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Nous vivons un temps politique et social difficile.
Alignant en peu de temps, pandémie, guerre aux portes de l’Europe, inflation et réformes néo-libérales (travail, chômage et maintenant retraites) qui abîment la vie et poussent des millions de personnes à opérer un bras de fer avec le gouvernement depuis des semaines.

Un mouvement syndical qui s’élargit socialement en appelant désormais à déferler sur le pays le week-end, notamment samedi dernier (reportage à voir sur LE MÉDIA), avec comme objectif de pouvoir compter le maximum de participants et en faire un argument sur la table des négociation… tandis que certaines franges syndicales, comme la CGT Énergie dont on avait par ailleurs reçu un de ces porte-paroles ici-même, optent de plus en plus pour des modes d’actions qui flirtent avec le cadre légal, voire qui le dépasse totalement.

Les noms d’oiseaux fleurissent alors dans la bouche du pouvoir : on parle de prise d’otage pour les uns, d’éco-terrorisme pour les autres. On arrête et on place des militantes en GAV pour de la craie effaçable à l’eau sur une porte de l’AN, on condamne avec la plus grande fermeté le moindre blocage ou ralentissement que la grève occasionne, on écrase le moindre mot de travers, le moindre appel à la mobilisation qui pourrait gêner le bon court d’un système, d’un monde qui pourtant est la source de ses propres malheurs que sont ces remous, ces expressions populaires d’aspiration à une forme de liberté.

Et alors que le mot blocage est dans tous les esprits sur toutes les lèvres (du combat contre la RR, aux militants écolos contre les mines de charbon allemand), pour mon invité de ce soir, ce qui est à la base historique des pratiques syndicales, c’est le sabotage.

Un mot lourd, désormais péjoratif, faisant référence à la violence.

Dans son dernier ouvrage, il nous en raconte l’histoire avec un grand H.
Victor Cachard est l'invité de notre journaliste Cemil Şanlı pour ce nouvel entretien d’On s’autorise à penser.

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Transcription
00:00 Nous vivons un temps politique et social difficile,
00:03 alignant en peu de temps pandémie, guerre aux portes de l'Europe,
00:06 inflation et réformes néolibérales,
00:08 travail, chômage et maintenant retraite,
00:10 qui abîment la vie et poussent des millions de personnes
00:12 à opérer à un bras de fer avec le gouvernement depuis des semaines.
00:15 Un mouvement syndical qui s'élargit, on l'a vu, socialement,
00:18 en appelant désormais à déferler sur le pays le week-end,
00:21 notamment samedi dernier.
00:22 Allez voir le reportage que j'ai réalisé à Paris avec Django
00:25 pour le week-end dernier du coup, pour le Média,
00:27 avec comme objectif de pouvoir compter le maximum de participants
00:32 et en faire un argument à placer sur la table des négociations.
00:35 Tandis que certaines franges syndicales,
00:37 comme la CGT Énergie dont j'avais d'ailleurs ici reçu un des porte-paroles,
00:42 optent de plus en plus pour des modes d'action
00:45 qui flirtent avec le cadre légal, voire qui le dépassent totalement.
00:48 Les noms d'oiseaux fleurissent alors dans la bouche du pouvoir,
00:51 on parle de prise d'otages pour les uns,
00:53 d'éco-terrorisme pour les autres.
00:55 On arrête et on place en garde à vue des militantes
00:58 pour de la craie effaçable à l'eau sur une porte de l'Assemblée nationale.
01:01 On condamne avec la plus grande fermeté le moindre blocage
01:04 ou ralentissement que la grève occasionne ici et là.
01:07 On écrase le moindre mot de travers, le moindre appel à la mobilisation
01:10 qui pourrait gêner le bon cours d'un système,
01:13 d'un monde qui pourtant est la source de ses propres malheurs,
01:16 que sont ces remous, ces expressions populaires
01:18 d'aspiration à une forme de liberté.
01:21 Et alors que le mot blocage est dans tous les esprits,
01:23 sur toutes les lèvres, du combat contre la réforme des retraites
01:26 aux militants, aux écolos, contre les mines de charbon allemand,
01:28 pour mon invité de ce soir,
01:30 ce qui est à la base historique des pratiques syndicales,
01:33 c'est le sabotage.
01:34 Un mot lourd, désormais péjoratif,
01:36 faisant référence à la violence.
01:38 Dans son dernier ouvrage, il nous raconte,
01:40 il nous en raconte l'histoire avec un grand H,
01:43 j'accueille Victor Cachard pour ce nouvel entretien
01:45 dont s'autorise à penser.
01:47 Mais on s'autorise à penser dans les milieux autorisés.
01:52 Alors ça c'est enfin un autre truc !
01:54 Les milieux autorisés, vous y êtes pas, vous !
01:57 Bonsoir Victor Cachard.
02:09 Bonsoir.
02:10 Merci Dorak, c'était mon invitation ce soir.
02:11 Alors, on va aborder ensemble un sujet bien complexe
02:14 et très étendu, on le voit dans votre ouvrage,
02:17 mais nous n'avons que 30 minutes à passer ensemble.
02:19 Alors, donc en avant, les frustrations qui viendront,
02:21 j'imagine, nourrir l'intérêt et les appétits
02:25 pour votre ouvrage que je tiens ici.
02:26 Alors, l'histoire du sabotage, le sous-titre c'est
02:29 "Des traînes savates aux briseurs de machines"
02:31 que vous publiez aux éditions Libre,
02:33 en parallèle duquel vous proposez un autre livre,
02:36 un second, "Émile Pouget et la révolution par le sabotage".
02:39 Alors, l'histoire de ce journaliste et militant anarchiste
02:42 qui, au 19ème siècle, avec des syndicalistes,
02:45 a théorisé le sabotage pour lutter contre les pratiques
02:48 jugées alors de rapaces du patronat.
02:50 Pour commencer, une question toute simple,
02:53 mais importante pour comprendre de quoi on parle.
02:55 Qu'est-ce que le sabotage ? En quelques mots.
02:57 Oui, alors le sabotage est une tactique révolutionnaire
03:00 qui apparaît à la fin du 19ème siècle
03:02 sous la plume d'Émile Pouget,
03:04 précisément, qui est adoptée par la CGT
03:08 officiellement en 1897, lors du 3ème congrès de Toulouse.
03:12 Et le sabotage est pensé comme une tactique inédite
03:16 qui permet de résoudre le problème de l'inefficacité
03:19 de deux anciennes pratiques que sont,
03:21 tout d'abord, la grève, qui est très rapidement
03:25 jugulée et matée par des briseurs de grève,
03:27 donc des pauvres miséreux qui sont prêts
03:29 à vendre leurs forces de travail à n'importe quel prix,
03:32 et la tactique de la propagande par le fait
03:36 qui est utilisée par les anarchistes
03:37 et qu'on résume peut-être de manière caricaturale
03:40 et à tort aux attentats.
03:41 Mais il y avait tout un panel et toute une mosaïque d'action,
03:44 en réalité, qui était pratiquée par les anarchistes.
03:48 Et le sabotage vient comme cette pratique intermédiaire
03:51 entre grève et propagande par le fait,
03:53 pour introduire et importer la lutte
03:56 au cœur du monde du travail,
03:57 et ne plus voir la grève comme une passivité
04:04 à l'égard de la production économique.
04:06 - Alors pourquoi plus précisément, vous, Victor,
04:10 vous intéressez à ce point, presque de manière chirurgicale,
04:12 quand on vous lit ?
04:13 Alors, même si vous faites l'effort que ça se lise
04:15 un peu comme un roman, enfin, quelque chose comme une histoire,
04:18 mais il y a tellement de références, d'archives
04:20 dans votre livre, de détails.
04:21 Pourquoi vous vous intéressez à ce point, au sabotage ?
04:23 Qu'est-ce qui vous passionne dans ce milieu-là ?
04:26 - Il y a plusieurs raisons.
04:27 Je dirais que la première, c'est qu'actuellement,
04:29 il y a un vide sur ce sujet.
04:31 Il y a une seule monographie de Sébastien Albertelli
04:35 sur le sabotage, mais qui focalise son étude
04:38 sur le sabotage pendant la Deuxième Guerre mondiale.
04:42 Et mon objectif, c'était de montrer que le sabotage
04:45 tel qu'on se le représente dans l'imaginaire populaire,
04:51 n'est pas cette résistance intérieure à l'occupant.
04:56 Il y a le sabotage et pensée de manière
05:01 précise contre la rapacité patronale
05:05 au début du XXe siècle, fin du XIXe.
05:08 Et c'est une spécificité, finalement,
05:10 du syndicalisme révolutionnaire.
05:12 - C'est vrai que quand on parle de sabotage,
05:14 en France tout du moins, on a tout de suite ce référentiel
05:16 aux résistants et résistantes françaises,
05:19 d'ailleurs, on croit que tout le monde l'était à ce moment-là,
05:21 qui venaient dynamiter les ponts pour empêcher les nazis de passer.
05:24 - Tout à fait, oui.
05:24 Il y a une évolution du terme parce que,
05:27 tout simplement, la pratique est très plastique.
05:29 Elle évolue au cours du temps.
05:30 Et de même, aujourd'hui, le sabotage est particulièrement
05:33 présent dans les luttes écologistes et environnementales,
05:35 alors qu'à l'origine, c'était vraiment dans le cadre
05:38 du monde du travail.
05:40 Et ce n'est que dans un second temps,
05:43 suite à plusieurs éléments historiques,
05:46 que la pratique s'est reconfigurée, s'est remodelée.
05:49 - Bien sûr.
05:50 Alors, vous en parlez dans la première partie de votre livre
05:52 comme d'un ancêtre du sabotage, le ludisme.
05:56 Alors, ce terme fait en référence à l'organisation et aux actions
05:59 d'ouvriers et d'ouvrières, du goût des ludites,
06:02 ces ouvriers révoltés en Angleterre du début du XIXe.
06:05 Alors, hostiles à ce moment-là à la mécanisation
06:07 et au début de l'industrialisation de leur travail,
06:11 identifiés alors comme autant de problèmes et de facteurs
06:14 qui causent le chômage et donc la misère, etc.
06:16 L'occasion, du coup, de montrer cet ouvrage qu'on m'a prêté hier,
06:19 cet ouvrage que je tiens à ma main,
06:21 La révolte ludite, briseur de machines à l'ère de l'industrialisation,
06:25 par cœur Patrick Sahil, aux éditions L'Échappé,
06:27 en français cette fois-ci, que ma collègue Lisa m'a fait découvrir
06:30 pour aller plus loin, je pense c'est intéressant,
06:31 parce que vous en parlez, mais pour aller plus loin encore,
06:34 ça va beaucoup plus loin vu que c'est centré sur ça.
06:37 Alors, pour en revenir à notre discussion,
06:40 pour vous, est-ce que cette période-là, cette histoire-là,
06:42 vu que vous en prenez quand même une note dans votre ouvrage,
06:44 c'est l'ancêtre du sabotage ?
06:46 C'est là, c'est la source qui sera ensuite théorisée ?
06:48 Parce qu'il y a l'acte qui vient avant le terme et la théorie.
06:51 Alors, effectivement, c'est une forme, le ludisme,
06:53 qui apparaît en 1811-1812 par des ticherans qui sabotent,
06:58 enfin qui s'en prennent, qui détruisent des métiers attichés,
07:03 que leur imposait des entrepreneurs.
07:08 Cette forme d'attaque contre l'outil de travail
07:14 est une forme, je dirais, de proto-sabotage.
07:17 Cependant, c'est toujours délicat de rapprocher des époques éloignées
07:21 entre elles, avec un contexte politique et social, économique différent,
07:25 puisque là, on est vraiment au début du 19e.
07:29 Et je dirais que le ludisme...
07:38 Enfin, voilà, c'est délicat parce qu'en fait,
07:40 Émile Pouget, qui est donc à théoriser le sabotage,
07:43 plus tard, on ne sait pas s'il avait connaissance ou non
07:46 de l'histoire de ces révoltes ludiques.
07:51 Et pourtant, il s'est exilé en Angleterre en 1883.
07:59 Et à partir de là, il a sans doute eu connaissance du terrain social anglais.
08:05 - Il n'y avait pas Internet à l'époque.
08:07 C'est une blague, mais rappelons que l'information ne passait pas aussi rapidement à l'époque.
08:10 Internet, il n'y en avait pas là.
08:12 - Oui, il y avait une espèce de clandestinité dans les journaux.
08:14 Et on ne sait pas s'il a eu connaissance ou pas du ludisme,
08:17 mais en tout cas, il n'en parle pas.
08:18 Donc, à partir du moment où il n'en parle pas,
08:20 c'est difficile de savoir si lui-même s'imaginait comme le continuateur de cette pratique.
08:26 Mais en tout cas, dans les actes, il y a effectivement une forme de proto-sabotage.
08:31 - Bien sûr, dans nos recherches historiques des choses.
08:33 Alors, on passe de l'Angleterre à la France.
08:35 En revenant chez nous en France, on apprend, et vous l'avez dit tout à l'heure,
08:37 que la toute jeune CGT, créée en 1895,
08:40 ou 1995 pour nos amis allemands et allemands, pourriez-je dire allemands, suisses et belges.
08:45 Alors, acte deux ans plus tard, vous l'avez dit tout à l'heure,
08:47 le sabotage comme tactique de lutte officielle de la CGT, à ce moment-là toute jeune.
08:51 Comment ça s'est décidé et pourquoi ça a été décidé à ce moment-là ?
08:56 - Donc, effectivement, 1895, c'est la naissance de la CGT
09:00 comme réunion de la Fédération nationale des bourges du travail et de la fédération des syndicats.
09:08 Ça a été tout simplement adopté parce que les grèves n'étaient pas efficaces.
09:12 C'était face à l'inefficacité des grèves que la tactique du sabotage a été...
09:17 - A fini par s'imposer en France aussi.
09:19 - A fini par s'imposer.
09:20 Oui, plus tard, qui a été popularisé et beaucoup plus diffusé,
09:26 massivement diffusé, notamment en 1910.
09:29 C'est à ce moment-là, finalement, que le sabotage a été...
09:34 est devenu une forme de lutte représentative du syndicalisme.
09:39 - Et de manière officielle, puisque là, à ce moment-là,
09:41 il faut imaginer la CGT qui l'acte de manière officielle comme une tactique de lutte.
09:46 Alors peut-être pour mieux se représenter à quoi ça fait référence à l'époque,
09:51 vous pouvez nous donner des exemples de sabotage ?
09:53 Je crois que c'est assez large.
09:54 Ça passe des coiffeurs aux boulangers.
09:56 Enfin, comment ça se passe ?
09:57 - Voilà, c'est ça.
09:57 Alors au départ, le sabotage n'est pas une destruction.
10:00 Pour en tout cas, la manière dont le théorisme est mis de bouger,
10:04 il résume sous le slogan "à mauvaise paie, mauvais travail".
10:07 Traduit aussi à "petite paie, petite pelle".
10:10 En fait, l'idée, c'est de faire semblant de travailler,
10:13 donc simuler le travail tout en étant au travail
10:17 pour pouvoir causer du tort à l'exploiteur.
10:23 Quelle était la question précisément ?
10:27 - Des exemples.
10:28 - Ah oui, des exemples.
10:29 - Travailler moins vite.
10:31 - Travailler moins vite, ralentir.
10:32 Voilà, il y avait les coiffeurs qui pratiquaient ce qu'ils appelaient le "shampooingage".
10:36 Alors en fait, c'était tout simplement de malmener le client
10:40 qui se permettait d'aller chez le coiffeur jusqu'à 23h,
10:44 sachant qu'à l'époque, effectivement, les gens travaillaient par semaine à peu près 70h.
10:49 Voilà, donc il y avait cette forme de sabotage.
10:52 Il y avait les boulangers qui brûlaient les fours en les montant à haute température.
10:56 - Qui brûlaient les viennoiseries, les pains, etc.
10:59 - Voilà, c'est ça.
11:00 - Ils se sont tout sabotés finalement, un petit peu.
11:04 - En fait, c'était les ouvriers, c'était pas les boulangers eux-mêmes,
11:06 c'était les mitrons, c'était les ouvriers boulangers.
11:09 Comme pour les coiffeurs, c'était les ouvriers coiffeurs.
11:11 Et ensuite, le sabotage est devenu, au tournant de 1909-1910,
11:18 une forme beaucoup plus anti-technologique,
11:21 qui a été utilisée par les PTT, où ils brûlaient des boîtes aux lettres, par exemple,
11:24 ils brûlaient du courrier, et ensuite par les cheminots
11:28 qui ont commencé à détruire des lignes de transport ferroviaire.
11:36 Et là, par exemple, ce qu'on a vu, Gare de l'Est, au début du mois,
11:40 il y a eu un acte de sabotage.
11:42 Il faut bien se rendre compte qu'en 1910, des actes comme il y a eu au début du mois,
11:45 qui a paralysé la Gare de l'Est,
11:47 il y en avait, sur l'espace de six mois, il y en avait à peu près 2-3 000.
11:53 - Ah, donc c'est une époque révolue, quoi.
11:55 - C'est-à-dire qu'il y avait vraiment une paralysie totale du pays.
11:58 - Alors, justement, ça peut nous poser un peu la question,
12:01 est-ce que, enfin, pour le vocabulé du diable,
12:05 le sabotage comme là, on l'expose ici,
12:07 présenté un petit peu, on le comprend, on le lit comme libérateur
12:10 de toute la classe ouvrière, finalement,
12:12 vu qu'on casse le petit travail, qu'on le ralentit, qu'on le met à l'arrêt,
12:15 les unités, par exemple, ça force le monde à se mettre en grève,
12:17 ou on retraite, c'est un peu l'objet.
12:19 Est-ce que c'est pas...
12:21 Aujourd'hui, on le ferait, ce qu'on ne pourrait pas entendre parfois,
12:23 c'est un outil antidémocratique, puisqu'on force,
12:26 à l'image des étudiants qui bloqueraient les facs,
12:29 les personnes qui sont contre ça vont dire,
12:31 ben voilà, ils sont 30 à bloquer la fac,
12:32 ils nous interdisent, ils nous obligent de ne pas suivre les cours.
12:35 Est-ce qu'on pourrait dire que c'est une pratique antidémocratique, le sabotage ?
12:38 - Je crois que si on en arrive là,
12:41 à définir le sabotage comme une pratique antidémocratique,
12:44 je pense dans ce cas-là qu'il faut définir
12:46 plutôt la mesure gouvernementale comme une mesure antidémocratique,
12:49 à savoir cette contre-réforme des retraites,
12:52 qui, voilà, c'est plutôt là que se trouve le...
12:55 Puis en plus, il y a une volatilité sémantique
12:57 qui fait que, bon, qu'est-ce que la démocratie ?
12:59 La République démocratique de Chine se revendique démocratique.
13:03 La France...
13:04 Enfin, tout le monde se revendique...
13:06 Comment ?
13:06 - Et communiste, au passage.
13:08 - Oui, bien sûr.
13:09 Mais...
13:09 Et revendique, voilà, le terme de communisme.
13:12 Donc, il y a un travail de définition des termes,
13:15 et cette volatilité sémantique,
13:17 et il nous appartient à nous autres militants,
13:21 d'avoir un discours légitimant les pratiques
13:24 et montrant que le sabotage, au contraire,
13:26 est une forme de libération et d'émancipation
13:28 de la classe ouvrière afin de pouvoir créer...
13:31 De pouvoir libérer un temps afin de s'auto-gérer
13:34 et de repenser les relations sociales.
13:38 - Bien sûr. Alors justement, c'est intéressant,
13:39 puisqu'on parle des mots, là.
13:41 On parle en français le mot "communiste" en Chine,
13:43 qui n'a rien de communiste par le nom,
13:45 puis d'autres termes aussi.
13:46 Comment vous expliquez, vous, l'évolution péjorative
13:49 de ce terme-là ?
13:50 Même dans les milieux radicaux, par exemple,
13:52 chez les écolos, on en parlait un peu tout à l'heure,
13:54 qui préfèrent désormais utiliser des expressions différentes
13:56 pour parler de sabotage, sans le nommer,
13:58 comme "démentellement" ou "désarmement",
14:00 on l'a vu il n'y a pas longtemps.
14:01 Comment on explique cette évolution ?
14:05 - Oui, oui.
14:06 Du côté des militants, je dirais, syndicalistes,
14:09 il y a eu un abandon de la tactique révolutionnaire
14:12 dès 1920, ce qui fait que les syndicalistes,
14:14 au nom de l'idée de développer les forces productives,
14:18 disaient "on ne s'attaque pas à l'outil de travail,
14:20 parce que l'outil de travail peut émanciper,
14:22 et c'est le rapport social de production
14:25 qui pose problème".
14:25 Donc, c'est un rapport social et ce n'est pas la technique
14:27 en elle-même qui pose problème.
14:29 Donc, il y a eu un abandon en 1920 par la CGT
14:32 de la tactique du sabotage.
14:33 Et ensuite, dans les milieux écologistes,
14:35 je pense que ça vient qu'aujourd'hui,
14:40 la cause écologiste est défendue majoritairement
14:43 par des ONG qui ont une stratégie, disons,
14:49 de lobbying, plutôt, et qui essayent de jouer
14:52 avec le symbole médiatique, le spectacle médiatique,
14:58 plutôt, et qui demandent à l'État.
15:00 Je pense que, par exemple, les organisations
15:02 comme Greenpeace sont là pour demander à l'État
15:05 que l'État contrôle mieux.
15:06 Mais le sabotage, du point de vue des anarchistes radicaux
15:11 qui sont aussi écologistes, ce n'est pas de demander à l'État,
15:14 c'est de s'affranchir de la domination étatique.
15:17 Et je pense qu'aujourd'hui, le mouvement environnemental,
15:20 il est un petit peu sur une...
15:22 - Je l'ai pluriel.
15:23 - Il est pluriel, voilà.
15:25 Entre Greta Thunberg et les soulèvements de la Terre,
15:29 il y a tout un panel de sensibilités écologistes.
15:36 Et en fait, le sabotage écologiste est revendiqué
15:38 par des écologistes anarchistes, c'est-à-dire de l'écologie radicale.
15:42 - Alors là, on a vu ensemble des exemples de sabotage
15:45 du XIXe siècle.
15:46 On le voit un petit peu là avec les militants écolo.
15:50 Ici, on va faire régulièrement dans les prochaines questions
15:52 un pont obligatoirement avec l'actualité
15:55 du mouvement social actuel, et plus généralement
15:57 avec notre époque aussi.
15:58 Déjà, là, on comprend que le sabotage est né
16:02 du constat que la grève à l'époque ne suffisait pas elle-même.
16:05 On va en reparler après.
16:06 Mais aujourd'hui, on a pu entendre, de la bouche du pouvoir,
16:09 de parler de sabotage, au-dessus du moins des termes
16:11 qui pourraient gréver autour, dès lors qu'il s'agissait
16:14 des grèves et donc de bloquer le pays.
16:15 Est-ce que ça ne s'inverse pas, quelque part, un petit peu,
16:18 au moins dans le lexique, est-ce qu'on pourrait parler
16:20 des mouvements de grévistes contemporains aujourd'hui
16:22 de sabotage ?
16:23 Est-ce qu'on peut imaginer ?
16:24 - Non, je ne crois pas qu'on puisse parler de la grève
16:27 comme d'un sabotage, puisqu'en fait, ce n'est pas...
16:30 Comment ?
16:31 Tout à fait, oui, non, ce n'est pas la grève qui est un sabotage.
16:34 C'est le sabotage qui est un moyen de faire la grève,
16:36 de libérer du temps, en fait, pour mettre tout le monde
16:39 pour mettre tout le monde, en fait, dans la rue,
16:41 dans la bataille, et que tout le monde, que la rue
16:43 reprenne une dimension conflictuelle, et donc,
16:46 que le rapport de pouvoir s'impose dans la rue.
16:50 Donc, je ne parlerais pas de la grève comme d'un sabotage.
16:55 Ou alors, il faudrait explorer une autre étymologie
16:58 de la grève, qui n'est plus ce qu'on rappelle
17:00 traditionnellement la grève comme la place de la grève,
17:03 en fait, qui est la place de l'hôtel de mairie de Paris.
17:07 Ce n'est pas ça, la grève, c'est en réalité,
17:09 c'est ce que dit un historien qui s'appelle Albert Lefranc,
17:11 dans "Grève d'aujourd'hui et grève d'hier",
17:14 la grève, c'est faire du grief, c'est faire grief,
17:17 c'est-à-dire faire du tort économique à l'exploiteur.
17:20 Et de ce point de vue, la grève doit être offensive,
17:22 nécessairement, et à la hauteur des attaques qu'on subit.
17:25 - Alors, avant ma prochaine question,
17:29 on va revenir un petit peu au terme,
17:30 parce que je pense que les mots sont importants,
17:33 sont parfois nos meilleurs ennemis, et je l'entends,
17:34 et je le dis souvent, mais on l'a vu, là,
17:36 avec les termes qui se sabotagent, ça veut dire ça,
17:40 il évolue dans le temps. D'autres mots, d'autres termes
17:43 se sont imposés, et encore plus aujourd'hui,
17:46 avec l'ère du "tout média", où tous les jours,
17:48 on commente le commentaire. Et donc, d'autres mots,
17:51 pour véhiculer un petit peu le désordre,
17:54 pouvant être du sabotage, entre autres,
17:57 c'est pas que ça que le sabotage n'est pas forcément
18:01 maman de ce désordre, sont abhorrés de nos jours.
18:05 Alors, référence au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
18:08 qui sortait du chapeau le terme, vous vous souvenez du terme ?
18:11 - Écoterrorisme. - Il l'avait dit, effectivement,
18:13 mais il n'y a pas que celui-ci, j'avais su, c'est en train,
18:15 mais aussi bordélisation. - Ah oui, mais dernièrement.
18:17 - Dernièrement, c'est vrai. - Bordélisation.
18:18 - Mais en même temps, il est assez doué
18:21 pour nous inventer ces termes-là. Alors, pour qualifier,
18:23 selon lui, les oppositions de gauche qui venaient saboter,
18:27 c'est aussi, à ce moment-là, le bon déroulement,
18:28 selon lui, toujours, des débats à l'Assemblée.
18:30 Alors, terme qui a fait son petit bonhomme de chemin,
18:33 le terme de bordélisation, je vous propose d'écouter
18:36 de quelle bouche il sort aujourd'hui.
18:38 Le pouvoir, l'exécutif craint en radicalisation du mouvement.
18:43 Qu'est-ce que vous comprenez, vous, par ce terme-là,
18:44 « radicalisation du mouvement » ?
18:45 Rien, si c'est la détermination, oui.
18:47 Regardez autour de vous, mais la CFDT, elle sera toujours la CFDT.
18:51 On n'ira pas vers la bordélisation, on n'ira pas vers...
18:54 Qu'est-ce que vous appelez « bordélisation » ? C'est un terme du gouvernement ?
18:56 On n'ira pas contre l'atteinte des biens et des personnes,
18:59 on n'ira pas à gêner les citoyens,
19:01 c'est pas notre conception de l'action syndicale.
19:03 Aujourd'hui, la CFDT fait la preuve de sa mobilisation
19:05 en toute convivialité, de façon festive.
19:09 Et c'est ça qu'on peut...
19:09 Vous ne soutenez pas les actions de la société Énergie, par exemple ?
19:12 Non, on est dans l'intersyndical ensemble, on s'est exprimés ensemble,
19:14 je crois qu'on est largement en lien,
19:16 aujourd'hui, avec Philippe Martinez, pour qu'il n'y ait pas de problème entre nous.
19:19 C'était donc Laurent Berger, à mon micro,
19:21 sous l'œil de la caméra de Django Durand,
19:24 ce samedi à la manifestation parisienne,
19:26 qui a rassemblé un nombre record, on l'a suivi, j'imagine vous aussi,
19:28 contre la réforme de la traite.
19:29 Un reportage à voir, ou à revoir sur la chaîne YouTube du Média.
19:33 Alors, il y a, j'imagine, des réactions en vous,
19:37 je vous ai vu un peu sourire quand vous avez vu la séquence.
19:40 Qu'est-ce que ça vous fait, en entendant du coup,
19:44 un patron de syndicat, aujourd'hui, reprendre ce terme-là, par exemple ?
19:47 Oui, c'est un représentant de la CFDT.
19:50 Exactement.
19:50 Alors, Laurent Berger, premier secrétaire.
19:52 D'accord, oui, oui, bien sûr.
19:54 Moi, ça me fait penser qu'en fait, voilà, la CFDT,
20:01 c'est du syndicalisme qu'on dit co-gestionnaire,
20:04 c'est le syndicalisme réformiste.
20:06 Et de ce point de vue, en fait,
20:10 ils considèrent la lutte comme un dialogue social
20:12 et non pas un rapport de force.
20:15 Et c'est pour cette raison...
20:16 Qui peut être tout à fait noble, au passage, c'est une autre forme de...
20:18 C'est une autre représentation, en fait, du travail,
20:22 c'est-à-dire de dire qu'au travail, en fait,
20:23 il y a nécessairement un conflit avec une opposition de classe.
20:26 Bon, à partir de là, il est tout à fait dans ses clous.
20:32 Mais le problème, moi, ce que je vois,
20:33 c'est que l'intersyndical empêche la CGT de revendiquer,
20:37 par exemple, le retour à la retraite à 60 ans.
20:42 Parce que là, le problème, c'est qu'en fait,
20:43 on ne veut pas une augmentation du temps de travail.
20:46 Mais donc, en fait, on veut tout simplement défendre
20:50 le dernier recul qui a eu lieu.
20:51 Donc, on défend la dernière défaite du syndicalisme,
20:54 qui est d'avoir repoussé la retraite de 60 ans à 62 ans.
20:58 Et à cause de l'intersyndical,
21:02 on ne peut pas revendiquer le retour à la retraite à 60 ans.
21:05 Donc là, je trouve que Laurent Berger est tout à fait dans ses clous,
21:11 dans sa position historique de la CFDT,
21:16 qui pense qu'en fait...
21:16 - Je le rappelle, la CFDT restera la CFDT,
21:19 et qui me donne ce terme-là.
21:21 Mais ce n'est quand même pas, pour vous,
21:22 on parle de termes en ce moment dans notre entretien.
21:24 Ce n'est pas un problème qu'un syndicat reprenne des termes
21:28 comme "bord d'élection du pouvoir",
21:30 qu'ils sont censés un petit peu combattre ?
21:34 - Moi, je ne crois pas que la CFDT soit dans la lutte contre le gouvernement.
21:38 Elle est dans la conciliation, dans la négociation.
21:41 C'est une pratique de marchand de tapis avec le gouvernement.
21:46 Et d'ailleurs, c'est l'institutionnalisation du syndicalisme,
21:51 qui pour moi, et historiquement,
21:53 c'est un coup de poignard dans le dos du syndicalisme à ses origines.
21:58 Et en fait, ça ne m'étonne même pas qu'il pourrait reprendre le terme
22:06 du général De Gaulle en parlant de la "chianlie de mai 68",
22:09 le même Laurent Berger.
22:11 - Alors, pour rester un peu dans le thème du terme,
22:14 est-ce que l'abandon du terme, du mot "sabotage"
22:17 - on en parlait tout à l'heure avec un autre terme tous les deux -
22:20 l'abandon de ce mot-là, peut-être marqué un peu par de la violence,
22:24 par le pouvoir, parce que c'est encore lui qui décide,
22:26 n'est pas une défaite en soi ?
22:28 C'est ça que je veux dire, n'est pas une défaite en soi
22:30 face au capitalisme qui dicterait, qui dicte un peu le bon lexique
22:32 à adopter pour parler des choses, la bonne manière de faire ?
22:35 Et puis donc, un peu l'imaginaire, puisque les mots forment
22:38 le champ des possibles, est-ce que de reculer, d'abandonner des mots,
22:43 parce qu'on ne parle plus de sabotage aujourd'hui,
22:45 mais on parle d'autres choses, de désarmement, etc.,
22:47 ce n'est pas une défaite en soi ?
22:49 - Je suis pas philosophique.
22:51 - Ça peut être vu aussi comme un enrichissement du vocabulaire.
22:55 Donc il y a les deux discours, oui.
22:59 Mais le problème, c'est qu'en fait, on abandonne le discours légitimant
23:03 des pratiques qui maintenaient une conflictualité.
23:06 C'est ça le problème.
23:08 - Avec le mot "pas" aussi, la pratique qui l'accompagnait finalement.
23:11 - Avec la pratique, c'est comme là.
23:12 Et d'ailleurs, en fait, dans les années 1999-2000,
23:15 il y a eu la Confédération Paysanne qui s'attaquait à des champs expérimentaux d'OGM,
23:21 eh bien, il y a eu un gros débat sur est-ce qu'on va employer le mot
23:24 de "désobéissance civile", c'était la ligne de José Bové soutenue
23:28 par la communauté de l'Arche de l'Indien d'El Vasto,
23:32 et finalement, quelqu'un comme René Rizel, fondateur de l'Encyclopédie des nuisances,
23:36 enfin, contributeur plutôt, qui lui revendiquait la ligne anarcho-syndicaliste
23:41 de dire "on va continuer à employer le terme sabotage
23:44 parce qu'on assume la radicalité de notre opposition".
23:48 - Et puis, il y a l'époque, on le dit, l'époque, l'ère du temps,
23:53 les choses changent entre le 19e, le 20e, le 20e, évidemment,
23:56 les événements qui fascinent notre lexique, tout du moins ici en France,
24:00 évidemment que c'est différent des autres pays, des autres endroits du monde.
24:02 Le terrorisme, on n'a pas prononcé ce mot depuis tout à l'heure,
24:04 mais tout au moins les actions, enfin, on va prendre celui-là,
24:07 le terrorisme hier et aujourd'hui, par exemple.
24:09 Hier, utilisé pas forcément dans ces termes, pourquoi pas,
24:12 par les anarchistes, même à l'extrême gauche,
24:16 on le voit même dans d'autres pays encore aujourd'hui.
24:18 On peut même parler peut-être d'actes terroristes,
24:20 ça dépend d'où on se place, quand depuis notre fenêtre actuelle,
24:22 on regarde les actions des suffragettes, par exemple, pourquoi pas.
24:25 Voilà. Alors aujourd'hui, le terrorisme, c'est, dans notre imaginaire,
24:28 c'est l'islamisme radical, c'est Ben Laden, etc.,
24:30 je veux dire, du moins en France ou dans l'Occident en général.
24:32 Est-ce que ce n'est pas là un autre exemple du détournement des mots,
24:36 du lexique et donc du champ des possibles sur le terrain des résistances ?
24:40 De qualifier de terroriste du sabotage.
24:42 Tout à fait. L'éco-terrorisme, par exemple.
24:45 Parler d'éco-terrorisme en parlant du sabotage,
24:48 de la part de Gérald Darmanin, c'est un contre-science historique monumental.
24:52 Pour cette raison simple que, justement, comme je le disais au départ,
24:56 le sabotage a été pensé pour revoir et repenser
25:01 les actions de type terroriste des anarchistes de la fin du 19e.
25:06 Et donc, en fait, on a utilisé le terme de sabotage
25:09 pour faire évoluer la pratique du terrorisme.
25:13 Maintenant, quant au fait de parler de terrorisme,
25:17 c'est en fait tout usage du vocabulaire et totalement politique.
25:20 Et on peut très bien qualifier le gouvernement lui-même
25:25 en repoussant l'âge de la retraite de terroriste, en fait.
25:29 Parce que...
25:30 Attention des mots, vous savez, je ne sais pas si vous suivez un petit peu
25:32 l'Assemblée en ce moment, le mois de...
25:33 Exactement, mais c'est ce que j'avais en tête.
25:34 Voilà, assassin, etc.
25:35 Est-ce qu'on peut avoir un débat courtois avec des gens
25:39 qui préparent, en fait, la mise à mort de certaines personnes ?
25:42 Il faut penser la lutte sociale comme une guerre sociale.
25:46 Et de ce point de vue, on sait très bien que les gens
25:49 qui vont travailler plus sont les classes populaires
25:51 qui vont mourir avant d'arriver à la retraite.
25:55 Et il y a des études de sociologie là-dessus.
25:57 Donc, c'est tout simplement un fait de traiter le ministre du Travail d'assassin,
26:04 peu importe en fait.
26:05 La question c'est que, en fait, la loi va pousser des gens
26:13 à sortir plus vite de la vie, tout simplement.
26:16 Parce qu'il va y avoir une augmentation du temps de travail
26:19 et donc de l'exploitation, et donc des souffrances au travail.
26:22 C'est tout.
26:23 C'est qu'en fait, il faut penser la lutte en termes de guerre.
26:27 Si on veut vraiment gagner la bataille, voilà.
26:30 Et le sabotage est une de ces pratiques qui permet
26:34 de remettre de la conflictualité au cœur de la lutte sociale.
26:38 Parce qu'on ne peut pas imaginer un champ politique sans conflit.
26:41 Et même le mot "conflit", c'est intéressant.
26:44 Ce mot "conflit" peut être aussi très péjoratif dans l'esprit aujourd'hui.
26:47 On évite le conflit, alors que non, finalement, c'est le mot "confrontation".
26:52 Le gros problème de cette mise à distance de toute forme de conflictualité,
26:57 c'est qu'on est nous-mêmes dépossédés des situations où il y a conflit.
27:01 Et donc, déléguer à des instances institutionnelles la gestion du conflit,
27:06 c'est perdre nous-mêmes notre capacité à gérer du conflit.
27:09 - Du pouvoir qu'on peut avoir. - Du pouvoir qu'on peut avoir.
27:11 Et du conflit, il y en aura toujours.
27:13 La vie est une longue histoire d'échecs et de réussites.
27:17 Il y a toujours du conflit, mais le problème, c'est quand on est dépossédés
27:21 de notre capacité à résoudre le problème de la conflictualité.
27:25 - C'est à prendre toute sa part, j'imagine, dedans, comme vous le faites avec le sabotage, mais pas que.
27:29 - Non, oui, bien sûr.
27:31 - Dans votre conclusion, qui vient bien après le récit que j'invite les personnes à aller rencontrer dans cet ouvrage,
27:38 vous écrivez, je vous lis, "les grandes oppositions entre violence et non-violence,
27:42 solidarité et action individuelle, avant-garde des mouvements de masse, etc.,
27:46 relèvent de constructions philosophiques qui freinent la libération sociale."
27:52 Alors, venant d'un philosophe de formation, ça manque pas de sel,
27:56 mais qu'est-ce que vous voulez dire en écrivant cela ?
27:59 Qu'il faudrait ne pas s'embêter avec la théorie, finalement ? On y va et on verra après ?
28:03 - Oui, en fait, dans le syndicalisme révolutionnaire, il y a l'idée d'une suppression
28:07 de la différence permanente, de la séparation entre théorie et pratique, action et réflexion.
28:14 L'idée, c'est que dans l'action elle-même, se construit...
28:17 C'est-à-dire que la réflexion vient avec l'action.
28:21 On ne peut pas penser un modèle, un schéma avant de l'agir.
28:25 On ne peut pas l'imposer.
28:27 - C'est intéressant de le voir comme ça.
28:29 - C'est une position anti-autoritaire, de dire qu'en fait, dans la liberté d'agir...
28:33 En fait, on conserve la liberté d'agir en évitant de penser avant ce qui va advenir.
28:38 Et donc, c'est laisser le champ des possibles dans l'action.
28:42 Et c'est une manière aussi d'éviter ces oppositions catégoriques très philosophiques
28:48 entre l'avant-garde, entre que faire, comment faire.
28:51 On va penser tout un programme, un agenda politique pour lutter.
28:54 - Et en plus de ça, finalement, on renvoie la lutte au calendre grec.
29:01 - Et pour finir notre entretien passionnant, je reviens, c'est tout à fait logique,
29:06 à votre introduction, on termine par la introduction de votre livre,
29:10 où vous citez Émile Pouget, qui en 1889 évoquait les ouvrières,
29:14 ouvriers allemands et allemandes en révolte, et qui invitait à ce moment-là
29:17 les Françaises et Français, vous l'avez même écrit, à défoncer, je le cite,
29:21 les routes et couper les rails. Et la même année, il écrit ceci,
29:25 "La grève n'est bonne à rien si les copains ne se donnent pas les moyens
29:29 de la prolonger jusqu'à ce que leur cochon d'exploiteur demande grâce.
29:33 Et puis, faut pas s'en tenir à la boostify, détraquer un tentinel ou tillage
29:38 et chahuter un peu les bagnes où vos racailles de patrons vous font trimer
29:42 à leur profit." Voilà la citation. Donc ma dernière question, c'est celle-ci.
29:46 Vous qui avez énormément cherché pour votre travail ici, sur le sujet,
29:51 vous qui pensez... Enfin, pensez-vous que nous sommes condamnés à passer
29:56 par le sabotage, l'action directe, la déficience civile, ou plutôt autre chose,
29:59 toutes ces formes d'action, plutôt que des défilés traditionnels,
30:03 pour rompre avec le néo-capitaliste libéraliste qui s'entête à briser
30:06 nos acquis sociaux, ou cookies sociaux. Peut-être le meilleur des termes,
30:09 c'est celui-ci. Est-ce qu'on est condamnés ?
30:12 - Je pense... En fait, j'ai l'impression, c'est une analyse personnelle,
30:16 selon mon ressenti du moment, mais j'ai l'impression que là,
30:23 actuellement, dans les manifestations, il y a un manque de tension.
30:26 De tension, pas forcément de violence, mais de tendre vert.
30:30 D'avoir la volonté de penser à un autre système de société.
30:35 Et donc, j'ai l'impression que toutes les conditions sont réunies
30:39 pour qu'on ait un retour du sabotage. Pour cette raison simple,
30:42 c'est que la grève, aujourd'hui, est de nouveau de plus en plus efficace.
30:46 Pour plusieurs raisons. Le syndicalisme est en crise,
30:49 avec du coup des caisses de solidarité, des caisses de grève qui sont peu alimentées.
30:54 On a ensuite un arsenal anti-grève avec le service minimum.
31:00 Nicolas Sarkozy lui-même disait "maintenant, quand il y a une grève,
31:03 on ne s'y aperçoit pas". Ensuite, sur le front de la répression,
31:06 on a de plus en plus une répression avec la loi de sécurité globale
31:10 qui empêche le pouvoir de la rue. Le risque des réquisitions qu'on a vus
31:17 avec dernièrement les grèves des raffineries.
31:20 Et après, sur le champ de la reconfiguration néolibérale du travail,
31:23 on a des externalisations de la production avec maintenant,
31:30 ce qui prend la forme maintenant, par exemple, du télétravail.
31:32 J'ai vu dernièrement que la CGTENS avait dénoncé le risque d'un télétravail
31:38 pour briser la grève. On a ensuite une externalisation,
31:46 un ensemble de privatisation de plus en plus qui casse l'unité ouvrière
31:51 et la culture syndicale. Et enfin, je pense à un management
32:01 de plus en plus agressif. Et ça, c'est tous les travaux de Le Goff
32:05 ou de Jacques Dejours, par exemple. Donc, toutes ces conditions
32:08 font qu'en fait, la grève perd en puissance revendicative.
32:13 Et d'ailleurs, si aujourd'hui, il y a un changement dans la doctrine
32:16 du maintien de l'ordre, c'est tout simplement parce que les militants,
32:19 le peuple ne fait plus peur. Et si on ne fait pas peur,
32:22 si on ne met pas en péril cette réforme de retraite,
32:25 s'il n'y a pas finalement un conflit, ce n'est pas négatif.
32:30 Il ne faut pas avoir un jugement de valeur sur le conflit.
32:32 - Un rapport de force. - Un rapport de force.
32:34 Parce que le rapport de force, on nous l'impose.
32:36 Ce n'est pas nous qui l'imposons, c'est une réaction, c'est une défense.
32:39 Donc, on nous l'impose. Et de ce point de vue,
32:42 si les manifestations sont rendues à l'impuissance,
32:47 le sabotage sera une technique qui va ressortir.
32:51 Et on voit une mutation en ce moment du syndicalisme,
32:54 puisque dernièrement, il y a eu la candidature d'Olivier Matheux
32:57 pour le 53e congrès de la CGT,
33:00 qui défend une ligne beaucoup plus révolutionnaire
33:04 qu'actuellement avec Martine Haït.
33:07 - Merci beaucoup à vous, Victor Cachard.
33:10 Je rappelle votre ouvrage, l'un des deux,
33:12 l'Histoire du sabotage,
33:14 "Les trains savatent aux briseurs de machines"
33:16 que vous publiez aux éditions Libres, à retrouver dans toutes les bonnes librairies.
33:19 Merci beaucoup d'être venu ce soir sur le plateau.
33:21 - Merci beaucoup. Merci. - Et à très bientôt.
33:23 - À très bientôt.
33:25 Sous-titrage Société Radio-Canada
33:27 ...

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