Anne Fulda reçoit Philippe Claudel pour son livre «Crépuscule» dans #HDLivres
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00:00 - Bienvenue à l'Heure des livres, Philippe Claudel.
00:02 - Bonjour.
00:03 - Bonjour, les âmes grises.
00:04 Le rapport de Burdek, on ne vous présente pas.
00:07 Vous êtes écrivain, vous êtes cinéaste, vous êtes dramaturge
00:10 et vous venez de publier "Crépuscule", c'est paru chez Stock.
00:13 C'est un roman assez particulier, avec une écriture assez envoûtante,
00:18 précise, incisive, truculente, réaliste, qui est une fable, en fait.
00:24 C'est une fable, une allégorie qui se passe dans un village
00:29 dans un pays de l'Est, ce qu'on devine être un pays de l'Est.
00:32 Et le livre commence par la découverte du corps d'un curé
00:36 qui a été assassiné.
00:37 Et ça va être une forme de révélateur, finalement, ce crime.
00:42 - Bien sûr.
00:43 - C'est ça, ça révèle les tensions qui étaient sous-jacentes.
00:45 - C'est toujours intéressant pour un romancier de partir d'un fait divers,
00:48 déjà parce qu'on est tous fascinés par les faits divers.
00:50 Donc, on sait que le lecteur, la lectrice, peut-être nous suivra
00:53 sur cette enquête.
00:54 Et puis, en même temps, au fil de l'enquête, justement,
00:57 on peut placer d'autres interrogations, d'autres questionnements.
01:00 Le plaisir aussi, comme vous l'avez dit, c'est celui de la fable,
01:02 c'est-à-dire de raconter une histoire, d'emmener qui veut nous suivre loin
01:06 dans le temps, dans l'espace.
01:07 Et puis, finalement, de page en page, faire comprendre
01:10 qu'on n'est peut-être pas si loin d'aujourd'hui et de nous-mêmes.
01:12 - Oui, parce qu'il y a des personnages comme ça.
01:15 Il y a le policier, son adjoint, le maire, des personnages un peu génériques,
01:21 on pourrait dire, qui, effectivement, pourraient exister aujourd'hui.
01:24 Alors, ce qui est intéressant, c'est que ce meurtre révèle notamment
01:27 une tension entre communautés, deux communautés chrétiennes et musulmanes,
01:31 qui, jusqu'alors, coexistaient très bien.
01:32 Et là, le doute s'y mise.
01:35 C'est une logique de bouc émissaire assez classique, finalement,
01:38 qui se met en marche.
01:39 - Bien sûr.
01:40 Et on en revient aussi au roman au miroir de notre temps,
01:42 c'est-à-dire que jusqu'à présent, finalement, dans nos sociétés,
01:45 il n'y avait pas eu trop de problèmes ou de tensions entre communautés religieuses.
01:48 Mais par le fil du temps, par la voix de certains leaders politiques,
01:54 on voudrait nous faire nous dresser les uns contre les autres.
01:57 Donc, ça m'intéressait d'inspecter un petit peu ce mécanisme,
02:00 de voir comment, dans une situation de paix, soudain, la poudre prend feu.
02:05 Ça a été le cas, souvenez-vous, entre 91 et 95, dans les Balkans,
02:08 dans les Suédois-Slaviques.
02:09 - Voilà, j'allais vous dire, c'est ce qui vous a inspiré.
02:10 - Oui, mais moi, ça m'a frappé parce que j'avais 30 ans à l'époque
02:13 et de voir comme ça des gens que j'ai connus depuis,
02:15 parce que je vais souvent dans cette région du monde,
02:17 qui étaient en parfaite harmonie et bonne entente avec leurs voisins,
02:19 qui, du jour au lendemain, se sont mis à s'entretuer.
02:22 C'est quand même une grande interrogation.
02:23 - C'est ce qu'on voit aussi dans une moindre mesure aujourd'hui,
02:25 entre Ukrainiens et Russes.
02:27 - Bien sûr, bien sûr.
02:28 - Qui parlent la même langue, qui ont la même culture et qui s'affrontent.
02:30 Alors, ce qui est intéressant, c'est que tous ces personnages,
02:36 en fait, révèlent la noirceur de l'âme.
02:41 Et en fait, on remarque que c'est surtout les personnages masculins,
02:44 chez vous, qui n'ont pas le beau rôle.
02:45 - Mais absolument.
02:47 J'ai toujours trouvé que les personnages féminins et les femmes,
02:50 dans la vie, étaient bien supérieurs aux hommes.
02:52 Heureusement, depuis #MeToo, leur rôle et leur place
02:55 est de plus en plus importante.
02:56 Et je suis parmi ceux qui espèrent qu'elle le sera encore davantage.
03:00 Et c'est vrai que dans mes livres, la noirceur, elle est plutôt du côté masculin
03:03 et la lumière du côté féminin.
03:05 Et notamment dans ce livre-là, où il y a deux personnages féminins
03:08 qui paraissent assez secondaires, mais qui, au fil du roman,
03:11 vont prendre une ampleur et une puissance que les hommes n'ont pas.
03:14 - Et il y a aussi le personnage de l'adjoint, qui a l'air un peu pâteau,
03:18 un peu timide, mais qui, finalement, dans ce paysage,
03:21 est l'un de ceux qui, d'une certaine façon, est le plus lumineux.
03:24 - Oui, et puis c'est une âme simple.
03:26 - Une âme simple, en fait.
03:26 - C'est quelqu'un qui est bon, qui est fonctionnellement bon.
03:28 Alors, les autres le prennent pour un pâteau, un ego.
03:31 Mais c'est quelqu'un qui est traversé aussi par la poésie.
03:33 C'est-à-dire que parfois, il y a des vers qui lui viennent dans l'esprit,
03:36 dans la tête, mais il ne sait même pas ce que c'est.
03:38 Il les oublie assez vite.
03:39 Mais c'est quelqu'un qui est, on pourrait dire, une figure du saint.
03:42 Alors, parfois, les saints finissent en martyrs.
03:44 Ce n'est pas toujours le cas.
03:46 Et en tout cas, lui, il va dévouer sa vie à une lumière qui apparaît dans le livre.
03:51 - Alors, ça apparaît d'autant plus en contraste par qu'il est l'adjoint d'un policier
03:55 qui, enfin, le terme verreux n'est peut-être pas adapté,
03:58 mais en tout cas, qui a quelques, disons, perversions.
04:02 En tout cas, une atturance pour des très jeunes filles.
04:04 Et là aussi, on voit comme des résonances avec des affaires plus récentes de notre époque.
04:10 - Quand on écrit un roman, si vous voulez, le roman devient une sorte de radiographie
04:13 du temps dans lequel on est et des phénomènes de société.
04:17 On a eu ces dernières années des hommes de pouvoir qui, soudain, succombaient
04:20 et tombaient parce qu'ils n'avaient pas réussi à réfréner de leur pulsion sexuelle.
04:25 Par exemple, on pourrait penser à un ancien directeur du FMI,
04:28 à des producteurs de cinéma ou des hommes politiques.
04:32 Mon policier, c'est un homme de pouvoir, de petit pouvoir, mais c'est un homme de pouvoir.
04:36 Mais il est tellement fasciné et obsédé par sa sexualité qu'il en oublie son devoir,
04:39 qu'il en oublie sa morale, qu'il en oublie son éthique.
04:42 - En tout cas, vraiment, moi, je vous conseille de lire ce livre.
04:46 Donc, ça s'appelle "Crépuscule", parce qu'effectivement, ça ressemble à une fable,
04:50 mais vous ne faites pas la morale.
04:51 C'est par Richard Stock.
04:54 Et c'est vraiment un très joli livre que vous laissez emporter.
04:57 Merci beaucoup, Philippe Claudel. - Merci à vous.
04:59 - Merci.
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