Témoignage n°9, lu par Oscar Sisto

  • il y a 9 ans
Attention ce témoignage parle de violences sexuelles, il peut heurter la sensibilité de certains spectateurs.

Lecteur :
Oscar Sisto

Réalisation : Catherine Zavlav et Cécile Nicouleaud
Image : Vincent Tulli
Assistante mise en scène : Sandra Moreno
Montage : Louis Beaugé de La Roque
Musique : Malik Ati
Mixage : VTP
Maquillage Marine Girondeau
Photos : Jérôme Godgrand
Régie : Tanya Artioli
Infographie : Christine Bruneteau
Etalonnage Cécile Nicouleaud

texte du témoignage lu par Oscar Sisto

"Décembre 2000, ma mère est hospitalisée en urgence pour un œdème pulmonaire, elle a 40 de fièvre. Au bout de 3 jours, elle commence à délirer. Elle parle d’un complot : on essaye de la tuer, il y a une caméra dans sa chambre… Elle est sur écoute.
A 3h du matin, elle se sauve en robe de chambre avec sa perfusion. Une infirmière la voit dehors, et la raccompagne dans sa chambre. J'ai dû la ramener à la maison contre l'avis des médecins. Elle ne voulait plus rester à l’hôpital, elle était terrorisée. Suite à cet incident, elle a eu la phobie des hôpitaux.

Quelques années plus tard, en 2008, ma mère a 80 ans. Elle commence à avoir peur à la maison. Peur des voisins. Elle dit qu’elle entend sans arrêt une femme pleurer. Que c'est la femme du voisin, enfermée dans la cave et qu'il la bat. Elle n'ose plus se mettre à la fenêtre. Elle parle à voix basse de peur qu'on ne l'entende. Elle est constamment angoissée.

Je ne sais plus quoi faire. Je l’emmène voir différents médecins. Ils me disent qu'elle est paranoïaque. Selon eux, il faut la faire interner, mais je ne peux pas m’y résoudre. Quelque chose me dit que le problème vient d’ailleurs. Elle n’est pas folle. Elle cuisine comme d'habitude, et tient une conversation, comme avant.

Ma mère et moi avons toujours été très proches. Je sais qu'étant enfant, elle a subi des maltraitances de la part de ses parents. Quant à son mariage avec mon père, il a été terrible. Il la battait et a essayé à plusieurs reprises de la tuer.

En 2009, ma mère me dit, comme souvent, qu'elle a un secret et qu'elle ne le révèlera jamais. Ça me fait sourire. Ce sont des bêtises, comme d'habitude.
Mais cette fois, elle me dit ce qu’elle cache depuis si longtemps. Elle a 8 ans, quand son père revient au domicile conjugal. Elle a 8 ans, quand il commence à la violer. Et ça ne s’arrêtera que le jour de son mariage. Pour ses 20 ans.

En entendant ça, j’ai l’impression que le ciel me tombe sur la tête. Elle me fait promettre de ne le dire à personne. Que c’est dur. Pendant 15 jours, impossible de dormir. Je me dis que c'est encore une de ses inventions. Mais non. C’est la réalité. Enfin, certaines zones d’ombre du passé s’éclaircissent.

Quelques temps plus tard, très remuée, je consulte une psy. Je lui raconte ce qui est arrivé à ma mère. Elle me répond "Vous pleurez pour ça ? Sinon pourquoi pleurez-vous ? C'est pour votre grand-père ? » J'ai juste envie de lui dire que je me fous de mon grand-père. Cet homme odieux est mort depuis plus de 30 ans. Moi, c'est à ma mère que je pense. A la petite fille qu'elle était, seule, sans personne pour la défendre. Mais les mots ne sortent pas, je me mets à pleurer.

C’est ma gynécologue qui m’a orientée vers un psychiatre compétent. J'ai pu comprendre ce qui se passait pour ma mère et par voie de conséquence, pour moi.

Je ne pense pas qu’un jour, on connaisse l’étendue des violences subies dans son enfance. Elle refuse d'en parler, et tente de faire comme si rien ne s'était jamais passé.

Aujourd'hui en tout cas, ma mère va mieux. Parfois elle va bien, parfois moins, mais au moins je sais qu'elle n'est pas folle, et que les voix qu'elle entend sont celles de son passé qu’elle ne parvient pas à évacuer, et qu'il faut faire avec. Je suis plus sereine maintenant que je sais que je ne suis pas seule face à ses traumatismes. C'est important d’être écouté. Personne n'est au courant de ce qui lui est arrivé. Les gens prétendent que mes grands-parents étaient de bons parents. Mais moi je me souviens, et je peux vous dire que ce n’étaient pas des gens aimants."

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