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Les émissions de gaz à effet de serre importées représentent un quart des émissions globales. L’Union européenne importe 2,5 fois plus d’émissions qu’elle n’en exporte. Pourtant, un rapport du cabinet Carbone 4 et de la Fondation européenne pour le climat affirme qu’elles restent un angle mort dans le calcul de l’empreinte carbone des pays riches.

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00:00C'est le débat de Smart Impact. On parle des émissions de gaz à effet de serre importés avec Richard Barron. Bonjour.
00:12Bonjour.
00:12Bienvenue. Vous êtes directeur du programme sur le commerce à la Fondation européenne pour le climat. Et César Dugas, bonjour.
00:18Bonjour.
00:18Bienvenue à vous, responsable du pôle débat public à Carbone 4. Question de présentation pour démarrer la Fondation européenne pour le climat.
00:26Qui soutenez-vous ? Quel objectif ?
00:28Alors, c'est une fondation philanthropique. On soutient des think tanks, des organisations non gouvernementales pour avancer les solutions sur le climat en Europe.
00:36Et Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé ?
00:39Cabinet de conseil. Exactement. Spécialisé sur les questions de transition écologique et de climat plus particulièrement.
00:44Nous, notre rôle, c'est d'accompagner les secteurs privés essentiellement dans leur décarbonation, mais également de mener des analyses à la manière un petit peu d'un think tank sur des sujets qui nous semblent importants de creuser.
00:54Et justement, c'est ce qui vous réunit une analyse commune, un rapport sur les émissions liées au commerce international.
01:01On va commencer par le constat. Le constat, c'est un constat d'augmentation de ces émissions de gaz à effet de serre ?
01:06C'est un constat d'un poids effectivement croissant. Ça représente donc ces émissions importées dont César pourra peut-être vous donner la définition.
01:13Ça représente à peu près un quart des émissions globales. C'est-à-dire que dans ce qu'on consomme, il y a une partie qui est importée.
01:21Et la somme des émissions qui ont été produites au moment de la production de ces importations représente à peu près un quart des émissions mondiales.
01:29En fait, c'est même une part plus importante que la part du commerce dans le PIB.
01:33D'accord. Donc c'est un levier évidemment d'action aussi important que ce chiffre que vous venez de nous donner.
01:39De quoi il s'agit, émissions de gaz à effet de serre ? Je comprends ce que ça veut dire, mais c'est intéressant de le détailler.
01:44Oui. Alors émissions de gaz à effet de serre, on sait que c'est justement ce qui réchauffe la planète.
01:49Et on est souvent assez habitué en fait à une notion qui s'appelle les émissions territoriales.
01:54C'est-à-dire quand on dit la France augmente ses émissions ou réduit ses émissions, on parle généralement de ce qui se passe à l'intérieur du territoire français.
02:02Donc on voit en fait la France comme un pays générateur de gaz à effet de serre.
02:06Et d'ailleurs, ces chiffres sont plutôt en baisse.
02:08Ils sont plutôt en baisse, exactement. Et notamment dans les dernières années à cause de facteurs conjoncturels,
02:14notamment le coût de l'énergie, la guerre en Ukraine, etc.
02:17Et aussi des facteurs structurels de décarbonation de fonds qui est engagé.
02:23Donc cette vision-là territoriale, elle est importante parce que c'est ce qui nous permet de piloter cette baisse d'émissions, mais elle est incomplète.
02:30Puisqu'en fait, si on ne regarde pas ce qu'on importe, on rate, on loupe toute une grande partie du problème.
02:36Par exemple, quand on importe des smartphones pour les consommer, ce n'est pas en France qu'on les produit.
02:42Donc on a bien généré quelque part dans le monde des émissions.
02:45Et ces émissions importées, c'est exactement cet indicateur-là qui permet de suivre tout ce qu'on va contribuer à produire comme émissions de gaz à effet de serre à l'extérieur de notre pays à cause de notre consommation intérieure.
02:57Oui, mais alors la France et l'Europe exportent aussi des produits.
03:00Donc on pourrait dire que ça s'équilibre, sauf que c'est un peu plus compliqué que ça.
03:05Alors, symétriquement, il existe aussi une autre notion qui sont les émissions exportées.
03:10Et là, effectivement, l'Europe exporte aussi beaucoup d'émissions puisqu'on produit pour d'autres, notamment les États-Unis, la Chine et d'autres pays.
03:17Donc, effectivement, on a cette double vision.
03:20Et ce qui est intéressant, c'est quand on parle d'empreinte carbone, on parle beaucoup de l'empreinte carbone de la France.
03:24En fait, c'est un mélange de tous ces concepts.
03:26On prend les émissions territoriales de la France, on y ajoute les émissions importées et on soustrait les émissions exportées.
03:32Ce qui donne, en gros, une vision de ce que les Français, en tant que consommateurs, émettent sur toute la planète via leur consommation.
03:39Et l'Union européenne, si on fait le bilan, importe 2,5 fois plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'elle n'exporte.
03:46Richard Barron, si on prend les pays du G20, je crois que c'est 80 % des émissions importées.
03:54Alors, si on commence à rentrer dans la question des solutions, quelles actions ces pays, qui sont les plus riches de la planète, mènent ou pourraient mener ?
04:05Alors, si on démarre avec l'Europe, il y a des solutions qui ont trait à réduire l'intensité carbone de nos importations.
04:13On a mis en place, ça va rentrer en vigueur dans quelques mois, un ajustement de taxes aux frontières qui consiste à taxer le contenu carbone de certains produits.
04:23Certains produits uniquement, donc c'est l'acier, l'aluminium, les engrais, l'électricité et j'en oublie un, le ciment.
04:31Et on fait ça parce qu'on taxe très fortement ces produits et donc on veut éviter de donner un avantage compétitif déraisonnable au reste du monde.
04:40Une autre mesure qu'on a prise dans ce sens, c'est la directive sur la déforestation.
04:45Et là, il s'agit en fait d'interdire les importations de produits agricoles qui sont issus de la déforestation.
04:51Mais en donnant un signal au pays qui dit à partir de telle date, on refusera en fait d'importer des produits qui ont donné lieu à la déforestation
05:01parce que le contenu carbone de ces produits sont beaucoup trop élevés.
05:04D'autres exemples qu'on a mis en place en France en particulier, c'est l'écoscore qui a consisté à mesurer le contenu en carbone des véhicules électriques
05:12pour savoir lesquels étaient éligibles au bonus écologique.
05:16Et donc on regarde le contenu en carbone de l'acier de la voiture, de l'aluminium de la voiture, du plastique de la voiture, des batteries.
05:23Et puis on regarde aussi le contenu en carbone du transport qui a amené cette voiture jusqu'à chez nous, jusqu'à notre marché.
05:29Et donc ça, ça a mené en fait assez rapidement à exclure les véhicules chinois du bonus écologique
05:35parce qu'en effet leur contenu en carbone de tous ces produits est très très élevé.
05:39Donc ça veut dire qu'acheter des véhicules électriques avec une très forte entrepreinte carbone perd de son sens par rapport à l'objectif.
05:45Est-ce que c'est du protectionnisme intelligent ?
05:48Alors ce n'est pas du protectionnisme dans le sens où ça évite de faire en sorte que nos politiques de lutte contre le changement climatique
05:56soient complètement compensés par un déplacement des émissions ailleurs.
05:59C'est ce qu'on appelle les fils de carbone.
06:01Ça a été une préoccupation dès le début de l'action climatique avec la convention de Rio et puis le protocole de Kyoto.
06:07Dès qu'on a commencé à dire certains vont réduire, d'autres pas, les industriels ont dit on va évidemment voir une délocalisation à plus ou moins long terme.
06:15Et les pays les moins développés ou les moins riches disent vous êtes bien gentils mais vous nous laissez la pollution et vous récupérez les produits.
06:23Donc ça c'est légitime comme contradiction.
06:26Ce qu'on essaye de faire maintenant c'est de sensibiliser les pays en leur disant en fait nos importations sont vos émissions.
06:33Et comment est-ce qu'on peut travailler ensemble, non pas pour faire du protectionnisme, mais pour vous engager, vous, à réduire ces émissions.
06:39Parce que sinon, de plus on apportera vos produits parce qu'ils seront compétitifs par rapport à leur empreinte carbone, plus vous, vous aurez un souci d'émission de votre côté.
06:50Je suis tout à fait d'accord, c'est le vrai sujet, l'un des grands sujets en tout cas, c'est d'essayer d'éviter les fuites de carbone.
06:56C'est-à-dire, il y a des pays, mieux disant environnementalement, qui du coup vont avoir un coût de production élevé et qui du coup seront moins compétitifs à l'échelle internationale.
07:05Et ce qui permettra à des pays moins disant environnementalement de prendre plus de parts de marché et donc d'augmenter leur production.
07:11Ce qui fait qu'à la fin, dans le meilleur des cas, on a les gains qu'on a quelque part qui sont contrebalancés par les pertes ailleurs et les augmentations ailleurs.
07:20Dans le pire des cas, on a même une augmentation globale des émissions.
07:23Donc ça, il faut vraiment le voir et ce que dit Richard est tout à fait vrai.
07:27C'est-à-dire que si on commence à se dire qu'on est codépendant l'un et l'autre entre les pays, ça peut faire avancer les choses.
07:33L'une des solutions possibles, c'est aussi à l'échelle française, européenne par exemple, de se doter d'objectifs de réduction de nos émissions importées.
07:41En fait aujourd'hui, on a la stratégie nationale bas carbone en France qui est une énorme avancée, qui donne la feuille de route de la décarbonation de la France, mais c'est sur les émissions territoriales.
07:51Et on a des objectifs très ambitieux de neutralité carbone à l'échelle française 2050, mais on n'a pas...
07:56Il n'y a pas de feuille de route pour les émissions importées.
07:58Pas de feuille de route, pas d'objectif sur les émissions importées.
08:00C'est vrai en France, c'est vrai en Europe aussi ?
08:01Oui, oui, c'est la même chose.
08:02On les mesure, il y a un ensemble de pays qui les publient dans leurs contributions nationales, mais sans objectifs de réduction qui disent juste, c'est un point sensible parce qu'il est croissant.
08:13Et donc évidemment, ce serait un levier efficace.
08:17Savoir se donner un objectif, ça permet à tout le monde de faire le bilan, de vendre des comptes.
08:26C'est le fameux triptyque, mesurer, se fixer un objectif et agir.
08:30Comment est-ce qu'on fait pour mieux mesurer ? On peut harmoniser les méthodes.
08:33Tout le monde a dans son coin sa méthode pour calculer ses émissions importées.
08:37Ce qui est intéressant, c'est de regarder une éventualité de tout harmoniser.
08:41Fixer un objectif, c'est ce que j'ai dit tout à l'heure.
08:43Comme ça, ça donne un cap clair à tout le monde.
08:45Et agir, c'est un petit peu les solutions que Richard, tu donnais tout à l'heure sur la coopération et d'éventuelles mesures bilatérales ou unilatérales.
08:52Je trouve qu'avec un Donald Trump de retour à la Maison-Blanche, on est plutôt dans le redémarrage d'une guerre douanière que dans une gouvernance mondiale
09:01pour calculer nos émissions de gaz à effet de serre importées et les harmoniser.
09:06Ça vous inquiète ?
09:08Oui, c'est inquiétant, mais je pense que ça va aussi mettre l'accent sur cette dimension-là.
09:13Parce que les États-Unis, en même temps qu'ils se lancent dans cette guerre commerciale, ont décidé de sortir de l'accord de Paris.
09:19On est tout à fait légitime à mesurer de manière beaucoup plus précise le contenu en carbone des importations qui viendraient des États-Unis
09:26où il n'existe pas de prix au carbone sur les biens dont je parlais auparavant.
09:30Et donc, avec un souci de compétition un petit peu déloyale, le mécanisme d'ajustement de taxes aux frontières va s'appliquer aux États-Unis comme à tous les autres pays du monde.
09:40Mais si on commence à dire qu'il faut importer plus de gaz naturel liquéfié des États-Unis,
09:44dont l'empreinte carbone via les fils de méthane est terrible et rend le gaz moins performant environnementalement que le charbon,
09:51il y a là quelque chose qu'il va falloir qu'on regarde de beaucoup plus près.
09:55Or, c'est l'un des éléments que Donald Trump met dans la balance quand il dit
10:00« Je vais voir à quel niveau de droite douane je vais assaisonner l'Europe », si j'ose dire.
10:05Tout à fait. Et je trouve qu'on a été un peu rapide dans la réponse qui consistait à dire
10:09« Oui, on va peut-être essayer de gérer ceci en s'engageant à acheter plus de gaz américain ».
10:15Et alors, derrière ça, il y a la question du continent, mieux disant, César Dugas.
10:19Parce qu'on voit aussi que le nouveau Parlement européen, moins de députés d'eurodéputés écologistes, plus d'eurodéputés nationalistes populistes.
10:29Enfin, il y a un mouvement de backlash, un mouvement de retour en arrière sur les ambitions du Green Deal.
10:34Est-ce que l'Europe doit continuer d'être ambitieuse et est-ce que ça peut être un avantage concurrentiel ? C'est ça la question.
10:40Évidemment. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a vu avec les récentes actualités internationales qu'on est plus que jamais livré à nous-mêmes.
10:48On doit se défendre. On doit aussi s'organiser une contre-attaque, une riposte et quelque chose de constructif.
10:55Ce qui est de très très fort, c'est qu'on a un très grand marché en Europe.
10:58On a de très beaux produits. On peut avoir des marges de manœuvre très fortes dans la manière d'interagir avec nos partenaires commerciaux.
11:06Et il y a un enjeu qui me semble fondamental, c'est l'enjeu de la souveraineté.
11:10C'est-à-dire que cette question climatique, elle est indissociable de la question de la dépendance.
11:15On a aujourd'hui en Europe, on est extrêmement dépendants d'énormément de produits américains, chinois, etc.
11:20qui sont déterminants dans le bon fonctionnement de nos économies.
11:23La question se traite de savoir de quoi exactement on est dépendant et qu'est-ce qu'on pourrait faire pour éventuellement relocaliser des choses
11:29ou se rendre davantage souverain dans certaines productions.
11:32Et l'Europe aujourd'hui, plus que jamais, a un rôle potentiel de leader sur ces questions de souveraineté et de climat.
11:37Merci beaucoup. Malheureusement, le débat est déjà terminé. Je vous dis à bientôt sur Be Smart For Change.
11:43On passe tout de suite à notre rubrique Startup.

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