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L'historien et éditeur Emmanuel de Waresquiel était l'invité de France Inter lundi 21 avril. Il publie “Rien ne passe, tout s’oublie” (Tallandier).

Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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Transcription
00:00France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
00:05Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un historien spécialiste de la Révolution française,
00:10de l'Empire et de la Restauration.
00:12Notamment, il publie chez Talendis, « Rien ne passe, tout s'oublie, souvenirs d'histoire ».
00:19Vos questions, vos réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de Radio France.
00:25Emmanuel Devaresquiel, bonjour.
00:27Bonjour.
00:28Bonjour.
00:28Et bienvenue à ce micro pour évoquer ce livre qui est un trésor d'intelligence et de drôlerie,
00:35un mélange de réflexions sur l'époque, sur votre métier d'historien,
00:39de confession parfois étonnante sur vous-même et votre rapport à la vie.
00:43C'est un livre plus singulier, plus personnel que vos précédents,
00:48un livre, on va dire, à la première personne.
00:51Vous posez cette question dans l'avant-propos,
00:53nous mettons les poètes dans la rue et les historiens dans un donjon,
00:58« Nous avons tort, pourquoi les historiens ne seraient-ils pas un peu poètes ? »
01:05Avec ce livre, vous avez voulu sortir du donjon, parler de vous et du monde tel qu'il va aujourd'hui.
01:11C'est ça, et puis pourquoi est-ce que l'historien n'écrirait pas de la poésie ?
01:15Ce qui est mon cas.
01:17Je vais faire un paradoxe, mais la poésie dit une vérité que l'histoire ne dit pas, dans un certain sens.
01:26L'historien donne des vérités successives, aléatoires, temporaires, parfois contradictoires.
01:32La littérature, d'une façon générale, dit une vérité, par cette extraordinaire alchimie des mots
01:39et par cette transposition de l'auteur dans son texte ou dans son personnage.
01:43Ça vaut aussi pour le poète.
01:45Moi, je suis un militant de la mixité, et donc je pratique les deux formes d'écriture,
01:51même si l'histoire est probablement ce qui me structure.
01:53L'histoire vous structure, et en général, vous vous cachez derrière vos archives,
01:58derrière les grands hommes, les grandes femmes, les grandes héroïnes, les grands événements de l'histoire.
02:02Et là, c'est vrai que c'est la première fois.
02:03En tout cas, nous, on n'a pas lu d'autres livres de vous comme ça,
02:07où vous vous livrez sur vous-même, où vous racontez l'époque,
02:11où vous racontez l'époque et l'histoire, vos souvenirs et la mémoire.
02:15C'est la première fois qu'on lit ça, on a beaucoup aimé avec Nicolas.
02:18Vous dites que ce livre, vous l'avez écrit en butinant, en vacant aux petites choses de tous les jours,
02:22en chasseurs de papillons, par bonzes et gambades.
02:26C'est quoi ? C'est des morceaux choisis ? C'est des réflexions ?
02:31Parce que ce n'est pas qu'une chasse de papillons, vous dites beaucoup de choses sur l'époque.
02:35Vous vous livrez, en fait. C'est ça qu'on s'est dit.
02:37On ne se cache plus, là.
02:39Oui, d'abord, pour revenir aux sources, on ne se cache pas derrière les sources.
02:43On est aussi honnête et humble que possible vis-à-vis de ces sources,
02:46mais on a une marge d'interprétation, d'analyse.
02:49D'ailleurs, on peut utiliser les sources de nos prédécesseurs,
02:51qui ont déjà été publiées, et les analyser autrement,
02:54en fonction du temps, du climat dans lequel on vit.
02:57Et c'est ainsi que l'historien n'est pas dans une tour d'ivoire.
03:01Il est sensible à l'époque dans laquelle il vit,
03:04et donc il renouvellera d'autant ces questions en fonction des périodes.
03:07J'ai un des prédécesseurs biographe de Talran, qui s'appelle Lacour Gaillet,
03:11qui a publié un Talran magnifique en quatre volumes dans les années 1930.
03:14Il était obsédé par la question franco-allemande, et pour cause.
03:17Moi, j'écris un Talran au début du XXIe siècle,
03:20et je suis plutôt plus sensible aux difficultés de la construction européenne,
03:25et donc je pose des questions différentes à mon personnage.
03:28Le rapport de l'historien à son sujet, toute proportion gardée, vous allez sourire,
03:32c'est un peu le rapport d'Oedipe et du Sphinx.
03:34Quant à l'écriture de ce livre que vous évoquez si gentiment,
03:40ce sont, alors je vais invoquer ou évoquer Hugo,
03:43ce sont des choses vues, ou nues, ou entendues, ou accomplies, si j'ose dire.
03:51Enfin, ce sont des petites choses qui me sont arrivées depuis quelques années,
03:55mais que je regarde à la lumière du passé,
03:57dans cette espèce de profondeur du temps,
03:59qui fait que de toutes petites choses peuvent vous apparaître du point de vue du passé
04:04comme très importantes, et le contraire.
04:06Et c'est un vrai inventeur à la prévère, Nicolas.
04:09Oui, je vous cite, il est question dans ce livre d'exil,
04:12de distraction et de lenteur,
04:14de bibliothèque et de mots,
04:15de Benjamin Constant, de Talleyrand et de Napoléon,
04:18de ruines, de Tintin et de Milou,
04:21de révolution, d'égalité et de liberté,
04:24de mode, de Belmondo,
04:26des ados, de Paris et de la Russie,
04:27d'Odessa, de la Reine d'Angleterre,
04:30de guerre et de chaussures,
04:32de chiens, de lapins et d'oiseaux,
04:34de l'automne, de dettes, de jardins,
04:36de permis de conduire,
04:37de chevaux et de souvenirs.
04:39Bref, l'écume des jours,
04:41dans le désordre de ce que j'en ai retenu.
04:44Oui, c'est un désordre très organisé, en réalité.
04:48Le fil conducteur, ce sont ses rapports entre le passé et le présent,
04:52d'où le titre du livre.
04:55Rien ne passe, tout s'oublie.
04:56Rien ne passe, tout s'oublie.
04:58J'ai de plus en plus le sentiment que nous vivons
04:59dans une période de très grande amnésie
05:01et plus encore, de façon intellectuellement assez malhonnête,
05:05que nous avons tendance à recycler le passé
05:08au bénéfice du présent,
05:10pour argumenter ou développer une idée
05:13qui est profondément ancrée dans le présent
05:16et que le passé nous sert un peu
05:19d'une sorte de boîte à outils
05:20qui justifierait et légitimerait
05:24les combats que nous menons dans le présent.
05:26C'est dans un certain sens pour ça que rien ne passe.
05:29Et logiquement, tout s'oublie
05:31parce que nous avons absolument perdu
05:33cette notion de la distance vertigineuse,
05:38de la différence vertigineuse
05:40qui existe entre le passé et le présent.
05:41Alors, prenons quelques points de cet inventaire à la prévère.
05:45D'abord, vous commencez par vous demander
05:47quand exactement a commencé le XXIe siècle ?
05:50Les historiens considèrent parfois
05:51que le XIXe siècle a commencé en 1789
05:54ou que le XXe siècle a commencé
05:55au début de la Première Guerre mondiale en 1914.
05:58Là, sur le XXIe siècle,
06:01on entend souvent dire,
06:02et c'est vrai que c'est souvent écrit,
06:03que le XXIe siècle aurait commencé
06:05le 11 septembre 2001.
06:06Ce n'est pas l'hypothèse que vous retenez.
06:08Vous en avez deux des hypothèses.
06:10La première, qui nous a fait sourire,
06:11on n'a pas compris d'ailleurs, expliquez-nous,
06:13c'est que le XXIe siècle aurait commencé en 1999
06:16lors de la deuxième édition du festival de Woodstock.
06:21Quel rapport ?
06:22Oui, c'est un reportage qui s'appelle, je crois,
06:25« Anatomie ou anthologie d'un chaos »
06:27ou « un chaos d'anthologie »
06:29qui a été publié en 1999.
06:32Ça m'a frappé.
06:34C'est la représentation d'une grande démocratie malade.
06:39Parce que cette réédition de Woodstock
06:42sur l'ancienne base militaire de Rome
06:45dans l'état de New York en 1999.
06:48On essaie de rééditer le « Peace and Love » de 1969.
06:52Et en réalité, on n'y parvient pas.
06:55Et ça se termine par un chaos absolument hallucinant
07:00de la violence, des viols
07:03et la représentation d'une société profondément malade.
07:08Et pour vous, ça commence là ?
07:09Le XXIe siècle commence par une société occidentale américaine
07:12profondément malade.
07:13C'est un signe de la maladie des démocraties,
07:16de la violence interne au sein même des démocraties.
07:19Et puis l'autre événement...
07:20Oui, l'autre événement, c'est la cérémonie d'ouverture des JO de Pékin,
07:26des Jeux Olympiques en 2008.
07:29Extraordinaire démonstration d'ordre, de discipline et de force.
07:35Événement précurseur de la montée en puissance des régimes autoritaires.
07:38Sinon totalitaire, on entend les bruits de bottes en 2008.
07:41Vous avez d'un côté des démocraties qui ne vont pas bien
07:46et de l'autre des régimes totalitaires, en l'occurrence la Chine,
07:50qui font des démonstrations de force absolument incroyables.
07:55J'aimais beaucoup les défilés de M. Jolie à Paris,
07:58mais je trouve qu'ils sont l'expression de démocraties
08:00qui sont aujourd'hui profondément minoritaires.
08:03C'est-à-dire que pour vous, et c'est vrai qu'on lit ça,
08:06c'est que pour vous, le XXIe siècle est le siècle de la maladie de la démocratie,
08:10de la démocratie occidentale et du retour des empires.
08:13C'est-à-dire que vous dites, on pensait que ça irait mieux après 1989,
08:19qu'on aurait la paix perpétuelle, que la démocratie apporterait la paix.
08:25Pas du tout, c'est le retour des empires.
08:27On revient à Talleyrand, selon vous.
08:29A l'époque, l'Europe était le terrain de jeu de cinq puissances
08:31cherchant à élargir leur zone d'influence,
08:33l'Angleterre, la France, la Prusse, l'Autriche et la Russie.
08:36Vous dites, les puissances ont changé, mais le jeu est le même.
08:39Une bonne partie de la planète est en voie de gangstérisation.
08:42C'est ça que vous retenez, enfin ?
08:43Oui, j'ai vraiment l'impression de vivre une époque
08:46sur laquelle j'ai beaucoup travaillé,
08:48c'est-à-dire la première moitié du XIXe siècle,
08:50le Congrès de Vienne,
08:52et ce dont parle Talleyrand,
08:53c'est-à-dire l'opposition de certains pays
08:56qui privilégient ce qu'il appelle les convenances,
08:59ou les intérêts,
09:00et d'autres qui privilégient
09:02le droit public,
09:03qui deviendra par la suite le droit international.
09:06Et on est vraiment dans une situation
09:07qui est très proche
09:09de celle sur laquelle j'ai travaillé
09:11au début du XIXe siècle.
09:12Trump est un gangster, à vos yeux ?
09:15Il a plusieurs vêtements,
09:18c'en est un, sûrement, oui.
09:21Mais c'est vrai que
09:22en lisant votre livre,
09:23quand on regarde
09:24la démocratie américaine,
09:28l'élection de Trump,
09:29et ses velléités
09:31d'envahir le Groenland,
09:32d'annexer le Canada,
09:34le Golfe du Mexique,
09:35etc.,
09:35il y a quelque chose
09:36du retour des empires.
09:37Oui, c'est un retour aussi
09:39à la doctrine Monroe
09:40du début du XIXe siècle,
09:42c'est-à-dire
09:42le précaré des Amériques
09:45organisées
09:47au bénéfice unique
09:49des Américains.
09:50Et face à ça,
09:51vous trouvez
09:52qu'on est naïf,
09:53léger,
09:54nous qui habitons
09:55dans ces démocraties occidentales,
09:57qu'on ne voit pas
09:57suffisamment
09:58qu'elles sont malades,
09:59qu'on ne voit pas suffisamment
10:00que la longue trace
10:02de sang,
10:03écrivez-vous,
10:03qui façonna l'histoire,
10:05on a oublié
10:05que l'histoire,
10:06c'était une longue trace
10:07de sang,
10:08et qu'elle revient,
10:08que la marée monte,
10:10dites-vous,
10:10et on ne le voit pas.
10:11Oui, ce que je dis,
10:12c'est qu'il faut penser
10:13de temps en temps
10:14à nos fausses communes,
10:15à nos guerres civiles
10:17et à notre violence
10:18pour éviter
10:19d'avoir à en creuser
10:20d'autres.
10:21Et que la connaissance
10:22du passé,
10:23du point de vue
10:23de ces turpitudes,
10:25des turpitudes françaises
10:26et des turpitudes mondiales,
10:28d'une façon générale,
10:30peut-être nous rend
10:31un peu plus lucides
10:32par rapport aux périodes
10:33dans lesquelles
10:34nous sommes en train
10:35d'entrer,
10:36et que nous vivons
10:37aujourd'hui
10:37qui sont des périodes
10:38difficiles.
10:39Je ne lis pas
10:41dans une boule de cristal,
10:42je suis historien,
10:43et je ne propose rien,
10:46je constate,
10:47simplement.
10:47Oui, vous constatez,
10:48vous y revenez.
10:48J'écris en moraliste
10:49dans ce petit livre,
10:51un moraliste
10:52qui ne saurait que sourire,
10:54un moraliste souriant.
10:55Non, vous ne faites pas
10:56que sourire,
10:57il y a des pages souriantes,
10:58on va y venir,
10:58mais il n'y a pas que ça.
10:59Notamment sur la relation
11:00à la Russie,
11:01là encore,
11:02vous revenez à Talleyrand,
11:03pour vous,
11:05Talleyrand a presque
11:05toujours raison,
11:06écrivez-vous,
11:07notamment sur la Russie
11:08dont il s'est toujours méfié,
11:09contrairement aux élites françaises,
11:11élites politiques
11:12et intellectuelles françaises
11:13qui ont toujours été
11:13fascinées par la Russie.
11:14Vous dites depuis Voltaire
11:15jusqu'à Nicolas Sarkozy,
11:17en gros,
11:17la fascination russe,
11:19et vous dites
11:20Talleyrand avait raison.
11:21Lui qui écrivait,
11:22la Russie n'a jamais été fiable,
11:24il redoutait son immensité,
11:25décrit le peuple russe
11:26comme un instrument
11:27aussi facile à manier
11:28qu'il est formidable.
11:29Oui, Talleyrand traite
11:31la Russie de montagne de neige
11:32et il constate
11:34de façon très lucide
11:36que la Russie,
11:37entre la fin du 19e
11:39et le début du 20e siècle,
11:41ne cesse d'envahir les autres.
11:43L'annexion de la Crémée,
11:45la guerre contre les Turcs
11:47en Moldavie et en Valachie,
11:49les trois partages de la Pologne,
11:51la flotte russe en Méditerranée
11:52et à Corfou.
11:53Enfin, il se rend compte
11:55qu'il le dit,
11:56d'ailleurs dans une note
11:56à l'un de ses diplomates,
11:57les Russes ne cessent
11:59de se mêler
12:00des affaires des autres
12:01et ça c'est en 1807.
12:03Et aujourd'hui encore,
12:04deux siècles après ?
12:06On a un peu l'impression
12:07que du point de vue
12:08des élites françaises,
12:10il est un petit peu
12:11seul écho répondit
12:13à savoir si j'ose dire.
12:14Il est un peu seul quoi.
12:16Parce que c'est vrai
12:16que la tradition diplomatique française
12:18jusqu'aux accords
12:20d'alliances militaires
12:21à l'époque de Poincaré
12:22avant la Première Guerre mondiale
12:24sont plutôt favorables
12:25à la Russie.
12:26Et c'est vrai
12:26qu'il y a un tropisme russe
12:27depuis les encyclopédistes
12:30et les hommes des Lumières
12:31d'Hydro et Grimm
12:32qui se précipitent
12:34au pied de Catherine II
12:35et Voltaire
12:37qui traite Catherine II
12:39de première femme du monde,
12:40de Sémiramis du Nord
12:42et qui ne cesse
12:45de la louer
12:46en oubliant
12:47que Catherine II
12:48annexe la Crimée,
12:49qu'elle révolte
12:49de façon extrêmement cruelle
12:51la révolte
12:52de Pugachev.
12:54Et tout ça
12:54passe par pertes et profits
12:57et puis ensuite
12:58souvenez-vous
12:59tout de même
13:00du voyage
13:00du retour
13:01du RSS de Gide
13:03qui est traité
13:03de renégat
13:04pour avoir tout de même
13:06fait part de ses doutes
13:07quant au système soviétique.
13:09Et souvenez-vous
13:10de l'un des congrès
13:13du Parti communiste
13:14dans les années 1970
13:16qui reste favorable
13:18du rapport
13:19Khrushchev
13:20que l'on considère
13:21comme un faux
13:21qui reste favorable
13:23au système soviétique.
13:27Et ce tropisme
13:28existe encore.
13:29Alors il est très attenu
13:30aujourd'hui
13:30étant donné les circonstances
13:31et la guerre en Ukraine.
13:33Mais enfin
13:33on le retrouve
13:34aux deux extrêmes
13:36de notre échiquier politique
13:37encore aujourd'hui.
13:38On ne peut pas dire
13:38le contraire.
13:39Ce qui ne me
13:40comment dire
13:41ce qui ne m'empêche pas
13:44d'avoir une grande admiration
13:45pour la littérature russe.
13:46Je pense qu'il faut être lucide
13:48par rapport au système russe
13:49qui est à peu près le même
13:51des Tsars à Poutine
13:52en passant par les Soviètes
13:54comme dirait Hergé.
13:55C'est-à-dire
13:55on va y revenir à Hergé
13:57mais c'est-à-dire
13:57un système conquérant
13:58qui veut toujours plus.
13:59Oui.
14:01Le principe des empires
14:03c'est que les empires
14:04ne connaissent pas les frontières.
14:05Sur la France
14:06votre mélancolie est là.
14:09Elle est présente.
14:10Vous parlez du pays
14:11comme du pays
14:12des patientristes.
14:13Vous écrivez
14:14« Je ne sais
14:16si nous sommes devenus fous
14:18mais je nous trouve
14:19de plus en plus tristes.
14:20Nous vieillissons.
14:22Nous ne parlons plus
14:23que de retraite
14:24et de fin de vie
14:25quand d'autres pensent
14:26à l'avenir. »
14:28Pour vous,
14:28le personnage
14:29qui résume le mieux
14:30l'époque
14:31c'est le héros dépressif
14:32du roman d'Huelbeck
14:33« Soumission ».
14:34Qu'est-ce qui pourrait
14:35nous tirer
14:36de cette apathie
14:38de cette léthargie ?
14:40Qu'est-ce qui pourrait
14:40nous sortir
14:41de cet aspect
14:42vieux pays triste
14:44qui a perdu la flamme ?
14:47Arrêtez de se battre
14:48notre coulpe
14:49et de pleurer
14:52sur nous-mêmes.
14:53Ce que l'on fait
14:53peut-être
14:54et ça se retrouve
14:55dans la littérature,
14:57ce que l'on passe
14:59notre temps à faire.
15:00Mais vous parlez
15:02de gérontocratie.
15:04Moi, je trouve
15:05que la situation
15:06actuelle
15:07ressemble beaucoup
15:08à ce que raconte
15:09Stephen Zweig
15:09dans ses « Mémoires
15:10d'un Européen »
15:11de la Vienne
15:12du début
15:13du XXe siècle
15:14où l'organisation
15:17d'État,
15:19l'organisation sociale
15:20est dominée
15:21par entre guillemets
15:21les vieux.
15:22Je trouve qu'on est
15:23en tout cas
15:24du point de vue
15:24de l'état d'esprit
15:25et on est dans
15:26une situation
15:26assez comparable
15:27aujourd'hui.
15:28Ça fait trois ans
15:29ou quatre ans.
15:30Alors, je n'interviens pas
15:32et ne donne pas
15:33de point de vue
15:33sur le principe
15:35même des retraites.
15:36Enfin, ça fait quatre ans
15:37qu'on ne parle que de ça
15:38dans une situation
15:39alors qu'on est
15:40le niveau de la mer
15:41monte,
15:42pas seulement
15:43d'un point de vue
15:43climatique
15:44et qu'on est
15:45au bord du gouffre.
15:46Donc, voilà,
15:48encore une fois,
15:50je n'ai pas de solution.
15:51Mais je constate
15:52que c'est un l'heure
15:53du temps
15:54qui me paraît
15:54très caractéristique.
15:55Une tristesse.
15:56Une sorte de léthargie triste.
16:00L'urgence climatique,
16:01vous en parlez
16:02dans les désordres du monde
16:03qui vous inquiètent.
16:04Il y a la destruction climatique.
16:05Vous consacrez un chapitre
16:06à la disparition des oiseaux,
16:08figure essentielle
16:09dans la culture occidentale.
16:11Dites-vous,
16:12pourquoi les oiseaux
16:13sont, selon vous,
16:15pas seulement un pilier
16:15de la nature
16:16mais de la culture occidentale ?
16:19On les retrouve
16:19dans toutes les fables
16:20de La Fontaine,
16:22dans les poèmes de Grimm
16:23ou dans les fables de Grimm.
16:25Je pense à celui consacré
16:27au roi Telet.
16:28Les oiseaux,
16:32en effet,
16:33appartiennent
16:33à notre culture.
16:3420 millions d'oiseaux
16:35disparaissent
16:36tous les ans
16:36et je constate
16:39de plus en plus
16:39quand de temps en temps
16:40je vais à la campagne
16:42ce grand silence
16:43des champs
16:43et des forêts.
16:44Enfin,
16:44on les entend
16:45de moins en moins
16:46et donc,
16:49moi,
16:49je botte plutôt
16:50en touche
16:51du côté de la culture
16:52parce que
16:52pour avoir lu
16:54un certain nombre
16:55de textes
16:56à commencer
16:56tout de même
16:57par Saint-François
16:59d'Assise
16:59et par ce bonheur
17:01de Saint-François
17:02pour les oiseaux
17:02et dans les florécis
17:04les quelques lignes
17:06qui sont consacrées
17:08au rapport
17:09de Saint-François
17:10aux oiseaux
17:11sont absolument magnifiques
17:13et puis
17:13on retrouve
17:14les oiseaux
17:14dans toute la peinture
17:15occidentale
17:16des 16e
17:18ou 18e siècle
17:19et on les retrouve
17:21aussi dans la littérature
17:22et dans mes contes
17:23d'enfants.
17:23J'ai été nourri
17:26aux fables
17:28de La Fontaine
17:29et ce sont des choses
17:30qui vous restent
17:31quand elles entrent
17:33dans l'enfance
17:34elles n'en sortent plus.
17:35Et puis il y a
17:36les chiens
17:37vous écrivez
17:38si nous aimons
17:40les chiens
17:41c'est peut-être
17:41à cause de notre
17:42insatiable
17:43besoin de consolation
17:45un chien
17:47pardon
17:47se fiche
17:47de savoir
17:48si vous êtes triste
17:49ou gay
17:50il vous aime
17:50parce que vous l'avez choisi
17:52regarder un chien
17:53qui dort
17:54c'est l'image
17:55même
17:56du bonheur
17:57on n'imaginait pas
17:58un varesquiel
17:59si sensible
18:00je suis très sensible
18:02aux animaux
18:02et à la nature
18:03le premier chapitre
18:05de ce petit livre
18:06s'appelle
18:06l'historien jardinier
18:08j'essaye de mettre
18:08en comparaison
18:09les qualités
18:10et les défauts
18:11réciproques
18:12du jardinier
18:12de l'historien
18:13sont souvent les mêmes
18:14entre autres
18:15l'humilité
18:16et la patience
18:17ce sont deux qualités
18:19qui dominent
18:19et chez le jardinier
18:20et chez l'historien
18:21quant aux chiens
18:22je vis depuis mon enfance
18:24avec des chiens
18:25ce sont mes compagnons
18:27de tous les jours
18:27j'ai un
18:28si j'ose dire
18:30parlant de mes vieux chiens
18:31nous avons vieilli ensemble
18:33je les aime profondément
18:34je pense que c'est une forme
18:36peut-être
18:37un besoin de consolation
18:38peut-être qu'il faut se méfier
18:40un peu des humains
18:41pour aimer les animaux
18:42et les chiens
18:42mais c'est absolument mon cas
18:44et dans les chiens
18:45il y a Milou
18:46qui est pour vous
18:47le véritable héros moderne
18:49des belles pages sur Tintin
18:51que vous adorez
18:51vous dites héros
18:52politiquement incorrect
18:53aujourd'hui
18:53mais qui continue à nous parler
18:55avec lui
18:55ce sont les indiens
18:56qui sont méchants
18:56Tintin est en kilt
18:58quand il voyage en Ecosse
18:59en casque colonial au Congo
19:00et pourtant
19:01on continue à le plébisciter
19:02il y a Tintin
19:03mais surtout dans votre coeur
19:04il y a Milou
19:04oui Hergé
19:06c'est le premier
19:07anthropomorphisme
19:08Milou a des sentiments
19:10il a des doutes
19:12il a des conflits
19:14il déteste les chats
19:16il est pas commode
19:20Milou
19:20rappelez-vous de ce passage
19:23dans Tintin au Tibet
19:24où Milou doit choisir
19:26entre sa mission essentielle
19:27pour son maître
19:28et un os
19:30et vous avez trois petits Milou
19:32qui interviennent
19:33le diable
19:34l'ange
19:35et puis le Milou
19:36de la réalité
19:37et il a des cas de conscience
19:39quasi pascalien Milou
19:41que Tintin
19:42que Tintin
19:43n'a absolument pas
19:44c'est Tintin
19:45qui est une bête
19:46Tintin
19:47est dépourvu
19:49d'humanité
19:49alors c'est un
19:50c'est un combattant
19:51du bien
19:52universel
19:53et intemporel
19:54mais enfin
19:54ne serait-ce que
19:56par rapport à son corps
19:57il n'a pas
19:57d'affinité sexuelle
19:59Tintin
19:59les femmes sont
20:00sont inégalées
20:02les hommes d'ailleurs
20:02de ce point de vue-là
20:04sont inexistantes
20:05dans les aventures
20:06de Tintin
20:06j'inverse un peu
20:08la proposition
20:09je trouve Milou
20:10beaucoup plus humain
20:12c'est ce que vous écrivez
20:13et Belmondo
20:14pourquoi
20:14pourquoi Belmondo
20:16parce qu'il est
20:17éternellement jeune
20:18il a cette
20:19d'abord
20:20cette
20:21cette propension
20:23à ne jamais
20:24habiter nulle part
20:25à toujours partir
20:27et à toujours revenir
20:28et il traverse
20:29des étapes
20:31ou des épisodes
20:32de l'histoire
20:32du cinéma français
20:33depuis les années 60
20:34la nouvelle vague
20:36et puis ensuite
20:36les films noirs
20:38à la Melville
20:39si vous voulez
20:40et puis ensuite
20:40ce qu'on appelle
20:41le cinéma populaire
20:42et à chaque fois
20:44il est nouveau
20:45il est différent
20:46il rebondit
20:47je trouve que
20:48de ce point de vue-là
20:49je pensais un peu
20:51à la première phrase
20:52de Valérie
20:53dans Monsieur Test
20:54j'ai retenu
20:55la substance
20:55de quelques livres
20:56et puis nous avons
20:57vieilli ensemble
20:58et nous avons tous
20:59vieilli avec Belmondo
21:00c'est pour ça
21:00que j'ai été
21:01très très ému
21:02en apprenant
21:03sa mort
21:04les pages
21:05que vous lui consacrez
21:07sont très belles aussi
21:08autre chose vue
21:09qui nous a fait sourire
21:11c'est l'éloge
21:12que vous faites
21:12de la ville de Paris
21:13il est de bon ton
21:14de se plaindre de Paris
21:15écrivez-vous
21:16rappelant
21:17que cette ville-là
21:18n'a pas attendu
21:19Madame Hidalgo
21:19pour être sale
21:20ville étrange et belle
21:22il faut l'aimer
21:23en archéologue
21:25en historien
21:26et en poète
21:27Paris
21:27c'est un rébut
21:28Paris
21:29on se promenait
21:30d'un Paris
21:31d'abord il faut savoir
21:32alors c'est pas toujours facile
21:33mais il faut savoir
21:34perdre son temps
21:35dans Paris
21:35et puis il faut y marcher
21:37et éviter d'avoir
21:38les yeux rivés
21:38sur son portable
21:39il faut regarder
21:40et lever la tête
21:41c'est une ville
21:42absolument magnifique
21:43mais c'est surtout
21:44une ville
21:45pleine de mystères
21:47et de littérature
21:49enfin on rencontre
21:50les personnages
21:51de ses romans
21:51préférés
21:52à chaque coin de rue
21:53et pleine d'histoire
21:55c'est la ville
21:57des quatre coins
21:58du monde
21:59on y trouve
22:00une représentation
22:02d'un temple égyptien
22:03à place du Caire
22:04on est en pleine époque
22:06des Lumières
22:06quand on est au palais royal
22:08c'est une ville
22:09absolument merveilleuse
22:11vous ne vous laissez pas
22:12de Paris ?
22:13non
22:13jamais
22:14et elle n'est pas plus sale
22:16qu'elle n'était
22:17au 19ème siècle
22:18enfin il suffit de relire
22:19les mystères de Paris
22:20de Gensu
22:21ou quelques autres
22:22ou Victor Hugo
22:23les misérables
22:23de Victor Hugo
22:24les rats
22:26qui se retrouvaient
22:28dans l'éléphant
22:29de la Bastille
22:30ou ce réfugié
22:31Gavroche
22:32c'est pas mieux
22:33que les surmulots
22:34d'aujourd'hui
22:35un mot peut-être
22:37de votre distraction endémique
22:39vous êtes une sorte
22:40de Gaston Lagaffe
22:42qui se prend tout le temps
22:43les pieds dans le tapis
22:44qui oublie le jour
22:45et l'heure
22:45de ses rendez-vous
22:46pas aujourd'hui
22:47oui pas aujourd'hui
22:48on vous remercie
22:49vous avez failli
22:49qui prend quelqu'un
22:51pour quelqu'un d'autre
22:52tout en disant
22:54quelques distraits de plus
22:56et le monde serait moins triste
22:58avez-vous remarqué
22:59que les dictateurs
23:00ne le sont jamais
23:01oui oui
23:02mais la distraction
23:03est peut-être
23:03un bon signe
23:04parce que ça veut dire
23:05qu'on pense à autre chose
23:06et qu'on ne pense pas forcément
23:09à ses intérêts
23:11qu'on n'a pas de plan particulier
23:14dans la tête
23:15mais en général
23:16la distraction
23:17ça finit mal
23:18c'est un épouvantable défaut
23:20en même temps
23:20parce qu'il n'y a qu'au cinéma
23:22avec le grand blond
23:24ou Buster Keaton
23:26que ça se termine bien
23:27en général
23:28dans la vraie vie
23:29ça se termine très très mal
23:30et je peux en témoigner
23:32je peux en témoigner
23:33c'est la distraction
23:34que vous racontez
23:36des gens que vous prenez
23:37pour d'autres
23:37c'est assez drôle
23:38et pour terminer
23:39on va terminer
23:40avec votre aversion
23:41pour les expressions
23:42à la mode de notre époque
23:43donc qu'on ne dise pas
23:45Emmanuel Varesquiel
23:46en votre présence
23:47le vivre ensemble
23:48le faire France
23:49en présentiel
23:50où la pire expression
23:53à vos yeux
23:54la laideur absolue
23:55c'est faire son deuil
23:56oui on ne fait pas une douleur
23:58parce que le mot deuil
23:59provient de cette racine latine
24:00on vit
24:02on éprouve une douleur
24:03on ne le fait pas
24:05et puis si par hasard
24:06on faisait
24:07on faisait son deuil
24:08comme on dit aujourd'hui
24:09que fait-on de nos morts
24:11et des souvenirs
24:12que nous en conservons
24:13on nous enlève
24:14nos souvenirs aussi
24:15enfin faire son deuil
24:16c'est pour moi
24:17j'ai beaucoup de mal
24:18avec ça
24:19de même que j'ai beaucoup de mal
24:20avec les mots
24:21zone ou espace
24:22tout est espace
24:24littéralement
24:24comme si l'administration
24:26essayait de nous montrer
24:28le firmament
24:29pour mieux nous enfermer
24:30on a des espaces
24:32attentes
24:33des espaces poussettes
24:34des espaces pour tout
24:35et c'est un peu fatigant
24:38à la langue
24:38c'est en même temps
24:39le signe d'une paupérisation
24:41de la langue
24:41et d'une crise de société
24:43et moi je pense que
24:44les mots correspondent
24:47aux états
24:48de nos sociétés
24:50c'est le signe
24:51je trouve
24:52ces langages
24:54communautaires
24:55entre guillemets
24:55c'est le signe
24:56précisément
24:57d'une atomisation
24:58de la société
24:59aujourd'hui
24:59j'avais été
25:00à une espèce
25:01de grande réunion
25:02avec un certain nombre
25:03de chefs
25:04d'entreprise
25:05et on ne parlait
25:06que de zones
25:07de confort
25:08de marginal
25:09séquant
25:10je ne sais
25:11je ne sais quoi d'autre
25:13et j'avais furieusement
25:14envie
25:14on parlait de poésie
25:15au début
25:15de cette émission
25:17j'avais furieusement
25:18envie d'aller lire
25:19de la poésie
25:19en tout cas
25:20cet espace de dialogue
25:21en présentiel
25:22était formidable
25:23avec vous
25:24Emmanuel Devaresquiel
25:26ce matin
25:27rien ne passe
25:28tout s'oublie
25:29souvenirs d'histoire
25:30et publié
25:31chez Talendier
25:32merci

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