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Transcription
00:00 Bonjour Lou Delage, comédienne, on vous a vu dans "J'apploue", dans "Respire", dans "Les Innocentes",
00:05 dans "Boîte Noire", dans "Le Bal des folles". Votre actus est ce film, "Tu choisiras la vie",
00:08 il sort demain avec Riccardo Scarmacchio, film de Stéphane Fresque, avec nous également.
00:13 Bonjour, il sort aujourd'hui ? - Mais oui !
00:15 - Vous savez pourquoi j'ai écrit qu'il sort demain ?
00:16 - Parce que je me suis mis à dans les mardis !
00:17 - Je vais vous dire pourquoi, non. - C'est pas possible, j'ai mal dormi !
00:20 - Non, parce que j'ai écrit hier, et donc j'ai écrit qu'il sort demain.
00:24 - Je suis pas réfléchie ! - Mais qu'est-ce qui s'est passé ?
00:30 - Bonjour Stéphane Fresque, comédien. Vous étiez César du meilleur espoir masculin en 89,
00:35 c'était le film "Chouant" de Philippe de Broca, vous avez tourné Gvarda, Claude Miller, Spielberg, Clint Eastwood,
00:40 encore François Ozon, il y a pire, et c'est votre premier long métrage en tant qu' réalisateur,
00:44 très personnel car vous l'avez porté dix ans, il y a, si j'ai bien tout compris, une grande part de vous.
00:50 Que raconte ce film ? Que raconte "Tu choisiras la vie" ?
00:53 - Déjà il y a toujours une part de soi quand on fait son premier film,
00:57 mais j'ai essayé de prendre la distance qu'il fallait pour en faire un film et pas trop me regarder.
01:02 C'est l'histoire d'une jeune fille qui vient d'un milieu orthodoxe juif,
01:08 - Ultra-orthodoxe ! - Oui, orthodoxe déjà suffit pour dire qu'elle est déjà dans un monde extrêmement clos.
01:14 - Elle est obligée de mettre des collants en été, c'est les ultras !
01:18 - Oui, mais même les très orthodoxes, on va pas jouer sur les mots en tout cas,
01:22 elle est vraiment en marge d'être dans une communauté qui est extrêmement...
01:26 où le dogmatisme est important.
01:30 Elle est à un moment de sa vie où elle a 25 ans et elle est en perte de sens à ce qu'elle fait,
01:36 elle perd la foi et elle cherche à s'arracher, c'est très difficile de s'arracher de ce monde,
01:40 elle accompagne sa famille en Italie, dans l'Italie du Sud, où chaque année ces gens-là vont chercher un citron
01:46 qu'on appelle le cédrat et qui sert à une fête sacrée, et dans ce voyage,
01:50 qui peut être le dernier voyage avant de s'arracher de ce monde, elle fait la connaissance d'un homme,
01:56 l'agriculteur qui chaque année reçoit ses familles, de génération en génération d'ailleurs,
02:02 et qui lui aussi est un homme qui est dans un moment compliqué de sa vie,
02:09 et c'est la rencontre de deux êtres égarés, empêchés, qui vont tenter de s'arracher
02:15 de la fatalité de leur héritage, je dirais. On écoute la bande-annonce.
02:19 C'est bon, t'es de retour chez toi, Elio. Entrez.
02:26 Non, je peux pas. Je peux pas entrer chez un homme qui n'est pas mon mari. Enfin, je suis pas mariée.
02:30 C'était pas à moi de gérer cette terre. Il faut être un peu crétin.
02:34 Crétin, non. Juste esclave. Je me sens si loin d'eux. Chaque prière me brûle la bouche.
02:40 À quoi tu joues, Esther ? J'étais où ?
02:44 À l'éternel que t'es, mon Dieu. Donne-moi la force de te guider, je t'en prie. Ma vie est ailleurs.
02:51 Loup de l'âge, vous êtes Esther, votre personnage est la fille d'un rabbin orthodoxe.
02:57 Comment vous la décririez, cette Esther ?
03:00 Esther, c'est une jeune fille, comme l'a un peu dit Stéphane, qui arrive à un moment de sa vie
03:05 où elle va remettre en question tout son héritage familial, tout ce sur quoi elle a grandi,
03:10 toutes les croyances sur lesquelles on l'a construite et qui, comme beaucoup d'adolescents d'ailleurs,
03:14 ou de jeunes adultes à un moment, ont besoin de passer par une destruction de ce qu'on nous propose,
03:20 de ce qu'on nous enseigne, pour venir se rencontrer. Sauf qu'elle fait partie d'un milieu
03:25 où cette révolte-là est un peu plus complexe à mettre en place.
03:29 Et en même temps, cette révolte-là paraît légitime, puisque par exemple, on lui interdit l'usage de l'informatique.
03:33 On lui interdit tout ce qui va la rattacher à notre société, à nous, telle qu'on la connaît, pour se protéger.
03:39 Alors qu'en tant que spectateur, j'ai vu le film, on se dit "mais c'est formidable ce qui arrive à ce type,
03:44 il cultive du cédrat comme faisait son père, comme faisait son arrière-grand-père,
03:48 c'est ce dont on rêve tous, plutôt que des légumes cultivés sous serre et vendus sous plastique."
03:52 Oui, sauf que lui, il avait un autre destin qu'il attendait, c'est un artiste,
03:57 et si son père n'était pas mort trop tôt, il aurait eu une autre vie. Voilà.
04:02 C'est tout l'enjeu de ce film. Comment a-t-il été construit ? Qu'y a-t-il de personnel ?
04:08 Parce qu'il est très discret, Stéphane Fresse, il nous raconte ça juste après une courte pause.
04:14 En compagnie de la comédienne Lou Delage, à l'affiche de ce film "Tu choisiras la vie",
04:20 il sort aujourd'hui, mercredi, film réalisé par Stéphane Fresse et son premier film,
04:24 dix ans pour porter ce projet, pour le réaliser, pour le mettre en place, pour le monter.
04:30 Pourquoi ce milieu juif ultra-orthodoxe ? Vous le connaissez bien, si je suis bien informé,
04:35 en préparant cet entretien, je découvrais, ce que je savais pas sur vous, qu'après la séparation de vos parents,
04:38 vous aviez douze ans, votre maman s'est tournée vers la religion.
04:41 Oui, oui, et de manière totale. Moi j'ai jamais rien reçu de tout ça, j'ai pas eu de tradition,
04:49 j'ai pas eu de rituel. J'ai grandi avec un sapin de Noël, moi, à Noël.
04:54 Donc en fait, quand le père de mon père est mort en camp,
05:00 il y avait à ses yeux une disqualification totale de Dieu et de tout ce qui pouvait toucher à la religion.
05:08 Et de l'autre côté, voilà, ma mère bascule dans quelque chose de si intense,
05:13 que je découvre, je passe de rien à un monde d'orthodoxie,
05:18 qui est aussi exotique que déconcertant, déstabilisant,
05:23 et puis voilà, au fur et à mesure, je grandis écartelé entre deux visions totalement différentes du monde.
05:29 À la différence du personnage d'Esther joué par Lou Delage, votre maman a choisi, alors qu'Esther, on lui a imposé.
05:35 Oui, oui, le film, c'est pas l'histoire de ma mère.
05:37 Exactement, je le précise bien, c'est très important de comprendre.
05:39 Elle est un déclencheur, parce qu'en fait, elle m'a inspiré une réflexion sur qu'est-ce qu'on fait de ce qu'on nous a transmis.
05:46 Qu'est-ce qui reste ?
05:47 Mais il y a quand même une part de vous dans le personnage de Lou.
05:49 Bien sûr.
05:50 Pourquoi vous avez choisi une fille ?
05:51 Exprès, pour une mise à distance ?
05:52 Il y a deux questions, je vais y répondre, mais d'abord, il y a une part de moi dans le personnage de Lou
05:57 et dans le personnage d'Eliot aussi, joué par Scamacho, parce que justement, je suis écartelé entre ces deux mondes.
06:03 Une fille, oui, mais c'est parce que je voulais aussi, en même temps, raconter la situation de la femme dans ces mondes orthodoxes
06:12 où l'archaïsme laisse encore à la femme une place extrêmement réduite aux tâches les plus élémentaires.
06:24 Il y a une description saisissante, c'est les femmes qui expliquent ce que doit faire une femme au moment où elle a ses règles.
06:32 Oui, il y a un code, tout est très codé.
06:35 On a l'impression qu'on est des siècles en arrière.
06:37 On respecte une loi qui, pour nous aujourd'hui, nous semble extrêmement dépassée.
06:45 Et elle étouffe, cette jeune femme.
06:48 Moi, j'ai rencontré des gens comme elle dans des associations et qui sont totalement perdus quand ils quittent ce monde.
06:57 Parce que le monde laïc ne les attend pas et parce qu'ils ne connaissent rien non plus.
07:01 Ils n'ont rien appris de ce monde-là.
07:03 Donc en fait, c'est des êtres totalement laissés à eux-mêmes et perdus.
07:07 Ça pose vraiment la question de savoir qu'est-ce qu'on porte en nous de ce qu'on a reçu
07:14 et comment le transformer sans tout jeter, sans tout balancer à la poubelle.
07:19 Avant qu'elle jette tout, on va entendre un extrait.
07:22 Esther est dans une voiture et elle exprime ce qu'elle ressent justement avec ce jeune producteur de Cédras qui croit, qui pense la comprendre.
07:30 On vous écoute.
07:31 J'admire la rigueur de votre monde.
07:33 Qu'est-ce que vous connaissez de mon monde ?
07:35 Vous croyez avoir tout compris parce que vous nous voyez 15 jours par an ?
07:40 Vous n'avez aucune idée de ce que c'est mon monde.
07:44 De répéter tous les matins, garde-toi de séduire et de te prosterner devant d'autres dieux.
07:49 La colère de l'éternel s'enflammerait contre toi.
07:52 Mais en quoi je mérite sa colère ?
07:54 Je passe mes journées à aixer les bains, à fabriquer des perruques, le bus, l'atelier, des prières toute la journée.
08:00 Et puis encore le bus.
08:01 Le soir, la famille et encore des prières.
08:04 Et ça, tous les jours de la semaine jusqu'à Shabbat où je quitte la maison juste pour aller à la synagogue.
08:09 C'est ça que vous trouvez admirable ?
08:11 Vous savez pas ce que ça fait d'être la risée des autres filles parce que vous portez des collants en plein mois d'août ?
08:15 De ne pas avoir internet, de jamais être allée en boîte de nuit, ni même dans un bar le soir ?
08:20 Vous savez pas ce que ça fait de baiser les yeux devant un homme qui n'est pas de votre famille ?
08:24 Laudelage, qu'est-ce qui vous a séduite dans ce projet ?
08:27 Vous n'êtes absolument pas religieuse, vous ne connaissiez absolument pas ce milieu.
08:30 Non, pas du tout.
08:32 Mais ça fait partie des choses qui m'ont séduite.
08:35 Parce que moi j'adore mon métier pour ça, c'est qu'il me permet de voguer dans des univers et avec des gens qui vont m'expliquer et me raconter des mondes et des milieux que je ne connais pas.
08:45 Et là, je savais que Stéphane était très investi, très passionné par son sujet.
08:49 Et donc, travailler avec des gens passionnés, c'est aussi beaucoup plus agréable.
08:53 Parce qu'il faut savoir qu'il y a des gens qui ne le sont pas tant que ça.
08:56 Ça existe, voilà.
08:58 Après, l'intensité diffère.
09:00 Je pensais que quand on met 10 ans à faire un film ou 3 ans, on est passionné par son sujet.
09:04 On le transmet plus ou moins sa passion.
09:07 Vous voulez Félix, comment vous lui avez demandé de préparer ce rôle, vous lui avez donné des lectures ?
09:11 D'abord, je vais la faire rougir, mais ce qui est formidable, quand on fait son premier film, je suis un jeune réalisateur, c'est d'avoir quelqu'un d'aussi virtuose.
09:18 Elle traduit, d'abord elle a travaillé, un acteur déjà ne le fait pas toujours, elle a approché ce monde, elle a fait son travail, sa cuisine, pour arriver déjà chargé de l'histoire.
09:32 Elle est extrêmement à l'écoute, elle est extrêmement attentive à ce qu'il y a autour d'elle.
09:39 Il y a eu une espèce d'évidence dans le travail ensemble, parce qu'elle sait convertir très rapidement, comme une virtuose,
09:47 elle sait passer d'un sentiment à un autre.
09:50 C'est pour ça que ce personnage est lumineux, est vulnérable, mais en même temps chargé d'une force inouïe.
09:55 C'est rare d'avoir cette chance.
09:58 Quelle lecture, quel documentaire vous avez regardé, comment vous avez préparé le rôle de l'âge ?
10:02 Stéphane m'avait donné une petite liste, de livres, de documentaires, de films, et il y avait aussi Pierre-Henri Salfati sur le tournage.
10:11 Il faut raconter qui il est, parce qu'il est extraordinaire !
10:14 Oui, et qui est un érudit.
10:16 Un exégète de la Bible, mais pas que, parce que c'est un cinéaste au départ.
10:20 Il est splitté en deux, entre un monde, notre monde, celui de...
10:27 Il fait des documentaires, il a fait des documentaires sur Edford, sur Gainsbourg, et puis à côté de ça, c'est un des grands penseurs de la Bible.
10:33 C'est pour ça que j'aime bien dire un érudit, Pierre-Henri.
10:36 Parce qu'il y a peu de gens comme ça, en face de qui on s'assoit, et qui nous abreuvent de connaissances.
10:42 Je ne vais pas raconter la fin, mais ça tombe bien, puisque la fin, je ne la connais pas, c'est une fin ouverte.
10:47 Pourquoi ce choix ?
10:49 Parce que le film...
10:51 Mais vous venez de raconter la fin !
10:53 Bah non, on ne sait pas ce qui se passe, je ne peux rien dire.
10:55 Non, non, il ne faut pas le raconter, mais de toute façon, le film pose question.
10:59 Et je pense que la meilleure réponse à une question, c'est encore de reposer question.
11:03 C'est ça que dit le film.
11:05 Il y a un très joli proverbe italien qui dit "Si chiude una porta, si apri un portone".
11:09 Une porte se ferme, et aussitôt derrière, une plus grande porte s'ouvre.
11:12 Voilà, c'est ça que je voulais faire, c'était permettre aux gens d'ouvrir cette porte avec moi,
11:17 de se retrouver face à la question de leur propre histoire, de leur propre héritage.
11:21 Et ensuite de voguer vers, comme dit Lou, vers eux-mêmes, vers plus loin.
11:25 Vous parlez italien couramment ?
11:28 Oui.
11:29 Ça ne pouvait pas mieux tomber, on parle de Maneskin, on parle de musique, c'est un groupe italien.
11:32 A tout de suite avec Stéphanie Loire dans Culture Média, avec Stéphanie Loire, Lou Delage, Stéphane Fresse.