Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, était l'invité de Maxime Switek dans le 20H BFM sur BFMTV.
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00:00Bonsoir Benjamin Haddad, merci d'être avec nous, ministre délégué chargé de l'Europe.
00:03Vous nous direz ce que doit répondre l'Europe, ce que doit répondre la France à Donald Trump ce soir.
00:07Mais d'abord, en voyant les explications qu'on vient d'avoir là,
00:11est-ce que Trump met tout simplement en péril notre économie ce soir ?
00:14Il met en péril l'économie mondiale, mais à commencer par la sienne.
00:18Fondamentalement, Trump est en train de démanteler le système économique mondial,
00:21le système de commerce international qui a été basé sur la réciprocité,
00:25le livre-échange, la non-discrimination qui a été bâti au lendemain de la seconde guerre mondiale.
00:29Largement par les Etats-Unis et leurs alliés,
00:31et qui a fondé aussi la prospérité des Etats-Unis, de l'Europe, du reste du monde.
00:36Et on voit à la fois les bourses américaines, les réactions des entreprises américaines,
00:41les réductions des prévisions de croissance aussi aux Etats-Unis.
00:44Ça va avoir un impact négatif à commencer pour les Etats-Unis.
00:47Mais pour nous, ici en France, le risque, c'est la récession, clairement.
00:49C'est qu'il n'y ait plus de croissance.
00:50Mais ça provoque effectivement un risque économique aussi pour l'Europe.
00:54Le Premier ministre a dit que ça aurait un impact sur la croissance.
00:58Alors après, la conclusion qu'il faut en tirer, c'est de se défendre
01:01et de répondre de façon unie et ferme à ces tarifs qui sont complètement injustifiés,
01:06qui n'ont aucune base d'ailleurs dans la réalité,
01:08sur la relation entre l'Europe et les Etats-Unis sur le plan économique.
01:12Et puis après, c'est de faire aussi de l'Europe, de l'Union européenne,
01:15la zone la plus compétitive au monde, en simplifiant,
01:18en soutenant nos entreprises, nos startups, nos investisseurs,
01:21en créant un Nasdaq européen pour faire en sorte que toute l'épargne aujourd'hui européenne
01:26qui franchit l'Atlantique tous les ans, 300 milliards d'euros par an,
01:29qu'elle reste ici et qu'elle aille financer nos PME, nos startups, nos innovateurs
01:34pour que demain, dans l'intelligence artificielle, dans le quantique,
01:37dans les industries vertes, les grands champions soient européens.
01:40On en a tous les atouts.
01:42Maintenant, faisons en sorte que ce soit une opportunité justement
01:45pour soutenir notre économie européenne.
01:46Comment se défendre ?
01:47On parlera du bazooka dans une seconde avec Elsa Vidal.
01:50L'arme absolue, on verra ce que c'est dans une seconde.
01:52Mais d'abord, ce soir, la Commission européenne propose d'imposer des droits de douane
01:56à hauteur de 25 % sur les biens américains qui arriveront en Europe à partir du 16 mai.
02:02Est-ce que la France soutient cette proposition ?
02:04Oui. Alors, de quoi s'agit-il ?
02:06Il s'agit d'une réponse de la part de la Commission
02:10aux tarifs sur l'acier et l'aluminium, qui sont les premières mesures.
02:14Donc, ça, on avait dit que la Commission ferait des propositions
02:17sur un certain nombre de biens de l'économie américaine.
02:21Après, on va travailler avec la Commission européenne qui va faire des propositions
02:25pour avoir une réponse très forte, très calibrée,
02:30pour frapper en profondeur l'économie américaine.
02:33Là, on a des instruments.
02:34Vous savez, on a beaucoup travaillé ces dernières années
02:36à faire sortir l'Europe de la naïveté commerciale,
02:38à faire en sorte qu'on puisse avoir des instruments pour nous défendre,
02:42pour être capable de riposter.
02:43Et bien, maintenant, face à ces attaques complètement injustifiées,
02:46il n'y a aucune raison de ne pas utiliser ces instruments.
02:49On a, par exemple, je suis sûr que vous alliez parler de ça...
02:51Alors, attendez, je voudrais détailler les choses parce que le ministre...
02:55Le ministre allemand de l'Économie disait tout à l'heure, Elsa Vidal,
02:58il est peut-être temps de sortir le bazooka.
02:59Ce qu'on appelle le bazooka, c'est tout simplement une mesure,
03:06ce qu'on appelle une mesure anti-coercition.
03:07Qu'est-ce que c'est le bazooka dans ces cas-là ?
03:09Dans ces cas-là, ça signifie qu'on interdira aux États-Unis,
03:13à toutes les entreprises américaines, d'accéder au marché public européen,
03:17de pouvoir être compétiteurs avec nos entreprises,
03:20pas seulement en France, mais dans l'ensemble des 27 États membres.
03:24Et puis, on peut aussi interdire les entreprises qui vendent des services.
03:27On peut interdire les investissements directs étrangers.
03:30Vous ne pouvez plus venir même créer une usine et travailler.
03:33Donc, on a différents instruments qui, progressivement, dans une gradation,
03:39peuvent rendre de plus en plus douloureux les mesures qu'on nous impose.
03:43Le bazooka, c'est le moment, Benjamin Aradane ?
03:45On a cet instrument, effectivement, il n'y a aucune raison de ne pas l'utiliser.
03:49Encore une fois, on a renforcé, largement sous l'impulsion de la France,
03:52les instruments de sécurité économique de l'Union européenne pour pouvoir se défendre.
03:56Là, on a des droits de douane qui sont injustifiés,
03:59qui n'ont pas de base réelle sur la relation économique entre l'Europe et les États-Unis.
04:05On peut utiliser cet instrument.
04:07Effectivement, il offre une palette d'outils.
04:09Elsa Vidal l'a dit, que ce soit le non-accès au marché public,
04:13que ce soit le fait d'aller taxer les services numériques,
04:16de regarder la propriété intellectuelle.
04:18Donc, c'est à la Commission européenne, là-dessus, de faire des propositions.
04:21Mais en effet, si on veut une désescalade,
04:24si on veut pouvoir négocier avec les États-Unis,
04:26il faut qu'on soit capable de montrer qu'on est capable de répondre
04:30et d'infliger des dommages économiques aux États-Unis.
04:32Pour décrypter, vous dites, en gros, il faut d'abord aller dans l'escalade
04:36pour aller dans la désescalade ensuite ?
04:37Il faut assumer un rapport de force, il faut montrer qu'on est capable de se défendre.
04:40Si vous êtes dans la faiblesse,
04:43vous ne pourrez pas respecter des États-Unis, encore moins de cette administration.
04:46Certains pays décident, d'une certaine manière, d'aller à la canossa.
04:50Pardon, on a Benjamin Netanyahou, ce soir, qui va à la Maison-Blanche
04:53et qui espère, lui, signer un deal pour avoir une baisse substantielle
04:58des droits de douane entre les États-Unis et Israël.
04:59Il n'y a aucune raison de se mettre dans une situation de soumission.
05:02L'Union européenne, c'est 450 millions d'individus.
05:04C'est le plus grand marché unique intégré au monde.
05:06On a des instruments qu'on a développés ces dernières années.
05:09On va défendre nos intérêts, on va le faire de façon ferme, de façon proportionnée.
05:12Et en effet, il y a toute une palette d'outils qui sont sur la table,
05:15dont cet instrument anti-coercitif qui a été créé précisément
05:18pour répondre à ce type de situation, quand une puissance décide,
05:22de façon prédatrice, d'utiliser l'instrument économique
05:25pour essayer de soumettre des partenaires européens.
05:27Eh bien là, on fait tous face à la même situation.
05:29Ces droits de douane, ils ont été imposés à tous les Européens.
05:32Tous les Européens ont intérêt à pouvoir répondre de cette façon.
05:34Je vais abandonner la parole à mes camarades.
05:37Un exemple très simple, tout le monde peut comprendre.
05:40On peut couper Netflix ?
05:43On peut, par exemple, imposer des taxes sur les services numériques.
05:48Mais les taxes qui seraient payées par qui ?
05:49Par le consommateur ?
05:50Non, mais qui seraient payées effectivement par les services,
05:52sur la publicité, sur les services.
05:54Vous avez encore une fois toute une palette d'instruments.
05:56Donc moi, je ne suis pas là encore.
05:57C'est des discussions qu'on va avoir avec la Commission
05:59et avec les partenaires européens.
06:01Mais on a des outils, encore une fois.
06:03L'Europe, vous savez, pendant très longtemps,
06:04ça a été une puissance qui ne s'assumait pas
06:06et qui notamment n'assumait pas d'utiliser ses instruments économiques.
06:10Peut-être aussi parce qu'elle se bridait,
06:11elle était bridée aussi par des règles que les autres ne respectent plus.
06:14Prenez les règles de l'OMC.
06:16Pendant très longtemps, on allait déposer des contentieux auprès de l'OMC.
06:18On attendait des procédures de recours interminables.
06:21Mais les États-Unis ont vidé depuis des années,
06:24même d'ailleurs dans les administrations précédentes,
06:25sous Obama et sous Biden, ont vidé l'OMC de son sens, de son rôle,
06:29ne renouvellent pas les juges au sein de l'OMC.
06:31Donc, ils sont en train de déventrer là le droit économique international.
06:35Il n'y a aucune raison que les Européens soient éteints de la force de la mondialisation.
06:38Pour avoir quelque chose de concret et de compréhensible par tout le monde,
06:41vous dites Netflix, pourquoi pas ?
06:43On taxe, ce qui freinera Netflix dans son développement en Europe.
06:46En gros, vous voulez accéder à notre immense marché de 450 millions d'habitants européens.
06:50Eh bien, il va falloir payer à un moment donné.
06:52C'est ce que vous êtes en train de dire.
06:53Et ce que je dis, c'est que l'autre part de ça, parce que c'est très important,
06:56il n'y a pas que la réponse économique,
06:58c'est aussi investir massivement dans la compétitivité de l'Union européenne.
07:01C'est faire en sorte que fondamentalement,
07:03les entreprises qui sont aujourd'hui aux États-Unis ou ailleurs,
07:05elles viennent investir chez nous.
07:06Parce qu'en une fois, il y a des acteurs qui veulent des capitaux,
07:08qui veulent se développer.
07:09Mais à ce moment-là, faisons en sorte que la Commission européenne
07:11mette le paquet sur la simplification.
07:13Qu'on fasse l'union des marchés de capitaux.
07:15Parce qu'aujourd'hui, fondamentalement, on se met des droits de douane à nous-mêmes.
07:19Quand vous êtes une entreprise française et que vous voulez aller investir
07:22en Pologne, en Allemagne ou en Italie,
07:24vous avez l'impression de tout devoir recommencer à zéro.
07:26Un autre cadre de régulation, un autre cadre fiscal, un autre droit des affaires.
07:30Pour nous simplifier la vie.
07:31Simplifions. Terminons notre marché unique.
07:34Par exemple, une proposition d'Enrico Letta, dans son rapport,
07:37c'est d'avoir un 28e droit des affaires.
07:39Comme ça, une entreprise européenne, elle a soit son droit des affaires nationales,
07:42soit elle peut opter pour un droit des affaires européen
07:44pour pouvoir investir, se développer plus facilement en Europe.
07:47Là, c'est le moment aussi d'accélérer.
07:48Ça, c'est une demande aussi de la France.
07:50Il y a des propositions qui ont été faites par la Commission européenne
07:53pour renforcer la compétitivité, pour simplifier un certain nombre de normes
07:56qui s'imposent aujourd'hui à nos entreprises.
07:58Mettons le paquet pour faire aussi de notre Union européenne
08:02une zone de croissance, de compétitivité, d'innovation.
08:04Quand on voit la position de Donald Trump,
08:06qu'il y a eu sur la guerre entre la Russie et l'Ukraine,
08:09qu'on voit cette position sur la dimension commerciale et des droits de douane,
08:12est-ce que, monsieur le ministre, ce soir,
08:14vous diriez que les États-Unis sont toujours nos alliés ?
08:17Ce n'est pas un comportement amical de la part des États-Unis.
08:20Maintenant, fondamentalement, réalité, quelle que soit la réponse à votre question,
08:24la conclusion qu'on en tire, c'est la même.
08:26C'est de réduire nos dépendances,
08:28c'est d'investir massivement dans notre autonomie stratégique,
08:31et notamment dans la défense européenne.
08:33C'est ce qu'on commence à faire pour être capable de se défendre,
08:35seul si nécessaire.
08:36Ça commence évidemment par le soutien à l'Ukraine,
08:38parce que le premier test de la sécurité européenne,
08:41c'est de continuer à soutenir l'Ukraine face à la Russie,
08:44parce que, parenthèse, pendant ce temps-là,
08:46pendant qu'on est en train de débattre de tout ça,
08:47la Russie continue quotidiennement ses bombardements sur les îles d'Ukraine.
08:51Elle continue de tourner le dos à la diplomatie,
08:54et c'est après de réarmer, réarmer sur le plan matériel,
08:57en augmentant nos budgets de défense, c'est ce qu'on fait en France,
08:59mais c'est ce qu'on fait maintenant au niveau européen,
09:01soutenir notre propre industrie de défense,
09:04pour pas justement être dépendant des armements américains,
09:07avec ce que ça veut dire aussi en termes de contrôle,
09:08l'usage de contrôles d'exportation, et se réarmer moralement.
09:13C'est réarmer moralement, c'est-à-dire comprendre
09:15qu'on est dans un monde de conflictualité, de rapports de force,
09:19et donc d'être capables, aussi nous-mêmes, de défendre nos intérêts.
09:22D'un mot, Amélie Rosig, parce que dans cet océan d'incertitude,
09:24il y a une demi-bonne nouvelle, c'est le prix de l'essence.
09:26Absolument, mais ma question, elle est très concrète.
09:29Qui va payer la riposte de l'Union européenne ?
09:32Parce que finalement, ceux qui vont payer aujourd'hui,
09:34en premier lieu, les droits de douane américains,
09:36ce sont d'abord les consommateurs américains.
09:38Et on le sait, s'il y a une riposte européenne,
09:40ce seront les consommateurs européens qui vont payer la facture,
09:43au moins à court terme.
09:44Les taxes sur Netflix, ça va être pour nous.
09:45Mais fondamentalement, comment voulez-vous avoir une négociation
09:50avec cette administration Trump, où on pourrait envisager
09:53une désescalade sans être capable de montrer qu'on peut réagir ?
09:56Donc vous allez avoir d'abord des cordes de rappel
09:59dans l'économie américaine, vous l'avez dit vous-même,
10:02avec les sénateurs, les gens de la Maison-Blanche
10:04qui vont commencer à recevoir des coups de fil les entreprises,
10:06qui vont licencier, qui vont pourquoi pas délocaliser.
10:09Vous avez les marchés boursiers américains qui sont en train de dévisser.
10:11Mais à nous de montrer qu'on est capable de réagir
10:13et qu'on est capable de soutenir aussi notre propre économie.
10:15Merci Benjamin Haddad.