• le mois dernier
Invité de France Inter ce vendredi, le démographe et historien Hervé Le Bras revient sur l'utilisation des termes "sentiment de submersion" migratoire par le Premier ministre François Bayrou, à l'occasion de la sortie de son livre "Il n’y a pas de race blanche" (Grasset).


Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00« France Inter, Alibadou, Marion Lourds, le 6-9 ».
00:07Et dans le grand entretien ce matin avec Marion Lourds, nous recevons l'un de nos grands
00:11intellectuels, démographes, historiens.
00:13Il publie un livre important à un moment où la question de l'immigration est au
00:18centre du débat public.
00:20Question des mots pour parler du phénomène de l'immigration, des chiffres aussi pour
00:25en décrire la réalité.
00:26C'est un livre qui s'intitule « Il n'y a pas de race blanche ». C'est publié
00:31chez Grasset et le livre suscite déjà la polémique avec ceux qui critiquent à la
00:38fois l'approche et la réalité que décrit notre invité.
00:420145 24 7000 chers auditeurs pour ouvrir le débat ou l'application d'Inter.
00:48Hervé Le Bras, bonjour.
00:50Bonjour.
00:51Et bienvenue.
00:52Ça fait des années que vous écrivez sur l'immigration, vos travaux sur la démographie
00:56font autorité.
00:57On va démarrer justement puisqu'il est question des mots, des mots et de la réalité.
01:02Dans votre livre, il y a cette phrase « Nous croyons que nous pensons avec des mots mais
01:06en réalité ce sont les mots qui pensent à travers nous ». Vous nous direz ce que
01:11ça veut dire.
01:12Quand vous entendez le Premier ministre François Bayrou employer l'expression de « submersion
01:17», « submersion migratoire » en France, qu'est-ce que vous ressentez ?
01:22Une certaine gêne que la personne qui actuellement est en charge de la France se contente de
01:30voir son pays à travers le ressenti de ses habitants et pas à travers, je ne dirais
01:35pas la réalité, mais les faits, c'est-à-dire ce qui est incontournable.
01:38Or les faits, le Premier ministre, comme d'ailleurs tous les politiques, ils les ont sous la main,
01:44sous les yeux.
01:45C'est-à-dire il suffit d'aller, je vais vous donner juste la recette pour avoir des
01:49faits.
01:50Vous allez sur le site, vous tapez INSEE, vous arrivez sur le site de l'INSEE, vous
01:53tapez « immigrés », vous avez tout de suite, apparaissent une liste, vous prenez le premier
01:59fichier qui apparaît sur la liste, le premier titre qui s'appelle d'ailleurs « L'essentiel
02:05sur les immigrés et les étrangers ». Vous avez un ensemble de tableaux qui vous donnent
02:09un portrait de ce qu'on sait de la situation.
02:12Comment sait-on cette situation en France ? Chaque année l'INSEE fait des enquêtes
02:16de recensement.
02:17Les enquêtes de recensement, c'est 8 millions d'habitants à peu près.
02:21Ce n'est pas une petite enquête genre 1000 personnes ou 2000 personnes.
02:25Et l'INSEE compte, c'est un vrai recensement sur ces 8 millions, et compte combien il
02:30y a d'immigrés de telle et telle origine, combien il y a d'actifs, de cadres, enfin
02:34tout ce qu'il faut pour un recensement.
02:35Et quels sont les chiffres ? C'est depuis 2006 et c'est là que ça devient important.
02:40C'est le tableau parce que ce que je vous dis, ça suscite déjà la polémique.
02:44Non, s'il y a une polémique, c'est-à-dire qu'on disqualifie l'INSEE, c'est-à-dire
02:48qu'on disqualifie 6500 agents, dont une grande partie sont soit issus d'une très
02:54grande école qui s'appelle l'ENSAE ou de l'école polytechnique.
02:57Moi je veux bien, mais qu'est-ce qu'on met en face de cela ? Mais surtout je voudrais
03:00quand même juste donner les deux chiffres.
03:03En 2006, l'INSEE compte 5,1 millions d'immigrés.
03:08En 2023, qui est le dernier chiffre, l'INSEE en a compté 7,3.
03:13Vous me disiez, c'est beaucoup plus.
03:15C'est beaucoup plus, ça fait 2,2 millions de plus.
03:19Mais sur 17 ans, si vous divisez 2,2 millions par 17 ans, ça fait 125 000 par an.
03:25Donc le vrai chiffre, absolument exact, c'est chaque année depuis 2006, en moyenne, on
03:31a 125 000 immigrés de plus.
03:34C'est ça qui est important.
03:35Ensuite on peut dire « c'est trop », on peut dire « c'est pas assez », on peut
03:38dire « c'est pas les bons immigrés », mais on doit partir de là et à ce moment-là
03:43on ne peut pas parler de submersion.
03:44Mais Hervé Le Bras, justement, selon l'INSEE, les immigrés c'est aujourd'hui 11% de
03:49la population, peu ou prou, contre 5% en 1946.
03:53Ça, ça ne s'appelle pas une submersion ?
03:55Non, non, parce que c'est le chiffre que je vous ai donné.
03:58La submersion, ça arrive, c'est un terme hydraulique, donc c'est quelque chose qui
04:04arrive jour après jour, si vous voulez.
04:07Or, jour après jour, depuis 2006, il est arrivé en moyenne 125 000 personnes par an, c'est
04:12le vrai chiffre.
04:13Ce qui s'est passé de 1945 à maintenant, c'est compliqué, d'autre part, il ne faut
04:17pas confondre immigrés et étrangers.
04:19Les immigrés…
04:20Rappelle la distinction ?
04:21Eh bien, l'immigré, la définition c'est « personne née étrangère à l'étranger
04:26». Mais cette personne a pu être naturalisée.
04:2837% des immigrés sont français, on les traite comme s'ils étaient des citoyens de seconde
04:35zone.
04:36Mais non, ils ont exactement les mêmes droits civiques.
04:38Si vous comptez les étrangers, leur augmentation depuis 2006, c'est 500 000.
04:45Il y a 7,5% d'étrangers en France actuellement, il y en avait 6,5 en 1936, si on veut répondre
04:51sur ce débat sur des chiffres très anciens.
04:55Donc, la proportion d'étrangers a très peu augmenté.
04:58Mais vous savez, Hervé Lebras, que vous êtes largement inaudible, en tout cas par rapport
05:04à l'opinion, c'est difficile de trouver une réception de votre travail qui ne soit
05:11pas rejetée, disqualifiée immédiatement, vous classant parmi les intellectuels organiques,
05:17politiques.
05:18Regardez ce sondage, c'est la dernière vague d'une étude d'Odoxa pour le Figaro.
05:23Près de 7 sondés sur 10 se disent d'accord avec l'expression du Premier ministre.
05:29Le sentiment de submersion, ça répond à une réalité.
05:35Ce sentiment-là, pour vous, qu'est-ce qu'il dit, puisqu'il est totalement déconnecté
05:39de la réalité ? Vous citez des chiffres qui indiqueraient le contraire.
05:42Oui, pour moi, c'est un sentiment, c'est un ressenti.
05:45Le ressenti, c'est très variable, c'est fabriqué par quelques fois, et très souvent
05:50même, c'est fabriqué par des événements particuliers.
05:53L'intérêt des chiffres que je cite de l'INSEE, c'est quelque chose d'absolument général.
05:58Mais je suis d'accord avec ce que vous dites, c'est inaudible, parce qu'il y a un rouleau
06:03compresseur de cette propagande avec des termes comme « submersion ».
06:06Mais ça veut dire que ceux qui ressentent ça sont déconnectés de la réalité ou fous ?
06:09Non, mais je pense que vous savez, il faut regarder de très près comment les questions
06:16sont posées.
06:17Je vais vous montrer d'ailleurs une chose de ce point de vue-là, je suis en train de
06:22travailler sur les cahiers de doléances, les cahiers citoyens, qui ont été entièrement
06:28du grand débat.
06:29Et j'ai regardé quelle était la fréquence des termes « immigrés », « immigration »,
06:35« migrants » dans tout cet énorme corpus, puisque ça représente 124 millions de termes
06:42au total.
06:43Eh bien, d'abord c'est très peu cité dans les cahiers de doléances, qui quand même
06:47c'est des doléances, c'est du sérieux, les gens ont pris du temps, bien plus que
06:50pour répondre à une enquête comme ça par opinion, une enquête d'opinion, et on arrive
06:58à 0,4% de l'ensemble des termes.
07:03Et quand on regarde dans quels endroits, puisqu'on a la commune de chaque cahier, c'est là
07:08d'ailleurs où il y a des immigrés, c'est à peu près la même carte.
07:13Mais c'est intéressant parce que là où il y a des immigrés en France, on ne vote
07:17pas pour le RN.
07:18C'est-à-dire, on parle des immigrés là où il n'y en a pas.
07:21À Mayotte par exemple.
07:22Ah bah oui, mais Mayotte c'est un cas tout à fait particulier.
07:24Un tiers de migrants illégaux.
07:26Bien sûr, bien sûr.
07:27Et on vote largement pour le RN qui a remporté l'élection législative le lendemain.
07:31Oui, mais Mayotte, vous tombez dans l'exemple, vous donnez un exemple par rapport à un phénomène
07:35général.
07:36Là quand je vous parle des cahiers sur les doléances, c'est un phénomène général.
07:41Mais là on peut dire « submergence » à Mayotte.
07:42Là on a 16 000 cahiers, mais là sur Mayotte c'est un cas tout à fait particulier.
07:46On est en train de payer, si je peux le dire, à Mayotte, une imbécilité.
07:50C'est-à-dire, il ne fallait pas séparer les Comores au moment où on l'a fait pour
07:53de vagues raisons stratégiques.
07:55On est prisonnier de cette affaire.
07:56Mais Mayotte n'est absolument pas à l'image de la France et pose un problème d'ailleurs.
08:00Mais c'est malgré tout la France.
08:01Mais revenons donc au mot pour décrire la question de l'immigration et ce qu'on emploie
08:05dans le débat public.
08:06« Tout est une affaire de proportion », ajoutait donc à ce que disait le Premier ministre Bruno
08:12Retailleau.
08:13Mais sur cette question du seuil, les étrangers sont bienvenus à condition qu'ils ne dépassent
08:17pas une certaine proportion.
08:19On ne la mesure pas, on ne donne pas de chiffres, mais est-ce qu'il y a effectivement une
08:24question de proportion ?
08:25On peut le dire comme ça, parce qu'il peut y avoir une trop forte proportion ou une trop
08:29faible proportion.
08:30Mais si on cherche à donner un chiffre, c'est impossible.
08:33C'est impossible.
08:34Il y a eu une très bonne étude d'ailleurs ancienne d'un sociologue Alain Girard, qui
08:39était un grand sociologue et qui était un homme de droite.
08:42Il a fait une enquête sur « quel est pour vous, il y a 100 personnes dans une école,
08:48à partir de combien d'étrangers, à l'époque ce n'étaient pas les immigrés, des étrangers,
08:52à partir de combien d'étrangers y a-t-il un problème ? ».
08:55Puis il a fait un sondage, comme ceux que vous citez, les réponses allaient de 2 étrangers
09:00à 50 étrangers sur 100.
09:02Et il a conclu, c'est pourtant un homme d'ordre Alain Girard, il a conclu que c'est
09:07impossible de fixer un seuil, ça dépend de qui sont ces étrangers, quelle est la
09:12configuration de l'école, où elles se trouvent.
09:14Donc l'idée d'un seuil n'a pas de sens et on le sait scientifiquement.
09:18Donc à nouveau, je trouve que le Premier Ministre, à nouveau, ne fait pas attention
09:23aux travaux scientifiques.
09:24Alors c'est quoi ? C'est une maladresse, comme le dit par exemple la maire PS de Nantes
09:28où c'est le RN qui a gagné la bataille idéologique, ça c'est ce que disent les
09:32élus du Rassemblement National.
09:34Ils n'ont pas tort sur ce point-là, parce que même si c'est une maladresse, malheureusement
09:40si je peux dire, elle vient du fond du cœur.
09:42Les maladresses, c'est comme les erreurs sur les mots de chez Freud.
09:49Les maladresses révèlent un sentiment profond et je crains que ce soit ça.
09:53Et d'ailleurs, il y a eu cette maladresse à LCI, moi aussi j'ai pensé que c'était
09:57une maladresse.
09:58Mais ensuite, à l'Assemblée Nationale et au Sénat, il en a rajouté.
10:01On va bientôt filer au standard, il y a de nombreuses questions d'auditeurs.
10:05Mais dans l'actualité, il y a aussi la question qui revient, celle des statistiques
10:09ethniques.
10:10Vous avez beaucoup étudié la question pour le ministre Bruno Retailleau, qui y est favorable ?
10:16Ce serait se priver de la possibilité de mesurer précisément les parcours de discrimination
10:21que pourrait subir un individu lorsqu'il vit en France, hors de question d'utiliser
10:26les statistiques ethniques pour faire de la discrimination positive.
10:30Qu'est-ce que vous, comme chercheur, vous posez comme regard sur cette question ?
10:34Alors, il y a deux choses, c'est pourquoi M. Retailleau dit cela, alors qu'il y a eu
10:38deux très grosses commissions qui ont étudié cette question à la fin de la présidence
10:47de Sarkozy.
10:48La Comed, du point de vue gouvernemental, et la Carcet, qui était une commission indépendante
10:54d'anthropologues, de juristes, de démographes.
10:56Ces deux commissions sont tombées d'accord, c'est que ça ne servait à rien.
11:00Autrement dit, il était dangereux de poser des questions sur l'origine ethnique dans
11:06le recensement.
11:07Pourquoi dangereux ?
11:08Dangereux parce que les personnes finissent par s'assimiler ou s'identifier à…
11:13C'est ce que vous écrivez ?
11:14Oui, j'en ai un chapitre sur ce sujet parce que j'ai analysé, comme beaucoup d'autres
11:20d'ailleurs, étroitement, c'est le dernier chapitre du livre, quelles étaient ces statistiques
11:27ethniques dans les pays qui les pratiquent, et ces pays se heurtent à des impossibilités
11:33immédiates.
11:34Une des plus grosses impossibilités, c'est les origines mixtes, puisqu'on vous classe
11:38tout d'un coup.
11:39Mettons, on dit, voilà, Obama est un Noir, c'est un Noir, mais sa mère était une Blanche,
11:44dans ce cas-là, si on entre dans ce genre de caractérisation individuelle.
11:48Ce que vous dites, en quelque sorte, c'est que ça détruit le collectif parce que chacun
11:51du coup s'identifie à l'identité dans laquelle on l'a assigné.
11:54Ce qui est intéressant, c'est que l'INSEE vient de démarrer le recensement de 2025,
11:58auprès de 9 millions de Français, on le disait tout à l'heure, qui pourront indiquer,
12:01effectivement, cette fois-ci, dans quel département ou pays étranger sont nés leurs parents.
12:07Ça, c'est pas le début des statistiques ethniques ?
12:08Oui, vous avez tout à fait raison.
12:09Les Anglais ont commencé comme cela, ensuite, ils n'étaient pas contents parce qu'il
12:13y a des Français qui naissent à l'étranger, donc ils ont introduit des catégories raciales,
12:18et puis là-dessus, ils ont introduit les Noirs, les Blancs, et puis là-dessus, les
12:22Noirs, on dit mais non, c'est pas la même chose d'être un Jamaïcain, puis d'être
12:24un Africain qui vient du Nigeria, donc on a coupé en morceaux, et là, c'est devenu,
12:29disons le mot, c'est devenu un foutoir, la statistique anglaise.
12:31Donc, la même chose nous attend pour la même raison.
12:36Alors, un mot sur l'affaire de l'INSEE, il y a une pétition qui est signée par beaucoup
12:41de, au fond, un peu tout le monde, mais aussi des scientifiques, de la Ligue des droits
12:46de l'Homme, contre cette question, et c'est une question très particulière, parce que
12:50c'est la seule du recensement à laquelle on n'est pas obligé de répondre, ce qui
12:53est quand même assez étrange, si vous voulez, qui marque qu'il y a une difficulté, et
12:57qui ne servira à rien, strictement à rien, sauf à donner l'idée que ce qu'on est
13:02dépend d'un très long passé, et c'est extrêmement dangereux, c'est quelque chose
13:06qui est un frein à l'action, d'ailleurs.
13:07Bonjour André, et bienvenue sur France Inter, vous avez une réaction et une question pour
13:14intervenir dans notre discussion avec Hervé Lebras ?
13:17Oui, bonjour, je n'ai pas vraiment une question, c'est plus une réaction.
13:20François Berroux a dit « les Français ont un sentiment de subversion », et j'entends
13:26votre invité ce matin qui parle de subversion, mais on ne parle pas de ça, on ne parle pas
13:36du sentiment qu'ont les gens, et si on ne traite pas les sentiments, les gens vont aller
13:40de plus en plus vers l'extrême droite, alors je peux vous dire que moi je ne voterai jamais
13:44pour eux, parce qu'ils prônent la haine, et on sait ce que c'est l'extrême droite,
13:47mais ce n'est pas en ne traitant pas le sentiment des gens.
13:52Merci André pour votre intervention, sur l'appli d'Inter, Hervé Lebras, il y a Bernard
13:57qui, lui, distingue sentiment et perception, c'est un vrai problème pour l'objectivité,
14:04il y a Cuenca qui dit que vous êtes hors sol et qu'on ne peut pas oublier ce sentiment
14:09partagé par 11 millions de Français, la question c'est de savoir comment faire changer
14:16ce sentiment en France, qu'est-ce que vous leur répondez ?
14:18La dernière phrase est tout à fait juste, comment faire changer ce sentiment, parce
14:23qu'il vaut quand même mieux, quand on dirige un pays, se fonder sur la réalité de ce
14:29pays, sur les faits qui définissent ce pays, que sur des sentiments, que sur des ressentis,
14:35je comprends que les hommes politiques, pour être élus, utilisent le ressenti, puisque
14:39bien sûr, il faut qu'ils soient élus, mais une fois qu'ils sont arrivés au pouvoir,
14:42il faut qu'ils s'attaquent aux faits et pas aux ressentis, et là c'est vraiment
14:45une perversion de l'attitude politique que d'aller vers les sentiments.
14:49Alors maintenant, pourquoi les Français ont ce genre de ressenti ? C'est une question
14:52très compliquée, beaucoup de gens cherchent à comprendre, il y a un mélange, je dirais,
14:58de malaise des Français, mais il y a un mélange aussi, disons, de certains médias qui se
15:04rignent à longueur de temps que la cause de tous nos malheurs c'est ce bouc émissaire
15:08qu'on appelle l'immigré.
15:09Mais donc, il n'y a pas un problème de l'immigration en France, Hervé Lebras ?
15:11Il y a des problèmes d'immigration, comme dans tous les pays, il y a des problèmes,
15:14par exemple, un des problèmes de l'immigration tout à fait important, c'est la ségrégation,
15:19voilà un premier problème.
15:20Un second problème, c'est le traitement de la seconde génération, de la manière
15:24dont on a éduqué, on éduque encore actuellement les enfants de l'immigration, il y a des
15:28tas de problèmes avec l'immigration, mais il faut partir des faits pour traiter ces
15:32problèmes et pas de ce que pensent les gens.
15:34Si on reprend l'exemple de Mayotte, vous m'avez dit qu'il n'était pas représentatif,
15:36mais par exemple, là, il y a une grosse tension sur le système social, parce qu'il y a un
15:40grand nombre, presque un tiers d'étrangers en situation irrégulière, comment est-ce
15:44qu'on résout ce problème-là ?
15:45Je pense sur la question de Mayotte, moi la seule solution, je suis obligé de vous le
15:51dire, c'est la solution que recommande d'ailleurs l'ONU, il y a eu 18 votes à l'ONU sur ce
15:56sujet, c'est que Mayotte rejoigne les Comores.
16:00Alors vous me direz, mais qu'est-ce qu'on va faire, des Mayottiens ? On leur donnera
16:05comme on fait les Anglais en Tanzanie et puis au Kenya, on leur donnera le droit de revenir
16:10en France, comme s'ils l'estiment, de choisir, mais enfin ces gens à Mayotte, ceux qui sont
16:15non pas des immigrés sans-papiers, mais qui sont de Mayotte, c'est des Comoriens, ils
16:21ont de la famille dans Aranjouan, à Grande-Comore.
16:24Alors Hervé Le Bras, vous publiez donc ce livre « Il n'y a pas de race blanche », c'est
16:29à la fois une généalogie du racisme au XIXe siècle, notamment avec les théories
16:34pseudo-scientifiques qui essayaient de montrer la supériorité de l'homme blanc déterminé
16:40par la couleur de la peau, mais il y a quelque chose que vous affrontez et qui est porté
16:46par ceux qui sont vos ennemis, vous parlez de « prétendu racisme envers les blancs »,
16:51c'est une fiction, il n'y a pas de racisme anti-blanc aujourd'hui en France, Hervé Le Bras ?
16:57Il n'y a pas de racisme anti-blanc, d'ailleurs beaucoup d'autres l'ont dit avant moi,
17:03on ne voit pas de mesure discriminatoire envers les blancs, et c'est aussi, je le dis dans
17:07le livre, c'est une contradiction dans les termes.
17:10C'est-à-dire ? C'est-à-dire qu'à partir du moment où
17:12vous dites le mot « blanc », vous êtes dans les races, donc vous dites « il n'y
17:15a pas de racisme » et vous citez une race.
17:17Par exemple, quand on est antiraciste, on est antiraciste en général, on ne dit pas
17:22qu'il y a telle ou telle race qu'on va privilégier.
17:25Il n'y a pas un antiracisme des antiracistes, comme certains le disent et le dénoncent ?
17:31Ce n'est pas un antiracisme, il peut y avoir un rejet, ceci dit, il peut y avoir, je dirais,
17:38chez les antiracistes, il peut y avoir effectivement un racisme, mais un racisme général.
17:43De dire « c'est le racisme anti-blanc », ça n'a pas de sens, c'est une contradiction
17:48dans les termes, c'est ce qu'on appelle un oxymore.
17:51Et en plus de ça, sur cette affaire-là, il n'y a absolument aucun dispositif légal
17:57qui montre cela, donc il peut y avoir, bien sûr, dans la population des personnes qui
18:02s'opposent à ce qu'ils appellent des blancs, mais déjà, en faisant cela, ils
18:05parlent de blancs, donc ils ont d'une certaine manière, ils entrent dans la théorie de
18:09la race.
18:10Je voudrais juste dire sur un mot, sur mon livre, parce qu'il y a une chose importante
18:14dans ce que j'ai tenté de montrer dans mon livre, c'est que la notion de racisme,
18:19ou plus exactement la notion de race qui a entraîné celle de racisme, telle qu'on
18:23la connaît, cette notion de race, elle date du milieu du XVIIIe siècle, elle n'est
18:27pas quelque chose qui remonte à la plus haute antiquité, il y a eu un changement très
18:31profond à cette époque, il y a eu un changement qui a été causé par deux choses, il a été
18:35causé par l'importance de la science qui devait amener à classer les humains, et
18:41la possibilité de classer, c'est l'époque où les nations se constituent avec leurs
18:45frontières, donc il y a des blocs, et on a fait la même chose avec les humains, et
18:48le fait des naturalistes, on a le texte, c'est 1735. Avant, la notion de race est
18:53tout à fait différente, je vais vous lire juste, c'est très très court, la définition
18:57dans la grande encyclopédie, non mais parce que là il faut être précis, c'est la définition
19:03que donne la grande encyclopédie d'Alembert et d'Hydrault, voilà la définition à l'article
19:09race, extraction, lignée, lignage, ce qui se dit tant des ascendants que des descendants
19:15d'une même famille, quand elle est noble, ce mot est symbolique de naissance, c'est
19:20tout ce qui est dit dans la grande encyclopédie, et ça rappelle une anecdote très célèbre
19:24d'Henri IV qui désigne un courtisan dans sa cour, et il dit « il est de ma race »,
19:30et ce que veut dire par là Henri IV, c'est qu'il est de ma famille, c'est-à-dire
19:33que c'est un vague cousin, ça c'est la notion de race telle qu'elle est jusqu'au
19:37milieu du XVIIIe siècle, et elle est transformée à partir de ce milieu du XVIIIe siècle.
19:41Mais vous nous dites « il n'y a pas de races blanches », ça rejoint un peu l'idée
19:44qu'il n'y a pas non plus de submersion, alors pourquoi tout ça ressort, pourquoi
19:48tout ça revient dans le débat politique comme ça alors qu'il n'y a aucun fondement
19:51scientifique ? Là vous montrez que par exemple il peut y avoir 45 subdivisions de différentes
19:56races avec des branches, etc, que ça n'a pas de fondement en fait.
19:59Vous avez tout à fait raison, oui mais alors c'est une autre question, moi ce à quoi
20:03je m'intéresse, je ne dirais pas c'est la réalité, mais je m'intéresse aux faits,
20:08parce que les faits, quelquefois on dit « ils sont têtus », ou « ils sont incontournables »,
20:12alors on peut dire « il y a d'autres faits, on va vous les montrer », en revanche ceux
20:15dont vous me parlez, c'est du ressenti, et là, je veux dire, il faut faire appel
20:20aux psychologues, aux psychiatres, c'est un tout autre domaine que le mien parce que…
20:24Et aux linguistes, et aux démographes, puisque vous parlez des mots et des choses, et en
20:28l'occurrence du national, de l'ethnique, du racial, quand on dit « noir et blanc »,
20:32quand on dit « turc-afghan », quand on dit « arabe », « tamoul », c'est une
20:37manière aussi de se représenter le monde, et de représenter l'autre.
20:41Je conseille vraiment la lecture de ce livre « Il n'y a pas de race blanche » que
20:45vous publiez chez Grasset, il alimente le débat public, et il intervient, il l'est
20:50publié, à un moment où cette question est cruciale, et où il est peut-être temps
20:53d'avoir une discussion apaisée, et peut-être efficace, sur la question de l'immigration.
20:58Merci infiniment d'avoir été l'invité d'Inter, Hervé Le Bras.
21:01Merci à vous, merci beaucoup, parce que c'était très important.

Recommandations