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00:00Because with you, Mr. President, we still believe in the important role that France
00:09and Europe have in today's torn world, especially if it digs into its culture and its heritage
00:17to bring in a renewed way bridges and understandings that can make our planet more human and more
00:23at peace.
00:24A vous la parole, s'il vous plaît.
00:54Mesdames et Messieurs les hauts représentants de l'islam, du bouddhisme, de l'hindouisme,
01:00Mesdames et Messieurs les dignitaires religieux, Monsieur le Président, Messieurs les Présidents
01:06et anciens Présidents de la communauté de Sant'Egidio, Mesdames et Messieurs,
01:11D'abord, je veux vous dire l'immense honneur d'être parmi vous aujourd'hui.
01:20Mais en même temps, quand j'ai été invité et que j'ai accepté l'invitation,
01:28je me suis d'abord dit, ils invitent le Président d'une République laïque,
01:34qui a une histoire parfois complexe avec les religions.
01:39Après, je me suis dit, ils invitent le Président, qui est à la tête de la diplomatie,
01:45des armées, d'une puissance dotée nucléaire, en plein milieu d'une guerre qui revient en Europe.
01:54C'est un drôle de moment pour venir parler de la paix.
01:59Et donc, je me suis d'abord demandé, cher Andréa, si vous étiez vraiment un ami.
02:08Et reprenant Molière, je me suis dit, qu'est-ce que je suis allé faire dans cette galère ?
02:24Parler de la paix maintenant, alors que chaque jour, il faut expliquer qu'on va tenir,
02:30qu'on doit parler de défaire l'adversaire, de victoire,
02:36et que partout à travers l'Europe et à travers le monde,
02:40on attend essentiellement des propos qui sont plus souvent belliqueux.
02:48Mais je me suis aussi souvenu de ces moments qui, ces dernières années,
02:52m'ont profondément marqué, m'ont beaucoup apporté, ceux d'échange.
02:58Vous avez eu l'amitié d'évoquer les Bernardins.
03:01Je me souviens aussi de l'hôtel de ville de Paris, de l'échange avec les protestants.
03:05Il y a quelques jours encore, à la grande mosquée de Paris,
03:11le grand rabbin s'en souvient sans doute aussi avec le juge de France.
03:14Et puis, des lieux parcourus à travers le monde,
03:17et je retrouve ici plusieurs visages amis, de Jérusalem à Mossoul,
03:24jusqu'aux confins de l'Afrique, et de l'importance de ce dialogue.
03:27Et donc, quand j'ai appelé hier Andrea Riccardi, je lui ai dit,
03:32mais qu'est-ce que vous attendez de moi ?
03:35Il m'a répondu quelque chose qui m'a réconforté.
03:38Il m'a dit, dites-nous ce que vous attendez des religions dans ce moment.
03:43D'abord, quelqu'un qui vous répond comme cela,
03:46c'est assez rare pour un président de la République.
03:49Et donc, je me suis dit, c'est ce que je vais tâcher de faire.
03:54Mais surtout, je pense que dans le moment,
03:56et précisément dans le moment que nous traversons,
03:59vos journées de travail, ce dialogue que vous avez instauré,
04:08a quelque chose qui, par sa démarche même,
04:13répond à la situation que nous vivons.
04:17Parce que décider de rassembler toutes les religions,
04:22mais aussi les familles philosophiques,
04:25les convictions, les responsables, les associations,
04:28c'est agir de manière concrète pour ce multilatéralisme
04:34de plusieurs ordres, mais c'est créer un dialogue,
04:37et donc l'art d'une forme de déséquilibre.
04:41Et c'est, comme je le disais à un moment,
04:43on ne parle que de victoire ou de défaite,
04:47mais d'accepter d'être en quelque sorte intempestifs
04:52et parler de paix.
04:56C'est pour cela que je suis devant vous aujourd'hui.
05:10Alors, je voudrais, je l'ai évoqué de manière rapide,
05:15mais parler du moment.
05:18Parce que parler de paix et appeler à la paix aujourd'hui
05:20peut avoir quelque chose d'insupportable
05:24pour celles et ceux qui se battent pour leur liberté.
05:30Et donner le sentiment d'être en quelque sorte trahis.
05:36Et je le dis dans un pays qui a pu connaître,
05:40qui a connu l'occupation, et où parfois
05:43celles et ceux qui défendaient la paix
05:46pouvaient n'être pas compris et être vécu
05:49comme des porteurs de défaites.
05:54Ne laissons pas la paix être aujourd'hui, en quelque sorte,
05:59capturée par le pouvoir russe.
06:02Ce n'est pas leur mot, il n'est pas à eux,
06:04ils ont fait même le contraire.
06:06Et la paix aujourd'hui ne saurait être
06:10la consécration de la loi du plus fort,
06:12ni le cesser-le-feu,
06:14ce qui viendrait consacrer un état de fête.
06:24Et donc nous parlons de paix,
06:26de ce cri de la paix que vous avez décidé
06:28comme titre et appel.
06:34Et vous allez travailler ensemble pendant tous ces jours,
06:37au moment même où les Ukrainiennes et les Ukrainiens
06:42se battent, mais pour résister,
06:46pour défendre leur dignité,
06:48pour protéger leurs frontières et leurs territoires
06:51et leur souveraineté nationale.
06:54Mais une paix est possible,
06:56celle la seule qu'ils décideront,
06:58quand ils le décideront,
07:00et qui pourra respecter leurs droits de peuple souverain.
07:13Alors oui, nous parlons dans ce contexte,
07:16et tâchant de réfléchir avec vous,
07:18je voulais essayer de voir pourquoi cette guerre en Ukraine
07:24nous bousculait si profondément.
07:30D'abord parce que, vous l'avez dit,
07:33même le président Mattarella à l'instant,
07:36elle signe le retour de la guerre sur le sol européen.
07:41Et notre Europe avait réussi ce miracle
07:43de chasser la guerre de son sol jusqu'alors.
07:46Ensuite, parce qu'elle implique une puissance dotée
07:50de l'arme nucléaire.
07:53Rien ne justifie cette guerre, rien ne l'explique.
07:58Et tâchant de me décaler dans ce moment
08:01et d'essayer de comprendre, moi qui ai vécu ces dernières années
08:06et qui n'ai cessé de parler, en particulier au président Poutine,
08:10j'essaie de voir ce qui avait pu nous amener jusque-là.
08:13Parce que quand on est un des dirigeants de ce monde
08:19et qu'on a tâché de réengager la Russie
08:21dans le concert des nations,
08:23de prévenir, y compris il y a quelques mois encore, cette guerre,
08:27on ne peut pas chaque jour ne pas se poser la question
08:29comment en est-on arrivé là ?
08:33Je n'ai pas de réponse.
08:35Je ne sais pas s'il y en a totalement une.
08:38Je pense qu'il n'y en a sans doute pas une unique.
08:44Et je pense qu'aucune réponse ni ne justifie, ni n'explique,
08:48ni ne légitime quoi que ce soit.
08:52Je pense que d'abord, cette guerre est le fruit
08:55d'un nationalisme exacerbé, entretenu par le pouvoir russe,
09:00qui s'est nourri du ressentiment et de l'humiliation
09:05née lors de la dislocation de l'Empire soviétique.
09:13Ensuite, elle s'est nourrie,
09:19confortée en s'isolant progressivement du reste du monde,
09:24l'épidémie ayant sans doute aidé à cet égard,
09:28et construisant la conviction que les menaces étaient là
09:32et qu'en quelque sorte l'attaque à son existence
09:38était le projet du reste du monde, ou de l'Ouest, pour nous citer.
09:43Et puis elle s'est consolidée, construite par une forme
09:46de révisionnisme historique, transformant l'histoire contemporaine
09:52et même l'histoire moderne, en justifiant ce qui n'est qu'un projet
09:58impérialiste et colonisateur, consistant à envahir son voisin.
10:03Mais c'est ça qui s'est, je crois, passé méthodiquement
10:06ces derniers mois et ces dernières années.
10:10Et donc cette guerre est aujourd'hui celle d'un pouvoir
10:14qui a cherché à la justifier, qui a construit sa propre raison,
10:19son propre récit, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit
10:25la guerre de tout le peuple russe pour autant.
10:29Et c'est là où, pour commencer à répondre à la question posée
10:34par toi, Andréa, travailler en dessous patiemment est essentiel.
10:41Parler au peuple russe et aux consciences est essentiel.
10:45Cette guerre ne peut pas être totalement la leur aujourd'hui.
10:50Ensuite, aujourd'hui, nous avons très clairement,
10:54et jusqu'aux derniers quarts d'heure, nous ferons décider
10:57de sanctionner la Russie, d'être aux côtés du peuple russe
11:01pour l'aider à résister, d'un point de vue économique,
11:03humanitaire, militaire, sans pour autant être partie
11:07prenante de cette guerre pour ne pas la mondialiser.
11:10Mais pour qu'à un moment, le peuple ukrainien puisse
11:15choisir la paix, et pour qu'il choisisse le moment
11:24et les termes d'une paix qu'il aura voulu.
11:29Mais ce qui veut dire qu'il y a une perspective de paix,
11:33et elle existera à un moment, et qu'à un moment,
11:38en fonction de l'évolution des choses,
11:40et quand le peuple ukrainien et ses dirigeants l'auront décidé,
11:44dans les termes qu'ils auront décidé, la paix se bâtira
11:48avec l'autre et l'ennemi d'aujourd'hui autour d'une table,
11:52et la communauté nationale étant là.
11:55Je dis tout cela en vous apportant ma part
12:00d'interprétation provisoire et imparfaite de ce que nous vivons,
12:06mais parce que nous ne saurions pour autant rester à part
12:09de ce qui se passe aujourd'hui, et quand bien même nous parlons
12:11de paix, c'est une perspective et nous devons la bâtir.
12:15Mais il y a aujourd'hui un peuple agressé, attaqué,
12:20et il y a de l'autre côté des dirigeants qui ont décidé
12:23de donner l'assaut, d'envahir et d'humilier.
12:27Et se tenir à l'écart en pensant qu'il pourrait y avoir
12:30une forme d'équivalence ou qu'on pourrait rester neutre,
12:33je ne le crois, c'est acter qu'on pourrait accepter
12:36un ordre international où la loi du plus fort
12:39pourrait devenir la loi générale et où la domination
12:44ou l'état de fait pourrait se substituer à notre droit.
12:48Je ne le crois pas.
12:51Applaudissements
13:01Cette guerre est là, donc, et elle percute notre Europe,
13:05nous bouleverse, change nos vies, et je ne veux pas
13:09qu'elle fasse non plus oublier les autres guerres
13:11que vous avez évoquées, celle dans le Caucase
13:15et que subit le peuple arménien, celle en Syrie,
13:19en Irak, celle dans la corne de l'Afrique,
13:23celle du Proche et Moyen-Orient, au continent africain,
13:27le Mozambique a été aussi évoqué, ou à travers le monde,
13:31qui aujourd'hui bouscule des peuples entiers,
13:34les pousse dans la misère, la famine, parfois l'exil.
13:42Mais parler de la paix, c'est aussi parler de ce qui traverse
13:46nos sociétés, qui ne sont pas forcément en guerre,
13:51mais qui vivent le retour de la violence,
13:54et qui vivent le moment que nous traversons,
13:58oscillant entre le retour des colères et des grandes peurs,
14:06doutant des vérités qui permettent de construire un commun,
14:10et où tant et tant dans nos sociétés sont plongées,
14:16au fond, dans une forme de solitude,
14:20qui, je le crois, est l'un des grands drames des temps que nous vivons,
14:25et où dans beaucoup de nos pays, en Europe en particulier,
14:29nos peuples ont ce sentiment de perdre le contrôle
14:33de leur vie, de leurs histoires, de leurs repères.
14:40Je dis cela parce que ce trouble, en quelque sorte,
14:44que nous vivons, et qui traverse toutes nos sociétés,
14:48même quand elles ne sont pas en guerre,
14:51cette inquiétude qui renaît de la solitude,
14:55d'une forme de relativisme qui se généralise,
15:02de l'immensité des défis qu'il y a face à nous,
15:06celui du changement climatique, celui des grandes inégalités
15:10liées à notre organisation contemporaine,
15:14au fond, font naître et font revenir,
15:20y compris dans notre Europe, les ferments de la guerre.
15:27Et ils ont à chaque fois les mêmes racines.
15:31Les nationalismes fermés, que nous ne devons jamais confondre
15:34avec le patriotisme, mais qui sont la volonté de repli,
15:37d'exclusion de l'autre, et de domination d'un peuple
15:41ou d'une nation sur l'autre, du rejet de l'autre
15:45dans nos sociétés.
15:50Ce que j'appellerais les rêves de pureté qui parcourent
15:53nos sociétés, et qui convoquent
15:57toutes les simplifications du monde.
16:00Cela peut être le rêve d'une pureté ethnique,
16:03comme le rêve d'une pureté religieuse.
16:05Mais ils sont là dans nos sociétés pour vendre
16:07une forme d'absolue, de bonne loi,
16:09consistante à dire que la solution face à ces doutes,
16:12à ces troubles, à cet ébranlement des consciences,
16:15c'est de revenir à une vérité unique
16:20et à des ennemis clairs qu'il faut combattre.
16:28Et donc, vous le voyez, j'arrive devant vous inquiet.
16:34Alors, face à ces défis, celui de la guerre en Europe,
16:36celui des guerres qui existent par ailleurs,
16:38et des ferments qui reviennent dans nos sociétés,
16:42que peuvent les religions ?
16:49Je pense qu'elles peuvent beaucoup,
16:52et que les politiques que nous sommes,
16:54je le dis au sens générique du terme,
16:56en tant que femmes et hommes qui ont décidé
16:58de s'occuper de la vie de la cité, en ont besoin.
17:04D'abord, parce que nous devons tous,
17:06responsables de gouvernement ou d'Etat,
17:11responsables associatifs d'entreprises
17:14et responsables religieux,
17:15essayer de tirer le bon diagnostic et d'agir ensemble.
17:19Ensuite, parce que je pense que si la parole politique peut beaucoup,
17:22en ce qu'elle donne de sens,
17:24en ce qu'elle peut apporter de sens,
17:26elle est aujourd'hui touchée dans beaucoup de nos sociétés
17:29par la défiance,
17:31qui est la sœur du constat que je viens de faire.
17:34Mais parce que ni les lois, ni les décrets,
17:36ni les décisions que nous pouvons prendre ne suffisent.
17:42Les âmes et les peuples ne s'administrent pas.
17:46Et donc je pense que les responsables religieux
17:48ont un rôle essentiel.
17:53En tant qu'ils contribuent à la trame de nos sociétés,
18:00à ces relations entre les individus
18:02et à un rapport au temps long.
18:06Et donc je pense que dans ce contexte que je viens d'évoquer
18:11et face à la situation que je viens de décrire,
18:14votre rôle est éminent.
18:16Celui d'abord, mais je ne le reprendrai pas là,
18:19parce que je ne veux pas être trop long,
18:21comme je l'avais évoqué à plusieurs reprises,
18:23au Bernardin en particulier,
18:26le don de sagesse, d'engagement et de liberté
18:32qu'on doit attendre des religions.
18:38Ensuite, je pense que les religions
18:44et les responsables religieux
18:48ont un rôle de résistance face à la folie des temps.
18:54Et la résistance, je vais essayer de le dire
18:56de là où je me situe et de là où je parle,
19:01c'est précisément de ne jamais justifier
19:05être prise au piège
19:08ou soutenir des projets politiques
19:11qui viendraient à asservir
19:14ou à nier la dignité de chaque individu.
19:20Et je pense qu'à cet égard,
19:22ce devoir de résistance est essentiel.
19:27Il est essentiel parce que le risque est là
19:30et que ce que je décris advient.
19:33Nous savons tous comment la religion orthodoxe
19:36est aujourd'hui manipulée par le pouvoir russe
19:39pour justifier ses actes.
19:41Devoir de résistance.
19:43Nous savons dans nos sociétés
19:45et nous savons aussi dans certaines nations
19:48comment l'islam est convoqué
19:50pour justifier des projets politiques de domination.
19:56Et nous savons aussi dans nos sociétés
19:58combien les autres religions ont pu être aussi,
20:00dans notre histoire,
20:02utilisées pour des projets politiques de domination,
20:08de mise en minorité d'une partie de l'humanité,
20:12de domination de l'autre.
20:18Et si je parle d'une république
20:20où l'Etat est séparé de la religion,
20:23la religion est dans la société
20:25et elle a un rôle éminent.
20:27Mais ce faisant,
20:29elle a ce rôle de ne jamais laisser des projets
20:32qui, en son nom,
20:34ou la détournant de sa finalité première,
20:37qui, manipulant ses préceptes,
20:39peuvent conduire au contraire de ce qu'elle défend.
20:43Et ce devoir de résistance des religions
20:48qui est, à mes yeux, vous l'avez compris, essentiel.
20:50C'est pour ça que je viens le plaider devant vous.
20:54C'est celui qui consiste à défendre la dignité de chacun,
21:00à ne jamais céder, en quelque sorte,
21:02à la pulsion de pureté
21:05que d'aucuns voudraient convoquer,
21:08à défendre le respect,
21:12le devoir de prendre soin des plus fragiles
21:18et d'apporter aussi une réponse essentielle
21:20dans nos sociétés
21:22que nous ne saurions apporter,
21:25celle de l'enracinement
21:28et celle du salut.
21:33Ces quelques points nodaux que je viens de décrire
21:36sont, à mes yeux,
21:38clés dans cette mission de résistance
21:42quand la guerre est là
21:45ou quand le trouble que j'essayais de décrire
21:47très rapidement revient dans nos sociétés.
21:51À chaque fois qu'une hégémonie s'installe,
21:54que la négation de l'autre est là,
21:57les religions jouent un rôle essentiel
22:02en défendant les quelques points
22:04que je viens d'évoquer.
22:06C'est, en particulier, ce que j'ai pu voir à l'oeuvre
22:11et que les chrétiens d'Orient défendent
22:13du Liban à Mossoul, en passant par l'Arménie,
22:17porter une part d'idéal indispensable
22:19et une capacité à dialoguer,
22:23à ne pas céder à ce qui serait la loi du plus fort,
22:29à ne pas céder à ce qui serait
22:31la loi du plus fort
22:34qui, immanquablement, conduit
22:38à l'effacement de l'autre.
22:43Et puis, la dernière chose,
22:45c'est que je pense que les religions
22:48ont évidemment un message d'universalisme à porter.
22:57Je le dis depuis un pays, une nation, un peuple,
23:01qui a cela en commun avec vos religions,
23:04qu'il a toujours revendiqué d'avoir une part universelle.
23:07Et c'est une fierté de la France,
23:09et je pense qu'est français celui
23:13qui pense qu'il a un message universel.
23:17C'est dans nos gènes.
23:22Mais qu'est-ce que cet universalisme ?
23:26D'abord, ça n'est pas un discours, une religion,
23:30une vérité qui dominerait le reste du monde.
23:33L'universalisme n'est pas une hégémonie.
23:36Ensuite, ça n'est pas non plus l'idée de dialoguer avec soi-même.
23:41Ça n'est pas, en quelque sorte, la mêmeté,
23:48l'ipséité, pour revenir au concept antique.
23:54L'universalisme, c'est d'abord une exigence
23:59à l'égard de soi-même.
24:02Ce que je fais doit pouvoir s'appliquer et être expliqué
24:04partout à travers le monde.
24:06Mais c'est une volonté
24:09de comprendre ce que nous faisons à l'échelle du monde
24:11et de dialoguer
24:15avec les autres et de chercher la part
24:17universelle irréductible
24:20à chacun d'entre nous.
24:23Et l'universalisme, c'est précisément ce qui vise à bâtir
24:26cette unité de la nature humaine.
24:29Et à reconnaître, ce faisant, car c'en est le sous-jacent,
24:32la dignité de chaque être humain.
24:37C'est pourquoi l'universalisme est, à mes yeux,
24:40le meilleur antidote
24:42contre le relativisme contemporain.
24:46Le meilleur antidote, aussi,
24:49contre la fracturation du monde à laquelle nous assistons,
24:53qui consiste, en quelque sorte,
24:55à consacrer dans trop d'endroits du monde
24:57la loi du plus fort ou qui consisterait
24:59à renvoyer certains principes
25:01dans une forme d'historicité ou de régionalisme.
25:05Car nous voyons aujourd'hui monter
25:07partout à travers le monde, d'Asie, en Afrique, en Amérique latine,
25:10des voix qui s'élèvent et qui nous disent
25:12l'égalité entre les femmes et les hommes,
25:16c'est une notion occidentale.
25:19Ce que vous défendez ici ou là,
25:21c'est une notion occidentale.
25:24Non, la dignité de tout être humain.
25:27L'égalité entre les sexes.
25:29Les valeurs que nous portons et que les religions défendent
25:33sont des valeurs universelles
25:35en ce que leur sous-bassement
25:37est la dignité de chaque être humain,
25:40mais en tant qu'elles se tressent,
25:42qu'elles cheminent dans les sociétés
25:45par un dialogue incessant
25:48entre religions, entre formations politiques,
25:53et parce qu'elles dessinent
25:55un horizon que je ne crois pas dépassable.
25:57Surtout, cet universalisme,
26:01celui auquel vous contribuez
26:05historiquement, philosophiquement,
26:07et pour lequel nous avons plus que jamais
26:09besoin de vous aujourd'hui,
26:11c'est celui qui permet
26:14de prévenir l'humiliation
26:18et, par voie de conséquence, le ressentiment.
26:22Car toutes les guerres que nous voyons aujourd'hui poindre
26:25et les divisions dans nos sociétés
26:27naissent précisément de cela.
26:30L'humiliation du plus faible, de l'oublié,
26:35de celui qui n'a pas digéré son histoire
26:37parce que nous n'avons pas construit le chemin pour le faire,
26:40et le ressentiment qui en sort
26:42et qui justifie la guerre de demain.
26:45C'est ça, la tâche qui est la nôtre.
26:48Si nous voulons véritablement
26:51être à la hauteur de ce cri de paix,
26:53pas simplement cesser les armes aujourd'hui,
26:57mais traquer partout
27:00les humiliations
27:02et les sources de ressentiment.
27:04Et elles naissent à chaque fois que
27:06cet universalisme est oublié.
27:09Et elles naissent à chaque fois
27:13qu'on vient bousculer
27:15l'ordre juste
27:18que seuls ces principes universels permettent de bâtir.
27:22En préparant
27:24cette réflexion libre devant vous,
27:27je me replongeais dans un petit texte de 1795
27:32pour tout vous dire.
27:33C'est le petit texte dans une de ses éditions originales
27:35que j'offrirai demain au Très-Saint-Père.
27:38Le projet de paix perpétuelle de Kant.
27:42Et dans ses premiers principes, il dit
27:44« Ne peut pas être reconnu comme traité de paix
27:46celui qui porterait les racines d'une nouvelle guerre. »
27:51Puis il le développe beaucoup mieux que je ne le ferai ici.
27:55Tout texte, toute paix
27:57qui vient nier
28:00la place de l'autre, même de mon ennemi,
28:05n'est pas un traité de paix.
28:08C'est ça, l'immense difficulté de la paix.
28:12C'est qu'elle impose cet universalisme que je viens de décrire,
28:19mais un pas vers l'autre et donc un déséquilibre.
28:23C'est ce qui fait qu'elle est précaire
28:27et que, quand les temps sont difficiles
28:29et que le trouble se réinstalle,
28:31elle est souvent si fragile face aux discours belliqueux
28:35et à celles et ceux qui voudraient faire croire
28:38que la vérité est plus pure que cela.
28:41La paix est impure.
28:46Profondément, ontologiquement.
29:00Parce qu'elle accepte
29:03une série de déséquilibres, d'inconforts,
29:10mais qui rendent possible cette coexistence
29:14avec l'autre que moi.
29:17Et je le dis ici pour nos amis qui viennent du monde entier,
29:21l'Europe, et en particulier l'Union européenne,
29:25sont un trésor à cet égard.
29:27Et nous, nous pouvons le dire parce que nous avons
29:30construit notre Europe sur des millénaires de guerre civile.
29:35L'Europe était le continent qui avait la plus grande expertise
29:38en matière de guerre.
29:41Guerre de religion, guerre politique,
29:44guerre hégémonique.
29:48Et notre Union européenne est ce petit trésor de paix
29:51parce que nous avons décidé que nous allions construire un équilibre
29:56bâti sur la connaissance et la compréhension de l'autre,
30:00l'absence d'hégémonie.
30:02Il n'y a pas de plus fort dans notre Union européenne.
30:04Il n'y a que des semblables et des égaux.
30:13Et la conviction que notre avenir était ensemble.
30:19Et donc cette...
30:25...
30:33Et je crois que ce message de l'Europe
30:35est un message à vocation universelle.
30:38Et c'est la même chose qu'il nous faut trouver,
30:40le président Mattarella, le président Riccardi,
30:42l'ont évoqué dans leurs propos,
30:44dans l'équilibre entre le Sud et le Nord
30:46et dans ce nouveau dialogue qu'il nous faut savoir bâtir.
30:50C'est un équilibre de respect,
30:53de réciprocité,
30:55de justice.
30:58Paul VI parlait du développement
31:01comme nouveau langage de la paix.
31:05Et c'est le projet que nous voulons porter,
31:07celui que nous avons tâché de porter pendant la pandémie
31:09et des questions de santé aux questions d'éducation,
31:12au sujet si essentiel du climat,
31:15à la question évidemment des inégalités économiques.
31:18Nous devons rééquilibrer le monde
31:23si nous voulons vraiment construire la paix.
31:26Et il nous faut avoir la même force d'âme
31:28que nous avons eue en Européens
31:30pour mettre fin à nos guerres civiles,
31:33à l'échelle de la planète tous ensemble,
31:35pour retrouver les voies et moyens
31:38de cet universalisme qui suppose plus de justice
31:42et de respect de l'autre.
31:44A cet égard, et pour accompagner
31:46nombre de ces projets en matière de santé,
31:49d'éducation, de climat
31:51et l'agenda que nous voulons bâtir,
31:54qui est celui, au fond, de l'investissement solidaire,
32:00j'ai besoin de vous.
32:02Et votre rôle est absolument essentiel.
32:08Je ne vais pas prolonger mon propos plus loin.
32:12Il est largement imparfait
32:14et résolument incomplet, et je l'assume.
32:17Mais au fond, j'ai voulu,
32:20puisque vous m'en avez offert l'opportunité
32:22à un moment si grave
32:26pour notre continent et pour nous tous,
32:30vous dire qu'il y a un projet humaniste possible.
32:37Et pour ce projet humaniste,
32:39qui est à réinventer,
32:42les religions, les grandes familles philosophiques
32:46ont un rôle essentiel à jouer.
32:49Car ce projet humaniste
32:51reposera sur le respect de chacun,
32:56la justice,
32:59la reconnaissance
33:02et le courage.
33:05Et je terminerai sur cette vieille valeur.
33:10Il faut beaucoup de courage pour vouloir la paix,
33:14pour la préserver
33:17ou pour la restaurer.
33:20Et les vrais courageux sont là.
33:23Il faut beaucoup de courage.
33:26D'abord, le courage de l'imagination.
33:28Vous l'avez admirablement dit, Andrea.
33:31Parce qu'imaginer la paix en temps de guerre,
33:33c'est le plus grand des impensables.
33:39Mais il faut le courage
33:42pour tenir la paix dès qu'elle est possible
33:47d'une forme d'intranquillité.
33:50Je vous disais que la paix était impure,
33:52elle est toujours intranquille.
33:56Parce que bâtir la paix,
34:00c'est toujours accepter la part de l'autre.
34:03Et donc je ne sais si c'est un cri qu'il nous faut,
34:07mais je pense qu'il nous faut à coup sûr
34:09une tâche lente
34:13de chaque jour, mais indispensable.
34:17Et il nous faudra pour cela beaucoup de courage.
34:20Mais je sais que nous en sommes capables.
34:22Ce courage de bâtir la paix
34:24et en quelque sorte de vivre toujours à sa frontière.
34:28Je vous remercie.
34:39Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org