Le parquet algérien avait requis 10 ans de prison : l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal a finalement été condamné à 5 ans de prison par le tribunal correctionnel de Dar El Beida, à Alger. Regardez la réaction de Elisabeth Badinter, philosophe.
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00:00RTL Matin
00:02Tout de suite l'invité d'RTL Matin, Thomas vous recevez Elisabeth Badinter, sa parole est rare et elle a choisi RTL pour réagir entre autres à la condamnation de Boilem Sansal.
00:13Bonjour et bienvenue sur RTL, Elisabeth Badinter.
00:15Bonjour.
00:16L'écrivain franco-algérien Boilem Sansal a été condamné hier à 5 ans de prison ferme en Algérie, coupable officiellement d'atteinte à l'intégrité du territoire. Que vous inspire ce verdict ?
00:26Une terrible injustice. L'expression d'une justice du 18e siècle, autant des fanatiques, ça n'est pas de l'ordre de la démocratie, tout a été bafoué à son égard, tous ses droits ont été bafoués.
00:46C'est quand même un homme qui se retrouve seul, absolument seul depuis 4 mois, malade, vieux, pour des convictions qui ne plaisent pas au pouvoir.
00:57C'est une peine politique ?
00:59Ah oui, c'est une peine politique parce que, qu'elle a été, si vous voulez, la source de toute cette affaire terrible, ses propos sur le Sahara occidental.
01:11Que se dispute l'Algérie et le Maroc.
01:13Exactement. Mais, en vérité, il y a aussi un autre motif, et qui nous concerne, nous, Français. Et l'autre motif, c'est que, depuis une quinzaine d'années, peut-être plus, Boilem Sansal écrit, parle, pour nous convaincre de quelque chose,
01:31qui est, je résume en une phrase, ne laissez pas l'islamisme radical gangréner la France. Ne les laissez pas faire au nom d'une fausse tolérance, parce que vous avez peur. Il faut combattre.
01:46Et si Boilem Sansal se permet de dire ça, c'est tout simplement parce que lui, et beaucoup d'autres, naturellement, en Algérie, ont vécu la guerre qui a eu lieu à la fin du siècle dernier.
02:00Avec les islamistes du fils.
02:02Avec les islamismes du fils, le GPA aussi. Et qu'il a vu ce qui s'est passé, comme tante d'Algérien. Et au fond, il essaye de nous alerter. Ne laissez pas faire. Ne laissez pas, peu à peu, ces islamistes s'emparer du pays, parce que c'est bien ça l'objectif du fanatisme religieux, d'imposer leurs lois. Et voilà ce que nous avons vécu.
02:28Il a plaidé pendant son procès la liberté d'expression. C'est ça le procès Sansal, c'est la liberté d'expression qu'on emprisonne. Certains ont fait un parallèle, vous d'ailleurs, entre Sansal et Dreyfus.
02:38Oui, j'aurais pu le faire aussi entre Sansal et Voltaire.
02:42Emmanuel Macron a appelé hier au bon sens et à l'humanité des autorités algériennes. Est-ce que la France a fait tout ce qu'elle doit faire, tout ce qu'elle devait faire pour soutenir et obtenir la libération de Sansal ?
02:52Si vous dites la France, à savoir le gouvernement français et les plus hautes autorités françaises, il y en a qui ont fait tout ce qu'ils pouvaient.
03:01Qui n'a pas fait ce qu'ils devaient faire ?
03:03On a eu le sentiment, en tous les cas, qu'au nom de la diplomatie, on a quand même laissé passer beaucoup de choses.
03:11Vous avez participé, Elisabeth Badinter, à un livre collectif pour Boilem Sansal, qui est sorti hier aux éditions David Reynard, qui réunit 60 personnalités venant de tous les milieux, politiques, culturelles, médiatiques, philosophiques.
03:22Pour autant, on a quand même ce sentiment que le soutien à Sansal est bien discret ici en France. Comment vous l'expliquez, ça ?
03:29Ce que vous dites me va droit au cœur parce qu'hier, il y a eu une manifestation pour Boilem Sansal, pour le soutenir.
03:37Et j'ai trouvé qu'il n'y avait pas beaucoup de monde. Et je vais plus loin. J'ai éprouvé une grande tristesse en voyant que les personnes présentes étaient vieilles comme moi.
03:47Et donc, les jeunes n'étaient pas là.
03:50Pourquoi ?
03:51Parce que pour les très jeunes et les un peu moins jeunes, une très large partie d'entre eux sont farouchement pro-palestinien, pro-hamas, pro tout ce que vous voulez.
04:02Et que pour beaucoup d'autres, les juifs, c'est bien dommage qu'on les embête. On n'est pas du tout antisémites. Mais après tout, ce n'est pas notre affaire.
04:12Et puis, il y a aussi tous ceux qui reprochent à Sansal d'être un écrivain d'extrême droite. C'est d'ailleurs le thème du texte que vous lui avez consacré dans le livre. Qu'est-ce que vous leur répondez à cela ?
04:21J'ai tâché de leur répondre qu'ils nous mentaient parce que Boilem Sansal n'est pas un idéologue comme ceux qui lui font des reproches.
04:30Ce n'est pas un idéologue. C'est un homme qui a cœur de nous dire, de nous répéter ce qu'il a vu, comme des millions d'Algériens, ce qu'il a vécu pendant 10 ans de cette guerre.
04:42C'est un témoin ?
04:43Bien sûr. C'est comme tous ceux qui habitaient en Algérie à cette époque-là. Il s'est passé des atrocités. Les fanatiques religieux ont beaucoup tué son message.
04:53Ne laissez pas le fanatisme religieux, d'ailleurs d'où qu'il vienne, prendre peu à peu l'État, prendre peu à peu nos institutions. C'est très dangereux.
05:04Dans ce contexte, Elisabeth Bannater, le sujet du voile revient une nouvelle fois dans l'actualité chez nous en France. Pourquoi on n'arrive pas à avoir un traitement calme, un traitement serein, un traitement posé de cette question ?
05:14Il y a en jeu le fanatisme religieux. C'est ça qui est en jeu et qui suscite des passions extrêmes.
05:22Mais tous les voiles ont la même signification ?
05:25Alors peut-être.
05:26Toutes les jeunes filles qui posent le voile sont des fanatiques religieuses ?
05:29Pour ma part, je ne sais pas si toutes, mais peut-être pas du tout.
05:33Simplement, c'est impossible de distinguer parmi les jeunes filles qui portent le voile, celles qui sont plutôt fanatisées par la famille, par l'entourage,
05:44et celles qui le font tout simplement parce que c'est une affirmation de son identité et qu'il n'y a pas, si vous voulez, un objectif agressif ou de séparatisme.
05:58Et là, je réponds, franchement, vous ne pouvez pas distinguer une jeune fille comme ci et une jeune fille comme ça.
06:05Et si vous ne pouvez pas le distinguer, on ouvre la porte toute grande justement à l'antrisme des radicaux parce qu'on ne pourra justement pas les distinguer.
06:16Ils en appelleront évidemment à la tolérance comme ils le font à l'école.
06:20Alors, il y a ceux qui disent que toutes les jeunes filles, toutes les femmes qui portent le voile ne font pas partie des frères musulmans.
06:25Et puis, il y a ceux qui disent aujourd'hui qu'on n'ose pas dire qu'on est contre le voile parce qu'on a peur d'être taxé d'islamophobie.
06:31Est-ce que quand on est hostile au voile, on est forcément islamophobe ?
06:35Écoutez, il y a trois ou quatre ans, j'ai eu la chance de pouvoir dire ce que je pensais exactement de ce problème.
06:41Donc, ce n'est pas nouveau pour moi.
06:43Il ne faut pas avoir peur d'être traité d'islamophobe.
06:47C'est l'arme suprême justement des radicaux pour culpabiliser la personne.
06:55Il faut s'en fiche.
06:57On vous traite d'islamophobe et vous ne l'êtes pas, pas du tout.
07:02Eh bien, il faut s'en fiche.
07:04Vous les désarmez comme ça.
07:06Est-ce qu'un jour, on pourra réconcilier les juifs et les musulmans dans ce pays ?
07:10Franchement, je n'en sais rien.
07:12Je ne peux pas vous le dire.
07:14Il y a eu des périodes et des époques où ça ne posait pas de problème,
07:18notamment justement dans les pays occupés par la France, que ce soit le Maroc ou surtout l'Algérie.
07:26Il y a eu des périodes où ils vivaient tout à fait, je dirais, cordialement ensemble.
07:31Mais aujourd'hui, on a l'impression que chacun est presque sommé de choisir un camp.
07:35Oui, absolument.
07:36C'est ce que je voulais que je vous dise.
07:38On en est là ?
07:39Ah oui.
07:40Et pendant ce temps-là, Elisabeth Banninter, le Rassemblement National,
07:43représenté entre autres par son président Jordan Bardella,
07:46est à Jérusalem pour participer à une conférence de lutte contre l'antisémitisme.
07:50Ça vous inspire quoi ?
07:51Est-ce que le RN est devenu aujourd'hui en France, comme il le prétend,
07:54le meilleur rempart contre l'antisémitisme ?
07:56Écoutez, je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir répondre avec certitude à cette question.
08:02Ce que je peux dire, c'est que pour toute la population française,
08:07en tous les cas, qui regarde les choses,
08:10s'il y a un endroit où les Juifs sont malvenus, c'est à l'extrême gauche et maltraités.
08:16Et ce que ne fait pas le RN.
08:20Donc, pour l'instant, le fait qu'ils aient été invités par Netanyahou,
08:26droite dure, droite dure, si on peut s'entendre,
08:31est en tous les cas un signe de renversement.
08:35J'ai passé toute ma vie à me dire que le Front National,
08:39maintenant qui n'est plus le Front,
08:41est effectivement un repère d'antisémites,
08:45et même actif, et même souvent violent.
08:48Je pense au GUD, etc.
08:49Aujourd'hui, ma crainte de la violence ne vient pas de ce côté-là,
08:54mais de l'autre côté où elle est affichée.
08:56Et leur présence en Israël ne vous choque pas ?
08:58Écoutez, comme je vous le dis,
09:00c'est de droite, d'extrême droite, on pourrait dire,
09:07et en France, et en Israël.
09:09Vous arrivez à rester optimiste aujourd'hui ?
09:12Pas du tout. Je suis d'un extrême pessimisme.
09:15Et quand vous pensez à vos enfants, à vos petits-enfants ?
09:18Eh bien, je vais être honnête.
09:22Je redoute beaucoup, j'espère que ça n'arrivera pas,
09:26que mes petits-enfants soient un jour obligés de quitter la France.
09:31Merci, Elisabeth Badinter.