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À la veille de la table ronde "Soutenir la culture en temps de crise : un enjeu vital" du FIPADOC, Hervé Rony, directeur général de la Scam, a échangé avec la sénatrice Sylvie Robert, sur les enjeux cruciaux des soutiens publics à la culture.

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00:00Alors, chère Sylvie Robert, je suis heureux de vous accueillir dans le cadre du FIPADOC,
00:09donc comme vous ne pouviez pas venir à Biarritz, on s'est proposé de faire ce petit entretien
00:17qui s'insère dans notre débat.
00:19Vous êtes sénatrice socialiste de l'île Évilène, vous connaissez bien la Bretagne,
00:24vous avez été au Conseil Régional de Bretagne et on va parler plus particulièrement de
00:28les politiques culturelles en région.
00:30Alors, trois questions, trois thématiques en fait, mais la première, vous savez que
00:35beaucoup d'exécutifs régionaux ont pris, dans certains cas, des mesures de baisse des
00:42aides à la culture, aux médias, tout le spectacle vivant, évidemment en s'agissant
00:47aussi de l'ASCAM et du FIPADOC, on parlera davantage du documentaire.
00:50Alors, il y en a qui sont allés très loin, si j'ose dire, puisqu'en Quaissel-Morancé,
00:56en Pays de la Loire, est allé jusqu'à proposer et faire voter, d'ailleurs, par le Conseil
01:01Régional, une baisse d'environ 60%, pas que pour la culture, au titre, au fond, l'a-t-elle
01:06dit comme ça, non même pas d'une réorganisation de sa politique culturelle, mais tout simplement
01:10au titre de la réduction des déficits publics.
01:12Mais, on le remarquera, elle est allée au-delà de ce qui lui avait été, entre guillemets,
01:16préconisé.
01:17Il y a d'autres régions, les Hauts-de-France, l'Aquitaine, qui ont fait baisser un peu
01:22leur budget, mais dans des positions raisonnables, il y a des régions, celles que vous connaissez
01:25bien, la Bretagne, qui préservent les acquis, la Normandie aussi, une situation assez hétérogène.
01:31Mais, comment est-ce que vous voyez cette situation ? Est-ce que vous pensez que, finalement,
01:35il y a le cas, entre guillemets, de Christelle-Morancé, ou est-ce que vous percevez vous-même que,
01:40financièrement, on ne pourra pas continuer à faire ce qu'on a toujours fait aujourd'hui
01:45et que, oui, effectivement, il y a une problématique de finances publiques et qu'il faut quand
01:49même en tenir compte.
01:50Quelle est votre analyse de ce point de vue-là ?
01:53Merci, d'abord, de m'avoir permis d'avoir cet échange avec vous, cher Hervé.
01:59D'abord, il y a une problématique, oui, de déficit public, on le sait, le contexte
02:04budgétaire de notre pays est préoccupant.
02:06Mais, moi, je voudrais revenir sur ce que vous avez dit en affirmant, très simplement,
02:12qu'il y a quelques années, et j'étais de celle-là, j'ai défendu la compétence
02:17partagée pour la culture.
02:19En fait, c'était assez unanime dans le débat public parce qu'on se disait que l'État,
02:26les collectivités territoriales, autour de la table, s'entendaient dans une forme de
02:32consensus en se disant que la culture, ce n'est pas une dépense, c'est un investissement,
02:38c'est un enrichissement, ça participe à la fois, il y a eu un petit moment, une petite
02:45inflexion, d'ailleurs, ça participe à la tractivité de nos territoires, mais c'est
02:48quand même aussi le lien qui lie les populations entre elles, voyez bien ce que je veux dire,
02:54c'est-à-dire qu'on était plutôt heureux d'être ensemble, alors parfois, l'État
03:00baissait un peu, telle collectivité avait des difficultés, mais globalement, ce consensus
03:07existait.
03:08On ne touchait pas à la culture parce que c'était presque un bien commun, collectif.
03:13Aujourd'hui, on est rentré dans une autre période et c'est ça qui est effrayant et
03:18préoccupant et on peut se dire que finalement, la situation de la région des Pays de Loire
03:25et le positionnement politique de la présidente est assez éclairant, non seulement elle baisse
03:34de façon brutale, mais elle a des propos qui, à mon époque, lorsque j'étais effectivement
03:44vice-présidente à la culture de la région Bretagne, n'étaient même pas possibles,
03:51ce n'était pas envisageable.
03:52Des gens shootés à la subvention, des assistés, ce sont des propos très durs, c'est-à-dire
04:01que dans le contexte budgétaire de notre pays, certes, la compétence partagée impliquait
04:08des choix politiques, c'était ça, chaque collectivité, on le voit bien, finalement
04:14faisait son budget pour la culture en l'augmentant plus ou moins, en tout cas, c'était un choix
04:19politique.
04:20Là, non seulement, c'est devenu un choix politique, on le voit, mais je pense que c'est
04:27un choix idéologique, on est dans la bataille des esprits, j'appelle ça comme ça, c'est-à-dire
04:31qu'on est dans une bataille culturelle qui, aujourd'hui, se fonde sur l'idée que
04:37la culture, c'est dangereux, que ça n'est plus un enrichissement, mais c'est une dépense
04:44et que, finalement, ça peut être la variable d'ajustement de ces budgets-là.
04:47Et ça, c'est terrible, parce que, et on va parler de la liberté de création, mais
04:51derrière, il y a tout ça.
04:52Aujourd'hui, on est sur la question des moyens, c'est ce que vous me posez comme
04:55question, c'est ça, le changement d'époque.
04:59Et, en même temps, on peut se demander si ce n'est pas aussi, quand même, vous avez
05:01raison, enfin, je partage votre point de vue, c'est-à-dire, une erreur économique,
05:04parce que, d'ailleurs, je me souviens d'études qui avaient été faites intéressantes en
05:09liaison avec d'autres sociétés d'auteurs, on avait retravaillé sur l'économie, ce
05:12qu'apporte la culture, en termes d'irrigation du territoire, de tourisme, de commerce, il
05:16n'y a pas plus dynamique, enfin, il suffit d'aller voir Avignon, un festival d'Avignon,
05:22avec ou sans le festival, ce n'est pas la même ville, et partout, la Rochelle, avec
05:26les francopholis, bourges, etc., enfin, on pourrait le citer 20 fois, là, on va
05:30aller au FIPADOC, le FIPADOC a un impact positif sur Biarritz, bon, et c'est ça qui est
05:36troublant, mais vous, et je pense qu'effectivement, il y a une question, probablement, idéologique
05:41et politique, en ce moment, et alors, ça me permet d'aborder la deuxième question
05:45qui est assez, qui me trouble beaucoup, d'ailleurs, qui est celle du retour que nous avons de
05:49beaucoup de nos membres, beaucoup de nos membres, auteurs, autrices de l'ASCAM, en matière
05:53documentaire, sont membres de commissions de soutien dans les régions, dans pratiquement
05:57toutes les régions, on a des membres de l'ASCAM qui ne représentent pas l'ASCAM, qui sont
06:01à la tête personnelle, et ce qu'ils disent est troublant, dans certaines régions, il
06:04y a eu des cas en Rhône-Alpes, disons-le, il y a eu des cas en PACA, ce n'est pourtant
06:07pas les mêmes orientations nécessairement politiques, c'est plus subtil, ça dépend
06:11un peu aussi, ce n'est pas forcément, systématiquement, une question de clivage politique, il y a
06:17des craintes des élus, la tension politique est au maximum, je ne vais pas vous le dire,
06:20évidemment, il y a des tensions, la montée des extrêmes, on ne revient pas là-dessus,
06:24mais ça a un impact, et du coup, dans le documentaire, qui est effectivement très
06:28sensible, puisqu'il va traiter de sujets du réel, des sujets politiques, de sociétaux,
06:33etc., on sent, et moi ça me trouve beaucoup, qu'il y a alors des pressions subtiles,
06:38bien sûr, dans une démocratie, mais il y a des sujets qu'on ne souhaite pas soutenir,
06:44il y a des documentaristes qui se retrouvent à ne pas avoir le soutien qu'ils auraient
06:48dû avoir, ça c'est extrêmement troublant, il y a eu des cas en Rhône-Alpes, c'est très
06:53clair, bon, on est entre deux, bien sûr, ce n'est pas dit d'une façon évidente,
07:00et ça, c'est troublant, et il y a une chose qui me trouble, c'est que ce qui est possible,
07:05en tout cas, ce qui se passe en région, est impensable à Paris, on n'imagine pas des
07:09politiques intervenir auprès des commissions de soutien au CNC, enfin voilà, ou du CNM
07:14en musique, etc., c'est impensable, en région, c'est un peu différent, et moi ce qui me
07:18trouble, c'est le mode de gouvernance dans certaines régions, parce qu'on voit bien
07:23qu'il y a des élus qui directement sont associés au choix des soutiens, et là-dessus,
07:28est-ce que vous ne croyez pas aussi qu'il faudrait réfléchir à la mise en place,
07:31ça existe en Aquitaine, ça existe dans certaines régions, d'agences où les élus votent
07:35un budget culture, mais surtout n'ont rien à dire sur les choix qu'ils seraient faits,
07:41est-ce que ce n'est pas un problème aussi là qu'il faut traiter, et pas juste le traiter
07:45au cas par cas ?
07:47C'est un sujet très important, très préoccupant, et je le dis avec ces mots parce que je sens
07:57qu'il y a une tendance qui se développe dans ce sens-là, c'est ça qui m'a préoccupée,
08:05moi j'ai rendu un rapport sur le spectacle vivant, sur le champ de la création, sur
08:11la question de la liberté de création, et j'ai d'ailleurs à l'issue de mes auditions
08:20écrit dans ce rapport que la préoccupation aujourd'hui devenait un sujet tel qu'il
08:28fallait à la fois que l'on s'en préoccupe, c'est-à-dire dans les formes de gouvernance,
08:33dans un certain nombre de dispositions de sensibilisation, mais que le ministère devait
08:39aussi s'en emparer.
08:40Le ministère s'en est emparé puisqu'il a annoncé un plan pour la liberté de création
08:45dans le champ de la création, mais là où je veux rejoindre c'est qu'on doit élargir
08:49ça, parce que ce que vous dites finalement, la liberté de création elle se fonde sous
08:58deux conditions, à la fois les moyens donnés aux artistes et aux acteurs, on a parlé des
09:02moyens tout à l'heure, et aujourd'hui cette première condition elle est quand même
09:07un peu malmenée, et la deuxième c'est les conditions de la diffusion des projets, et
09:16les documentaires en sont un exemple, et quand les conditions touchent à l'ingérence du
09:24politique dans le choix, là c'est plus possible, donc il n'y a pas 36 solutions, d'abord
09:31il faut documenter, et là il faut faire remonter un certain nombre de données qui
09:37vont nous permettre de dire oui, dans un certain nombre de cas, il y a finalement un regard
09:43politique, alors que ça ne doit pas être le cas, dans le choix des projets, documentaires
09:49etc.
09:50Il faut d'abord le documenter pour convenir que c'est un vrai sujet, parce qu'on entend
09:57souvent, et moi je souhaite travailler sur des données, et ensuite de se dire, les formes
10:01de gouvernance dans les commissions du film, où les professionnels doivent être beaucoup
10:06plus nombreux que les politiques, il y a des choses comme ça, ça peut être des agences,
10:09mais on peut travailler à des commissions qui permettent à un moment que les équilibres
10:15permettent que ce ne soit pas le politique, mais qui peut avoir un regard, qui peut avoir
10:20un point de vue, moi j'ai présidé des commissions du film en région Bretagne, j'étais très
10:26intéressée par des regards aussi de mes collègues, mais attention, quand on commençait
10:31à voter, il y avait aussi l'expertise, les choses étaient claires, j'avais autour de
10:36la table beaucoup plus de professionnels que de politiques, donc il y a des formes de gouvernance
10:42qu'il faut regarder pour convenir, est-ce qu'elles sont adaptées ou pas, parce que là où je
10:46vous rejoins, le sujet est réel.
10:48Donc à partir du moment où on se dit que c'est une tendance, qu'il faut le documenter
10:54pour avoir des données, et que derrière ça va poser la question de la gouvernance,
10:59peut-être des choix des régions sur le budget, parce que plus que ça, au-delà du choix,
11:07c'est des baisses aussi de budget, à cet endroit-là, à cet endroit-là, et moi je
11:12l'ai vu dans le spectacle vivant, on voit comme par hasard dans le ZAR de la rue, où
11:17c'est l'espace public, où quand on aborde des questions qui peuvent heurter, qui peuvent
11:22vous aborder, vous voyez, d'abord il y a un principe qui est terrible de précaution,
11:25il y a une question d'auto-censure, donc c'est un climat qui s'est installé dans
11:31notre pays, qui à un moment, finalement, incite les élus à ne pas trop prendre de
11:38risques ou alors à se dire, il ne vaudrait peut-être mieux pas, mais ça c'est terrible,
11:42et voire même des directeurs de festivals, des directeurs qui eux-mêmes sont soumis
11:47à la même pression, où il y a de l'intimidation, les réseaux sociaux jouent un rôle terrible,
11:52et vous avez ce climat qui fait qu'à un moment, ce à quoi on croit, enfin ce sont
11:55des principes premiers, ce sont des valeurs fondamentales, la liberté de création qui
12:00est quand même une liberté fondamentale, elle est mise à mal dans notre pays, et ça,
12:05ça n'est plus acceptable, il faut qu'on prenne conscience globalement que c'est devenu
12:09un sujet, et que ce sujet, parce qu'il y a la polarisation des débats aujourd'hui
12:12avec la culture, on n'est presque pas une victime, mais elle est touchée par ça, on
12:18est dans le même registre.
12:19Du coup, vous avez anticipé un peu la question de conclusion qui était de vous, vous interrogez
12:25si vous avez le sentiment que c'était, mais je pense que j'ai un peu compris votre réponse
12:29déjà, que ces questions étaient à la fois économiques et démocratiques, est-ce que
12:35c'est plus un problème de finances publiques aujourd'hui que la mort d'un problème
12:41démocratique, mais vous avez envie de me dire, c'est un peu les deux, c'est indissociable
12:47en quelque sorte.
12:48Et ce qui est terrible, c'est qu'on peut prendre le prétexte du budget, et inversement,
12:55et ça, ça devient une question démocratique, c'est une question vraiment qui touche notre
12:58démocratie au son premier du terme, et ça, je crois qu'il faut qu'on réagisse collectivement
13:04là-dessus.
13:05C'est une question que je n'avais pas anticipée, mais du fait que vous avez écrit des rapports,
13:10au Sénat, vous avez la capacité de dialoguer peut-être plus aisément parfois avec, non
13:14pas vos adversaires politiques, si, vos adversaires politiques, mais dans un esprit constructif,
13:18est-ce que vous ne voyez pas que c'est le moment aussi de poser un regard du Parlement
13:24sur ce qui se passe en région, mais positivement, peut-être faire un état des lieux, est-ce
13:28qu'on n'a pas besoin à un moment donné de, nous on l'a fait à l'ASCAM, on a fait
13:32un peu un tour de France des régions, est-ce que ce n'est pas le moment, je ne sais pas,
13:36d'organiser peut-être un peu une réflexion là-dessus ? Vous me direz après, les régions
13:41sont autonomes, évidemment, je comprends très bien, je ne sais pas si c'est...
13:44Parce qu'en fait, vous dites dédocumenter, je suis d'accord avec vous, peut-être qu'il
13:47faut aller un peu plus loin que simplement, voilà, réfléchir à ce qui se passe de façon
13:52finalement anecdotique, à droite à gauche, en sachant si c'est un cas d'esprit...
13:56Mais est-ce qu'il n'y a pas besoin d'avoir une vision un peu globale qu'on n'a peut-être
14:00pas encore bien aujourd'hui ?
14:02Oui, oui, je pense, d'ailleurs, je crois que l'Association des régions de France, la Commission
14:08Culture a entamé un travail sur le sujet.
14:12Catherine Morin de Sailly, vous savez qu'elle est ma collègue au Sénat, qui est Région
14:18de France, le conduit, donc je crois que c'est vraiment extrêmement important.
14:22Mais je voudrais revenir et je voudrais terminer là-dessus.
14:25Vous m'avez dit, en région, parce qu'il y a une proximité des élus, des acteurs, ces
14:30questions-là sont des vrais sujets.
14:32À Paris, ce ne serait pas possible.
14:33Oui, j'ai l'impression, mais je me trompe peut-être, vous croyez ?
14:36Non, non, je ne connais pas Paris, moi, mais il y a une chose que je voudrais dire, c'est
14:41que, par exemple, je pense au CNC.
14:43Moi, je suis administratrice du CNC, vous savez, quand on touche au CNC, qu'on lui
14:49prend 450 millions d'euros, dont actes, et c'est aussi le CNC dans sa responsabilité
14:56a dit OK, mais qu'on rajoute 50 millions d'euros alors qu'on sait fort bien que ça
15:00va mettre le CNC dans le rouge et que c'est un opérateur qui ne fonctionne que par des
15:04taxes qui sont aussi...
15:06Moi, je regrette, je reviens à cette question d'ingérence ou de liberté, mais la question
15:11des moyens, ils s'opèrent partout et c'est à Paris.
15:15Le plus, et je terminerai là, le plus préoccupant peut-être, c'est de pouvoir entendre des
15:20discours qui seraient, moi, j'ai sauvé mon ministère de la Culture, les crédits, madame
15:25la ministre, formidable, etc.
15:26Et regardez ce qui se passe en région, c'est terrible, les villes, les élus.
15:30Pardon, on ne peut pas faire ça aujourd'hui.
15:33Et moi, j'attends que la ministre de la Culture pour aussi qu'à un moment, cette, on va dire
15:39ce fossé qui existe entre les régions et Paris sur le budget de la Culture et sur le
15:45financement ne soit pas encore grevé et qu'on ait une solidarité aussi du ministre de la
15:51Culture qui est à Paris, à l'encontre des territoires.
15:56On vous entend, nous sommes d'accord.
15:57Merci beaucoup, Sylvie Robert, merci à vous.

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