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00:01Europe 1 Soir, 19h-21h, Stéphanie Demuru.
00:05Et soyez les bienvenus dans la deuxième heure d'Europe 1 Soir avec nos invités Jean-Michel Salvatore, coniqueur politique.
00:11Bonsoir Jean-Michel.
00:12Bonsoir Stéphanie.
00:13Gilles Boutin, journaliste en politique économique au Figaro.
00:16Bonsoir Gilles Boutin.
00:17Bonsoir Stéphanie.
00:18On est également avec Bernard Lecomte, journaliste spécialiste du Vatican, auteur de France Vatican, deux siècles de guerre secrète aux éditions Perrin.
00:28Bonsoir Bernard Lecomte.
00:30Bonsoir.
00:31Alors, beaucoup de choses se jouent au Vatican Bernard Lecomte.
00:35On suit, je n'ose pas parler de feuilleton bien évidemment, mais quand même, quand même, ce conclave intrigue beaucoup de monde.
00:42Il aura lieu entre 15 à 20 jours, mais ce matin la première congrégation générale a eu lieu avec les premiers cardinaux qui affluent du monde entier.
00:53Et beaucoup de choses, Bernard Lecomte, se jouent lors de ces réunions.
00:59Expliquez-nous.
01:00Oui, parce que pendant ces réunions qu'on appelle des congrégations générales, les cardinaux arrivent de leur lointain diocèse et découvrent un petit peu leurs petits camarades.
01:11Parce que les cardinaux ne se connaissent pas bien entre eux, à part les rares qui ont travaillé à la curie à Rome et qui ont donc vu leur père ou qui ont vu les autres dicastères, comme on dit, les autres ministères de la curie.
01:25Mais à part cela, les cardinaux arrivent, ils sont en demande de connaître les autres nommés et les autres cardinaux du conclave.
01:37C'est très important parce que c'est pendant ces congrégations générales, alors que ce n'est pas pompeux qu'on se parle librement, que ça peut même se terminer parfois dans les tractorias du vieux quartier du Borgo.
01:51C'est sympa, on fait connaissance dans des langues italiennes, espagnoles, un petit peu tout, et c'est là qu'on découvre les personnalités.
02:03C'est comme ça que Jean-Paul II avait été choisi en son temps, parce que les cardinaux allemands, les cardinaux américains avaient été prévenus par le cardinal autrichien Koenig de « tiens, il y a un polonais là qui serait pas mal, etc. »
02:20C'est comme ça aussi que Bergoglio est devenu pape François.
02:23C'est pendant ces réunions qu'un jour il a pris la parole et tout le monde a dit « bon sens, ce qu'il a dit est formidable, et voilà, peut-être notre candidat. »
02:30Donc ces réunions très informelles, parce que le conclave lui est très très formel, mais là vraiment on fait connaissance et on découvre en effet tel ou tel cardinal qui pourrait peut-être être un candidat.
02:46Bernard Lecomte, pardonnez-moi la naïveté de mes questions, mais c'est vrai qu'on finalement on ne se pose pas tant que ça justement ces interrogations.
02:54Comment ça se passe finalement ? Est-ce qu'on peut parler d'une campagne comme des hommes politiques ?
02:59Est-ce qu'il y a des systèmes d'alliance ? Est-ce que chacun y va de son programme ? Il y a les gens de gauche, de droite, enfin bref, comment ça se trame tout cela ?
03:10Alors officiellement non, il n'y a pas de campagne, il n'y a pas de candidat.
03:13Ce qui m'intéresse c'est l'officieux.
03:14Et en réalité, bien sûr qu'il y a des manips, bien sûr qu'il y a des gens qui parlent et qui se disent, dis donc, si on était tous d'accord pour dire ceci ou pour pousser un tel, ça serait pas mal.
03:26Ça, ça s'est toujours passé dans les conclaves.
03:28Maintenant, il faut prendre garde à ne pas transformer le conclave en une réunion du bureau du Parti Radical Socialiste.
03:38On n'est pas dans la petite politique là.
03:41On n'est pas dans le petit jeu des gens de droite, des gens de gauche.
03:46Non, il y a quand même un enjeu qui dépasse très largement ça, qui est l'unité de l'Église.
03:53Ça fait 2000 ans que cette Église résiste à toutes les divisions, les schismes, les chicaillats, les vrais conflits, les tensions.
04:02Et cette Église continue parce qu'il y a un moment, et c'est au conclave que ça se passe,
04:08où tout le monde est d'accord pour dire, attention, il y a d'abord un souci, c'est celui de l'unité de l'Église.
04:14Il faut éviter à tout prix que l'Église se divise entre conservateurs et progressistes, entre ceci et cela.
04:22C'est là où je dis, pardon pour mon petit sourire, mais c'est vrai que l'Église, ce n'est pas un parti politique.
04:28Il ne faut pas qu'on fasse.
04:29Et pourtant, Bernard Lecomte, c'est le chef d'un État, le Vatican, et surtout, moi j'entendais un prêtre ce matin
04:37qui nous expliquait quand même que la géopolitique, les rapports de force qui se trament dans le monde sont extrêmement importants,
04:43et vous allez peut-être me dire si vous êtes d'accord avec ça.
04:46Et c'est ça qui se jouait aussi au conclave, on sait les polarités entre les différents pays aujourd'hui,
04:55entre le Sud, le Nord, comment peut-on maintenir cette unité de l'Église dans ce contexte de polarité, justement ?
05:03C'est la grande difficulté, mais c'est justement le grand enjeu, parce que justement, le monde n'est plus ce qu'il a été.
05:10On n'est plus au temps de la guerre froide, où c'était assez simple, c'était bipolaire, c'était clair et net.
05:16Aujourd'hui, tous ces cardinaux qui viennent de tous les pays, qui construisent une Église complètement mondialiste,
05:23l'Église n'est plus du tout européenne aujourd'hui, elle est complètement mondialisée,
05:28et ils ont à cœur de garder l'unité de cette Église.
05:33C'est la chose la plus difficile s'ils veulent avoir, en effet, un impact demain dans ce monde de plus en plus difficile, déchiré et violent.
05:42Ils ont impérativement besoin d'être d'accord sur un minimum,
05:47et puis d'élire quelqu'un qui, parmi eux, saura maintenir cette unité pour l'avenir.
05:53Avant de donner la parole à nos chroniqueurs qui veulent aussi échanger avec vous,
05:57vous parliez d'impact, est-ce que le pape a une vraie influence encore aujourd'hui dans le monde ?
06:04Bien entendu, vous savez, le pape est quand même le chef d'une Église
06:07qui est la plus grande et la plus ancienne institution du monde.
06:132000 ans d'histoire, 1 milliard 400 millions de fidèles.
06:17Prenez un exemple très simple, très court.
06:19Quand le pape François a sorti son encyclique, qui s'appelle Laudato Si, sur l'écologie,
06:29il a été lu, disséqué, discuté, apprécié et compris par 1 milliard 400 millions de gens.
06:36C'est vous dire l'impact du pape dans ces cas-là.
06:41Le pape a fait progresser l'écologie dans le monde en quelques semaines par la publication de ce texte,
06:48qui est d'ailleurs absolument passionnant.
06:50Et voilà l'impact d'un pape.
06:52Et on a toujours dit d'ailleurs qu'il avait vraiment, oui, fait avancer l'écologie.
06:56Et puis les écolos, pas forcément catholiques, on se dit aussi.
06:59C'est ça l'impact d'un pape.
07:02Alors évidemment, ça peut aller dans un sens, dans un autre, etc.
07:06Je prends l'exemple de l'écologie parce que je crois qu'il restera,
07:10et ce fameux texte Laudato Si, restera comme un immense progrès en matière d'écologie dans le monde.
07:18Jean-Michel Salvatore.
07:19Je voudrais revenir sur les coulisses du conclave.
07:23Dans la presse française, il y a des listes qui circulent, des listes de favoris.
07:30Alors on dit peut-être Mgr Parolin, qui est le numéro 2 aujourd'hui du Vatican.
07:35On parle aussi d'un Italien qui pourrait être l'archevêque de Bologne, qui pourrait devenir peuple.
07:40Qu'est-ce qu'il faut penser de ces listes ?
07:42Est-ce que ce sont des listes qui sont sérieuses ?
07:45Est-ce qu'il y a véritablement des favoris ou des personnalités possibles ?
07:52Ou est-ce que pour l'instant, tout est très prématuré ?
07:55Non, ces listes sont sérieuses parce que les personnalités que vous citez sont des gens sérieux.
08:02Et en effet, c'est tout à fait naturel que l'on désigne déjà
08:06« Tiens, celui-là, il est assez connu. Tiens, celui-là, il a une réputation ainsi, comme ça. »
08:12Et puis voilà. Alors, soyons clairs aussi, les Espagnols poussent un peu les Espagnols,
08:17les Français, les Français, les Italiens, les Italiens.
08:19Ça existe aussi, ça.
08:20Mais, soyons clairs, dans tous les conclaves modernes,
08:25à part deux exceptions, on s'est toujours trompé.
08:30Toujours.
08:31C'est-à-dire qu'entre des papabilis plus ou moins capés, plus ou moins aimés, plus ou moins notoires,
08:40à un moment, le conclave, attention, entre ces deux-là, on risque de créer un schisme ou une faille dans l'Église,
08:49et c'est un troisième homme qui apparaît.
08:51Ça s'est passé presque tout le temps.
08:53Et comment on explique ça, justement ?
08:56C'est la volonté de ne surtout pas diviser l'Église.
08:59Vous savez, il y a toujours eu un cardinal très connu, très conservateur,
09:06qui rassemblait les voix des conservateurs,
09:09et puis un autre en face, qui rassemblait plutôt les voix des progressistes ou des modernes.
09:14Et puis là, d'un seul coup, à chaque fois, on se dit,
09:17attention, il ne faut pas que le pape soit le pape de la moitié de l'Église.
09:21Il est absolument essentiel qu'il soit le pape des deux parties.
09:26Et c'est comme ça qu'on a élu Jean-Paul II, c'est comme ça qu'on a élu le pape François.
09:31Ce sont des gens qui n'étaient pas destinés au départ à être élus,
09:35ils n'étaient pas papabilis au départ,
09:37et ils le sont devenus justement parce qu'on a compris que ceux-là,
09:41même s'ils sont un peu conservateurs ou un peu progressistes,
09:44ils sauront maintenir l'unité de l'Église.
09:46Et on sait, en voyant le pontificat du pape François,
09:51que c'est effectivement la chose la plus difficile à réaliser aujourd'hui.
09:55Gilles Boutin.
09:56Oui, Bernard Lecomte, bonsoir.
09:59Vous parlez d'unité, pour autant, qu'en est-il des courants ?
10:04Est-ce qu'il y a un courant majoritaire aujourd'hui parmi les cardinaux,
10:09sachant que je crois que 75% d'entre eux ont été nommés par François ?
10:14Alors, est-ce à dire que tous partagent son positionnement dit progressiste ?
10:22Est-ce que tous partagent, par exemple, son choix d'autoriser la bénédiction des couples homosexuels,
10:28qui lui a été beaucoup reproché par toute une partie également de l'Église,
10:31et notamment du côté de l'Afrique ?
10:34Donc, est-ce que cela signifie que ce sera quelqu'un émanant de son camp,
10:39entre guillemets, qui a toutes les chances de devenir pape à l'issue du conclave,
10:43ou bien faut-il se préparer à une surprise,
10:46voire à un pape qui serait sur un courant inverse
10:50et qui voudrait rééquilibrer les choses en sens inverse ?
10:54Vous savez, à chaque fois qu'un pape est resté au moins 10-12 ans,
11:00on s'est retrouvé évidemment au conclave suivant
11:02avec une grande majorité de cardinaux nommés par lui.
11:05C'est un simple problème de nombre d'années.
11:07Lors du conclave qui a suivi la mort de Jean-Paul II,
11:1398% des cardinaux avaient été nommés par Jean-Paul II.
11:18Et pourtant, ça n'était pas tous des disciples de Jean-Paul II.
11:21Ça se retrouve à chaque fois qu'un pape est resté assez longtemps.
11:25Et en réalité, cette équation ne marche pas.
11:28On le sait pour un certain nombre de conclaves anciens.
11:31Je pense à un conclave très célèbre qui a été un grand tournant,
11:36le conclave de 1903,
11:38où tous les disciples de Léon XIII,
11:42pape très progressiste à l'époque,
11:45se sont dit « bon ben on va continuer ».
11:46Et puis finalement, le conclave a élu Bidys,
11:49qui était le pape le plus réactionnaire du XXe siècle.
11:52Mais ça s'est passé aussi avec Benoît XVI,
11:58puisque Benoît XVI a constitué quand même tout un collège de cardinaux
12:02qui ont voté pour le pape François,
12:06qui pour le coup n'était vraiment pas sur la ligne de Benoît XVI.
12:09Donc finalement, ce sont les électeurs de Benoît XVI
12:13qui ont élu quelqu'un qui était de la mouvance opposée à Benoît XVI.
12:18Voilà, c'est pour ça que je vous dis,
12:20« soyons prudents », parce que l'histoire nous apprend qu'en effet,
12:24encore une fois, un conclave, ce n'est pas un congrès de partis politiques,
12:28c'est plus compliqué que ça,
12:29il y a des enjeux qui se recoupent,
12:32et puis des clivages entre les papes du Sud,
12:36les papes latino-américains, les asiatiques, les africains, les européens,
12:40il y a beaucoup de clivages compliqués aujourd'hui,
12:43et de plus en plus compliqués,
12:44parce que l'Église est de plus en plus mondialisée,
12:47qui interdisent d'avoir des pronostics sérieux.
12:51Bernard Lecomte, merci.
12:52Je crois que malheureusement, on doit vous libérer manifestement,
12:55donc merci de nous avoir éclairés.
12:57On avait encore plein de questions à vous poser,
12:59mais enfin, quelque chose me dit qu'on risque de se retrouver dans la semaine, peut-être.
13:04Avec plaisir, quand vous voulez.
13:04Merci à vous, et restez avec nous, chers auditeurs.
13:07On va poursuivre cette conversation évidemment sur la mort du pape François,
13:12et ce qui va suivre évidemment avec son possible successeur.