément.
02:20 Et puis j'avais aussi une activité assez tôt de dessin, je fais de l'aquarelle, de la gouache, de la peinture,
02:26 je reproduisais des paysages.
02:28 Donc j'avais effectivement ce rapport à la nature.
02:31 Alors après, j'ai découvert Van Gogh un petit peu quelques années plus tard, bien entendu,
02:35 et j'ai toujours été fasciné, évidemment, par cette façon extraordinaire dont il représentait le ciel,
02:42 le ciel nocturne en particulier, avec ses étoiles énormes, ses tourbillons dans le ciel.
02:47 - Comme des vagues !
02:47 - Oui, à se demander. Alors évidemment, je connaissais l'épisode de l'oreille coupée,
02:52 la soi-disant folie ou les crises de démence de Van Gogh.
02:55 Et je me suis rapidement posé la question, est-ce que finalement les cieux qui étaient représentés
03:00 correspondaient à une certaine réalité astronomique,
03:04 parce qu'il y avait tout de même des croissants de lune, des astres qui ressemblaient à Vénus,
03:07 ou alors est-ce que c'était le fruit de l'imagination débridée que s'est détériorée à mesure de ces crises ?
03:13 - Oui mais enfin, c'est quand même pas n'importe quelle question, parce que vous auriez pu rester
03:17 devant une toile de Van Gogh contemplatif, et vous vous dites, est-ce que les cieux,
03:24 est-ce que les constellations sont justes, sont exactes ? Et c'est là le départ de l'enquête.
03:28 - Oui, mais tout simplement parce que j'ai toujours été fasciné tout au long de ma vie par les rapports étroits
03:33 que les différentes formes d'expressions artistiques, qu'il s'agisse de poésie, de musique ou d'art plastique,
03:38 entretiennent avec les sciences du ciel, et la façon dont effectivement les créateurs dans divers domaines de l'art
03:44 s'approprient d'une certaine façon la vision du ciel, en écho ou pas avec les découvertes scientifiques de leur temps.
03:52 Donc c'est aussi l'une des justifications de cette enquête que j'ai commencée.
03:57 Elle a aussi été aidée par la lecture d'un petit ouvrage que j'ai découvert un petit peu par hasard,
04:05 au début des années 90, qui a été rédigé par un critique d'art américain, Albert Bohm,
04:12 où il faisait une hypothèse assez surprenante, qui ne se trouvait pas dans les ouvrages précédents que j'avais lus sur Van Gogh,
04:17 mais qui était précisément une hypothèse astronomique sur la nuit étoilée de Saint-Rémy-le-Provence,
04:22 en disant "eh bien, avec un logiciel de reconstitution astronomique..." - Alors on y va !
04:26 - Oui, donc on pouvait effectivement déterminer la date. - Voilà, voilà !
04:31 - J'ai lu ça, et j'ai été fasciné par l'hypothèse astronomique, forcément,
04:36 mais je n'ai pas été convaincu par la reconstitution, parce qu'il y avait des éléments qui ne correspondaient pas vraiment.
04:41 Et c'est là où je me suis lancé moi-même dans mon travail.
04:43 - Dans un travail d'enquête. Vous travaillez à partir de la correspondance de Van Gogh, d'éléments biographiques,
04:48 mais aussi à partir d'imageries du ciel reconstituées par logiciel.
04:52 Vous arrivez à savoir avec certitude l'apparence, la configuration du ciel le soir où Van Gogh a peint tel ou tel tableau.
05:03 - Oui. - Et là, c'est stupéfiant, Jean-Pierre Luminet.
05:06 - La correspondance est extraordinaire. - Voilà ! Vous constatez que les tableaux de Van Gogh sont en réalité très proches du ciel réel.
05:14 Vénus, la Lune, les constellations sont là, tels qu'il les voyait lui-même,
05:19 tels qu'elles étaient sous ses yeux à ce moment-là. C'est complètement fou.
05:25 - Absolument. Alors, un réalisme extrême de position.
05:29 Mais évidemment, les luminosités sont exacerbées.
05:31 Quand on regarde la fameuse nuit étoilée de Sérémie, les astres sont énormes évidemment,
05:35 alors qu'ils ne sont pas aussi gros dans le ciel, et colorés d'une manière incroyable.
05:39 Mais il y a ce réalisme de position. Et ça correspond.
05:41 Et toute la correspondance de Van Gogh, notamment avec son frère, explique cela.
05:48 C'est-à-dire qu'il avait un souci de représenter le réel.
05:52 C'est d'ailleurs, je le rappelle plus tard dans le livre, le motif principal de sa dispute avec Paul Gauguin,
05:58 qui va conduire effectivement au fameux épisode dramatique, où Van Gogh veut peindre d'après la réalité,
06:05 et Gauguin dit qu'il faut peindre d'imagination. Et leurs disputes tournent autour de ça.
06:09 Donc Van Gogh peint le réel, ce qu'il voit dans le ciel.
06:13 Et donc c'est une aubaine pour un astronome ou astrophysicien qui dispose de logiciels
06:17 qui permettent de reconstituer cela.
06:19 Alors le premier travail que j'avais fait, c'était effectivement sur la nuit étoilée la plus célèbre,
06:23 mais après j'ai regardé les autres œuvres qu'il a peintes avec les cieux.
06:27 Il y en a sept en tout, donc j'en parle de sept.
06:30 La toute première est intéressante, et il se pose un défi parce que pour lui,
06:35 il n'a pas de regard astronomique, il a un regard artistique sur le ciel.
06:39 Non, on ne trouve pas une seule fois le mot astronomie dans toute sa correspondance,
06:44 sa immense correspondance.
06:46 Donc pour lui, le ciel c'est autre chose, c'est une représentation de l'infini,
06:49 une représentation de l'au-delà, avec un aspect mystique.
06:52 On sait que Van Gogh a essayé de devenir pasteur à un certain moment.
06:55 À un moment, il écrit aussi "j'ai un besoin, disons, de religion,
07:00 et je sors de la nuit pour regarder le ciel".
07:04 Donc ce sont des motivations différentes évidemment de celles de l'astronome.
07:09 Mais donc ça veut dire que son pari de représenter le ciel tel qu'il le voit,
07:14 c'est un souci de réalisme.
07:17 Mais après, la découverte, parce que mon enquête va aller de rebondissement en rebondissement,
07:21 et je vais apercevoir... Alors d'abord, quand on regarde la nuit étoilée sur le Rhône,
07:25 on reconnaît immédiatement, si on n'est pas totalement nuls en astronomie,
07:28 les sept étoiles et le chariot de la grande ours.
07:31 Et puis on s'aperçoit après que le paysage terrestre
07:35 ne correspond pas du tout à la même direction,
07:37 puisqu'on peut se rendre à Arles.
07:39 C'est pas moi qui l'ai fait la première fois.
07:40 La première fois que j'ai lu ça, c'était un photographe d'Arles
07:45 qui s'appelle Raymond Martinez, qui habitait sur place,
07:48 et qui avait trouvé l'endroit où Van Gogh s'était mis.
07:50 Et il a montré qu'effectivement, la vie du paysage terrestre,
07:53 où l'on voit les rivers berges qui se reflètent dans le Rhône,
07:55 est orientée vers le sud, la grande ours est au nord.
07:58 Donc il a fait un montage.
07:59 Donc il représente de façon réaliste la partie terrestre,
08:03 de façon réaliste la partie céleste, et il les met ensemble, il fait une superposition.
08:08 Et de proche en proche, ce genre de montage, qui finalement est un travail d'atelier,
08:13 va s'accentuer au cours de son travail ultérieur.
08:16 - Voilà, parce que grâce à vous Jean-Pierre Luminet,
08:19 on entre dans la tête ou dans l'atelier de Van Gogh.
08:21 Vous parlez à propos de la nuit étoilée de Saint-Rémy,
08:25 de la triple conjonction entre observation précise, imagination et mémoire.
08:31 Vous dites que c'est un montage époustouflant
08:34 qu'il fait dans le tableau "Route" avec Cyprès et ciel étoilé.
08:38 Donc ça veut dire que Van Gogh pouvait à la fois peindre des nuits exactes,
08:43 mais aussi recomposer des toiles d'étoiles.
08:46 - Exactement, et pour des raisons purement esthétiques.
08:50 Par exemple, si on prend "La route de campagne" avec Cyprès et ciel étoilé,
08:55 qui est un peu moins connu mais qui est un chef-d'oeuvre extraordinaire,
08:57 et surtout c'est ce tableau-là qui m'a vraiment le plus étonné dans ce montage,
09:02 cela correspond à un phénomène astronomique réel auquel il a assisté,
09:05 qui est une conjonction pas si fréquente que ça,
09:09 entre un croissant de Lune, Vénus et Mercure,
09:11 tous trois visibles au-dessus de l'horizon.
09:13 Donc on le voit à l'œil immédiatement, quand on est astronome bien entendu,
09:17 et puis après on voit que le croissant de Lune n'est pas orienté du bon côté.
09:20 Alors pourquoi ? Lui qui a un souci de réalisme,
09:22 pourquoi la Lune n'est pas orientée du bon côté, etc.
09:25 Et puis, j'ai fait toute une étude, j'ai fait des lignes de symétrie,
09:29 - On les voit dans le livre.
09:31 - Oui, et puis je me suis aperçu qu'en fait,
09:33 il a bel et bien assisté à cette conjonction,
09:37 mais pour des raisons esthétiques et d'équilibre du tableau,
09:39 il a retransformé, il a mis la Lune d'un certain côté,
09:43 il a replacé Vénus et Mercure de l'autre,
09:45 et en faisant effectivement ce travail un petit peu a posteriori,
09:50 je retrouvais la configuration exacte que Van Gogh avait pu voir.
09:54 Mais après, dans son travail d'atelier, il a transformé ça pour équilibrer.
09:57 Un croissant de Lune à droite, ce qu'il fait dans plusieurs autres tableaux,
10:01 à gauche pour équilibrer, il a mis Vénus,
10:04 alors que normalement elle aurait dû être à droite, et ainsi de suite.
10:06 Donc c'est toujours un souci purement formel d'esthétique et d'équilibre.
10:11 Et un travail sur la couleur extraordinaire,
10:13 et il y a des symboles sur le cyprès, etc.
10:15 - Vous citez cette phrase de Van Gogh,
10:17 "Encore une fois, je me laisse aller à faire des étoiles trop grandes",
10:20 qui est une phrase, je trouve, géniale.
10:23 Qu'est-ce que ça veut dire, selon vous, cette phrase ?
10:25 Que les étoiles étaient pour lui une difficulté majeure,
10:30 éventuellement une souffrance,
10:35 quand il s'agit de travailler pour lui, comme peintre,
10:38 un objet de recherche épuisant ?
10:40 - Alors souffrance, je n'irai pas jusque-là,
10:42 mais en tout cas, une question, un défi, un défi artistique,
10:47 qui remonte bien avant les Nuits étoilées,
10:49 puisque déjà avant de venir en Provence,
10:51 il avait fait notamment les Mangeurs de Pommes de Terre,
10:54 qui sont des scènes qui se passent dans le noir,
10:56 et il commence à se poser la question, comment peindre le noir ?
10:59 Et dans sa correspondance, "Nombreuses Lettres",
11:01 il explique à son frère, à sa sœur,
11:05 "Pour moi, le noir, peindre le ciel,
11:07 ça ne consiste pas à mettre des points blancs sur un fond noir".
11:09 Et là, il va faire des découvertes géniales,
11:11 ce bleu cobalt qu'il va mettre dans ces Nuits,
11:13 alors que la Nuit n'est pas bleu cobalt, effectivement.
11:15 Et puis les couleurs incroyables qu'il met aux étoiles.
11:18 Alors effectivement, dès qu'il arrive, dès qu'il débarque à Arles,
11:21 au mois de février 1888, il y a le Mistral, donc le ciel est clair,
11:24 et il voit ces étoiles.
11:26 Il a une vision colorée extraordinaire,
11:28 ce qui est stupéfiant dans sa correspondance,
11:30 c'est le chromatisme de couleurs qu'il utilise.
11:33 L'œil humain, il voit quelques couleurs,
11:35 quand on est exercé par une belle nuit claire,
11:38 on voit qu'il y a des étoiles, un peu jaunes,
11:40 certaines un peu bleues, d'autres oranges, et puis c'est tout.
11:42 Et lui, il fait des descriptions époustouflantes,
11:45 il parle de Myosotis, de Lilac...
11:47 - Alors, extrait, Jean-Pierre Luminet,
11:49 de la correspondance de Van Gogh avec son frère Théo,
11:52 "Souvent, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour,
11:57 colorée des violets, des bleus et des verts les plus intenses.
12:01 Lorsque tu y feras attention,
12:03 tu verras que certaines étoiles sont citronnées,
12:06 d'autres ont des feux roses, verts, bleus, myosotis.
12:10 Et sans insister davantage, il est évident
12:13 que pour peindre un ciel étoilé,
12:15 il ne suffit point du tout de mettre des points blancs sur du noir bleu."
12:21 Voilà, donc tout est dit, la nuit pour Van Gogh n'est pas noire.
12:25 - Oui. - Et pour vous non plus.
12:26 - Et c'est le symbole, oui.
12:27 La nuit, après, c'est tout le symbole,
12:29 je répète, le symbole de l'infini, le symbole de l'au-delà.
12:32 Et le lien, c'est Cyprès qui revient, effectivement,
12:35 comme allait le motif dans beaucoup de ce tableau.
12:37 Ce Cyprès pointé vers le ciel qui relie la terre et le ciel.
12:40 - Vous en faites le symbole de la vie et de la mort.
12:43 - Et le présent, un symbole, c'est l'un des symboles de la vie et de la mort,
12:47 mais pas seulement.
12:48 Alors, il y a aussi cette célèbre citation
12:51 où il parle du train qui va de Tarrascon à Paris
12:55 et qui, d'une certaine manière,
12:57 c'est aussi une sorte de train qui conduit vers les étoiles.
13:01 Et il pense que les étoiles, évidemment, c'est l'au-delà.
13:03 Et peut-être une idée pythagoricienne,
13:05 parce qu'il ne faut pas oublier que Van Gogh est extraordinairement cultivé,
13:09 comme on le lit dans sa correspondance, en littérature, en histoire de l'art.
13:13 Donc, il a de très riches références.
13:15 Donc, pour lui, effectivement, le ciel représente une forme d'au-delà
13:19 où peut-être les âmes des défunts seront là.
13:22 Donc, il y a ce côté mystique qui l'accompagnera toujours.
13:26 - Alors, j'ai cité cette correspondance,
13:30 "Les étoiles citronnées sur les étoiles citronnées",
13:33 et sur cette couleur, le jaune, vous citez le philosophe Gaston Bachelard
13:38 qui dit du jaune chez Van Gogh qu'il est comme un or alchimique,
13:42 un or à jamais individualisé par les interminables songes du génie.
13:48 C'est magnifique.
13:49 Il n'appartient plus au monde, mais il est le bien d'un homme,
13:53 le cœur d'un homme, la vérité élémentaire trouvée
13:57 dans la contemplation de toute une vie.
14:00 C'est aussi ça, une étoile, chez Van Gogh, selon vous, Jean-Pierre Luminet,
14:04 le cœur d'un homme, la contemplation de toute une vie.
14:07 - Oui, oui, oui.
14:08 Bachelard a magnifiquement capté, chez ses grands créateurs,
14:12 puisqu'il parle aussi de Baudelaire et quelques autres génies de cette époque-là,
14:16 le rapport complexe qu'il y a entre l'imagination et le rêve.
14:20 Il y a une partie onirique, effectivement, et après, dans l'état de veille,
14:24 comment cette partie onirique, avec un travail à la fois d'imagination,
14:29 mais également de synthèse et de restructuration du rêve,
14:32 des œuvres absolument extraordinaires sortent.
14:34 Et je crois qu'il avait très bien capté aussi ce cœur de Van Gogh qui vibre.
14:40 Il devait aussi beaucoup rêver.
14:42 - Si vous me permettez, je reviens aussi sur la phrase où Van Gogh doute de lui-même.
14:49 « J'ai fait encore une fois de plus des étoiles trop grosses ».
14:52 Alors c'est vrai qu'elles sont extrêmement grosses.
14:53 Ce qui me touche beaucoup et ce qui me rapproche aussi de Van Gogh,
14:58 c'est parce que ça veut dire que c'est un chercheur qui doute.
15:01 Et pour moi, le chercheur, quelles que soient les disciplines dans lesquelles on travaille,
15:05 le chercheur doit douter.
15:07 Et c'est ça qui est bouleversant chez Van Gogh.
15:09 Il n'est pas sûr de lui et donc il est en recherche permanente pour s'améliorer.
15:13 - Qu'est-ce qu'il vous a appris Van Gogh sur la nuit et les étoiles que vous ne saviez pas ?
15:18 - Il anticipe par justement ces représentations extrêmement colorées du ciel
15:29 que l'œil humain ne peut pas voir.
15:30 Il anticipe peut-être les images extraordinaires qui sont captées aujourd'hui par les grands télescopes.
15:36 Le Bulls-Base Telescope et maintenant le James Webb Telescope,
15:39 où on nous montre des paysages célestes absolument incroyables,
15:41 évidemment que l'œil humain ne peut pas voir,
15:43 mais avec des couleurs incroyables.
15:45 Et il anticipe parce qu'en fait les couleurs obtenues par ces grands télescopes
15:49 sont souvent des couleurs qui sont retravaillées
15:52 parce que les couleurs simples du ciel ne sont pas aussi riches que cela.
15:56 Et donc c'est une sorte également de prémonition que Van Gogh a
16:00 sur la richesse colorée de l'univers.
16:02 - On va passer au Standard Inter où nous attend Sylvie que je salue.
16:07 Bonjour et bienvenue.
16:08 - Bonjour, bonjour France Inter, bonjour Monsieur Luminez.
16:11 Alors, bonjour, j'habite à Paris, donc je connais les lumières du sud,
16:18 mais je ne peux pas en profiter.
16:19 Et moi, je me pose la question des pollutions lumineuses dans la ville,
16:23 car pour moi, les cieux étoilés, c'est un des plus beaux paysages
16:27 que peut nous donner la nature.
16:29 Et comme on est énormément d'urbains,
16:32 je voulais savoir si c'est pour vous un enjeu aussi peut-être sociétal
16:39 de lutter pour la diminution de la pollution lumineuse dans les villes.
16:43 - Merci, merci Sylvie.
16:45 Question très importante, effectivement.
16:47 Est-ce que notre époque n'est pas marquée par le recul du règne de la nuit,
16:53 Jean-Pierre Luminez ?
16:54 Que répondez-vous à Sylvie ?
16:55 - Absolument, c'est une très bonne question et très pertinente.
16:58 Il y a, je l'ai écrit dans d'autres textes aujourd'hui,
17:02 une perte de ce que j'appelle le sentiment cosmique,
17:04 c'est-à-dire une perte de contact que l'homme avait toujours eu dans le passé avec le ciel.
17:08 La cause, évidemment, de la pollution.
17:10 Quand je parle de pollution, c'est essentiellement la pollution lumineuse, bien entendu.
17:15 Les gens qui vivent dans Paris, même si le ciel est clair, ne voient pas le ciel.
17:19 On ne voit plus la violeur.
17:20 - Mais le sentiment...
17:22 - Qui n'ont jamais vu la Voie lactée, par exemple.
17:23 - Le sentiment cosmique, c'est quoi ?
17:26 - C'est ce rapport, en fait, intime et profond qui nous lie,
17:31 pauvres petits êtres de poussière sur la Terre,
17:34 à ce très vaste ciel qui nous entoure.
17:36 Alors, l'astrophysique...
17:37 Alors, évidemment, il y a des rapports mystiques, éventuellement religieux, philosophiques,
17:42 qui ont été déclinés, et artistiques, poétiques.
17:44 Mais après, l'astrophysique a établi d'autres rapports plus profonds,
17:47 notamment le fait que nous sommes poussières d'étoiles,
17:49 nous sommes constitués de la matière fabriquée par des étoiles.
17:51 Tout cela, ça a été écrit amplement dans d'autres ouvrages.
17:54 Et c'est ça, en fait, le sentiment cosmique,
17:56 qui nous redonne une sorte de sens dans notre position,
17:59 dans notre place dans l'univers.
18:01 Peut-être que nous sommes seuls, peut-être pas, c'est une autre question.
18:05 Van Gogh se posait certainement la question.
18:07 N'oublions pas que Van Gogh était contemporain du grand vulgarisateur de l'époque,
18:10 qui était Camille Flammarion.
18:11 On ne sait pas s'il l'avait lu, peut-être pas,
18:14 si certains avaient fait cette hypothèse-là,
18:15 mais Camille Flammarion était le chantre de l'hypothèse de la vie extraterrestre.
18:20 Donc, c'est une question qui est fascinée, déjà, à cette époque-là.
18:23 Et voilà, donc ce sentiment cosmique, c'est cela.
18:26 Et il y a une perte un peu dramatique, je trouve, du sentiment cosmique.
18:29 Il faut aller dans le désert, en mer, en montagne, pour voir à nouveau le ciel.
18:35 - On est au Standard avec Frédéric maintenant. Bonjour, bienvenue !
18:38 - Oui, bonjour Inter, monsieur Luminé.
18:40 Bonjour. On nous raconte donc que l'univers serait né
18:43 d'une sorte de technilo, difficile à comprendre
18:46 pour les représentations de nos petits cerveaux humanoïdes.
18:49 Mais cela étant, l'univers évolue, il vit, il se transforme,
18:56 il y a de la violence, il y a des prédateurs.
18:58 Donc peut-on imaginer qu'après avoir eu un début un petit peu inexpliqué,
19:02 peut-il avoir une fin linéaire ou bien est-il condamné à un cycle de mort et de renaissance ?
19:07 - Merci Frédéric pour cette question très profonde.
19:10 Si l'univers a une fin, on n'est pas pressé.
19:12 Mais Jean-Pierre Luminé va vous répondre.
19:15 - Oui, donc là on sort effectivement de Van Gogh,
19:20 pour aborder effectivement l'une des questions les plus fascinantes,
19:23 justement, qui est rapport à notre sentiment cosmique.
19:25 Qu'est-ce qu'on fait dans cette histoire de l'univers ?
19:28 Pendant des siècles, on pensait que l'univers était éternel,
19:30 il n'a pas été créé, par exemple.
19:32 Bon, après, avec les fameux modèles de Big Bang,
19:35 il y a, il semblerait qu'il puisse y avoir un début assez singulier
19:38 et effectivement encore mal compris, qui serait le Big Bang,
19:41 un état initial extraordinairement concentré,
19:44 à partir duquel notre univers serait rentré en expansion.
19:47 Donc il y aurait peut-être un début,
19:49 encore que ces hypothèses-là commencent à être rediscutées,
19:51 j'en parle notamment dans un de mes livres précédents
19:53 qui s'appelle "L'écume de l'espace-temps" que j'ai publié en 2020,
19:56 avec une nouvelle théorie de la physique contemporaine que nous développons,
19:59 où on commence à envisager, à supprimer ce début bizarre et singulier,
20:03 et à commencer à envisager des scénarios d'avant le Big Bang.
20:06 Donc il n'y aurait peut-être pas de début du temps.
20:08 Quand y a-t-il une fin du temps ?
20:11 - Il n'y aurait pas de début du temps.
20:12 - Oui.
20:13 - Vous dites ça comme si ça allait de soi.
20:16 Vous imaginez, pour reprendre les mots de notre auditeur,
20:19 pour nous, pour nos cerveaux d'humanoïdes,
20:22 c'est quand même un ébranlement ce que vous venez de dire.
20:24 - Peut-être que c'est l'idée d'un début du temps
20:27 qui est peut-être plus perturbante pour le cerveau,
20:31 un cerveau humanoïde.
20:32 Mais d'ailleurs c'est la raison pour laquelle le grand promoteur,
20:35 le fondateur de la cosmologie moderne qui s'appelle Georges Lemaitre,
20:39 qui a été le premier à proposer un début du temps
20:42 dans ce qu'il appelait l'atome primitif,
20:44 et qui se deviendra plus tard le Big Bang.
20:46 Initialement, personne ne l'a cru.
20:48 Les grands physiciens de l'époque, au premier rang des K.Lanshine,
20:51 pensaient que l'univers n'avait pas de début du temps.
20:53 Donc c'était plutôt l'histoire du début du temps qui pose question.
20:57 Bref, aujourd'hui la question reste ouverte évidemment.
21:01 Et puis pour le futur de l'univers,
21:02 actuellement il semblerait que l'univers soit en expansion perpétuelle, accélérée.
21:07 Et nous ne sommes pas encore certains si cela va se perdurer à jamais.
21:12 Donc un univers éternel dans le futur également,
21:16 ou est-ce qu'un jour l'univers va se recontracter ?
21:18 On verra bien.
21:20 Antoine, sur l'application de France Inter,
21:22 avez-vous envisagé que Van Gogh ait pu être myope ?
21:27 Un myope non corrigé, dit-il,
21:29 ce qui expliquerait donc le type de représentation qu'il a du ciel et des étoiles.
21:35 Je n'en dis pas un mot dans mon livre,
21:38 j'avais lu brièvement quelque chose à ce sujet,
21:41 ça ne m'avait pas convaincu, donc je n'ai pas développé.
21:44 Après, je ne suis pas ophtalmologue, je ne sais pas quels sont les caractéristiques...
21:49 Vous êtes romancier-pogue d'astrophysicien, vous ne pouvez pas tout faire.
21:53 Est-ce qu'un myope a cette vision aussi colorée ?
21:56 Ça, il faudra que je demande effectivement un jour à un ophtalmologue.
21:59 On repart au standard où Laurent nous appelle de Metz.
22:01 Bonjour Laurent !
22:03 Bonjour, je vous appelle avec sous la main.
22:05 Le ciel aux jumelles.
22:07 Ma question est relative à l'éducation, à l'environnement terrestre
22:12 qu'on enseigne au CE1 et au CE2.
22:15 Pourquoi ne pourrait-on pas aussi enseigner aux enfants
22:18 avec sa beauté la découverte du ciel ?
22:21 C'est un peu compliqué par rapport aux horaires scolaires
22:24 quand il commence à faire nuit,
22:25 mais c'est vrai que c'est une vraie poésie.
22:27 Personnellement, pendant le confinement,
22:30 j'avais acheté des jumelles astronomiques
22:33 et c'est vrai que pendant le confinement,
22:35 c'était un moment incroyable sur une terrasse avec un trépied
22:38 apprendre à découvrir.
22:39 Il y a une carte du ciel,
22:40 il y a un site qui s'appelle Stellevision sur Internet.
22:43 Vous avez la carte du ciel de tous les jours
22:45 et vous pouvez remonter dans le temps.
22:47 Il y a des bouquins qui vous permettent,
22:50 avec des schémas très simples,
22:52 selon l'orientation de votre terrasse,
22:57 toute période de l'année,
22:59 d'apprendre à connaître les constellations,
23:02 que ce soit la plus simple Orion, la Grande Ourse.
23:06 Donc avec des schémas très simples,
23:08 on pourrait enseigner ça.
23:09 La question que je me pose,
23:10 c'est à quel âge peut-être les créations naturelles ?
23:12 - A quel âge commencer effectivement, Laurent ?
23:14 Merci pour cette question Jean-Pierre Luminaire.
23:16 - Je ne pouvais pas dire.
23:17 Il faudrait commencer le plus tôt possible.
23:20 C'est vrai que c'est parfois difficilement incompatible
23:23 avec certains programmes,
23:24 surtout s'il s'agit d'observations du ciel nocturne.
23:27 Mais parfois, il y a des phénomènes qui se passent de jour,
23:31 ce sont les fameuses éclipses.
23:33 Ce serait des occasions extraordinaires,
23:35 sur le plan pédagogique,
23:36 de faire observer aux enfants des écoles,
23:40 des éclipses, équipés de lunettes, etc.
23:44 pour voir cet extraordinaire phénomène des éclipses.
23:47 Or, qu'est-ce qui se passe ?
23:48 Il s'agit d'un véritable problème
23:49 dans les programmes d'éducation.
23:51 Lors des deux ou trois dernières éclipses totales de soleil,
23:54 qu'on avait pu regarder,
23:56 il y avait des consignes de l'Éducation nationale
23:58 de laisser les enfants enfermés, volés, fermés,
24:01 dans leur classe,
24:02 pour éviter qu'il y ait un moindre accident oculaire
24:05 en regardant le ciel.
24:06 Alors qu'il y avait une opportunité extraordinaire
24:08 de faire découvrir aux enfants les merveilles du ciel.
24:11 Pareil, également, l'observation du ciel aux jumelles
24:14 apporterait beaucoup de choses.
24:15 Je ne sais pas quelle personne aujourd'hui
24:17 savent reconnaître le béaba des constellations
24:20 comme Orion, la grande ours.
24:23 Merci Jean-Pierre Luminet d'avoir été au micro d'Inter.
24:27 Je vais vous laisser la conclusion.
24:28 C'est le poème qui ouvre ce livre et qui est de votre main.
24:35 « Voici donc un monde merveilleusement simple,
24:37 mais cerné d'inconnus.
24:38 Ce monde dont le commencement et la fin
24:40 restent dans une ombre surnaturelle,
24:42 blanche, traînée de vapeur,
24:44 jetée sans direction dans l'espace,
24:46 entre elle des déserts où toute lueur se perd,
24:49 incessamment des mondes croulent
24:51 sans que jamais se vide le ciel. »
24:53 Merci Nicolas.
24:54 Merci à vous d'avoir été là à lire
24:57 c'est une enquête, c'est un livre profond,
24:59 c'est un livre poétique et c'est un livre d'art.
25:02 Toutes les toiles que vous analysez de Van Gogh
25:06 sont évidemment reproduites dans le livre publié chez Segers.