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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 30 janvier 2025 : l’écrivain Olivier Norek. Il publie l'adaptation de son livre, "Impact", en roman graphique, aux éditions Michel Lafon, illustré par Frédéric Pontarolo.

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Transcription
00:00Bonjour Olivier Norek, vous êtes un écrivain et scénariste assez atypique,
00:03engagé dans l'humanitaire pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
00:07Vous êtes aussi un ancien capitaine de police judiciaire à la section Enquête et Recherche du 93,
00:12donc de la Seine-Saint-Denis, fonction que vous avez occupée pendant 18 ans,
00:15avant de rendre vos insignes et de signer l'écriture de romans.
00:19Vos romans, justement, sont principalement policiers
00:21et avec systématiquement des messages sociaux et engagés.
00:25Vous n'hésitez pas à pointer du doigt ce qui vous affecte.
00:27Je pense au sort des migrants, au désastre du tourisme.
00:30Avec votre ouvrage Les guerriers de l'hiver,
00:32vous avez remporté le prix Jean Giono 2024 et le prix Renaudot des lycéens.
00:36Je crois que tout est dit.
00:37L'histoire d'un tireur d'élite finlandais pendant la Seconde Guerre mondiale.
00:40On aurait pu croire que ça n'allait pas fasciner les lycéens.
00:43Et bien au contraire, ça les a complètement attirés et absorbés.
00:46Aujourd'hui, vous publiez Impact chez Michel Laffont, illustré par Fred Pontarolo.
00:51C'est l'histoire de Virgile, un ancien soldat des forces spéciales
00:54qui perd sa fille dès sa naissance d'une maladie respiratoire liée à la pollution.
00:58Il va évidemment décider de se venger.
01:01Il va créer un groupe écoterroriste Green War.
01:05Deux personnes vont tenter de le raisonner.
01:07Finalement, on va en finir par l'accompagner dans tout ça.
01:10C'est Diane et Nathan, l'un est flic, l'autre est psychologue.
01:13Et le lecteur est invité à réagir, à s'engager.
01:15Est-ce que c'est un manifeste écologiste radical, Olivier ?
01:20Alors, il est radical dans le sens où je mets en place le premier terroriste écologiste
01:24qui va décider d'utiliser la violence.
01:28Pourquoi je l'invente ? Je l'invente parce qu'il me fait peur.
01:30Je l'invente parce que je pense qu'il va arriver.
01:32En fait, c'est la création d'un monstre avant qu'il ne surgisse.
01:35C'est presque, c'est plus un avertissement.
01:39C'est cette nécessité que j'ai ressenti quand j'ai compris qu'il y avait
01:44ce concept de débattre avec les mots et se battre avec les points.
01:48Quand la parole n'est plus écoutée, quand la voix est muselée,
01:54alors il reste assez peu de choses, il reste les points.
01:57Le MIT, en 1972, nous alerte déjà sur la finitude des énergies fossiles,
02:03mais on ne l'a pas écoutée.
02:04Les accords de Paris de 2015 nous invitent à ne pas dépasser de 1,5 degré
02:08la chaleur sur la planète et on l'a dépassé l'année dernière en février.
02:11Même Jules Verne, dans l'île mystérieuse, nous invite à faire attention
02:14un petit peu à l'hydrogène parce que les énergies fossiles ne seront pas éternelles.
02:19Donc, qu'est-ce que c'est à avoir ce sentiment de crier dans le vide
02:24depuis si longtemps ?
02:25Et puis, je comprends aussi qu'on ne veuille pas nous écouter.
02:28Enfin, je veux dire, c'est plombant l'écologie, c'est menaçant l'écologie.
02:32Et puis, aujourd'hui, on parle de Gaza, on parle de l'Ukraine,
02:36on parle de tous ces métiers si importants qui ne sont pas regardés,
02:39qui sont ceux qui nous nourrissent, ceux qui nous soignent,
02:41ceux qui nous protègent, ceux qui nous enseignent.
02:43En fin de compte, on a la main posée sur une plaque chauffante
02:46et on est en train de se brûler la main.
02:47Et évidemment, on en oublie que la maison est en train de prendre feu
02:50parce que la chose la plus importante, c'est de déjà gérer le problème
02:53qui nous fait souffrir immédiatement.
02:55Mais il n'y a pas d'immédiateté dans le combat écologique.
02:57Le combat est l'écologie qui prend du temps.
02:59L'humanité, c'est un super tankeur.
03:01C'est ce genre de bateaux qui mettent des kilomètres et des kilomètres
03:04et des kilomètres avant de pouvoir faire demi-tour,
03:06même si l'ordre en a été donné des kilomètres avant.
03:09L'humanité prend énormément de temps pour changer.
03:11Donc, c'est aujourd'hui qu'on protège demain.
03:13Mais plus on prend de temps pour ne pas protéger demain,
03:16plus l'addition est salée et plus l'addition sera de toute façon à payer
03:19dans quelques années.
03:20Il n'y a pas qu'il y a des moments forts, Clé.
03:22Dès les premières pages, d'ailleurs, vous décrivez le quotidien
03:24des peuples trimbalés à droite, à gauche et laissés pour compte,
03:28tout simplement, dans cette jungle gigantesque de la pauvreté.
03:31Parce que c'est de ça qu'il s'agit.
03:33L'un des personnages est la conscience, celle de Virgile notamment.
03:37Vous écrivez, il les regarda sans vraiment les regarder.
03:39Il ne fallait pas que les images aillent de ses yeux à son cerveau
03:42et de son cerveau à son âme. Tout est dit.
03:44Oui, c'est le concept que les journalistes connaissent bien.
03:48C'est la peine au kilomètre et les morts au kilomètre.
03:50C'est à dire que si ça se passe loin, alors c'est moins grave.
03:55La mort de trois petits enfants français dans un accident de manège
03:59à la fête à Neneu sera toujours plus importante
04:02que les 6000 enfants d'Afrique subsaharienne
04:05qui meurent tous les jours de faim ou de soif.
04:08Ce concept de peine au kilomètre, c'est un peu comme si je vous proposais
04:12dès demain, et ce serait esthétiquement assez dégueulasse,
04:14d'avoir nos poumons à l'extérieur.
04:16Il n'y aurait plus de fumeurs parce qu'à chaque latte tirée,
04:19à chaque bouffée de nicotine tirée, on verrait nos poumons se contracter.
04:23On aurait une vision sur l'immédiateté de la conséquence de nos actes.
04:27Mais nos actes, leurs conséquences, elles se passent ailleurs.
04:31Aujourd'hui, par exemple, dans le delta du Niger, on en est à la 4000ème marée noire.
04:35Il y a des endroits en Afrique qui sont tout simplement impropres à la vie,
04:38qu'elles soient végétales, animales ou même humaines.
04:41Il y a des centaines de morts, d'ailleurs.
04:44Des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, malheureusement.
04:47Effectivement, par jour, on en est à 10 millions de morts par an
04:52dues à la pollution. C'est un décès sur six.
04:54Alors, je m'étais promis en venant vous voir de ne pas essayer d'être menaçant,
04:57catastrophiste, mais c'est vrai que c'est terrible parce que l'écologie
05:02n'est pas un sujet. L'écologie, c'est le sujet qui doit infuser
05:06toutes les nouvelles lois, tous nos nouveaux actes.
05:09Et on aurait presque tendance à penser qu'en fait, tout ça s'est réglé depuis longtemps.
05:13Parce que si c'était si important en 2015, est-ce que vous avez remarqué
05:16que ça fait quasiment trois ans qu'on n'a pas prononcé le mot écologie ?
05:19Alors, j'ai bien vu, comme tout le monde, qu'on est dans une sorte de
05:23mascarade et de manège à sensation
05:27au niveau de cet ancien politique et que rien ne semble avancer
05:30ou tout semble se perdre un peu. Je sais que ce n'est pas le bon moment,
05:33mais pourtant, il va falloir que tout ça infuse la politique, infuse nos actes.
05:38Et pourtant, ça fait déjà des années qu'on ne parle plus, qu'on ne prononce
05:41même plus le mot d'écologie.
05:42Il y a un moteur, c'est le son qui coule dans vos veines quand même.
05:48On va en parler, Olivier Norek, puisque vous êtes le petit fils d'Hubert Norek,
05:51un migrant siletien devenu citoyen français, sous-officier
05:55de la Légion étrangère naturalisée français en 1935.
05:58Cette histoire féminine, elle fait partie de vous, justement ?
06:00Absolument. Elle parle du courage
06:07d'un homme et de tous ces hommes et de ces femmes qui, un jour,
06:10ont quitté leur pays pour un meilleur.
06:13Mon grand-père, c'est quelqu'un qui compte énormément pour moi
06:17parce qu'il a eu toujours des métiers de la terre,
06:21des métiers compliqués.
06:23Et son premier fils a été professeur au MIT.
06:26Son second est devenu énarque.
06:27Il y a eu comme ça, cet ascenseur social.
06:29Il y a eu comme ça, à un moment donné, une France qui ouvrait les bras,
06:32qui acceptait et qui permettait qu'on puisse grandir en son sein.
06:37C'est la question que je me suis posée en écrivant entre deux mondes,
06:39dans la jungle de Calais, où on en est, où on en est de cet accueil.
06:43France, terre d'asile, malheureusement à capacité limitée.
06:47Et c'est ça qui est compliqué.
06:48La différence entre la générosité ou l'ouverture que l'on doit avoir
06:52vers les gens qui ont peu ou qui n'ont rien.
06:55Et puis aussi, cette chose assez égoïste, mais nécessaire de protection
07:00de soi-même et de protection de son pays.
07:01Tout ça se percute, tout ça s'entrechoque et tout ça nécessite
07:04beaucoup de réflexion.
07:06Et la réflexion, elle prend du temps.
07:08Et aujourd'hui, le temps, c'est ce qu'on n'a pas.
07:10La réflexion se fait sur des punchlines, se fait sur des grands titres.
07:14On n'a presque plus le temps de retourner la pièce,
07:16puisqu'à chaque pièce, il y a un recto, un verso.
07:18Il faut être notre propre journaliste.
07:20Quand on nous dit quelque chose, il faut le prendre et puis essayer
07:23d'avoir d'autres sources, d'autres informations.
07:25Mais tout ça prend du temps.
07:26Et donc, c'est aussi à ça que j'invite.
07:28J'invite à prendre le temps d'être son propre journaliste,
07:31à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qu'on nous dit,
07:33puisqu'on nous dit beaucoup, beaucoup de choses.
07:36C'est étonnant, d'ailleurs, parce que vous avez vraiment choisi une autre voie.
07:38Au début, c'était une association en tant que bénévole,
07:41médecin sans frontières, pharmacien sans frontières.
07:45Vous avez connu l'ex-Yougoslavie, la Guyane aussi.
07:49Vraiment, il y a eu tout un travail.
07:52Vous avez commencé en tant que gardien de la paix.
07:55Ensuite, vous avez obtenu le grade de capitaine quand même à la PJ,
08:00aux enquêtes et recherches.
08:01C'est étonnant, d'ailleurs, d'en être passé par là.
08:04Est-ce que c'était aussi pour être confronté au vrai monde ?
08:08Cette espèce de chemin initiatique ?
08:12C'est surtout le chemin initiatique de quelqu'un qui ne s'aime pas beaucoup
08:16et qui a très, très vite compris qu'il trouverait sa place dans la société
08:19ou une justification, ne serait-ce que d'exister dans le regard de l'autre.
08:23J'ai besoin de l'autre pour exister.
08:26Donc, quand j'ai fait l'émission Manitaire,
08:28c'était pour me trouver une place.
08:30En fait, je ne sépare jamais un acte de générosité
08:33de l'égoïsme qu'il génère.
08:37Si je suis allé en ex-yougoslavie pour apporter des médicaments
08:40et du matériel médical aux abords des zones de front et dans les camps de réfugiés,
08:44ce n'était pas pour sauver l'ex-yougoslavie.
08:45En tout cas, je ne pense pas que je l'ai fait.
08:47C'était essentiellement, je le pense en fin de compte, pour me trouver moi.
08:50Puis après, je suis devenu flic, gardien de la paix, lieutenant, capitaine.
08:53Là aussi, pour que chaque journée soit différente
08:55et pour que chaque journée soit dirigée vers l'autre.
08:56Qu'est-ce qu'aujourd'hui, je peux faire pour l'autre ?
08:58Parce que c'est dans le regard de l'autre que je vais trouver une justification.
09:01Bon, si à la fin, le résultat, il est que j'ai pu aider de temps en temps,
09:05alors on oubliera mon égoïsme.
09:07Mais je pense qu'il faudrait être bien prétentieux
09:11pour dire qu'on a une sorte d'altruisme totalement pur.
09:15Non, je pense que quand on donne de l'argent à quelqu'un,
09:17c'est pour se trouver formidablement généreux.
09:19Mais oui, en tout cas, l'autre a été le moteur d'absolument toute ma vie.
09:24Et c'est pour ça, comme vous le disiez tout à l'heure,
09:26que je n'écris pas de simples romans policiers.
09:28À chaque fois, il y a un sujet méta, un sujet social,
09:30un sujet qui peut nous faire avancer, un sujet qui alerte et qui propose
09:33de prendre du temps pour s'attarder sur un sujet ou un autre qui, moi, me heurte
09:36ou que je pense qu'on peut modifier et améliorer.
09:40Olivier Norel, pour terminer, l'écriture, ça vous procure quoi, alors ?
09:45L'écriture, ça me provoque une responsabilité d'un recommencement.
09:50Je n'écris jamais le même livre.
09:52Donc, une fois qu'un bouquin est terminé, on pourrait penser que...
09:55Je pourrais penser que je vais m'accorder un petit peu, m'octroyer un petit peu de repos.
09:59Et en fait, non, il faut absolument que je trouve une nouvelle histoire à raconter.
10:02Pourquoi il faut que je trouve absolument une nouvelle histoire à raconter ?
10:04Parce qu'il faut que j'intéresse. Pourquoi je veux intéresser ?
10:06C'est parce que je veux être intéressant dans le regard de l'autre et donc exister.
10:09C'est-à-dire que j'ai réussi à pousser ma névrose au maximum.
10:12Avant, le regard de l'autre était essentiel.
10:16Maintenant, si je n'ai pas l'autre, je n'ai pas de lecteur, je n'ai pas de lectrice,
10:19donc je ne suis rien. Donc, voilà, j'ai réussi à pousser à l'extrême cette
10:22névrose et c'est cette névrose qui me fait faire des choses.
10:25Alors, peut-être que je suis un des seuls à chérir ses propres névroses.

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