Retrouvez les émissions en intégralité sur https://www.france.tv/france-2/telematin/toutes-les-videos/
Dans « le grand témoin », Télématin reçoit Olivier Dubois, journaliste et ex-otage d'Al Qaïda au Mali.
Dans « le grand témoin », Télématin reçoit Olivier Dubois, journaliste et ex-otage d'Al Qaïda au Mali.
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00C'est un témoignage exceptionnel que vous allez entendre maintenant dans Télématin,
00:03celui d'un journaliste français qui a été retenu pendant 711 jours par un groupe terroriste au Mali,
00:09une filiale d'Al-Qaïda, Olivier Dubois est votre grand témoin ce matin.
00:12Bonjour Olivier Dubois.
00:13Bonjour.
00:14Merci pour votre confiance, merci d'être avec nous ce matin.
00:16Vous êtes journaliste et vous publiez ce livre, Prisonniers du désert, aux éditions Michel Laffont.
00:22Ce désert, vous en parlez beaucoup, ce désert au nord du Mali qui est devenu votre cellule pendant 711 jours.
00:29Vous voulez bien revenir sur ce qui vous est arrivé le 8 avril 2021.
00:32Quel souvenir est-ce que vous gardez de ce jour-là ?
00:34J'ai un souvenir assez précis évidemment.
00:36Je prends l'avion le matin, milieu de matinée, j'arrive en fin de matinée à Gao
00:40et j'ai rendez-vous à 14h30, aux alentours de 14h30 avec un chef d'IA-10 pour une interview.
00:45Je vais me rendre à cette interview et au lieu d'aller à l'interview, je vais être pris, je vais me faire kidnapper.
00:51Vous saviez que vous étiez dans une zone à risque ?
00:53Oui, c'est une zone sur laquelle je travaillais.
00:56C'est une zone où on n'a pas le droit d'aller normalement.
00:58Donc vous étiez conscient des risques que vous couriez à ce moment-là ?
01:01Il faut dire que moi je suis au Mali depuis 2015.
01:04Ce n'est pas le premier déplacement hors de Bamako qui est un peu la zone gardée, la zone de sécurité.
01:09Mais là, ça va déraper.
01:11Qu'est-ce que vous ressentez justement à ce moment-là ?
01:13Vous comprenez tout de suite ce qui est en train de se passer ?
01:15Non, ça met un peu de temps justement.
01:17Je commence à comprendre parce qu'on avait une interview de 45 minutes
01:20et j'étais censé revenir deux heures après au point de rendez-vous avec mon fixeur.
01:24Et le temps passe, le temps passe, on est toujours en voiture
01:27et je me rends compte que le délai qu'on avait mis en place est dépassé.
01:30Ils me rassurent, ils me disent « non, non, ça va se faire après, après ».
01:33Et on sait aussi un peu que quand on va voir des djihadistes,
01:36ils ne seront pas là où vous les attendez.
01:38Pour des raisons de sécurité, ils vont peut-être changer l'heure, le jour, etc.
01:40Donc je ne m'inquiète pas trop.
01:42Et là où je vais m'inquiéter, c'est quand on va s'arrêter, qu'on va me déshabiller,
01:45on va changer mes vêtements, on va me placer dans un second véhicule
01:47et là on va m'annoncer que je suis kidnappé.
01:50Qui sont vos ravisseurs ?
01:52Je pose la question très rapidement, parce qu'il y a deux groupes djihadistes.
01:55Il y a l'État islamique, ultra violent.
01:57Et puis il y a l'Eugénie, violent mais qui vont négocier.
02:00Enfin, du moins, ils ont négocié.
02:01Ils veulent une rançon.
02:02Voilà, exactement.
02:03Et je tombe sous la férule des premiers,
02:05donc du groupe de soutien à l'islam et aux musulmans.
02:07Si ça avait été Daesh ?
02:09Je ne serais peut-être pas là à vous parler actuellement.
02:11Où est-ce que vous dormez ?
02:13Dans quelles conditions est-ce que vous allez vivre votre captivité dans le désert ?
02:16Alors moi, pendant 7-11 jours, j'ai été dehors.
02:19On dort par terre, on mange par terre, on se lave par terre, on fait tout par terre.
02:22Et ce qui est fou, c'est que vous êtes dans un univers
02:24que vous décrivez très bien dans ce livre.
02:26C'est le désert.
02:27Le désert, vous n'êtes pas dans une cellule,
02:29vous n'avez pas des barreaux, vous avez un horizon.
02:31Vous voyez, en fait, ce paysage dont vous ne pouvez pas sortir.
02:36Voilà, le désert, ça englobe tout.
02:38Vous êtes infime au milieu d'un grand tout, en fait.
02:40Et c'est les barreaux de votre prison.
02:42Ce sont les murs.
02:43Il va falloir que je teste ça pour me rendre compte qu'il n'y a pas d'échappatoire.
02:46Vous pouvez toucher la liberté du doigt, mais jamais vous ne pouvez l'attendre.
02:49En gros, ça, c'est le désert.
02:50Quand vous dites tester, justement, c'est qu'à 4 reprises,
02:53vous allez vouloir vous évader.
02:55Vous allez essayer de vous évader.
02:56Je ne vais pas me résoudre à rester.
02:58C'est dans le livre, mais il y a différentes raisons.
03:00Donc, j'ai tenté de retrouver ma liberté.
03:03Et je vais me rendre compte que c'est impossible.
03:05On est dans des coins super isolés.
03:07On est à une centaine de kilomètres du premier campement de toute vie.
03:10Et c'est une prison terrible.
03:12On ne peut pas s'évader dans le désert.
03:14Est-ce qu'il y a un jour où vous allez rebrousser chemin et revenir ?
03:17Trois fois.
03:19Ça, c'est le pire.
03:20Mais c'est ça.
03:21C'est que tu arrives à échapper à la surveillance.
03:24Disons que vous préparez tout et vous nourrissez un grand espoir de liberté.
03:28Au bout d'un moment, c'est vous-même qui décidez de revenir pour différentes raisons.
03:31Et c'est l'échec.
03:32Il faut absorber ça.
03:33Il faut vivre avec ça.
03:34C'est très compliqué.
03:35Est-ce que vous avez vécu ces scènes terribles qu'on imagine ?
03:37De pistolet sur la temple, de menaces, dernière ligne droite pour toi, etc.
03:41Pas sur la temple, mais en face de moi.
03:43J'ai eu ce qu'on appelle une exécution.
03:45Un simulacre d'exécution.
03:47Évidemment, à l'époque, au moment où ça arrive, on ne sait pas que c'est un simulacre.
03:50Mais voilà.
03:52Moi, je me suis vu mourir plusieurs fois.
03:54Comment on fait pour tenir Olivier ?
03:56711 jours dans le désert, avec ses journées.
03:59En ce qui me concerne, moi, la première semaine, j'étais à la merci de la peur, du stress, de l'angoisse.
04:04Et ce n'est pas possible.
04:06Je ne m'en voyais pas faire un mois, des mois, des années comme ça.
04:08Rapidement, je me suis mis à faire du sport.
04:10Ça ne semble rien, mais ça structure mentalement et physiquement.
04:13Et puis, au bout d'un moment, je révise un peu ce qui s'est passé.
04:16J'ai été trahi.
04:18Ce n'est pas moi le problème.
04:20Entre autres.
04:21Et puis, même eux, je me dis que c'est eux.
04:22J'avais une lettre d'invitation.
04:24Et je me dis que ce n'est pas possible.
04:25Ce n'est pas moi le problème.
04:26C'est eux qui ont besoin de moi.
04:27Donc, pas d'esprit de soumission.
04:28On essaie de rester debout.
04:29Et puis aussi, on continue le travail.
04:31Je suis venu faire une interview.
04:32C'est un reportage que je peux faire.
04:34Il va être à durée indéterminée.
04:36Faisons-le.
04:37J'arrive tous les matins en me disant que je vais au boulot.
04:38Que je suis au boulot.
04:39Et vous allez écrire.
04:40Vous allez mener une enquête.
04:42Et vous allez écrire sur des petits bouts de papier.
04:44Vous avez même trouvé plein de stratégies pour écrire.
04:46Voilà ce que j'observe.
04:47Et conserver vos papiers.
04:48Ce que j'arrive à avoir comme information.
04:49En cachette, je mets sur des papiers tout ce qui traîne.
04:51Des emballages, ce genre de choses-là.
04:53Et je cache ça pour ne pas qu'ils le trouvent.
04:55Est-ce que ça vous hante encore aujourd'hui ?
04:56Vous avez un suivi psychologique.
04:58Oui, j'ai un suivi psychologique.
04:59Ça va être long, mais ça va mieux.
05:02Oui, ça continue.
05:03Avant de prendre de vos nouvelles aujourd'hui,
05:05on va revenir sur un objet qui a été très important pour vous.
05:07C'est la radio.
05:08La radio qui vous a permis de rester, d'une certaine façon,
05:12en contact avec un monde extérieur.
05:14Il y avait une date que vous ne ratiez pas.
05:15C'est tous les 8 du mois.
05:16Voilà.
05:17Tous les 8 du mois, j'ai eu la chance,
05:19et ce n'est pas arrivé à d'autres otages français dans le Sahel,
05:21d'avoir des messages de mes proches.
05:23Donc c'est un vrai distributeur d'espoir.
05:24Qu'est-ce que vous ressentiez quand vous entendiez la voix de vos proches ?
05:27Bizarrement, c'est là où je me sentais le plus fragilisé.
05:30Ça me faisait un bien fou.
05:31Et en même temps, j'avais très peur.
05:32Parce que moi, je savais que j'avais des messages, mais eux aussi.
05:34Et je me disais toujours, mais s'ils m'enlèvent cette radio,
05:36qu'est-ce qui va m'arriver ?
05:37Comment je vais faire ?
05:38C'est comme une addiction, en fait.
05:39Vous avez un rendez-vous le 8 et vous avez besoin de ça.
05:42Vous savez que c'est le 8 ou le 9 ou le 10 ?
05:43Vous connaissez les jours, les dates ?
05:44Oui, oui.
05:45Moi, je me répétais les dates tous les jours.
05:46Donc, je n'étais pas désorienté.
05:48Comment est-ce que vous pouviez vous orienter dans le temps, justement ?
05:51Le soleil pour les horaires,
05:52et puis se répéter la date du jour depuis que j'ai été kidnappé tous les jours.
05:56Est-ce que vous aviez conscience qu'il y avait une mobilisation en France ?
05:59Grâce à la radio.
06:00Je l'apprends avec la radio.
06:02Au départ, je suis seul au monde.
06:03C'est pour ça que je vais vouloir m'évader, d'ailleurs.
06:05Évidemment.
06:06Et rejoindre ceux qui vous attendent, effectivement.
06:08Nous, on était au courant de votre situation.
06:11On suivait, effectivement.
06:13Mais voilà.
06:14On va laisser ceux qui nous regardent poursuivre, évidemment,
06:17cette histoire à travers la lecture de ce livre.
06:19Mais Cédric, vous le demandez, comment est-ce que vous allez aujourd'hui ?
06:22Parce que c'est la question qu'on peut se poser.
06:24Ça fait presque deux ans maintenant.
06:26Comment est-ce que vous vous sentez ?
06:28Est-ce que c'est quelque chose qui vous accompagne encore au quotidien ?
06:31Est-ce que vous devez composer avec ça ?
06:33Moi, j'ai l'habitude de dire que c'est le moment…
06:35Ça a été la période la plus terrible et la plus extraordinaire en même temps de ma vie.
06:39Parce que j'ai vécu des choses que je n'aurais jamais vécues sinon.
06:41Moi, je vais mieux.
06:43Je suis suivi psychologiquement, comme je vous ai dit.
06:45C'est quelque chose qui va m'accompagner longtemps.
06:47Il faut que je fasse maintenant en sorte que ces blessures mentales
06:50héritées de ce moment-là deviennent des souvenirs
06:53et soient totalement digérées.
06:55Donc, on y travaille. J'y travaille toujours.
06:57Vous êtes retourné au Mali depuis ?
06:58Non, non, non.
06:59C'est fini là ?
07:00Je ne dis pas que c'est fini, mais ce n'est pas le moment.
07:02Il y a ce qui se passe en ce moment au Mali.
07:04C'est un peu compliqué. C'est un pays que j'aime beaucoup.
07:06Mais là, c'est peut-être un peu tôt.
07:07On va se remettre sur pied et puis on verra.
07:09En tout cas, merci beaucoup.
07:11Merci à vous.
07:12Pour l'attention que vous nous avez accordée.
07:13Je rappelle ce livre « Prisonniers du désert. 700 jours aux mains d'Al-Qaïda »
07:15chez Michel Lafon.
07:16Merci beaucoup Olivier.
07:17Merci.