1997 Hervé Laurent, Un Skipper dans la course * Trigone Production

  • il y a 2 mois
Arrivé 3ème au Vendée Globe 1996-1997, le Skipper Lorientais Hervé Laurent nous raconte les conditions de vie à bord pendant cette course au large et nous explique les différents type de matériel électronique embarqué pour naviguer.
© Trigone Production - Mars 1997 * Réal Christophe Hoyet

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Sport
Transcription
00:00Le bateau, je le connaissais déjà bien, bien que ça fasse un an que je fais du monocoque
00:25de 60 pieds, mais j'ai eu confiance, j'ai toujours eu confiance en lui, je connaissais
00:32bien ses limites.
00:33Donc à partir du moment où on reste dans les limites du bateau, il n'y a pas de soucis,
00:36on est sûr que ça va passer.
00:38Et plus la course avance, effectivement plus on rentre en osmose avec la machine, on vibre
00:43avec elle, c'est-à-dire que lorsqu'on va forcer un peu, parce qu'on va dire bon là
00:46il faut attaquer un petit peu parce qu'on a un coup de vent qui arrive ou quoi que ce
00:50soit, donc on va pousser un peu le bateau, on sait qu'il souffre, on sait qu'il a mal
00:54et on a mal avec lui et ça c'est très fort, on vit avec lui et moi quand je dors dans
00:58les couchettes, je plaque mon oreille sur la cloison pour sentir ce qui se passe, c'est-à-dire
01:02qu'au moindre changement de bruit ou de réaction du bateau, je vais le sentir, je vais me réveiller.
01:08Donc on arrive vraiment à faire corps avec son bateau et je dirais que le fait d'avoir
01:13justement ramené ce bateau en bon état, c'est presque la plus grosse satisfaction
01:17que je peux avoir.
01:24Le cockpit pour moi c'est une sorte de cellule, c'est une capsule, moi je me compare vraiment
01:39à un astronaute parce qu'on vit dans 3m3 pendant très longtemps avec des missions
01:46bien précises de mesures, d'observations à l'heure fixe tous les jours, c'est très
01:53comparable à la vie d'un astronaute là-haut dans une station orbitale.
01:57On a les mêmes soucis, on a les mêmes soucis de nourriture, il faut qu'on arrive à avoir
02:03de la nourriture la plus riche possible, la plus légère possible, c'est vraiment très
02:07proche et moi je rêve de rencontrer des astronautes pour arriver à essayer de voir comment eux
02:13ont ressenti leur aventure dans l'espace parce que je crois qu'on va être très très
02:17proche l'un de l'autre.
02:18On arrive dans l'océan indien, il y a 30 nœuds de vent dans le bazar, 31 nœuds, ça donne
02:32pas mal, comme d'habitude, le vent normal ici c'est 32, moins de 30 nœuds, il y a un
02:42problème.
02:43Donc ça va à peu près, pas trop de soucis, pour l'instant ça caille, là il y a du soleil,
02:58ça chauffe, il y a 15 degrés dans le canot, dehors il fait encore 4 degrés dehors, c'est
03:11quand même midi et demi, une heure et demie quoi, non une heure et demie, il fait 4 degrés,
03:21ça craint, donc voilà, il y a des vagues qui font chier, on va voir ce qu'il y aura,
03:34mais pour l'instant ça décolle, ça décolle.
03:44Je dirais que j'ai pratiquement passé 4 mois ici, là pas assis mais pas loin, j'ai l'avantage
03:49d'avoir une grosse bulle, donc une visibilité parfaite de tout ce qui se passe, soit des
03:54vagues, de la mer, ou des voiles, donc ça permet de vérifier le réglage des voiles
03:58en permanence.
03:59Le gros compagnon c'est bien sûr l'ordinateur, parce que c'est avec lui que je pouvais recevoir
04:05des champs de vent, c'est à dire que j'ai des, par satellite, via le Telex sans l'arcée,
04:11ça me permet d'avoir tous les jours, tous les matins, entre 8 et 9 heures, je recevais
04:175 jours de prévision de vent sur la zone où je suis, et donc avec la force et la direction
04:25du vent.
04:26Surtout dans le sud parce que les conditions de vent changent très très souvent, on a
04:32vraiment des remontées d'air froid très fréquentes qui arrivent du pôle sud et qui
04:36font changer la situation complètement, donc il faut être très vigilant et toujours pratiquement
04:40sur le pont pour changer les réglages de voile, et c'est pas évident de passer du
04:45temps ici à la table à cartes pour pouvoir se concentrer, faire le vide autour et essayer
04:50de réfléchir à une tactique qui soit la meilleure.
05:05A la radio, on avait une radio longue portée qui nous permettait d'avoir la Terre partout
05:10le temps, tout le long de la traversée, on pouvait appeler la France.
05:15Au niveau de l'Australie, ça passe un peu moins bien, il y a des heures pour ça, c'est
05:19déjà plus compliqué d'arriver à voir la France, mais de toute façon on avait une
05:26vacation avec le PC course qui nous permettait d'obtenir la position des autres bateaux,
05:33puis les informations générales sur la course, et c'était intéressant pour la tactique
05:39parce qu'il faut aussi naviguer par rapport aux autres, ne pas laisser partir un concurrent,
05:44prendre une option tout seul, c'est beaucoup trop dangereux, donc on surveille également
05:48ce qu'il fait.
05:49La communication c'est très important, dans une course comme ça, arriver à communiquer
05:53tout le temps avec la Terre, c'est vraiment... on n'est jamais tout seul finalement.
05:58Il faut se dire que le standard C, le Telex par satellite, nous permet d'envoyer sur n'importe
06:04quel fax en France un message, qui arrive deux minutes après du bateau, ça arrive
06:10en France, même si on se trouve dans plein milieu de l'océan Pacifique.
06:14Donc on peut carrément faire un dialogue entre quelqu'un à Terre qui a un Telex et
06:20le bateau, et ça c'est fabuleux.
06:23Je pense que cette année, c'était une révolution, c'est-à-dire qu'on arrive vraiment à communiquer
06:29en direct par Telex sans problème technique.
06:36Il y a juste une toute petite antenne ridicule maintenant, parce qu'on arrive à miniaturiser
06:40toute l'électronique, qui est juste sur le pont et qui va voir le satellite tout le
06:45temps.
06:46Ça c'est intéressant, et je pense que dans 4 ans, il y a encore un autre système qui
06:51est en train de se mettre en place, c'est le standard M, c'est-à-dire c'est le téléphone
06:54en direct.
06:55On pourra appeler le bateau de chez soi, on fait le numéro du bateau et on l'aura en
07:00direct, et inversement, le bateau pourra appeler la Terre n'importe où directement.
07:05Ça change complètement l'état d'esprit des coureurs et de la façon de naviguer.
07:09C'est une grosse révolution.
07:17Tout est à portée de main, c'est-à-dire qu'on a vraiment les couchettes qui sont
07:22vraiment juste à côté, le tableau électrique, j'appelais ça la centrale nucléaire, parce
07:29qu'il y a vraiment un tas de trucs là-dessus.
07:31En plus, les batteries sont utilisées dans l'aérospatiale, le camion nickel, qui sont
07:38d'origine des bateaux, qui sont vraiment très performants.
07:41J'ai arrivé jusqu'à 30 volts avec une énorme puissance, beaucoup d'énergie à
07:45bord, et ça m'a beaucoup servi.
07:47J'étais vraiment tranquille à ce niveau-là.
07:50Comme aide à la navigation, on avait sur le GPS, c'est un système qui permet de se
07:55positionner, qui donne un point toutes les secondes à 50 mètres près.
07:58Donc, de ce côté-là, on est loin du sextant pour arriver à faire le point.
08:03Donc, l'appareil, je peux programmer un point que j'ai défini, c'est-à-dire que
08:09j'ai dit qu'il faut que j'aille vers cette direction, que j'ai pu trouver grâce
08:12à l'ordinateur.
08:13Et lui me dit sans arrêt si je suis dans la bonne direction, quelle distance il me
08:17reste à faire et combien de temps je vais mettre pour y arriver.
08:22Donc, ça, c'est intéressant.
08:24Ensuite, on a les instruments, les indicateurs sur tout ce qui se passe sur le bateau lui-même,
08:30c'est-à-dire la direction du vent, la force du vent, la vitesse du bateau, même la
08:35température de l'eau, tout simplement, parce qu'au niveau des icebergs, on sait que
08:38la température de l'eau se refroidit à l'approche d'un iceberg.
08:43Donc, on a ça qui peut être programmé.
08:46On peut mettre des alarmes là-dessus, c'est-à-dire que quand on dort, je peux, si le vent
08:52tourne un tout petit peu, donc ça déclenche une sonnerie qui me réveille, ou alors si
08:57le bateau ralentit trop, ça me réveille, ça permet de s'endormir à peu près tranquillement.
09:02On a le pilote automatique, très important, puisqu'en fait, je barre très très peu.
09:08Sur une course comme ça, on ne barre pas tellement, on n'est pas tellement à la barre
09:12On a trop de boulot par ailleurs, et dès qu'on a un petit peu de temps disponible, on essaie
09:17de se reposer, puisque malheureusement, on n'a pas trop le temps de se reposer.
09:21Donc le pilote automatique, très important.
09:23Moi, j'avais deux principes.
09:25Il y a des gros pilotes de chalutiers hydrauliques, ou des petits pilotes, pour le petit temps,
09:31des pilotes électriques, mais j'en ai cassé beaucoup parce qu'ils supportaient mal les
09:36grosses vagues qui arrivaient sur le bateau.
09:40Par contre, les gros pilotes hydrauliques ont très bien marché.
09:44L'inconvénient de ces pilotes, c'est qu'ils ont consommé beaucoup d'énergie, donc j'étais
09:47toujours un petit peu inquiet pour être sûr d'avoir assez de gasoil pour faire tourner
09:52les gros électrogènes du bateau.
09:54Le problème, c'est que j'ai quand même embarqué 400 litres de gasoil, et je ne voulais pas
09:58se faire comme Bertrand de Broc, tomber en peine de gasoil.
10:01C'était un peu idiot d'abandonner la course pour ça.
10:10La sono, c'est important de pouvoir avoir de la bonne musique.
10:13Là, j'avais vraiment une bonne chaîne, avec un haut-parleur à l'intérieur, extérieur,
10:17étanche, un chargeur de CD, parce qu'on a besoin de faire autre chose que du bateau.
10:25On a vraiment besoin de penser à autre chose, et de temps en temps, la musique aide bien.
10:39Le chauffage, je n'en avais pas.
10:50C'est un petit peu une erreur, parce que quand je me rapprochais vraiment du pôle sud,
10:57le matin, il faisait 2 degrés à l'intérieur, donc j'avais un peu de mal à me le sortir
11:03du vivet, et je dirais que le seul endroit où je pouvais vraiment me réchauffer, c'est
11:08dans le duvet.
11:09Ça m'arrivait, même si je n'avais pas envie de dormir, en pleine journée, je plongeais
11:13dans le duvet, j'avais 3 duvets de montagne, je restais 10 minutes dedans, le tonneau a
11:18chauffé, et je pouvais en ressortir ensuite.
11:21On passe quand même un mois et demi autour de l'Antarctique, et à la fin, à l'approche
11:25du Cap Horn, l'humidité commence vraiment à pénétrer partout, et ce n'est pas très
11:29agréable.
11:30Je pense que le prochain tour du monde, j'aurai un bon chauffage à bord.
11:36Ensuite, le baromètre, un instrument important.
11:38Là, j'ai un baromètre électronique qui me permet de suivre l'évolution de la pression
11:46de l'air, et donc de voir où je me positionne par rapport aux dépressions, aux antiflowns.
11:50Ça, c'est quelque chose sur lequel j'avais toujours l'œil fixé, parce que plus le
11:55mouvement de la courbe est important, plus le vent va être important aussi, donc il
12:01faut vraiment surveiller ça de près.
12:05J'ai chaviré, je dirais même plus que les autres, pratiquement, parce que le bateau
12:09est beaucoup moins stable.
12:11Ce qui s'est passé, c'est qu'à ce moment-là, j'ai fait silence radio, c'est-à-dire partir
12:16des îles des Carguellennes jusqu'au Cap Horn, pratiquement, parce que j'ai tellement
12:20souffert que je n'avais pas envie de communiquer, et j'entendais les autres qui n'arrêtaient
12:24pas de pleurer à la radio et tout, et moi je n'avais pas envie de le faire, et je
12:28ne l'ai pas dit, mais il faut savoir que dans un coup de vent, ça m'arrivait de chavirer
12:335-6 fois par jour.
12:35Le problème, c'est qu'on est là, le bateau, donc on met le mât dans l'eau, chavirer
12:41ça veut dire mettre le mât dans l'eau, c'est-à-dire que le bateau est pris par
12:43une défaire lente, il faut imaginer un immeuble de 6 étages qui vous tombe dessus, et ça,
12:50on se sent tout petit, et lorsque le bateau ressort de la vague, se redresse, on regarde
12:55si le mât n'est pas tombé, et si la course n'est pas finie.
12:59Et ça, c'est très très dur à vivre, nerveusement, c'est épuisant, ça a été
13:03vraiment le point le plus pesant de toute la traversée.
13:08Je n'ai pas eu de grosse casse, j'ai eu beaucoup de petites choses qui ont cassé,
13:11parce que c'était un vieux bateau, donc ça, je m'y attendais, j'avais beaucoup
13:15d'outillages pour réparer, la stratification, la mécanique, j'avais vraiment beaucoup
13:19d'outils, donc j'ai toujours réparé, tout de suite, j'ai eu beaucoup de travail
13:25d'entretien, mais pas de grosses choses, j'ai quand même stratifié des cloisons,
13:29avec des grosses fissures, mais bon, ça n'a jamais freiné le bateau, et je n'ai pas
13:35eu de gros gros soucis.
13:39Oui, il y a eu un pontet, donc une fixation pour mettre des poulies, c'est arraché du
13:45pont, donc ça a fait un trou dans le pont, alors le problème c'est qu'avec les vagues
13:49qui n'arrêtaient pas de tomber sur le pont, ça remplissait le bateau, et j'ai mis beaucoup
13:53de temps à réussir à bien boucher ce trou, pour arriver à trouver des conditions de
13:59température et d'humidité intéressantes pour arriver à boucher, et là, pour des
14:05raisons de sécurité, parce que le bateau se remplissait quand même par le pont, donc
14:09c'était un peu gênant.
14:11Mon antenne de radar était tombée dès le départ, dès le premier coup de vent, dans
14:15le golfe de Gascogne, donc je n'avais plus de radar, et ensuite, le premier iceberg que
14:21j'ai vu, j'étais tranquillement à ma table à cartes, et puis le brouillard se lève,
14:25et qu'est-ce que je vois à 200 mètres sur le côté du bateau ? Un mur de glace qui
14:29sort du brouillard, et là, vraiment, j'ai vraiment eu peur, je me suis dit, mais si
14:35je n'avais pas appuyé sur le bouton 2° à gauche, 3 heures avant, je me payais le
14:41mur de glace.
14:42Donc là, j'ai un peu eu peur, je rentrais en plus dans la zone d'iceberg, avant le
14:47pont de Gascogne, et les icebergs, j'en ai vu un tous les deux jours à peu près.
14:53Un iceberg, c'est un morceau de glace qui fait entre à peu près 100 mètres sur 200
14:58mètres sur 50 mètres de haut, donc c'est quand même quelque chose de gros, et la nuit,
15:03je savais qu'ils étaient encore là, et ça, heureusement, la nuit n'est pas très
15:08longue, à ce moment-là, j'avais des nuits de 2 heures, mais quand je voyais le soleil
15:11se coucher, je ne savais pas si j'allais voir se lever.
15:16Le problème, ça m'est arrivé d'être très fatigué, d'avoir des hallucinations,
15:20d'être là à la table à cartes, de dire à l'équipage, vous occupez de tout, moi
15:25je me repose, s'il y a un problème, vous me réveillez, je me mets sur la table à
15:28cartes, et puis ça pouvait durer 2 heures comme ça, effondré sur la table à cartes
15:31parce que j'étais complètement épuisé.
15:33Bon là, ça devient dangereux, il faut faire attention.
15:38Le prochain tour du monde, moi j'aimerais bien faire le prochain qui est dans 2 ans,
15:44le tour du monde en solitaire, parce qu'il est avec escale, ça permet de mettre son
15:49bateau au point, à chaque étape on peut faire évoluer le bateau, pour être sûr
15:53que dans 4 ans, pour le tour du monde sans escale, le bateau soit parfaitement au point,
15:59donc j'aimerais bien repartir.
16:03Là j'ai été une fois pour voir, et la prochaine fois, j'aimerais bien y aller
16:08pour gagner, mais avec un outil qui me permette de vraiment me battre à armes égales contre
16:14les autres, parce que ça, ça m'a un peu pesé, le fait d'être toujours un petit
16:19peu moins rapide que les autres, et d'être obligé de travailler beaucoup plus, de ruser
16:25beaucoup plus pour arriver à rester dans le coup.

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