Alfred Schnittke : Golosa prirody (Voix de la Nature)

  • il y a 2 ans
La Maîtrise de Radio France et l'Ensemble Links interprètent, sous la direction de Morgan Jourdain, Golosa prirody (Voix de la Nature), oeuvre pour dix voix de femmes et vibraphone composée par Alfred Schnittke.

Et pourtant je crois : initialement, les Voix de la nature de Schnittke furent conçues pour accompagner un documentaire de Mikhail Romm. Face aux images de guerre, d’intolérance ou de détresse, l’apparition de montagnes et de forêts peuplées de daims et merveilleusement accueillantes ; une sorte de renaissance en somme, comme un chant d’enfant, une ligne mélodique qui émergerait d’un unique son, une harmonie qui jaillirait de cette première guirlande de notes, sans aucune parole, musique pure et salvatrice rendue quasi irréelle par les tintements d’un vibraphone. Soumise aux principes culturels du régime soviétique, la musique russe a traversé la majeure partie du XXe siècle isolée. Jusqu’au jour où l’ouverture des frontières a révélé aux compositeurs ce qui s’était passé ailleurs.
Pour Schnittke, les voies prometteuses de la modernité se sont alors transformé en un nouveau cadre presque aussi étroit que les anciennes prisons, le détournant d’une simplicité et d’une sincérité qui lui semblaient être une issue préférable. Inspiré par le Livre des lamentations de Grégoire de Narek, un moine arménien du Xe siècle, son Concerto pour chœur s’est donc souvenu des polyphonies religieuses du XVIIIe siècle. Contrairement à un précédent Requiem autorisé à rencontrer le public parce qu’il accompagnait une pièce de Schiller, il témoignait d’une liberté enfin retrouvée. Une « musique que le texte suggérait, et non celle qu’[il] voulait écrire », enfin libérée des contraintes politiques, techniques et esthétiques comme de tout individualisme, afin de s’attacher à l’essentiel.
Schnittke a compris que la musique devait aussi s’extraire du pouvoir des images, capable de symboliser la vie à elle seule. Ce sera d’ailleurs son défi pour la tragique héroïne du Choix de Sophie, victime de la folie concentrationnaire racontée par William Styron dans ces mêmes années soixante-dix. Ce le sera aussi pour Alfred Schnittke quand, dix ans plus tard et après une première attaque cérébrale, il reprendra sa plume. D’un ré à un autre ré, les Voix de la nature bruissent sur quelques accords et figures mélodiques, lumineuses comme pour sortir de la nuit.

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