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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 6 octobre 2023 : l’écrivain, Bernard Werber. Il publie : "Le temps des chimères", aux éditions Albin Michel.

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Transcription
00:00 Bonjour Bernard Werber. - Bonjour.
00:01 - Vous êtes le seul écrivain français qui a eu recours à une loupe en plus de votre stylo pour nous livrer ses premiers romans.
00:06 Il faut dire qu'il fallait bien ça pour que vous nous racontiez par trois fois l'histoire des fourmis.
00:10 Ces parutions sont arrivées dans nos librairies après de nombreux refus.
00:13 Et c'est tant mieux, car elles ont envahi nos bibliothèques quasiment instantanément.
00:17 Oui, on suivit les Thanatonautes, c'est sa suite, l'Empire des anges, mais aussi une trilogie consacrée à Sa Majesté,
00:23 le chat et sa planète et un clin d'oeil admiratif aux abeilles et à leurs prophéties.
00:27 Vous publiez là Le temps des chimères aux éditions Albain Michel.
00:30 C'est un roman d'aventure dans lequel vous nous chahutez, vous nous bousculez et vous prenez beaucoup de plaisir à le faire.
00:37 Nous sommes au lendemain de la Troisième Guerre mondiale.
00:39 Un projet fou appelé Métamorphosis, développé par Alice, un jeune prof de biologie évolutive,
00:44 a pour ambition de créer des nouvelles espèces hybrides, des chimères mi-hommes, mi-animals.
00:49 Donc on a trois espèces répertoriées.
00:51 Les humains volants, mi-hommes, mi-chauve-souris.
00:53 Les humains creusants, mi-hommes, mi-taupes.
00:55 Les humains nageants, mi-hommes, mi-dauphins.
00:57 Ce roman mélange espoir et désespoir, passion et désamour, alliance et conflit.
01:02 Il met en lumière la capacité d'adaptation des hommes dans un monde en perpétuelle évolution
01:07 et parfois contre nature, avec un vrai focus sur les avancées de la science qui vont parfois contre nature.
01:13 Comment il est né ce roman d'aventure, Bernard Werber ?
01:16 Je crois que c'est à force d'écouter les actualités qui annonçaient qu'il y a des tremblements de terre,
01:20 qu'il y a des tempêtes, qu'il y a des inondations.
01:23 Je me suis dit, on va devoir s'adapter à ça.
01:25 Et la meilleure manière de s'adapter, c'est comme les animaux, avec des nageoires,
01:29 c'est sûr qu'on gère mieux les inondations.
01:31 Au commencement, il y a la graine, inévitablement.
01:34 C'est comme ça que vous démarrez d'ailleurs cet ouvrage.
01:35 Je vais essayer de ne pas se polier ce qu'il y a à l'intérieur.
01:38 La graine initiale, qui est donc à l'origine de ce projet Métamorphosis,
01:42 a été créée puis semée par une biologiste d'à peine 30 ans, spécialisée en épigénétique,
01:48 avec des travaux sur l'évolution du vivant et les mutations de l'ADN.
01:51 Selon vous, la science ne joue-t-elle pas trop souvent avec le feu ?
01:56 C'est la fameuse phrase d'Horat-Bley, "science en conscience n'est que ruine de l'âme".
02:00 Je crois que derrière cette phrase, il y a pratiquement déjà une énorme source de mon travail.
02:04 C'est à quel moment on doit dire stop ?
02:07 À quel moment on doit dire on peut aller plus loin ?
02:10 Et à quel moment la science va nous sauver ?
02:12 Et je crois qu'il y a la meilleure manière de réparer les dégâts de la science,
02:17 c'est encore plus de science, mais de la science avec de la conscience.
02:21 C'est marrant que dans le mot conscience, il y a déjà le mot science.
02:24 On se rend compte que la fiction rejoint quand même terriblement la réalité, Bernard Werber.
02:28 C'est aussi votre façon d'écrire, ça ?
02:30 Oui, j'essaie de faire de la science-fiction qui va se passer réellement.
02:34 C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'extraterrestres, il n'y a pas de gens qui traversent les murs.
02:39 Il y a juste l'intelligence artificielle telle qu'on voit qu'elle évolue,
02:44 la biologie avec les manipulations génétiques telles qu'on voit qu'on évolue.
02:49 En fait, ce qui m'amuse, c'est, je vais dire, de l'anticipation ou de la perspective,
02:54 mais dans les cinq ans.
02:56 Ce qui se passe dans le roman "Le temps d'Échimère" est censé se passer dans cinq ans.
03:00 Dans cinq ans, d'ailleurs, c'est ce que vous expliquez quand on ouvre cet ouvrage.
03:02 Vous nous expliquez qu'il y a cinq ans d'écart entre le moment où on lit et le moment où ça se passe.
03:07 Et puis, il y a toujours l'immortalité qui est au centre de tout,
03:09 finalement, avec cette question existentielle qui ne cesse de nous chahuter aussi.
03:15 C'est aussi en ça que ce roman interpelle.
03:18 C'est votre capacité à nous confronter à nous-mêmes et à la vraie question de la vie.
03:23 Est-ce que les recherches ne servent pas à ça, c'est-à-dire d'abord à tenter d'aller chercher une forme d'immortalité ?
03:31 Oui, déjà, si on regarde au Moyen Âge, l'expérience de vie était de 40 ans.
03:37 Actuellement, elle est de 80 ans.
03:40 On peut imaginer qu'on passe à 120 ans d'ici quelques années.
03:45 C'est ce que vous et moi, Elodie, nous vivions 120 ans.
03:48 Et je trouve ça complètement fou parce que déjà, on va avoir une expérience beaucoup plus forte.
03:53 On a un recul et l'immortalité, en fait, ça semblait comme l'intelligence artificielle et comme les mutations,
04:01 quelque chose uniquement de fictionnel.
04:04 Et je pense qu'on est en train d'inventer un nouvel humain qui peut repousser très loin les limites de la mort.
04:15 Et nous vivons ça. Et je trouve ça dingue.
04:18 Ça vous fascine ou ça vous inquiète ?
04:21 Les deux notions ne sont pas incompatibles. Ça me fascine et ça m'inquiète.
04:25 Maintenant, je suis comme au cinéma.
04:28 Quand j'écoute les actualités sur France Info, forcément, et je me dis, j'écoute cette accélération des découvertes,
04:35 cette accélération des possibilités de toutes les technologies.
04:39 Je me dis, c'est la bonne époque.
04:42 C'est maintenant qu'il faut aller vivre. C'est maintenant qu'il faut voir ça.
04:45 Maintenant, c'est à nous de nous adapter.
04:46 Dans cet ouvrage, vous mettez aussi l'accent sur ce qui est au cœur, finalement, de notre quête aujourd'hui,
04:52 de prendre davantage plus soin de la Terre, de préserver les espèces qui disparaissent de jour en jour.
05:00 Est-ce qu'il y a un clin d'œil aussi par rapport à ça, au fait qu'il faut effectivement qu'on apprenne davantage à cohabiter
05:05 et qu'on n'est pas supérieur aux animaux, mais on est intrinsèquement lié aux animaux ?
05:10 Il y a cette phrase de Freud, c'est "l'homme a connu trois vexations".
05:14 Le premier, c'est Copernic qui dit que la Terre n'est pas au centre de l'univers.
05:17 La deuxième, c'est Darwin qui dit que nous sommes un animal comme les autres, égal aux autres.
05:21 Et enfin, c'est Freud lui-même qui dit que la motivation de la plupart de nos actes est la libido.
05:26 Ces trois vexations, une fois qu'on les a intégrées, on comprend qu'on doit baisser nos prétentions.
05:35 Et se mettre au niveau des autres animaux, pour ne plus les regarder comme de la matière première pour manger,
05:40 ni pour les regarder comme des esclaves, ça demande un petit effort.
05:44 Quand j'ai écrit "Les fourmis", je voulais juste dire "attendez, ces petits insectes dont vous ne savez pas comment vous en débarrasser dans votre cuisine,
05:51 ils sont peut-être une civilisation parallèle qui va nous enseigner des choses".
05:55 Et je crois que c'est le rapport qu'on doit avoir avec toutes les autres formes de vie.
05:58 C'est-à-dire que même les chats, même les chiens ne sont pas que des jouets,
06:05 ça peut être des professeurs, ça peut être des maîtres en sagesse.
06:09 Et nous pouvons, rien qu'en observant les autres formes de vie,
06:13 comprendre beaucoup de choses sur nous, voire trouver des solutions à notre bien-être.
06:18 - Quand vous écrivez, Bernard Werber, depuis le début, vous parlez des autres.
06:22 Des autres espèces en général, d'ailleurs. Jamais de vous.
06:25 - Si, dans le mémoire d'une fourmi, j'ai fait ma petite autobiographie, mais c'est un livre à part.
06:29 - C'est quand même un livre à part, mais en majorité, vous écrivez que sur les autres.
06:34 Les fourmis sont encore votre indicateur aujourd'hui, Bernard Werber,
06:38 dans tout ce que vous écrivez, dans tout ce que vous imaginez, dans votre façon de regarder le monde.
06:43 Celles qui vous ont accompagné quand vous étiez enfant.
06:45 - Je crois que ça a été une sorte de révélation.
06:49 Juste en observant une fourmi hier, je me suis dit,
06:52 il y a quelque chose à comprendre avec cette sorte de pyramide de terre.
06:57 Il y a quelque chose à comprendre pour l'ensemble de tout ce qui va m'arriver dans la suite de ma vie.
07:01 Et je crois que cette épiphanie, que j'ai transmise à travers les livres,
07:07 est une prise de conscience très importante.
07:10 C'est-à-dire que se dire que les autres formes de vie étaient des sources de sagesse,
07:18 ça demande un petit effort.
07:20 Et peut-être le succès du livre est lié à ça.
07:24 D'abord, je pense qu'il y a beaucoup de gens qui se sont retrouvés devant une fourmi hier
07:27 et qui se sont dit, il y a quelque chose à comprendre.
07:29 Et maintenant, elles m'ont porté chance.
07:31 Donc je les garde un peu comme une sorte de totem.
07:35 La fourmi, petite tête qu'on peut écraser avec le pouce,
07:38 que certains s'amusent à détruire juste pour se défouler,
07:41 c'est quelque part des philosophes,
07:46 c'est quelque part des maîtres à penser.
07:49 Il y a toujours cette forme de sagesse.
07:51 Oui, et ça nous pousse à l'humilité.
07:56 Je crois que l'animal humain a besoin de trouver sa place dans la nature.
08:02 Et cette place n'est pas forcément au-dessus des autres,
08:05 c'est juste en harmonie avec les autres.
08:09 La plupart de mes livres parlent de communiquer avec les autres formes d'intelligence
08:13 ou les autres formes de conscience.
08:15 Ça veut dire communiquer non pas d'une manière dans le style,
08:18 nous sommes les maîtres et vous êtes en dessous,
08:21 mais dans nous cherchant à nous intégrer.
08:24 Et s'intégrer à la nature, c'est redevenir sage.
08:29 Et le contraire de s'intégrer à la nature, c'est vouloir dominer la nature.
08:32 Et ce débat est dans tous mes livres, c'est "redescendons,
08:35 mettons-nous au niveau du sol, au niveau des autres espèces
08:39 et nous allons trouver un équilibre".
08:42 Je crois que beaucoup de gens qui sont en dépression, qui sont stressés,
08:46 c'est parce qu'ils ont oublié leur nature animale.
08:50 Et que moi, ce que je conseille à mes amis qui ne vont pas bien,
08:54 je leur dis "provenez-vous en forêt".
08:55 Provenez-vous en forêt, serrez un arbre,
08:58 aspirez et regardez autre chose que les voitures,
09:01 les collègues de travail, le lieu de travail, les écrans.
09:06 Et il y a quelque chose qui va se passer automatiquement,
09:09 qui n'est pas, qui n'a pas besoin d'être défini par des mots.
09:12 C'est juste une reconnection à notre essence même,
09:15 qui est "nous sommes des animaux comme les autres".
09:18 Pour vous intégrer, vous avez choisi l'écriture très vite, très tôt.
09:22 Votre première nouvelle est sortie, vous aviez huit ans.
09:26 C'était une petite puce qui s'est glissée sous un pullover
09:29 et qui découvrait le corps humain.
09:30 Exactement.
09:31 Et puis, il y a eu cette révélation en 78 où effectivement, vous avez...
09:35 Je dois juste rappeler un petit détail qui m'amuse encore.
09:38 C'est que le professeur m'avait dit "j'ai énormément ri avec votre nouvelle,
09:42 mais votre première phrase ne fonctionne pas".
09:44 Et ma première phrase, c'était "je suis une puce née d'une mère pucelle et d'un père puceau".
09:49 Et il m'a dit "un jour, vous comprendrez pourquoi elle ne fonctionne pas".
09:52 Ce qui est fou, c'est que votre maman, après avoir joué du piano,
09:55 elle vous a conseillé de jouer du piano.
09:57 C'était six ans de calvaire.
09:58 C'est comme ça que vous le décrivez.
10:00 Mais l'écriture, elle est revenue très vite au centre de votre vie.
10:03 Ça veut dire que c'est ce qui constitue l'être que vous êtes devenu ?
10:09 Je dois vous avouer que seul sur une île déserte, sans éditeur et sans lecteur,
10:14 je m'étreins à écrire parce que c'est ce qui me permet de ranger mes pensées.
10:17 C'est ce qui me permet de m'évader.
10:19 Écrivain, pour moi, à la limite, ce n'est pas le vrai métier.
10:24 Le vrai métier, c'est conteur ou auteur.
10:29 C'est fabriquer des univers imaginaires et s'amuser dedans.
10:34 En fait, je suis un rêveur qui concrétise ses rêves dans des livres.
10:39 Et après, je propose aux gens de s'amuser dans ses rêves.
10:43 L'écriture n'est qu'un moyen.
10:45 Moi, je crois que dans un livre, il y a 50 % de l'auteur et 50 % du lecteur.
10:50 Le lecteur fabrique les images.
10:52 C'est lui le réalisateur du film.
10:53 C'est lui qui va décider des couleurs, du casting, du rythme en tournant les pages.
10:59 Et c'est en ça que le livre est pour moi l'art le plus puissant.
11:03 C'est celui qui force le lecteur à devenir lui-même créatif.
11:08 Vous venez de recevoir par Claude Lelouch la médaille des Arts et des Lettres.
11:11 Vous êtes même officier maintenant.
11:13 Ça y est, c'est fait.
11:14 Vous avez vendu plus de 30 millions de livres.
11:16 Oui, grosso modo.
11:17 Je crois.
11:18 Oui, c'est ça.
11:19 Vous êtes l'un des auteurs français les plus vendus au monde, traduit dans presque
11:24 30 langues.
11:25 Je crois que c'est 27.
11:26 Comment vous vivez ce parcours ?
11:28 Quel regard, en tout cas, le petit garçon que vous étiez, qui rêvait devant ses fourmis,
11:34 qui s'est nourri de ses fourmis, qui rêvait d'utiliser sa plume, son imagination, son
11:41 pouvoir d'observation aussi ?
11:43 Quel regard il a, ce petit garçon, aujourd'hui sur l'homme que vous êtes devenu ?
11:47 D'abord, ma vie est beaucoup mieux que ce que j'espérais.
11:49 Deux, je suis conscient de à qui je dois ça.
11:52 Je dois ça à mon éditeur qui a eu l'audace de sortir un bouquin sur un sujet aussi intéressant
11:58 que les fourmis et d'y croire.
11:59 Et puis, je dois ça à mes lecteurs.
12:01 Mon principal talent, c'est la curiosité.
12:02 Et ce que j'essaie de réveiller chez les autres, c'est leur curiosité, de se dire
12:08 "OK, je n'ai pas vu ce genre de sujet traité d'habitude, que ce soit les fourmis, que ce
12:13 soit les tentes à tenotes, mais allons voir".
12:16 Et tant qu'on est curieux, on reste jeune.
12:18 Dès le moment où on a l'impression qu'on sait des choses, on est foutu, on est devenu
12:23 un retraité.
12:24 C'est pour ça que ce monde m'intéresse.
12:26 C'est pour ça que j'essaie à chaque fois, à chaque livre, d'apprendre des choses.
12:29 Et j'espère réveiller chez mes lecteurs leur jeunesse, leur curiosité et leur capacité
12:34 d'émerveillement.
12:35 Merci beaucoup Bernard Werber.
12:36 Merci de m'avoir invité.
12:37 Merci de me voir Melody sur France Info.
12:38 Ça s'appelle "Le temps déchirère" et ça vient de sortir aux éditions Albin Michel.

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