Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici la captation de la rencontre de Sophie Brocas autour de son cinquième roman, Le lit clos, paru aux éditions Mialet-Barrault.
Discussion animée par Hélène Bihèry-Dupuy, et enregistrée le mardi 11 mars 2025.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
En novembre 1924, un vent de colère a submergé Douarnenez. Trois mille ouvrières des sardineries ont décidé de refuser les cadences infernales, les salaires de misère, le travail des enfants, et ont initié ce qui restera la première et l'une des plus importantes grèves féminines du XX? siècle. Écrasées sous le poids des traditions religieuses et sociales, ces femmes ont pourtant eu le courage de se révolter. Mieux encore, emportées par ce tsunami libérateur, deux d'entre elles ont même osé s'aimer. Mais que restera-t-il de ce moment extraordinaire quand, une fois les revendications satisfaites, le combat prendra fin ? Avec force et délicatesse, Sophie Brocas retrace le destin de ces deux surprenantes héroïnes.
Voici la captation de la rencontre de Sophie Brocas autour de son cinquième roman, Le lit clos, paru aux éditions Mialet-Barrault.
Discussion animée par Hélène Bihèry-Dupuy, et enregistrée le mardi 11 mars 2025.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
En novembre 1924, un vent de colère a submergé Douarnenez. Trois mille ouvrières des sardineries ont décidé de refuser les cadences infernales, les salaires de misère, le travail des enfants, et ont initié ce qui restera la première et l'une des plus importantes grèves féminines du XX? siècle. Écrasées sous le poids des traditions religieuses et sociales, ces femmes ont pourtant eu le courage de se révolter. Mieux encore, emportées par ce tsunami libérateur, deux d'entre elles ont même osé s'aimer. Mais que restera-t-il de ce moment extraordinaire quand, une fois les revendications satisfaites, le combat prendra fin ? Avec force et délicatesse, Sophie Brocas retrace le destin de ces deux surprenantes héroïnes.
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00:00Bonsoir à tous, merci d'être avec nous ce soir et merci surtout à vous Sophie Broca d'avoir accepté notre invitation.
00:08Nous savons évidemment que vous avez un agenda bien rempli puisque vous n'êtes pas seulement romancière, vous êtes aussi préfète, préfète de région, préfète du Loiret, de la région Centre-Val-de-Loire.
00:19Donc on imagine votre agenda assez dense, donc on est d'autant plus honoré que vous ayez libéré un petit moment pour venir nous parler de votre roman.
00:28Vous avez un parcours surprenant Sophie Broca, vous êtes d'abord journaliste, vous êtes plume pour différentes personnalités, des hommes politiques, un paléontologue ou une paléontologue.
00:41Et puis un jour vous vous dites, le journalisme c'est bien, les mots c'est bien, mais ça ne suffit pas, les actions s'imposent.
00:49Et à 40 ans vous présentez le concours d'entrée de l'ENA et vous m'avez dit en tréambule de cette rencontre, vous m'avez dit je suis la première bachelière de ma famille, ce qui est déjà quelque chose d'important.
01:01Et vous êtes la première énarque de votre famille, alors il y a peu d'énarques dans les familles, donc vous êtes l'énarque de votre famille.
01:08Donc à 40 ans vous présentez le concours d'entrée de l'ENA, bien sûr vous en sortez diplômée et puis vous faites cette carrière dans la haute fonction publique.
01:18Et vous êtes je pense profondément, viscéralement, passionnément républicaine et vos héroïnes, les héroïnes de votre dernier moment ne sont pas sans rapport avec vous je pense, on va le voir tout à l'heure.
01:32En parallèle de cette carrière assez incroyable, vous êtes donc romancière depuis une dizaine d'années, depuis 11 ans, vous avez publié votre premier roman Le cercle des femmes aux éditions Julliard,
01:42sous la roulette de votre éditrice Betty Mialet qui est présente et que nous remercions, et à laquelle vous êtes d'une fidélité absolue puisque votre dernier roman Le lit clos est publié aux éditions Mialet-Barreau.
01:55Et vous revenez dans ce roman, comme dans beaucoup de vos romans d'ailleurs, sur des faits d'armes de femmes.
02:02Il me semble que vous avez un vrai goût pour les destins féminins, pour les destins hors du commun et vous revenez sur un événement historique,
02:10qui est la plus grande grève de femmes du XXe siècle, celle des peines sardines.
02:15Comment est-ce que vous avez eu envie de vous attaquer à ce sujet ?
02:19Alors d'abord je suis très contente aussi moi d'être à Paris ce soir, ça me donne une très belle excuse pour avoir fait un pas de côté et d'être dans cette librairie mythique.
02:32Voilà donc merci Hélène.
02:34L'histoire des sardinières, des peines sardines, ça part très simplement d'un week-end chez des copains en Bretagne, dans le Finistère.
02:45Roland Jourdain et sa femme.
02:49Roland Jourdain, c'est un des grands navigateurs multi-champions de la course du Rhum, de la route du Rhum.
02:57Et il raconte cette grève comme ça, entre la poire et le fromage.
03:04Et j'ai trouvé qu'il y avait un ressort romanesque, puisqu'en effet, il faut imaginer, il y a cent ans,
03:12trois mille femmes qui tout d'un coup disent non.
03:15Et qui disent non parce qu'elles ne supportent plus d'être esclavagisées par leurs employeurs, par les industriels.
03:25Que c'est non pas une grève politique mais une grève du ventre, une grève de la misère.
03:30Et qu'elles vont se lever et se coaliser pour réclamer 20 centimes de plus de l'heure pour qu'elles soient payées un franc de l'heure.
03:39Et on imagine aujourd'hui, trois mille femmes qui se mettraient en grève, ça durera cinq semaines.
03:47Voilà, tous les journaux, toutes les radios et BFM en continue suivraient cette lutte, etc.
03:57Je ne sais pas si on a revu des grèves de femmes de cette ampleur, de cette durée et de cette volonté depuis.
04:05Il y avait eu une première grève avant, c'était les transbordeuses d'oranges.
04:12Je dis à chaque fois serrée mais ce n'est pas serrée.
04:16Bref, c'est à la frontière espagnole du côté des Pyrénées-Orientales.
04:21Comme les rails n'ont pas le même écartement entre la France et l'Espagne, ce qui est toujours le cas.
04:26Cerbère, voilà, c'est Cerbère.
04:29Donc ces femmes étaient payées pour transporter les caisses d'oranges d'un wagon à l'autre, d'un côté à l'autre du quai.
04:37Mais c'était une grève de plutôt quelques dizaines de femmes.
04:42Là, c'est quelque chose de massif.
04:44J'ai trouvé que ça donnait envie de raconter ce mouvement social.
04:50Vous le dites, c'est un sujet romanesque et je pense que vous avez un goût et un don particulier pour le romanesque.
04:56Vous plantez le décor très vite.
04:58On est en Bretagne en 1924 et il n'y a pas deux camps qui s'affrontent.
05:03Mais il y a deux Bretagnes qui vont se rencontrer par le biais de ce pont qui relie Tréboule à Douarnenez.
05:09J'aimerais qu'on évoque vos deux héroïnes puisqu'il y a deux femmes au cœur de cette révolte.
05:14Deux femmes que rien n'aurait dû réunir et que vous allez réunir.
05:17Et ça, c'est la force du roman.
05:19La première s'appelle Rose et elle est ce qu'on appelle une blanche.
05:22Est-ce que vous pouvez nous dire qui est cette Rose et quel est l'univers d'où elle vient ?
05:26Rose, c'est une jeune catholique.
05:29Rien de surprenant dans la Bretagne du siècle dernier.
05:34C'est une jeune catholique paysanne.
05:37Elle a grandi.
05:39Elle est la seule fille.
05:40C'est une fratrie de trois, mais elle est la seule fille.
05:43Elle est l'aînée de cette fratrie de trois.
05:45Des paysans qui vivent difficilement.
05:49Elle a reçu une éducation très catholique.
05:53Elle est très corsetée mentalement, profondément par cette éducation catholique où Dieu voit tout.
06:00Ça fait quand même très, très peur.
06:02Il voit tout dans les âmes, dans les faits, dans les gestes.
06:07Elle est un peu docile.
06:10Elle est assez jeune.
06:12Elle a 17, 18 ans.
06:15Elle n'est jamais sortie de sa petite ville, de son village.
06:21Et de l'autre côté du pont, c'est Douarnenez et c'est les Rouges.
06:25C'est les Rouges.
06:26D'abord, c'était la première ville communiste.
06:28Et c'est les Rouges avec des gens qui sont quand même très bizarres pour les paysans.
06:33C'est les marins, les pêcheurs.
06:35Parce qu'autant la terre, on sait ce qu'elle rend.
06:39On sait ce qu'elle donne parce qu'on la cultive, qu'on la connaît, qu'on la maîtrise.
06:43Autant la mer, l'océan, ça peut être très dangereux.
06:47On ne sait jamais si le poisson va être là.
06:49Et au fond, les paysans n'aiment pas les marins.
06:52Ils les prennent pour des aventuriers, des enfants qui prennent des risques inconsidérés
06:58sans jamais être sûrs de ce qu'ils auront à la fin du mois dans leur assiette.
07:03Mais c'est bien vers ça qu'elle va devoir aller, vers cette ville rouge qui lui fait peur.
07:10On va le voir dans votre roman.
07:12Je trouve qu'il y a une très grande sensualité.
07:15On verra pourquoi.
07:16Mais il y a une très grande sensorialité.
07:18C'est-à-dire que vous avez une écriture qui nous fait vraiment plonger dans le monde que vous nous racontez.
07:24Et ça commence tout de suite avec la scène d'ouverture qui est une scène terrible.
07:28Puisque la jeune Rose va perdre sa mère qui met au monde ce troisième petit frère
07:32qu'elle va immédiatement surnommer le barbare et plus tard l'assassin.
07:36Elle ne l'appellera jamais autrement.
07:37Elle va le détester cordialement toute sa vie, on pense.
07:41Et on est tout de suite dans cet intérieur breton, dans cette maison de paysans pauvres.
07:47Elle, elle est en train d'essayer d'expulser ce bébé dans ce lit clos qui donne le titre au roman
07:52et dont on va le voir qu'il y a un lieu à la fois de douleur, d'incarcération, de secrets
07:58et plus tard heureusement aussi de plaisir.
08:01Et on est vraiment pris dans cette scène avec cette femme qui agonise, avec ce sang qui va la tuer.
08:09Et comment est-ce que vous vous y prenez pour nous raconter si bien des choses aussi violentes ?
08:18Et ensuite, je pense à la scène du deuil et puis l'enterrement dans cette église avec le curé, avec l'encens.
08:25On y est vraiment, vous nous plongez dans l'univers.
08:28Comment ça vient ? Mais je ne sais pas comment vient l'écriture.
08:31C'est un secret ?
08:32Non, ce n'est pas un secret.
08:34Pourquoi est-ce que je commence par cette scène terrible ? Je ne sais pas.
08:38Pourquoi ? Comment ? Je l'imagine parce qu'à partir effectivement d'un fait historique fort qui est cette grève,
08:45après on accroche, c'est ça le plaisir du roman.
08:48On fait revivre ce fait historique en inventant des personnages, en le peuplant,
08:54en inventant des odeurs, en imaginant des lieux.
08:58Mais comment ça vient, ça je ne sais pas dire.
09:00Sans doute des écrivains confirmés seraient mieux expliqués le processus, mais je ne sais pas.
09:08Et par contre, la mort, le rituel de la mort, les diseuses de grâces, etc.
09:15Vous écrivez tout ça avec beaucoup de minutie.
09:17Oui, mais ça j'ai lu là-dessus.
09:19C'est-à-dire là, il y a du document.
09:21Grande recherche.
09:23Il y a des documents historiques parce que je ne suis pas bretonne.
09:27Pardon pour les bretons, j'espère.
09:29Après d'ailleurs, je suis très anxieuse parce que les rituels de la Bretagne,
09:36je regarde les quelques bretons qu'il y a là.
09:40Il varie d'une région à l'autre.
09:41J'en regarde une surtout.
09:44Les bretons de la mer, ce n'est pas le même rituel que les bretons de l'intérieur, etc.
09:49Donc, j'espère que je n'ai pas fait trop de contresens.
09:51Mais ça, j'ai lu.
09:53Mais pourquoi je commence par ça, je ne sais pas.
09:55On voit en tout cas tout de suite le destin tragique des femmes.
09:58Il y a cette femme qui en rencouche, comme c'était hélas très fréquent à cette époque.
10:03Et puis, il y a cette jeune fille qui est en effet l'aînée de sa fratrie
10:05et qui n'a pas le temps de pleurer sa mère.
10:07D'ailleurs, elle n'y parvient pas.
10:08Dès le lendemain, son père lui dit, ma fille, je t'emmène de l'autre côté du pont.
10:13Tu vas embaucher chez Chancrel.
10:16On a besoin de ton salaire.
10:18Et donc, elle est tout de suite plongée dans le réel pur et dur.
10:23Et son père lui fait traverser le pont
10:25et emmène cette jeune fille blanche, pieuse, obéissante du côté des Rouges.
10:30C'est ça.
10:31Elle va...
10:32Il y a des places.
10:33Il y a des places.
10:34Non, d'accord.
10:35Elle va effectivement être projetée à la fois avec cette immense douleur de la perte de la mère.
10:43Qui est une sidération complète.
10:45Donc, je crois effectivement, elle n'arrive pas à pleurer.
10:47D'ailleurs, elle s'en veut.
10:48Elle se dit sans doute qu'elle est une mauvaise fille parce qu'elle n'arrive pas à pleurer.
10:52Mais elle va être projetée à la fois dans ce drame absolu où on se réveille,
10:56où l'autre n'est plus là.
10:58Celui qui vous a élevé, qui est le tuteur, qui est le modèle.
11:03Voilà.
11:04Et qui est le référent.
11:05Et où elle va être projetée en même temps dans un monde qu'elle ne connaît pas,
11:09qui lui fait très peur.
11:10Et elle a été nourrie dans cette idée que de l'autre côté du pont, c'est des rouges et c'est des fous.
11:15Enfin, c'est des gens pas raisonnables.
11:17Mais il faut qu'elle aille travailler.
11:19Et elle va découvrir...
11:20Alors, elle est un peu naïve, un peu docile.
11:23Elle a du mal à faire des pas de côté.
11:27Elle va en faire quand même.
11:28Mais elle va découvrir le monde du travail, le monde des ouvrières,
11:33mais aussi la solidarité, mais aussi le chant.
11:36Mais aussi, tout d'un coup, la capacité de dire non.
11:39Alors qu'elle a été élevée dans cette docilité que donne au fond la religion,
11:46c'est-à-dire le fait de croire à quelque chose qu'on ne peut pas démontrer.
11:49Ça vous incite, je crois...
11:51C'est une fille obéissante, en fait.
11:52Oui, une forme de docilité, d'obéissance.
11:54Elle obéit à son père, elle obéit au curé, elle obéit à son patron.
11:57Voilà.
11:58Et donc là, à nouveau, quand elle arrive à Douarnenez, dans cette usine, dans cette sardinerie,
12:03on retrouve à nouveau cette très forte puissance évocatrice et sensorielle de l'usine.
12:09Vous nous racontez, on sent vraiment, on sent l'huile brûlante,
12:12on sent les odeurs de sardines,
12:14on sent cet écœurement qui la prend, qui la saisit immédiatement.
12:18Et vous racontez ça, là aussi, avec une minutie prodigieuse, je trouve.
12:22Bon, alors ça, c'est les lecteurs qui pourront dire si c'est bien raconté, évocateur,
12:27et si des images naissent.
12:29Mais merci si ça a marché chez vous.
12:31Voilà.
12:32Après, oui, l'odeur, je pense...
12:33Bon, d'abord, moi, je n'aime pas les sardines.
12:35Donc, ça a facilité les affaires.
12:37Et donc...
12:39Vous n'avez pas simplifié la vie, en tout cas.
12:41Non, mais je pense que...
12:42Enfin, je ne sais pas si je me mets à sa place.
12:45Elle va vers un monde qui la terrorise.
12:48Et tout d'un coup, il y a effectivement cette odeur qui flotte dans la ville,
12:52cette haleine de la friture qui doit assaillir ses sens.
12:59Et comme elle a très peur, ça devient énorme.
13:02Ça devient une espèce d'obsession.
13:04Elle ne voit rien d'autre que ça.
13:06Et puis, dans l'usine, les conditions sont dures.
13:09Alors, bon, c'est pareil, c'est documenté.
13:11Il y a pas mal d'écrits sur la vie des sardinières.
13:14C'est documenté.
13:15Il fait froid.
13:17C'est dur, quoi.
13:18C'est dur.
13:19Et la sardine est un petit poisson bleuté, très fragile.
13:23Donc, il faut vraiment être expert.
13:25Et on n'arrive pas tout de suite au poste les plus en vue et les plus payés.
13:31Celle qui pose les filets dans les boîtes.
13:33Celle qui est vide.
13:35Oui, elle qui est vide.
13:36Oui, qui est vide.
13:37C'est vrai.
13:38C'est vrai.
13:39C'est vrai.
13:40C'est vrai.
13:41C'est vrai.
13:42C'est vrai.
13:43C'est vrai.
13:44C'est vrai.
13:45C'est vrai.
13:46C'est vrai.
13:47C'est vrai.
13:48C'est vrai.
13:49C'est vrai.
13:50C'est vrai.
13:51C'est vrai.
13:52C'est vrai.
13:53C'est vrai.
13:54C'est vrai.
13:55Qui est vide.
13:56Qui est vide.
13:57Qui enlève les entrailles d'un coup de couteau très précis.
13:58Alors, elle, en effet, elle est mise à l'huilage.
13:59Et elle va tout de suite, là aussi, être mise au pas de cette cadence infernale.
14:01C'est-à-dire, elle est entre les mains d'une contremaîtresse qui va se révéler
14:06terrifiante.
14:07Elle va devoir remplir 750 boîtes de sardines par jour avec une petite burette dans des
14:16boîtes qui sont montées en pyramide et qu'il ne faut évidemment pas faire tomber.
14:20Donc elle va tout de suite être dans le concret de l'affaire et avoir assez peu de temps
14:24pour penser.
14:25Donc elle va être effectivement très précautionneuse, très obéissante là encore.
14:29Et puis sa conscience politique va s'éveiller.
14:32J'aimerais bien que vous nous racontiez comment l'éveil de cette conscience se met
14:36au jour parce qu'elle va assister à plusieurs événements qui vont la choquer.
14:40D'abord, elle va rencontrer une autre sardinière qui s'appelle Louise et qui est l'exact inverse.
14:49Elle est rebelle, elle est révoltée, elle a déjà été mariée, elle est déjà veuve,
14:54elle est un peu plus âgée.
14:55Elle a 24 ans.
14:56Elle a 24 ans.
14:57Elle a une voix inouïe et elle a du charisme.
15:01Et elle embarque toutes les femmes, alors d'abord avec sa voix, puisque c'est elle qui chante
15:08dans les solos et 300 ouvrières reprennent le couplet en chœur, le refrain, pour ne pas
15:18s'endormir, pour se donner du courage, pour raconter des espèces de romances à l'eau
15:24de rose.
15:26Elle va découvrir aussi cette solidarité entre les femmes parce que dans ces usines,
15:34on travaille à peu près de l'âge de 8 ans quand on est une petite fille jusqu'à l'âge
15:38de 80 ans.
15:39Huit ans, on transporte les caisses, les caisses vides et les grilles.
15:47Et puis, à 80 ans, on est trop âgé pour être debout les pieds dans la glace.
15:54Mais on est sous la grande bouilloire de la friture et on alimente le feu.
16:00Voilà.
16:01Et donc, elle découvre tout ce monde là, cette espèce de choses qui tient toutes ces
16:07femmes ensemble.
16:08C'est la nécessité de gagner leur vie et d'aider au frais de leur famille.
16:12Et puis, elle va voir.
16:14Oui, alors donc, elle va d'abord quand même être assez attirée par Louise.
16:18Fascinée.
16:19Fascinée.
16:20Elle est attirée dans le sens où elle est attirée par cette femme charismatique qui
16:26commence à l'émerveiller, où elle a envie de parler comme elle, de s'habiller comme
16:31elle, de se coiffer comme elle, etc.
16:35Et puis, elle est un peu effrayée en même temps par ce côté rebelle de Louise qui
16:40parle des patrons, qui parle de grève.
16:42Et ça voudrait dire désobéir et désobéir, ça lui fait peur, mais elle commence à être
16:48un peu embarquée.
16:49Et puis, il y a un petit grain.
16:50À quel moment est-ce qu'on bascule quand on est quelqu'un de docile et d'obéissant
16:55vers la révolte ? C'est quoi le petit grain de sable intérieur qui fait que tout d'un
17:01coup, on sort de cette obéissance, de ce cadre-là et de ce cadre de l'éducation ? Pour elle,
17:09ça va être une de ses voisines à lui l'âge dont la mère est en train d'agoniser et
17:15qui demande à la contremaîtresse de pouvoir s'absenter pour aller au chevet de sa mère.
17:21La contremaîtresse lui dit en gros, si tu quittes ton poste maintenant, ce n'est pas
17:25la peine de revenir.
17:26Et ça réveille la douleur encore évidemment très vive et très vivace de Rose qui a perdu
17:34sa mère peu de temps après et elle trouve ça vraiment injuste.
17:37Et ça, ça va la faire basculer du côté de l'appel à la grève que Louise entretient
17:44comme un feu roulant en allant d'usine en usine, essayer de convaincre toutes les ouvrières
17:50de se mettre en grève le même jour pour la même raison.
17:52Comme vous dites, d'usine en usine, parce qu'à l'époque, Dornenay s'industrialise
17:56comme tout le pays au début du XXe siècle.
17:59Il y a des usines, des sardineries absolument partout.
18:01Ce sont des usines dans lesquelles les femmes travaillent et c'est ce grand collectif de
18:05femmes que vous nous racontez avec passion et ardeur.
18:09Et Louise, en effet, avec sa voix d'or, est une meneuse exceptionnelle.
18:13Et donc, on se dit comment est-ce qu'elle a pu réunir toutes ces femmes ? Comment est-ce
18:18qu'elle a pu les convaincre ? Et vous précisez, et je pense que là aussi, c'est documenté,
18:22vous avez lu beaucoup, je n'en doute pas une seconde, vous nous dites très bien, et c'est
18:28très intéressant je trouve, les plus acharnées, les plus rapidement convaincues, ce sont les
18:33plus âgées.
18:34Les plus âgées, elles ont déjà fait la grève en 1905, qu'est-ce qu'elles ont réclamé
18:38ces femmes en 1905 et qu'est-ce qu'elles n'ont rien à perdre en fait ? Elles sont
18:42âgées, elles ne craignent rien.
18:43Oui, dans ce peuple de femmes, ce peuple de femmes, il est composé de jeunes filles,
18:50de jeunes femmes, de jeunes filles qui, comme Rose ou comme Louise, sont très excitées
18:55tout d'un coup par le fait de dire non, très excitées par cette aventure.
18:59Ça, c'est quelque chose qui m'intéressait, de raconter l'énergie que peut créer l'énergie
19:08la joie mêlée à la peur, mais l'énergie que peut créer un mouvement collectif, l'énergie
19:15que se donne et le courage que se donnent les gens entre eux quand ils se mobilisent
19:19pour un même objet.
19:20Donc il y a des jeunes filles qui sont excitées par cette aventure, par le fait de dire non,
19:25il y a des mères de famille qui sont les plus inquiètes et qui se disent comment je
19:30vais nourrir les petits à la fin du mois, et puis en effet il y a les vieilles, les
19:35plus âgées qui ont déjà fait la grève en 1905, pourquoi ? Pour ne plus être payées
19:40à la pièce, puisqu'en 1905 elles étaient payées à la pièce, si bien que dès qu'il
19:44y avait une sardine qui avait perdu la tête, qui était un peu abîmée, qui était un
19:50peu pourrie, c'était retenu sur leur paye, et donc elles ne voulaient plus être payées
19:56à la pièce, c'est ce qu'elles avaient obtenu en 1905, mais elles n'avaient pas
19:59obtenu d'être augmentées.
20:01Alors ce grand mouvement va prendre, ces femmes en effet vont faire grève, vont débrayer
20:05ce fameux 8 novembre, non 24 novembre, elles vont arriver à l'usine à 8h et elles ne
20:11vont pas travailler, elles vont se réunir à la Grande Halle, et c'est le maire de
20:15Douarnenez, le fameux Le Flandes, c'est un portrait très truculent je trouve, qui
20:21va prendre la parole et qui va un peu essayer de récupérer la parole de la meneuse, qui
20:26est-il ce maire de Douarnenez ?
20:27Dans la vraie vie c'est un type très chouette.
20:30Là il est un peu moins chouette.
20:32Oui, mais parce que, il faut que je dise à ceux qui nous écoutent, qui nous font
20:37l'amitié d'être là ce soir, que comme écrivain, enfin je ne sais même pas si je
20:42peux me décrire ou m'approprier ce terme, j'ai beaucoup de mal à avoir des personnages
20:50méchants, c'est mon rêve d'arriver.
20:53À écrire des personnages odieux ?
20:55Oui, alors voilà, des méchants, des salauds, tout ça j'adore, j'adore mais je n'y
21:01arrive pas.
21:02Et donc ce maire, dans la vraie vie, il était formidable et moi j'avais envie d'en
21:06faire un homme un peu plus dans la duplicité, c'est-à-dire qu'il est à la fois très
21:11soutenant pour cette grève, il est lui-même communiste, il n'est pas de là, il a été
21:17lui-même un peu de raccro, parce qu'il a pris la suite d'un maire précédent qui
21:25est mort.
21:26Il a besoin de se faire réélire, les élections approchent et au fond soutenir cette grève,
21:33les femmes n'ont pas le droit de vote, ça va de soi, mais c'est peut-être obtenir
21:38le vote de leur mari, de leur marin de pêcheur, et donc on ne sait jamais.
21:43Et effectivement, du coup j'en ai fait un personnage, j'espère qu'il ne m'en veut
21:48pas, un personnage un peu plus dans la duplicité, c'est-à-dire qu'il y voit son intérêt
21:54aussi électoral, à certains moments il va relancer le mouvement de grève qu'il menage
22:02en place de s'effondrer, en laissant penser, en faisant croire que la gendarmerie menace
22:09physiquement de porter atteinte aux grévistes, alors que c'est faux, mais du coup ça re-soude
22:15le corps social autour de cet objet, des ressources assez habituelles au fond, qu'on connaît
22:21ou qu'on peut observer dans la vie politique.
22:24Vous disiez tout à l'heure, le collectif a une excitation de la lutte collective, et
22:29vous dites aussi, dans la lutte naît aussi le désir, la lutte et le désir sont vraiment
22:35entremêlés, en tout cas ils le sont très fort dans votre roman, et vos deux héroïnes,
22:39aussi différentes soient-elles, Rose et Louise, vont succomber l'une à l'autre à une passion
22:44amoureuse, une véritable passion amoureuse qui les surprend autant l'une que l'autre,
22:49et ça c'est assez inattendu.
22:52Oui, alors je pense qu'effectivement dans des mouvements collectifs, on se sent soudain
22:59si nombreux à être quelques-uns, vous savez qui a dit ça ? Je ne sais plus, il y a des
23:06intellectuels portant dans la salle, donc je pense qu'effectivement on se donne du courage,
23:14et à ce moment-là, cet objet, cette conquête, ça aide à s'élever au-dessus de soi, à
23:22être plus grand que soi, pour un objet plus grand que soi.
23:27Et en vérité, je pense que ça donne de la joie, en même temps que de la peur, que
23:32de l'inquiétude, mais ça donne de l'énergie, ça c'est sûr, je pense, et à ce moment-là,
23:40tous les interdits sautent, c'est ça aussi, le mouvement collectif, quand on dit non,
23:47ça permet de faire sauter un interdit, c'est-à-dire de ne pas accepter quelque chose, et dès
23:52lors que les interdits sautent, alors tous peuvent sauter, y compris celui du tabou,
23:57de l'amour, entre deux femmes ou deux hommes, peu importe, et donc j'avais envie de raconter
24:04ça aussi, c'est comment quand un interdit saute, d'autres peuvent sauter, dans ce moment
24:09d'ivresse, dans ce moment d'ivresse qu'est le combat collectif.
24:12Alors Louise est orpheline de mère, elle a hérité de sa mère une petite maison à
24:16Douarnenez, et il se trouve que Rose, pour rentrer chez elle le soir, il y a une petite
24:21trotte à accomplir, il fait froid, il fait nuit, elle travaille tard, surtout quand la
24:25pêche est miraculeuse, et un soir, et puis en plus il y a le mouvement d'Ève, et un
24:30soir Louise lui dit, si tu veux tu peux venir dormir à la maison, et donc elle va dormir
24:33chez Louise, et le lit clos, qui était jusqu'ici un lieu plutôt de douleur, de peine, un peu
24:40mortifère et un peu de clôture, oui mortifère, va devenir un lieu de plaisir.
24:47Et donc il y a cette première scène assez magnifique je trouve, où Rose ne revient
24:52pas elle-même d'entrer dans une maison où ça sent l'angustique, où tout est pimpant,
24:56il y a des petits rideaux de crotton, enfin voilà on sent que Louise s'est organisée
25:00avec ses moyens, un intérieur très pimpant, et puis il y a ce lit qui est prodigieusement
25:07crémeux, onctueux, voluptueux, d'où elle va observer, il y a une scène très très
25:11belle je trouve, où elle découvre finalement pour la première fois un corps de femme,
25:16qui n'est pas le sien, mais elle ne connaît pas son propre corps, il n'y a pas de miroir
25:20évidemment chez les paysans pauvres de Tréville. Et donc comment vous est venue cette idée de
25:25la rendre un peu voyeuse ? Cette sensualité qui apparaît comme ça tout à coup ? Je voudrais
25:35dire les femmes bretonnes là, en tous les cas dans cet épisode historique, elles ont été très
25:40courageuses et aussi elles sont très coquettes, même quand elles sont pauvres. Il y a un soin,
25:47enfin c'est ce que disent tous les livres que j'ai lus, il y a un soin très particulier à la
25:55maison et à sa propre apparence. A l'hygiène, aux dentelles, aux encaustiques qu'on fabrique
26:07soi-même avec du miel, bon voilà. Et donc la question c'était comment ça m'est venu ? En
26:13fait moi je voulais raconter une histoire, comment deux femmes, c'est pas parce qu'elles
26:17sont des femmes, elles tombent amoureuses l'une de l'autre, c'est comme ça, et comment elles ont,
26:23voilà je veux suggérer, moi je ne vais pas raconter dans le détail, d'abord il faut imaginer.
26:29Ce qui est surprenant c'est cette Rose qui est si jeune, qui a 17 ans et demi, elle est très très
26:34pieuse, elle va à la messe très très régulièrement, elle reste vraiment dans le cadre. Donc là,
26:40sous l'excitation de cette lutte collective, elle voit le monde différemment et tout à coup oui,
26:47elle est complètement fascinée par Louise qui en plus a une voix d'or, on y reviendra,
26:50le chant est très présent dans votre livre. Et elle l'observe et Louise va se mettre entièrement
26:56nue, se laver à l'évier de pierre dans la salle commune pendant qu'elle est partie se coucher et
27:01donc elle observe à travers le bois, les petits... Le bois jouré du lito. Le bois jouré du lito et
27:09il y a une émotion très intense qui la saisit et en même temps elle, voilà, ça va être très très
27:15progressive, très délicat. Vous êtes en effet très délicate avec cette scène sensuelle entre
27:19ces femmes. Vous m'aviez quelque chose que j'ai trouvé très intéressant puisque bon,
27:23la lutte va durer cinq semaines, elles vont vivre leur passion et la lutte ensemble. Elle va donc
27:30mentir cette rose, elle s'en arrangera ensuite avec le ciel et le curé. Avec le ciel surtout.
27:36Surtout avec le ciel. Et puis elles vont gagner, elles vont obtenir Galgause et l'excitation va
27:44retomber et la fascination pour Louise avec. Et ça, j'ai trouvé ça très surprenant, c'est à dire
27:50que c'est assez rapide en fait. Cet engouement, cet enthousiasme et puis tout à coup, voilà,
27:55le désir retombe presque aussi vite qu'il était monté. L'ivresse de la grève, l'ivresse du combat,
28:01à un moment passe puisqu'elles ont gagné. Ça dure encore un petit peu et puis finalement,
28:07cette Louise charismatique mais qui était fascinante dans le combat parce qu'elle le
28:12menait, parce qu'elle était la leader. Elle devient plus banale aux yeux de Rose. Plus banale
28:21et puis surtout, je crois, voilà la question. Est-ce qu'un événement très fort collectif qu'on vit,
28:28est-ce que ça produit le même impact sur tous les êtres qui ont vécu ce moment très fort ? Sans
28:33doute que non. C'est à dire qu'après chacun redevient ce qu'il est profondément. Ce moment
28:41de transgression passée, ce moment de combat, ça peut vous changer ou pas. Et Rose, elle est
28:48tellement imprégnée par son éducation qu'elle va faire des choses. D'abord, elle va se dire
28:56qu'elle ne peut pas vivre avec une femme en 1924. D'ailleurs, je ne sais même pas si elle en a envie.
29:01Elle ne l'assumerait pas du tout. Je ne crois pas et surtout, son rêve secret, c'est de ne plus
29:08jamais être pauvre et donc de ne plus travailler à l'usine. Et ça, voilà, ça va être ça son choix
29:16d'émancipation à elle. Après ce moment-là, ça va être non pas de continuer à aimer Louise,
29:21mais de devenir une femme respectable, c'est à dire une femme mariée avec des enfants. Elle
29:26n'imagine pas sa vie autrement. Voilà, son autre rêve, ce qui n'est pas secret, c'est qu'elle
29:31veut absolument un enfant et ça, Louise ne pourra jamais lui donner. Donc, elle rentre dans le rang
29:36et elle rêve d'épouser un patron de pêche. Elle rêve d'être riche, mais être mère. Et donc,
29:43elle a des paroles incroyables sur la féminité, ce qui est être une femme. Et donc, si on n'est
29:49pas mère, on n'est pas une femme complète. Oui, c'est ça. C'est une question. C'est une
29:55question qui reste d'actualité. Non, c'est vrai. Je pense qu'elle a une image. Alors,
30:03peut-être qu'elle le ressent aussi vraiment corporellement, qu'elle a envie, qu'elle a un
30:09désir d'enfant. Mais je pense qu'elle est aussi prisonnière d'une certaine image sociale où,
30:16au fond, pour être une femme accomplie, il faut être une mère et de préférence mariée à cette
30:23époque-là. Alors, Louise va être dévastée par cette rupture. Pardon, mais c'est vrai que c'est
30:28une question d'actualité. Il y a aujourd'hui des femmes qui considèrent que d'abord aujourd'hui,
30:38de plus en plus de femmes disent je souhaite ou je ne souhaite pas. C'était impensable avant. Je
30:45pense que c'est une progression du droit des femmes de pouvoir assumer le fait qu'on peut
30:53se sentir un être entier et plein, même si on n'a pas de désir d'enfant. Alors, on passe d'une
31:04première partie de roman qui est donc très, je dirais, un grand roman social avec cette grève
31:08des femmes, à une deuxième partie où on va suivre le destin entremêlé de ces deux héroïnes à
31:17travers le récit de leurs journaux intimes. On va passer de la troisième personne à la
31:21première personne et on va suivre Louise qui, dès le lendemain matin de la rupture, enfin,
31:27dès qu'elle comprend que Rose s'est amourachée d'un pêcheur qui s'appelle Émile et qu'elle ne rêve
31:32que de l'épouser et d'avoir un enfant avec lui. Elle prend le train pour Paris et elle va se
31:37faire embaucher chez une comtesse victorienne, une comtesse espagnole, qui est un personnage,
31:44alors là, très, très romanesque. D'où est sortie cette comtesse et comment est-ce que vous
31:50reclongez dans le Paris des années 20 ? Et là, je pense que vous avez un autre sujet récurrent,
31:56en plus de celui qui traite de la condition féminine, c'est votre amour de l'art et de la
32:03vie de bohème et les artistes. Moi, je voudrais dire quand même que Louise, elle part à Paris
32:07parce qu'elle est très malheureuse. Oui, je l'ai dit, elle est dévastée par le chagrin. Elle est
32:13très, très dévastée, mais c'est terrible les chagrins d'amour. Et vous racontez ça très bien.
32:18Vous racontez très bien comment elle tombe amoureuse et vous racontez très bien le chagrin
32:23d'amour. Donc, je pense qu'il y a trois sujets chez vous très forts et très présents et ce n'est
32:28pas Betty Niallet qui le démentira. Je crois qu'il y a la condition féminine, je crois qu'il y a
32:32l'amour et je crois qu'il y a l'art. Voilà, et donc, ah bon, d'accord, et pas les chagrins d'amour.
32:38Non, mais voilà, je puise aussi en moi des choses. Sophie Broca m'a confié qu'elle était devenue
32:45romancière à la suite d'un grand chagrin d'amour, puisque vous assistez, je le dis, je révèle les
32:51secrets. C'est important parfois de sentir par soi-même, de ressentir, pour aller puiser et
32:57trouver les mots ou essayer de trouver les mots. Et donc, oui, Louise, elle s'en va. Elle est très,
33:02très malheureuse. Qu'est-ce que fait une jeune bretonne quand elle arrive à Paris? Elle devient
33:07bonne souvent à cette époque. Et donc, comment on est le personnage de la comtesse? Vous la plongez
33:15dans un univers, je ne sais pas, assez génial, je trouve. Là aussi, visuellement, cet hôtel
33:21particulier, la chambre de la comtesse qui est tendue de teinture noire avec des objets, y compris
33:26le plafond, avec de l'art contemporain, avec de l'art nègre, avec ce gigantesque tableau de Fernand
33:34Léger qui représente deux femmes nues quasiment entremêlées. Des choses qui la saisissent,
33:38qu'elle n'a jamais vu nulle part. Et qui provoque à nouveau en elle une grande excitation. Oui,
33:45c'est ça. Il fallait quand même un moyen qu'elle rebondisse, Louise. Elle ne peut pas. Enfin,
33:49bon, le chagrin d'amour, c'est bien, ça prend du temps, mais ça ne peut pas être toute une vie.
33:54Donc, il fallait qu'elle retrouve à un moment une énergie et cette énergie, elle va la trouver
34:02chez la comtesse parce que la comtesse, en effet, c'est une femme extravagante qui tient table
34:08ouverte pour les artistes chez qui se succèdent Picasso, Miro, Léger, Victor Margrit, etc.
34:17Qui vient de publier La Garçonne. Qui vient de publier La Garçonne.
34:20Et Rissati, Jordan Pfeiffer. Exactement. Et elle sent que ce qui va réveiller son côté
34:27rebelle, son âme un peu révoltée, c'est que là, elle voit le monde nouveau qui est en train de
34:32travailler Paris. Le monde nouveau, l'art contemporain, le fait de se départir du
34:41réalisme, de contester la Première Guerre mondiale. Ce monde qui a envie de vivre furieusement parce
34:49qu'il a compris qu'il était mortel pendant la Première Guerre mondiale. Et au fond,
34:55cette modernité, ça lui parle. C'est un peu comme son combat pour les femmes. D'ailleurs,
34:59après, Louise va trouver un autre objet de combat, c'est le vote des femmes.
35:07Elle est d'ailleurs, en tant que pensardine et bonne pensardine, leader de la lutte, un peu vexée
35:13de n'y avoir jamais pensé. Ça, je trouve que c'est génial de le formuler comme ça.
35:16Mais il y a plusieurs choses auxquelles elle n'a pas pensé, bien qu'elle soit une leader
35:20féministe, sans le savoir. Pendant la grève des pensardines, elle demande un franc. Elle
35:26demande 20 centimes de plus pour arriver à un franc. Et notre mère formidable...
35:31Qu'est-ce qu'il fait ?
35:33Qu'est-ce qu'il fait ? Pendant les défilés où elles sont là, bannières au vent, etc.
35:38C'est qu'il écrit et un franc 50 pour les marins.
35:42Et ça ne choque personne.
35:44Et elle ne bronche pas.
35:46Les femmes trouvent ça tout à fait normal.
35:47Voilà.
35:48Et ils l'obtiennent sans problème.
35:51Voilà.
35:51Mais bon, ça lui faisait quelques voix en plus.
35:53Et donc, effectivement, elle est un peu vexée de découvrir, un peu comme si elle était
35:58provinciale au fond. Elle est un peu vexée de découvrir dans des cercles parisiens que
36:03certaines femmes sont très actives pour revendiquer le droit de vote des femmes.
36:08Y compris des grandes aristocrates, des femmes bourgeoises.
36:11Oui.
36:12On parlait de la comtesse de l'Ange Foucault. Elle est surprise. Elle se dit mais pourquoi
36:16ces femmes se mettent de ça, en fait ?
36:17Oui, en fait, elle est obligée de faire des petits pas de côté, elle aussi.
36:21Oui, mais ce vote des femmes, c'était un sujet intéressant parce qu'après la première
36:27guerre mondiale où elles ont quand même fait tourner les usines, les champs, les usines
36:33d'armement, etc.
36:35On les renvoie sèchement dans leur cuisine et la question du vote des femmes, il est
36:41posé assez vite.
36:43Et la gauche est contre.
36:44Et la gauche est contre.
36:47D'abord, il y a une loi qui a été votée à l'Assemblée nationale, je crois, et c'est
36:53le Sénat qui s'y est opposé, mais la gauche est contre parce que la gauche est persuadée
36:59que les femmes, étant très tenues par les curés, elles vont voter pour les conservateurs.
37:04Et donc, on est un peu à front renversé, c'est-à-dire que ceux qu'on pouvait penser
37:08progressistes ne sont aucun espèce conservateur parce que ça les arrange.
37:13Et en fait, celles qui sont...
37:17Et alors, il y a des moments incroyables parce que dans la vraie vie, il y a des hommes politiques
37:23qui ont des idées géniales, qui se disent mais on va donner le droit de vote aux femmes,
37:28mais c'est les maris qui vont voter pour elles.
37:30Elles vont voter comme leurs maris.
37:33Non, non, non.
37:34Ils veulent donner deux voies aux hommes, une voie où l'homme vote pour lui-même
37:40et une voie où il vote pour sa femme.
37:43Elle n'allait pas voter directement.
37:45Voilà.
37:46Bon, enfin bref.
37:47Donc, elle a trouvé un nouvel os à ranger, un nouvel objet de combats et puis elle a
37:55cette voix.
37:56Elle a cette voix incroyable.
37:57Moi, j'ai pensé que vous faisiez du chant, vous venez de me dire que non.
38:01J'étais persuadée que vous étiez chanteuse parce que le chant est très, très présent
38:04et je me suis même demandé quel plaisir vous aviez pris à écrire les chansons parce
38:08qu'il y a des chansons de lutte et puis il y a des chansons de cabaret, de musical qui
38:12vont intervenir plus tard dans le livre.
38:15Moi, j'ai trouvé que c'était difficile d'écrire sur le chant et sur les odeurs.
38:20Il ne semble pas.
38:22Le travail ne se sent pas.
38:24Sur le lit de clous, ça allait, mais… et sur le chagrin de la peau.
38:27Alors, elle a cette voix incroyable, la comtesse va l'entendre et lui dit mais Louise…
38:33Faut chanter.
38:34Faut chanter.
38:35Et ça, c'est assez beau aussi de se dire que cette patronne, cette comtesse, on ne
38:39va pas tout dire sur la comtesse parce qu'il faut que les lecteurs découvrent les secrets
38:43de la comtesse, mais encourage cette jeune femme parce que même si elle est déjà veuve
38:48d'un cheminot syndicaliste, même si elle a déjà eu trois vies derrière elle, c'est
38:52une très jeune femme.
38:53Elle a 25 ans, 26 ans et elle va l'encourager à se produire et j'aime énormément quand
38:58elle lui dit vous allez demander à Germaine Taïfès, parce qu'elle la surnomme Germaine
39:03Taïfès, de vous faire répéter les chansons en vogue de l'époque et puis ce soir chez
39:08moi, c'est cabaret et donc on est vraiment dans cette ambiance, on imagine arriver d'abord
39:14un peu frileuse et puis elle se lance, tout le monde est absolument subjugué par cette
39:18voix au point qu'elle deviendra une artiste de musical.
39:21On n'en dit peut-être pas beaucoup plus, mais ce que je trouve très intéressant dans
39:25cette deuxième partie, c'est qu'il y a les destins entrecroisés de ces deux femmes
39:31qui chacune font un peu leur initiation et leur émancipation, qui s'émancipent chacune
39:40à leur manière et l'une évidemment est un peu moins chanceuse que l'autre, on laisse
39:47ça à la vie du lecteur, mais voilà, elles sont dans des libertés.
39:52Oui c'est-à-dire Louise, on peut imaginer qu'elle invente davantage son destin, qu'elle
39:57l'écrit davantage.
39:58Et qu'elle est plus heureuse pour autant, on ne sait pas.
40:01Non, et Rose, elle va rester en Bretagne et elle va devenir ce qu'elle souhaitait,
40:06donc c'est une forme aussi de choix et peut-être de liberté de ce choix.
40:10Alors après, est-ce que le mariage va la satisfaire, est-ce que la maternité va la
40:14satisfaire, c'est une autre histoire.
40:18Vous faites écrire à Louise dans son journal cette phrase, je ne le savais pas vraiment,
40:24mais je ne me sens jamais aussi vivante que lorsque je m'engage dans des combats collectifs.
40:28Vive les sardinières, vive les femmes, vive le droit du vote universel et vive la République.
40:33Et je me suis dit, c'est Louise, c'est Sophie Broca, non, moi la République c'est mon
40:40romantisme à moi, on me le reproche, on l'a beaucoup reproché.
40:44Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce romantisme de la République ?
40:47Non, je ne sais pas, je trouve que, enfin, liberté, égalité, fraternité, c'est
40:54l'espèce d'inaccessible étoile, mais en même temps, c'est quelque chose de désirable
41:00pour vivre ensemble et ça, voilà, ça nous incite à nous élever au-dessus de nous-mêmes,
41:07voilà.
41:08Et de faire vivre ces trois valeurs, de les transformer, comme on transforme une histoire
41:15d'amour d'ailleurs, au fil du temps, comme on essaie, et de les transformer pour les
41:22adapter à la façon, enfin, au moment, à l'époque, tout en gardant ça, tout en gardant
41:30ce respect de la liberté, cette passion déraisonnable française pour l'égalité, voilà.
41:37Et en même temps, cette capacité à donner, la fraternité, ce n'est pas juste donner
41:43ce qu'on, enfin, un peu plus pour ceux qui en ont moins, c'est donner ce qu'on n'a pas,
41:48c'est, voilà, moi, ça me donne envie de me lever le matin.
41:52Et alors, vous avez effectivement lâché les mots et le journalisme, comme vous l'aviez
41:58dit, pour l'action et la haute fonction publique, et est-ce que vous y trouvez votre épanouissement
42:04et est-ce que vous êtes satisfaite des actions que vous pouvez donner ?
42:08Parfois, oui, parfois j'arrive à poser un acte qui me modeste, mais qui me met en joie,
42:17et puis souvent j'y arrive pas, je rame, on rame ensemble d'ailleurs, il y en a certains
42:23qui sont là qui rament aussi beaucoup, pour aller dans le même sens, et puis voilà,
42:28et puis on se décourage, et puis on recommence.
42:34Vous m'avez dit que vous étiez particulièrement satisfaite quand vous réussissiez à mettre
42:39une femme à l'abri.
42:40Oui, c'est un exemple.
42:41C'est un exemple, mais c'est un exemple qui n'est pas anodin, vu le livre que vous écrivez,
42:46vu votre souci de la condition féminine, vous m'avez dit aussi que les violences faites
42:52aux femmes étaient en constante augmentation, donc on a toutes les raisons de continuer
42:58à s'inquiéter, de continuer à construire entre femmes une solidarité, une attention
43:05les unes aux autres, en dépit de tous ces mouvements féministes qui semblent prendre
43:10beaucoup de place, mais c'est préoccupant quand même de voir que ces violences faites
43:14continuent à progresser.
43:16Comment vous l'expliquez ?
43:20On est un peu loin du roman, mais c'est quand même un des sujets du roman.
43:23Non, je ne sais pas.
43:25En tous les cas, je pense qu'il faut vraiment qu'on s'attaque, je ne sais pas l'expliquer,
43:29je ne suis pas sociologue, je pense qu'il faut vraiment qu'on s'attaque à l'éducation
43:36des petits garçons, il faut vraiment qu'on déconstruise des modèles, il faut qu'on
43:42arrête de dire aux petits garçons qu'ils doivent être forts et aux petites filles
43:45qu'elles doivent être gentilles.
43:47Je pense qu'il faut vraiment qu'on ait un discours dans les écoles, après on est
43:56nombreux à élever un enfant, il n'y a pas que l'école, l'école peut pas tout,
44:01mais la famille, les amis, je pense qu'il faut qu'on arrive à faire autrement.
44:08Aujourd'hui, les gamins à 10 ans, ils ont déjà accès à la pornographie avec les
44:14réseaux sociaux.
44:15Si c'est une façon d'aborder, de découvrir la relation homme-femme où les femmes sont
44:23dans la pornographie, plutôt montées, montrées dans des positions avidissantes, dominées,
44:31etc.
44:32C'est pas terrible.
44:33Après, pourquoi ça augmente ? Je ne sais pas, les femmes le disent plus, tant mieux,
44:37la parole se libère, tant mieux, mais n'empêche que ça existe.
44:41Il y a aussi des crispations de la part de certains hommes face à cette poussée du
44:49féminisme.
44:50Je pense que les mouvements masculinistes gagnent aussi du terrain.
44:57Il faut qu'on s'en occupe parce que je pense que c'est un peu des bombes à retardement.
45:06Ça détruit beaucoup les hommes violents, c'est souvent les hommes qui sont violents,
45:12pas qu'eux, mais souvent.
45:14Ça détruit les femmes, ça détruit les enfants, et ça détruit la société.
45:19En tout cas, vous êtes du côté des femmes, c'est indéniable, vous êtes une femme de
45:24début, et vous avez écrit avec le lit clos un magnifique roman extrêmement romanesque
45:30avec deux héroïnes merveilleuses, fascinantes, inspirantes.
45:36Je vous encourage évidemment à lire le lit clos.
45:39Et je me demande comment, avec les fonctions qui sont les vôtres, vous trouvez encore
45:43le temps d'écrire ? Ça me fascine totalement.
45:45J'écris le dimanche au lieu d'aller à la messe.
45:51Bien voilà, un exemple à suivre.
45:54Merci beaucoup Sophie Brocard.
45:57On va proposer à notre public de vous poser des questions.
46:00Je ne sais pas si vous osez se lancer.
46:03C'est toujours la première question la plus difficile.
46:05Vous avez parlé de vous être documentée dans les livres.
46:09Est-ce que vous vous êtes documentée dans la presse locale, régionale de l'époque ?
46:14J'ai vu tous les journaux de l'époque pendant les cinq semaines.
46:18Du 24 novembre au 5 janvier.
46:21Le titre du journal c'est Ouest-Éclair.
46:25Ouest-Éclair, oui.
46:26Que disaient les sous-préfets ou les préfets à l'école ?
46:30Je ne sais pas ce que dit le maire.
46:33D'abord, monsieur, vous étiez pas journaliste ?
46:39Non.
46:40Non, d'accord.
46:42Monsieur Garbier, producteur d'infra-sculpture, en très grandes vacances désormais.
46:46Et donc vous allez avoir le temps de compulser les archives.
46:48Non, en vérité, ce qui m'a frappée dans la lecture de la presse,
46:51c'est qu'au début, c'est trois lignes.
46:54Trois lignes entre un papier sur le bal des pompiers
47:00et le discours du sous-préfet, toujours aussi clair et magnifique.
47:05Et puis l'encadré de publicité achète, or, même usager, même dentier.
47:13Charmant.
47:15Et au fur et à mesure que la grève...
47:18Elle a d'emblée embarqué toutes les ouvrières.
47:22Mais au fur et à mesure qu'elle dure, les papiers augmentent de taille.
47:28Après, ça va devenir des papiers importants.
47:31Et on présente toujours, ça m'a frappée aussi, cette grève comme une grève d'hommes.
47:37On ne dit pas que c'est des ouvrières.
47:41Et puis on la présente très longtemps comme une grève politique,
47:45manipulée par la CGTU, qui a en effet envoyé des troupes dans la vraie vie,
47:51dans la vraie grève.
47:52Ils ont envoyé des troupes pour soutenir les syndicalistes chevronnés,
47:58pour soutenir les ouvrières dans leur grève,
48:01parce qu'elles étaient un peu débutantes,
48:03elles n'avaient pas forcément la discipline, les raisonnements, etc.
48:10Et donc ce n'est pas présenté comme une grève économique,
48:13mais comme une grève politique,
48:15une manipulation imposée par les communistes.
48:20Et puis petit à petit, le ton de la presse a changé.
48:24Et à la fin, ils étaient tout à fait favorables au mouvement,
48:29quand elles ont gagné.
48:32Et le préfet de Carper était un type formidable.
48:37Mais je n'ai rien écrit sur lui
48:40pour ne pas qu'on m'accuse de discours corporatiste, n'est-ce pas ?
48:45Mais oui, d'ailleurs, est-ce que vous soumettez vos manuscrits à votre hiérarchie ?
48:49Non.
48:50Quand même pas ?
48:51Non.
48:52C'était un type formidable, apparemment,
48:54parce qu'il écrivait des rapports à Paris en disant
48:57que les patrons se comportent mal,
49:00les usiniers se comportent mal,
49:04ils ne veulent pas négocier, ils ne veulent rien lâcher,
49:06ils ne parlent pas.
49:08Et de fait, à un moment,
49:10il y a une délégation qui est invitée par le ministre du Travail à Paris,
49:14à venir à Paris,
49:16parce que le ministre du Travail tente une médiation
49:18entre une délégation d'ouvriers et une délégation du patronat.
49:22Et les patrons ne vont pas venir.
49:24Ils sont inflexibles.
49:27Oui, ils sont inflexibles.
49:30Le préfet considère qu'il ne va pas se précipiter
49:35pour envoyer la troupe.
49:37Et les patrons disent,
49:39mais que fait le préfet ?
49:41Il va le casser à la débauche ?
49:43Toujours pas.
49:45Oui, sans doute.
49:47Parce que ça s'échelonne jusqu'à un début 25.
49:53Merci pour cette question, madame.
49:55Est-ce que vous dites que c'est un personnage historique réel ?
49:58Est-ce qu'il y a eu vraiment une grande meneuse charismatique ?
50:01Il y a une grande meneuse charismatique,
50:04mais je n'ai rien lu sur elle parce que je voulais dégager,
50:07enfin, je ne voulais pas laisser capturer mon imagination,
50:10qui s'appelait Joséphine Pancalet.
50:13Je ne sais pas comment ça se prononce.
50:16Qui s'est présentée après aux élections municipales.
50:19Elle a été élue.
50:21Et le Conseil d'État a cassé l'élection
50:27parce que les femmes n'avaient pas le droit de vote.
50:29Et par conséquent, n'étaient pas éligibles.
50:31Est-ce que quand on écrit une fiction historique,
50:34enfin, c'est un roman avant tout,
50:36mais est-ce que, justement,
50:38vous avez pris des libertés, par exemple, pour le maire.
50:41Est-ce que toute la fantaisie se met dans les personnages secondaires qu'on invente ?
50:46Parce que, justement,
50:48pour ne pas être complètement corchetée par la vérité historique.
50:53Oui, oui, je pense qu'il y a de ça, oui.
50:56Je pense qu'on a besoin, effectivement,
50:59d'introduire l'imagination un peu à côté,
51:02dans les interstices,
51:04ou de tordre un peu la vérité.
51:06Pas trop, mais oui, c'est vrai.
51:09Je n'étais jamais dit ça.
51:12Une autre question, pour notre invité ?
51:15Oui, monsieur ?
51:18Je te tutoie, mais je ne crois pas que tu connais la question avant.
51:21Avec le baiser avec Solide,
51:24tu t'attaches à des héroïnes,
51:26qui se deviennent missionnaires,
51:29et qui se situent à une époque moderne.
51:32C'est bizarre, oui.
51:34Qu'est-ce qui t'intéresse ?
51:36C'est le début de la XXe siècle.
51:38Est-ce que tu serais intéressée par l'écriture d'une héroïne
51:41de notre temps ?
51:43C'est rigolo.
51:45Qui mettrait en lumière
51:48Jacoba ?
51:51C'est rigolo comme question,
51:53parce qu'on en a parlé avec Hélène.
51:56Mais pas ce soir.
51:58Non, pas ce soir.
52:00En fait,
52:02j'ai été dans une rencontre l'autre jour,
52:05où la personne qui présentait,
52:07il y avait trois livres.
52:09Elle a commencé par le mien en disant,
52:11il faut arrêter d'écrire sur le XXe siècle.
52:13Il en a marre.
52:15Il faut écrire sur le XXIe siècle.
52:17Et moi,
52:19sans doute, je me sens une femme
52:21du siècle dernier.
52:23Je ne sais pas quoi écrire
52:25aujourd'hui, maintenant.
52:27Sur ce que je traverse,
52:29sur ce que je vis,
52:31je pense que ça n'intéresse personne.
52:33Après, il y a plein de combats,
52:35mais aujourd'hui,
52:37probablement, c'est plus les miens.
52:39Je ne sais pas comment le dire.
52:41Et par ailleurs,
52:43le siècle dernier,
52:46c'est cette période-là.
52:48Mais je pense que je pourrais être aussi très intéressée
52:50par les années 50, 60.
52:52Mais cette période-là,
52:54c'est quand même une période
52:56de créativité culturelle,
52:58artistique incroyable.
53:02Oui, madame.
53:06Il me semble que
53:08ces personnages-là,
53:10en même temps,
53:12sont ancrés historiquement
53:14pour moi,
53:16c'était un des premiers mouvements
53:18féministes en portant...
53:20Enfin, en racontant,
53:22je le sais.
53:24Mais je trouve que ces personnages
53:26sont très contemporains.
53:28C'est un roman
53:30de l'ancipation des femmes.
53:32Et la question me paraît tout à fait d'actualité.
53:34Parce que ces héroïnes,
53:36elles n'ont pas simplement fait la grève.
53:38Elles ont mené leur vie.
53:40Elles ont été dans
53:42des contradictions entre les injonctions familiales,
53:44conjugales, sociales
53:46et leur désir de débattre.
53:48Dans ce roman, il y a une autre essor
53:50qui défonce
53:52simplement la prescription.
53:54C'est gentil.
53:56Comme ça, je me sens moins du siècle dernier.
53:58Donc, mon roman
54:00se situe au siècle dernier,
54:02mais pose des questions éternelles.
54:04Celles du choix des femmes ou du choix des individus
54:06d'être en ligne
54:08avec eux-mêmes
54:10pour s'émanciper des contraintes
54:12de l'éducation et de la société.
54:14Merci.
54:16C'était cette question, pardon.
54:20Sophie, merci beaucoup.
54:26À notre époque ?
54:30C'est formidable.
54:32On va dire que c'est aussi un guide sensuel
54:34de la révolte contemporaine.
54:36Ça vous convient ?
54:38Achetez les sardinières.
54:40Achetez les sardinières.
54:42Le guide sensuel de la révolution contemporaine.
54:44Féminine, bien sûr.
54:46Mais les hommes sont bienvenus.
54:48Absolument.
54:50Merci beaucoup.
54:52Merci Hélène.