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Depuis 2001, la Nuit de la radio propose de (re)découvrir des extraits mythiques de l’histoire de la radio, issus des collections de l’INA. Une expérience unique d’écoute collective, construite cette année sur le thème "Motus et bouche cousue", un programme sonore écrit et réalisé par Anne de Giafferri.

Un événement La Scam en partenariat avec l’INA.
Transcription
00:00:00Fanny, Lucas est désespérée.
00:00:02Depuis que j'ai reçu ces clés, je ne sais plus où elles sont.
00:00:09C'est une fois cette clé là, dans l'armoire où il y a les vêtements.
00:00:20Je dois me soulever.
00:00:22Non, c'est pas là-dedans. En dessous.
00:00:25Là ?
00:00:26Il n'y a rien en dessous.
00:00:30Bon, ferme toutes ces armoires à clés.
00:00:35Et ça ?
00:00:37Il y a quoi dedans ?
00:00:38Mais attends, je te donne la clé.
00:00:43Alors attention, je te préviens.
00:00:45Tiens la clé pour que ça ne dégringole pas.
00:00:48C'est un tiroir automatique comme un escalator.
00:00:51Soutiens la clé parce que l'escalator va dégringoler.
00:00:55Ça ne dégringole pas du tout, ça ne coulisse pas.
00:00:58Oh là là, c'est la catastrophe, c'est qu'on y a chipoté.
00:01:03Enlève le vase au-dessus.
00:01:05Il faut basculer cette armoire pour que ça s'ouvre.
00:01:08Quelqu'un est entré dedans et il a renversé des objets qui ne savent plus permettre le passage.
00:01:17Fanny ?
00:01:18Oui, attends.
00:01:24Bon, tu peux venir.
00:01:27Non, tu ne vas rien pouvoir faire de plus que moi.
00:01:35Attention, parce qu'il y a tous des bijoux.
00:01:38Et des peintures.
00:01:40Très précieuses.
00:01:43Le Sylogos est là.
00:01:46Il faut que tous les objets qui barrent...
00:01:48Ah là là, j'ai bien compris.
00:01:50Mais le problème c'est que tu as rempli tellement cette armoire
00:01:55que j'ai beau la renverser pour que les objets aillent dans le fond, ça bloque quand même.
00:02:00C'est que quelqu'un a essayé d'y pénétrer.
00:02:02Parce que si c'est moi qui l'avais permis, ça ne serait pas arrivé.
00:02:14Leotline ?
00:02:16Oui.
00:02:19Leotline.
00:02:29Motus.
00:02:30Épouche.
00:02:31Cousu.
00:02:49Motus.
00:02:51Épouche.
00:02:52Cousu.
00:02:53Cousu.
00:03:02La radiodiffusion télévision française présente...
00:03:19Le médium est déconcentré.
00:03:24L'assistance est déconvulsée.
00:03:28La table soudain a rebouillé.
00:03:32L'esprit frappeur a frappé.
00:03:37On a un tas de projets.
00:03:38Vous savez, on va faire un duo de chants,
00:03:40on veut faire un récital de poésie,
00:03:42on veut faire des poils alter.
00:03:44On veut faire vraiment un tas de choses.
00:03:46C'est-à-dire qu'il aimerait durer toute une soirée de verre à reine
00:03:50en soulevant des pois pendant que je l'accompagnerais au trombone.
00:03:53C'est une question de souffle.
00:03:54C'est le souffle qui...
00:03:55Et de sous aussi, non ?
00:03:56Et de sous pour louer la salle.
00:03:57Oui, c'est ça.
00:03:58Parce que qui nous engagera pour faire ça ?
00:04:00Mais quand même, ditesz-moi quelques poètes que vous aimez
00:04:02pour que je puisse faire dire.
00:04:04Quand vous serez bien vieille au soir à la chandelle.
00:04:06C'est une chose que j'avais écrite pour Michel, c'était un moment.
00:04:09Quand vous serez bien vieille au soir à la chandelle,
00:04:11assise auprès du feu d'évidents effilants.
00:04:13Non, j'aime beaucoup Musset aussi.
00:04:15J'aime beaucoup toutes les nuits de Musset.
00:04:17Je souhaite qu'il n'en ait pas fait plus.
00:04:18Je souhaite qu'il n'ait pas fait une nuit de mars,
00:04:19qu'il n'ait pas fait une nuit de novembre.
00:04:21On dormirait tout le temps.
00:04:22Oh oui, je déplore qu'il n'y ait pas plus de nuits de Musset qui existent.
00:04:25Bon, écoutez, je vous remercie beaucoup.
00:04:28Eh bien, on va vous faire dire des nuits.
00:04:30Evidemment, pas celles de novembre ni de septembre.
00:04:33Quelques nuits de Musset.
00:04:34Ne répétez pas ce qu'on vient de vous dire
00:04:35parce que ça, c'est notre jardin ultra secret.
00:04:39Et maintenant, entrons dans un jardin secret et poétique.
00:04:42Et maintenant, je me rends compte que je suis une vieille femme.
00:04:45Vraiment une vieille femme qui approche ses 90 ans.
00:04:50Et je voudrais mourir,
00:04:52mais je sais qu'étant donné que j'ai de l'intérêt pour tout,
00:04:57j'accepte de vivre encore.
00:05:02Dis-moi alors, Babou,
00:05:04j'aimerais bien avec toi parler du jardin secret.
00:05:07De qui ?
00:05:08Du jardin secret.
00:05:10Oui, mais je ne sais pas très bien ce que c'est.
00:05:13C'est à toi de me raconter.
00:05:15Qu'est-ce que ça pourrait être pour toi, le jardin secret ?
00:05:18Je ne sais pas, des choses dont on ne parle jamais,
00:05:21des souvenirs dont je ne veux pas parler,
00:05:24même des souvenirs,
00:05:26les amours que j'ai eues,
00:05:29j'en ai eues quand même dans ma vie,
00:05:31des hommes qui m'ont aimée,
00:05:33et ça, je n'en parle pas.
00:05:35Et ça, c'est mon jardin secret.
00:05:37Et je n'en parlerai jamais.
00:05:39Non, même pas à toi,
00:05:41même si tu me poses des questions.
00:05:48Un jardin secret, c'est ça, je suppose,
00:05:50des choses dont on ne parle pas.
00:05:52Oui, mais pourquoi tu ne parles pas de ces choses-là,
00:05:54de l'amour ?
00:05:55Je ne veux pas.
00:05:56Je ne veux pas que vous sachiez
00:05:58que vous connaissiez ma vie amoureuse,
00:06:00je ne veux pas.
00:06:02Heureusement qu'il y a du secret et du désir,
00:06:04parce que c'est évidemment ça qui fait de nous des êtres de parole.
00:06:08C'est-à-dire que, tout en parlant,
00:06:10nous n'en finirons pas
00:06:12de nous expliquer notre désir de parler.
00:06:14Il y a un travail du clair-obscur aussi,
00:06:16et que c'est très important
00:06:20justement d'aborder les êtres
00:06:23qui nous entendent
00:06:26en laissant leur secret
00:06:31vivre sa vie, je dirais,
00:06:33évoluer comme il doit évoluer.
00:06:35Est-ce qu'il est très vivant, ton jardin secret ?
00:06:37Avec l'âge, oui.
00:06:39Avec l'âge, je reviens sur ma vie.
00:06:57J'avais une amie Daisy,
00:06:59ma grande amie Daisy,
00:07:01avec laquelle on parlait d'amour, etc.
00:07:04Et nous avions pour devise
00:07:06à ce moment-là,
00:07:08il faut te dire,
00:07:10il y a 60 ans en plus, 70 ans,
00:07:12oui, quand j'avais 20 ans,
00:07:1418 ans,
00:07:16nous avons dit, toutes les deux,
00:07:18abat la virginité.
00:07:20Parce qu'à ce moment-là,
00:07:22on ne couchait pas aussi vite
00:07:24qu'aujourd'hui avec les hommes.
00:07:26Aujourd'hui, je sais,
00:07:28on connaît un homme,
00:07:30mais trois jours après, on couche avec.
00:07:32Eh bien non, à ce moment-là,
00:07:34et nous, nous avons trouvé ça idiot.
00:07:36Et nous avons dit,
00:07:38abat la virginité.
00:07:40Et mon amie,
00:07:42effectivement,
00:07:44la même année, a couché avec quelqu'un
00:07:46pour la première fois
00:07:48à nous marier,
00:07:50et moi aussi avec quelqu'un.
00:07:52Alors nous avons quand même
00:07:54appliqué notre théorie,
00:07:56abat la virginité.
00:07:58Mais ça fait partie de mon jardin secret,
00:08:00je ne t'en dirai pas plus.
00:08:02Puisque c'est mon jardin secret.
00:08:16Le secret,
00:08:18c'est ce qui se met
00:08:20à sécréter ce qu'on excrète
00:08:22de soi-même.
00:08:24Et effectivement, je crois que c'est assez
00:08:26intéressant de voir
00:08:28la relation, disons,
00:08:30avec tout ce qui est,
00:08:32pour les psychanalystes, de régime anal.
00:08:34Le secret est effectivement
00:08:36cette part qu'on met
00:08:38à part de soi.
00:08:40Et on sait que les petits-enfants, ils voient
00:08:42ce qu'ils ont de plus précieux.
00:08:44Et je crois qu'il y a là
00:08:46un rapport intéressant, parce que le secret
00:08:48est toujours ambivalent
00:08:50pour tout le monde. Il me semble que
00:08:52nos propres secrets,
00:08:54on a à la fois honte d'eux,
00:08:56c'est les sales petits secrets,
00:08:58les secrets mauvais,
00:09:00comme justement les fesses.
00:09:02Mais tout va dépendre, je crois, de la nature du secret.
00:09:04Parce qu'il y a des secrets
00:09:06honteux, bien sûr.
00:09:08Il y a des secrets
00:09:10qui, de ce point de vue-là, ont un rapport
00:09:12avec ce que l'on veut cacher.
00:09:14Mais je crois qu'il y a toute une part des secrets
00:09:16qui sont de préservation,
00:09:18de protection,
00:09:20de garde.
00:09:22J'ai une copine qui, à chaque fois qu'elle a un secret,
00:09:24elle le marque sur un petit bout de papier,
00:09:26sur une plantation qu'elle a devant chez elle.
00:09:28Alors ça me fait rire toujours, parce que quand sa mère
00:09:30elle a déplanté, elle a trouvé des tonnes de petits bouts de papier,
00:09:32et puis elle lui a donné,
00:09:34elle lui a dit, c'est à toi Aline, parce qu'il y avait marqué partout
00:09:36Aline Combe, Aline Combe, Aline Combe.
00:09:38Et elle lui a dit, c'est à toi Aline.
00:09:40Et elle a fait, oui, oui, oui, maman. Et elle les a emmenées dans sa chambre.
00:09:42Et je lui ai dit, ben dis, si tu continues
00:09:44à les cacher là, parce qu'en fait la terre
00:09:46était plus bonne, donc elle a
00:09:48enlevé la terre. Et puis moi,
00:09:50le jardin secret, pas trop, parce que
00:09:52je ne suis pas...
00:09:54Je ne sais pas que je ne suis pas imaginaire,
00:09:56mais je n'imagine pas avoir un jardin
00:09:58où je rangerais mes secrets, parce que
00:10:00je ne sais pas, je n'aime pas trop les mettre dans la terre,
00:10:02ça fait comme s'ils sont morts, ou alors même autre chose,
00:10:04mais je ne sais pas, jardin secret,
00:10:06non.
00:10:08Un jour...
00:10:14Un jour...
00:10:16Un jour...
00:10:24Un jour...
00:10:26Un jour...
00:10:28Un jour...
00:10:30Un jour...
00:10:36Quand vous vous retrouvez
00:10:38seules le soir, avant de vous endormir,
00:10:40est-ce que vous allez dans votre jardin secret ?
00:10:42Moi, oui, j'y vais parfois,
00:10:44parce que comme je n'ai rien à faire à ce moment-là,
00:10:46j'y pense, et je me dis,
00:10:48tiens, si j'allais faire un petit tour,
00:10:50et donc du coup, j'y vais. Je vais me promener un peu
00:10:52autour, et je regarde
00:10:54si mes secrets sont toujours bien
00:10:56dans leur bocal, qu'ils ne se soient pas enfuis,
00:10:58et puis je relis toutes les histoires
00:11:00de mes secrets.
00:11:02Et puis parfois, il y en a un qui s'enfuit,
00:11:04donc avec mon épuisette,
00:11:06j'essaie de le ramasser, parce que
00:11:08j'ai une épuisette à secrets
00:11:10qui est... Elle est toute fermée.
00:11:12Il n'y a pas d'air, donc les secrets,
00:11:14ils sont un peu obligés de venir
00:11:16dans l'épuisette, parce qu'ils sont un peu aspirés,
00:11:18et ils n'ont pas d'air dedans.
00:11:20Donc vite, après, je les remets,
00:11:22parce que sinon, ils se renfuient,
00:11:24parce qu'ils peuvent être tout, tout,
00:11:26tout petits, et très gros.
00:11:28Donc, ils ne peuvent pas y aller, quoi.
00:11:30Parce que si j'ai une épuisette normale
00:11:32avec des petits trous dedans, et bien, ils vont passer.
00:11:34Mais là, depuis longtemps, je ne suis pas allée
00:11:36faire un tour, donc ça se trouve, ils sont tous sortis
00:11:38de leur bocal, donc je ne sais pas trop...
00:11:40Parce que dans mon jardin secret,
00:11:42il n'y a pas le temps.
00:11:44Ça n'existe pas, le temps, donc...
00:11:46Du coup, je ne peux pas savoir.
00:11:48Mais je ne mets plus mes secrets de quand j'étais petite.
00:11:50J'en ai laissé s'enfuir pas mal,
00:11:52donc je n'en ai plus beaucoup.
00:11:54Parce que sinon, je n'ai pas assez de place pour tout se mettre.
00:11:56...
00:12:16C'est une part précieuse
00:12:18à laquelle on tient beaucoup.
00:12:20Il faut bien que le secret se manifeste
00:12:22pour ne pas être quoi ?
00:12:24Être rien, être perdu.
00:12:26Vous savez, quand on dit « muet comme une tombe »,
00:12:28c'est fini.
00:12:30Il n'y a plus de traces,
00:12:32donc il faut bien
00:12:34une trace pour qu'on aille
00:12:36jusqu'au secret.
00:12:38Mais en même temps,
00:12:40un déchiffrage intégral
00:12:42ferait aussi disparaître le secret.
00:12:44Le secret est aussi ce qui fait de nous
00:12:46des individus, au sens moderne
00:12:48du terme. C'est-à-dire, je suis individu
00:12:50dans le sens où certaines choses
00:12:52ne sont pas livrées aux autres.
00:12:54On sait bien que tous les régimes totalitaires
00:12:56essayent de confisquer
00:12:58les secrets,
00:13:00ou qu'il n'y ait plus de secrets.
00:13:02Il me semble qu'il y a un rôle positif
00:13:04très important du secret
00:13:06comme constitutif
00:13:08d'un espace psychique.
00:13:10Au moins, dans moi, j'ai quelque chose.
00:13:12Je ne suis pas une fille
00:13:14qui n'a rien, qui est nulle.
00:13:16Parce que, parfois,
00:13:18il n'y a pas de sentiments
00:13:20à l'intérieur de moi,
00:13:22donc je me dis « si, j'en ai ! »
00:13:24dans mon jardin secret.
00:13:26Comme ça, je vais les voir.
00:13:28Et ça me rassure,
00:13:30parce que je ne sais pas
00:13:32si j'en ai.
00:13:34Je ne sais pas si j'en ai.
00:13:36Je ne sais pas si j'en ai.
00:13:38Et ça me rassure,
00:13:40parce que je me dis
00:13:42que je suis encore quelqu'un.
00:13:44Je ne suis plus vide, je ne suis plus un squelette.
00:13:46J'espère que même quand je serai squelette,
00:13:48j'aurai toujours mon jardin secret.
00:13:50Comme ça, si mon petit-fils,
00:13:52par exemple,
00:13:54il veut aller chercher mes secrets,
00:13:56il aura le droit.
00:13:58Et comme ça,
00:14:00toute ma famille aura mes secrets.
00:14:02Je la lègue.
00:14:08Le jardin
00:14:28Tous les jardins, pour moi, sont secrets.
00:14:30J'entends les jardins.
00:14:32Ils sont sujets du mot « jardin ».
00:14:34Les jardins, les endroits où il y a des fleurs et des arbres dedans.
00:14:36Ils sont tous secrets.
00:14:38Surtout les jardins publics,
00:14:40qui sont pleins de secrets,
00:14:42de ces vies juxtaposées,
00:14:44qui regardent les fleurs,
00:14:46merveilleuses, les perspectives
00:14:48que l'État a offertes à leur solitude.
00:14:50Mais toutes ces solitudes juxtaposées,
00:14:52énigmatiques,
00:14:54font du jardin public
00:14:56un jardin secret.
00:14:58C'est pour ça que j'aime les grands jardins publics.
00:15:00C'est aussi ce que les poètes avaient compris.
00:15:02Baudelaire, Rilke.
00:15:04Rilke parlait de Luxembourg.
00:15:06Luxembourg, pour moi, c'est un jardin secret.
00:15:08Voir toutes ces solitudes juxtaposées,
00:15:10ça fait une énigme, mais vraiment poignante.
00:15:12Rilke disait
00:15:14qu'il y avait dans Luxembourg
00:15:16un vendeur de journaux aveugle
00:15:18et qu'un jour, il avait un manteau neuf
00:15:20et que personne ne le voyait, ce manteau neuf.
00:15:22Il parlait aussi des petits vieux
00:15:24qui donnaient à manger aux oiseaux
00:15:26en mâchant longtemps la mie de pain avec leur salive
00:15:28et que les oiseaux s'envolaient en se foutant
00:15:30le père du menthe
00:15:32avec cette espèce de don
00:15:34plein de salive.
00:15:36Si on quitte les jardins publics,
00:15:38les jardins que j'aime, par exemple, à la campagne,
00:15:40ce sont les jardins des petites vieilles
00:15:42parce qu'on sait que c'est forcément
00:15:44une petite vieille qui a travaillé pour faire ça.
00:15:50Là, au milieu, c'est le jardin
00:15:52à proprement parler, qui est tout petit,
00:15:54qui est un cloître.
00:15:58C'est pas un miracle, vous avez les portes ouvertes.
00:16:00Oui, ils sont souvent fermés.
00:16:10Comme beaucoup de filles, et peut-être de garçons,
00:16:12mais en tout cas, je connais beaucoup de filles qui vont comme moi,
00:16:14j'ai un journal secret,
00:16:16comme ça, avec des babioles dedans,
00:16:18des secrets que j'ai eus étant plus petite
00:16:20et comme ça, quand je m'en rappelle,
00:16:22ça me fait sourire, des amours que j'ai eues en colo
00:16:24ou même ailleurs.
00:16:26Et voilà, des secrets,
00:16:28des secrets très importants,
00:16:30des secrets qui me touchent, des choses qui me touchent
00:16:32et je les mets dedans.
00:16:34C'est un peu quelque chose pour les garder,
00:16:36pour pas les oublier,
00:16:38parce qu'un secret, j'ai un peu peur,
00:16:40bon, peut-être pas de l'oublier,
00:16:42mais de le garder pour moi
00:16:44et de jamais le revoir,
00:16:46de jamais le retrouver en moi.
00:16:58Si je devais chercher
00:17:00une incarnation
00:17:02de ce jardin secret,
00:17:04sans jardin, sans fleurs,
00:17:06je dirais sûrement que c'est
00:17:08le lieu où j'habite,
00:17:10c'est ma maison.
00:17:14C'est ça, pour moi,
00:17:16l'incarnation la plus vraie
00:17:18du jardin secret,
00:17:20parce que j'y vis seule,
00:17:22parce que je ne suis pas
00:17:24une créature très sociale,
00:17:26que je ne parle jamais
00:17:28à inviter des gens
00:17:30pour qu'ils la voient.
00:17:32C'est un lieu que j'ai créé
00:17:34pour moi.
00:17:36Alors, évidemment, il m'est plus familier
00:17:38que secret,
00:17:40mais certainement,
00:17:42il protège quelque chose
00:17:44de ce que serait mon secret.
00:17:46Moi, mon jardin secret, c'est dans mon cœur,
00:17:48parce qu'il y a des secrets qui sont plus
00:17:50en rapport avec un sentiment
00:17:52et il y en a d'autres moins,
00:17:54donc il y a deux cages, pour moi,
00:17:56un cœur et puis un faux cœur,
00:17:58un qui n'est pas très secret,
00:18:00là où mon faux cœur change des choses
00:18:02pas très secrets,
00:18:04et puis mon vrai cœur, c'est celui
00:18:06avec les vrais sentiments,
00:18:08les vrais...
00:18:10comme mentir, si je mens à quelqu'un,
00:18:12je le mettrais plutôt dans mon faux cœur,
00:18:14parce que ce n'est pas très grave
00:18:16et puis ce n'est pas quelque chose
00:18:18avec un sentiment.
00:18:24Ça, c'est mon petit agenda
00:18:26que j'avais avant,
00:18:28puis aussi, j'adore les tatouages,
00:18:30j'en ai plein là, là,
00:18:32et il y a aussi des choses que j'adore,
00:18:34donc des petits colliers,
00:18:36plein de tatouages,
00:18:38ça, c'est une mèche
00:18:40de mes cheveux,
00:18:42enfin, il y a des choses auxquelles
00:18:44je vais me séparer,
00:18:46et la clé.
00:18:48La clé de ?
00:18:50De mon petit...
00:18:52de mon petit
00:18:54journal secret,
00:18:56et qui est en dessous,
00:18:58j'ai trois tiroirs secrets.
00:19:00Il y a le journal
00:19:02secret de quand j'étais toute petite,
00:19:04que j'ai fini...
00:19:06Mais en fait, t'écris depuis très longtemps un journal ?
00:19:08Ben, en fait, dès que j'étais petite,
00:19:10j'avais envie de marquer des choses
00:19:12qui m'arrivaient, mais en fait, quand j'étais petite,
00:19:14j'en ai fait trois pages, et puis après,
00:19:16je l'ai fini étant grande, mais je ne l'aimais plus trop
00:19:18ce journal, donc j'en ai pris un autre.
00:19:20Je crois que j'ai enlevé
00:19:22les pages, tu vois, parce que j'écrivais pas bien.
00:19:24J'ai enlevé les pages, je les ai mises à la poubelle.
00:19:26En fait, c'est le seul truc, mais je crois que je l'ai recopié
00:19:28dans l'autre, les pages.
00:19:30Et...
00:19:32Moi, j'ai des posters, des choses comme ça,
00:19:34que je préfère garder dans...
00:19:36C'est en même temps un tiroir normal,
00:19:38mais c'est aussi un tiroir secret, quoi,
00:19:40parce que j'ai des choses.
00:19:42Et il y a la photo de papa et maman,
00:19:44et je marque mes parents, que j'adore.
00:19:46Ça, c'était au tout début,
00:19:48et puis c'est une vieille, vieille photo.
00:20:04On voit ça avec les enfants
00:20:06au moment où ils ont leur chambre séparée,
00:20:08fermer la porte de sa chambre,
00:20:10toute cette économie-là du secret,
00:20:12dire qu'il y a des choses
00:20:14dont je suis, d'une certaine manière,
00:20:16non pas le maître, parce que je ne maîtrise pas grand-chose,
00:20:18mais, en tout cas,
00:20:20qui ne sont pas sous le regard
00:20:22d'autrui. C'est pour ça que
00:20:24toutes ces émissions de télévision actuelles
00:20:26sont bien terrorisantes,
00:20:28dans ce fantasme renouvelé
00:20:30de tout montrer de la vie des gens.
00:20:32Moi, c'est vrai que j'ai eu la chance d'être exposée
00:20:34très jeune, très, très jeune.
00:20:36Avant même d'être actrice pour des raisons privées,
00:20:38personnelles.
00:20:40Donc j'ai très vite eu conscience, si vous voulez,
00:20:42de cette exposition, et du danger, et de la difficulté
00:20:44qu'on avait à pouvoir faire des choses,
00:20:46et que ça reste, en même temps,
00:20:48dans son univers personnel, sans que tout soit exposé
00:20:50à la face d'inconnus.
00:20:52Je pense que pour garder
00:20:54une vie personnelle sa place,
00:20:56on est bien obligé d'avoir des secrets,
00:20:58sinon on est comme ça,
00:21:00dans une pension de famille.
00:21:02On a besoin d'avoir...
00:21:04Mes sœurs aussi, elles sont un peu comme ça.
00:21:06Mais je pense que c'est encore une façon de
00:21:08survivre, entre guillemets. Vous voyez, c'est une façon
00:21:10de pouvoir vivre en groupe, ça.
00:21:12De toute façon, c'est dans mon caractère. Le goût du secret,
00:21:14c'est dans mon caractère, oui.
00:21:16J'ai le goût du secret, oui, c'est vrai.
00:21:18J'ai le goût du secret.
00:21:20Et, en général,
00:21:22c'est vrai que quand je rencontre... J'aime bien, chez les gens,
00:21:24sentir qu'il y a quelque chose que je ne franchirai pas.
00:21:26Donc qui restera du domaine
00:21:28de mon imagination.
00:21:30Est-ce que vous vous souciez de remettre en cause les tabous
00:21:32de la société ?
00:21:34Oui, mais pas de façon directe.
00:21:36Jamais de façon directe, parce que
00:21:38je crains les vérités trop
00:21:40dévoilées, parce que
00:21:42je crains une impudeur,
00:21:44une forme d'impudeur.
00:21:46Mais,
00:21:48pour les exprimer
00:21:50d'une façon très discrète,
00:21:52c'est autre chose. Ça m'attend beaucoup,
00:21:54en effet, parce que c'est un instrument
00:21:56de révolte, la discrétion.
00:22:00Il y a dans la vie des rencontres,
00:22:02et puis, il y a des dates,
00:22:04des instants qui vous marquent
00:22:06à tout jamais.
00:22:08Je repense à cet épisode
00:22:10de la vie de Rétif de la Bretonne.
00:22:12À quelques mètres
00:22:14du café où je me trouve,
00:22:16il aborda une jeune fille.
00:22:18Elle s'appelait Rose.
00:22:20Elle était modiste.
00:22:22Il la vit traverser
00:22:24la place Saint-Sulpice,
00:22:26et malgré sa timidité,
00:22:28il osa la saluer.
00:22:30Lui aussi écrivait une sorte
00:22:32de journal.
00:22:34Sans le récit de sa vie détaillée,
00:22:36nous ne saurions rien
00:22:38de ce jour de septembre 1768
00:22:40où Nicolas,
00:22:42écrivain pauvre
00:22:44et ouvrier imprimeur,
00:22:46rencontra l'amour.
00:22:50Tout occupé à son écriture,
00:22:52Antoine ne vit pas la jeune femme
00:22:54qui s'était assise en face de lui.
00:22:56Et même s'il l'avait vue,
00:22:58on peut parier
00:23:00qu'il n'aurait rien su d'elle.
00:23:02Quand on regarde quelqu'un,
00:23:04on n'en voit que la moitié.
00:23:06Vous savez, Baudelaire disait,
00:23:08c'est une phrase que je reprends souvent
00:23:10parce qu'elle me paraît vertigineuse
00:23:12et à cet égard inépuisable,
00:23:14tout ne fonctionne que dans l'universel malentendu.
00:23:16Bon.
00:23:20C'est pas forcément négatif
00:23:22et désespérant.
00:23:24A un premier degré, le malentendu de Camus,
00:23:26par exemple, bon, effectivement,
00:23:28c'est le malentendu, c'est le secret,
00:23:30le secret qui tue.
00:23:32Et puis, ce malentendu,
00:23:34si on le voit,
00:23:36soit sur le mode de la dérision,
00:23:38soit de l'humour, pourquoi pas ?
00:23:40C'est extraordinaire, n'est-ce pas ?
00:23:42Les malentendus qui font que
00:23:44vous réussissez pour la raison
00:23:46selon laquelle
00:23:48on avait programmé votre échec ou vice-versa.
00:23:50Enfin, je trouve ça fascinant,
00:23:52ces malentendus.
00:23:54Mais si on les récupère, mais récupérer,
00:23:56c'est pas forcément péjoratif.
00:23:58C'est-à-dire, si on prend la balle au bon,
00:24:00on peut en faire quelque chose d'autre.
00:24:02Moi, j'avoue que j'ai une jubilation
00:24:04particulière à retourner
00:24:06les malentendus.
00:24:08Parce que ce qui
00:24:10enfermait, ça allait être atroce,
00:24:12c'est ça, l'atmosphère glauque
00:24:14de la pièce de Camus.
00:24:16Finalement, ça se retourne
00:24:18en une ouverture.
00:24:20Et c'est en ce sens que je crois
00:24:22qu'en fait, le secret,
00:24:24autant je n'aime pas
00:24:26tout ce qui s'exhibe,
00:24:28toute cette discrétion,
00:24:30cet espèce d'étalage,
00:24:32l'obscénité,
00:24:34autant je crois
00:24:36qu'il y a dans
00:24:38ce qui
00:24:40se déploie
00:24:42une dimension
00:24:44jubilatoire qui
00:24:46enclos le secret.
00:24:48Moi, je verrais plutôt le secret enclos dans la manifestation.
00:24:50C'est la pierre cachée.
00:24:52Mais à partir de laquelle
00:24:54la manifestation se déploie.
00:24:56Je trouve ça très joyeux.
00:25:14Le mot n'a pas franchi mes lèvres.
00:25:16Le mot n'a pas touché mon cœur.
00:25:18Est-ce un mot dont la mort
00:25:20nous sèvre ? Est-ce une drogue ?
00:25:22Une liqueur ?
00:25:24Le mot n'a pas franchi mes lèvres.
00:25:26Le mot n'a pas touché mon cœur.
00:25:28Est-ce un fait
00:25:30dont la mort nous sèvre ? Est-ce une drogue ?
00:25:32Une liqueur ?
00:25:34Je vais essayer de vous le dire
00:25:36comme ça. Il faut que ça me revienne.
00:25:38Jamais je ne l'ai dit qu'en songe.
00:25:40Ce lourd secret pèse
00:25:42entre nous. Déjà,
00:25:44tu me vois au mensonge
00:25:46à tes genoux. Je n'ai jamais dit
00:25:48qu'en songe, ce lourd secret
00:25:50pèse entre nous. Et tu me vois
00:25:52au mensonge à tes genoux.
00:25:54Nous le portions comme une honte
00:25:56quand mes yeux
00:25:58n'étaient pas ouverts.
00:26:00Te nommer ma sœur me désarme.
00:26:02Nous le portions comme une honte
00:26:04quand mes yeux n'étaient pas ouverts.
00:26:06Te nommer ma sœur me désarme.
00:26:08Que si j'ai
00:26:10faim, c'est pour toi seul.
00:26:12Jusqu'à la fin.
00:26:16Pardon, je suis
00:26:18un peu troublée parce que ça me revient
00:26:20lentement.
00:26:22Vous avez là, tout d'un coup,
00:26:24écrit en 1942,
00:26:26au moment de la mort de la mère,
00:26:28c'est-à-dire quand Aragon a
00:26:3045 ans, le secret.
00:26:32C'est
00:26:34quelqu'un qui a été tout à fait hanté
00:26:36par
00:26:38retrouver son
00:26:40enfance, recréer son
00:26:42enfance, essayer de comprendre
00:26:44à partir d'une telle enfance, comment
00:26:46il est devenu lui-même.
00:26:48Vous ne pouvez pas
00:26:50comprendre l'œuvre tout entière,
00:26:52vous ne pouvez pas la résumer,
00:26:54surtout pas paraphraser
00:26:56le grand écrivain qu'il est.
00:27:18Contrat résigné.
00:27:20Stop.
00:27:22Contrat gros livre
00:27:24annulé.
00:27:26Départ
00:27:28incessant pour
00:27:30Rappallon, pour
00:27:32rencontrer
00:27:34Berkey.
00:27:36Georges.
00:27:40Georges,
00:27:42te supplie
00:27:44soulager mon
00:27:46impatience,
00:27:48écris-moi.
00:27:54Patient.
00:27:56Stop.
00:27:58Tellement t'envie, quand te dirais
00:28:00voir ta
00:28:02tête, Georges.
00:28:08Mais elle,
00:28:10elle,
00:28:12elle,
00:28:14est-elle en possession
00:28:16du secret ?
00:28:18A-t-elle vu, elle,
00:28:20l'idole dévoilée ?
00:28:22Une cérémonie
00:28:24d'initiation a-t-elle eu lieu
00:28:26au profit d'une seule et palpitante
00:28:28personne ?
00:28:30Qu'ont été leurs noces,
00:28:32sinon le prélude
00:28:34de pareille cérémonie ?
00:28:36Ce qui fait le charme,
00:28:38c'est le secret. On se dit toujours
00:28:40qu'il y a quelque chose
00:28:42qui va nous demeurer
00:28:44toujours secret, qu'on ne comprendra
00:28:46jamais vraiment, et que c'est à nous
00:28:48d'inventer
00:28:50ce qu'il y a derrière.
00:28:52La pièce du puzzle
00:28:54qui n'est pas là, c'est nous
00:28:56qui devons la découper et la mettre.
00:28:58Et alors il y a une sorte de participation
00:29:00du lecteur que je trouve fascinante.
00:29:06J'ai tout appris
00:29:08et j'entends tout garder
00:29:10pour moi.
00:29:14L'attitude inattendue
00:29:16de madame Corvique,
00:29:18tel un coup de marteau suprême,
00:29:20enfonça dans ma tête ma curiosité
00:29:22malheureuse,
00:29:24la transforma en une obsession
00:29:26qui devait à jamais me hanter.
00:29:30Pour révéler le secret
00:29:32à Gwendolyn,
00:29:34Corvique
00:29:36a attendu que leur intimité
00:29:38fût complète.
00:29:42Gwendolyn, se conformant à ce précédent,
00:29:44entend-elle ne révéler
00:29:46à son tour le secret que dans
00:29:48les mêmes conditions ?
00:29:52L'image dans le tapis
00:29:54ne se laisse-t-elle voir ou décrire
00:29:56qu'aux époux,
00:29:58aux amants unis par le lien suprême ?
00:30:00Me faudra-t-il épouser
00:30:02madame Corvique pour arriver
00:30:04à mes fins ?
00:30:06Mais c'est à devenir
00:30:08fou !
00:30:24Seuls les sentiments
00:30:26« vrais »
00:30:28qui existent vraiment
00:30:30à l'intérieur de quelqu'un peuvent le remuer.
00:30:32Les sentiments qui sont faux, les sentiments affichés ne le remuent pas.
00:30:34Donc, ce qui
00:30:36fait la valeur du secret,
00:30:38ou ce qui d'ailleurs fait se constituer le secret
00:30:40et puis ce qui en fait toute la valeur, c'est les sentiments qui s'y attachent.
00:30:42C'est pas la réalité des faits
00:30:44soi-disant invoqués.
00:30:46Je crois que c'est
00:30:48Marthe Robert
00:30:50dans un de ses livres
00:30:52qui explique que
00:30:54tout écrivain
00:30:56se prend soit pour un enfant trouvé,
00:30:58soit pour un bâtard.
00:31:00Pour pouvoir se constituer comme écrivain,
00:31:02il faut qu'il soit soit un enfant trouvé, soit un bâtard.
00:31:04A mon avis,
00:31:06elle a oublié
00:31:08une possibilité.
00:31:10C'est laquelle ?
00:31:12C'est qu'on peut être
00:31:14un accident.
00:31:16En tant qu'écrivain ?
00:31:18En tant qu'individu.
00:31:20Moi, j'ai pas l'impression. Par exemple,
00:31:22j'ai jamais pensé que j'étais un enfant trouvé.
00:31:24J'ai jamais pensé que j'étais un bâtard.
00:31:26La présence de mon père était telle que c'était pas possible que je sois un bâtard.
00:31:28Enfin, c'est une idée,
00:31:30rien que si je l'évoque, qui est stupide,
00:31:32que je trouve stupide.
00:31:34Je peux pas être un bâtard.
00:31:36Et je ne suis pas un enfant trouvé.
00:31:38J'ai été un enfant tellement désiré
00:31:40que c'est pas possible.
00:31:42En revanche,
00:31:44je suis un...
00:31:46Comment dirais-je ? Voilà.
00:31:48Je suis un usurpateur.
00:31:50Pourquoi ?
00:31:52Parce qu'en fait, il y a d'autres enfants qui auraient dû naître
00:31:54avant moi et à ma place.
00:31:56Je pense que c'est quelque chose de très fort
00:31:58dans la raison pour laquelle j'écris.
00:32:00Quoi qu'il en soit,
00:32:02c'est aussi fantasmatique, bien entendu.
00:32:04C'est aussi fantasmatique que de se prendre pour un bâtard
00:32:06ou un enfant trouvé.
00:32:08Et donc, ça n'a pas besoin d'être vrai
00:32:10pour être associé à des sentiments.
00:32:12C'est-à-dire le sentiment d'indignité
00:32:14que j'ai longtemps ressenti et que je ressens encore parfois
00:32:16à l'idée
00:32:18que finalement, je n'aurais pas dû être là.
00:32:20C'était la place de quelqu'un d'autre.
00:32:24Et quelque chose
00:32:26qui est très puissant dans le fait que j'écris.
00:32:28Et ça a sûrement été très puissant
00:32:30dans le fait que je tienne un journal.
00:32:32C'est-à-dire que
00:32:34je manifeste d'une manière ou d'une autre
00:32:36ma révolte.
00:32:38Mais ma révolte, en fait, c'est pas seulement
00:32:40la révolte
00:32:42contre les autres. C'est aussi une révolte
00:32:44contre ma
00:32:46propre situation d'usurpateur.
00:32:48Enfin, vous voyez.
00:33:10Holmes se leva le papier et le plaça
00:33:12dans un rayon de soleil.
00:33:14C'était une page arrachée
00:33:16d'un carnet de notes.
00:33:18Les dessins étaient faits au crayon
00:33:20et disposés de la façon suivante.
00:33:24Holmes l'examina pendant quelques minutes
00:33:26après quoi il le plia
00:33:28soigneusement
00:33:30et le serra dans son portefeuille.
00:33:36Heureusement,
00:33:38une idée me mit en possession de la clé
00:33:40de plusieurs autres lettres.
00:33:42Je me dis que si ces appels émanaient
00:33:44comme je le pensais,
00:33:46de quelqu'un qui aurait été intimement lié
00:33:48avec cette dame en d'autres temps,
00:33:50une combinaison qui contenait deux « e »
00:33:52séparés par trois lettres
00:33:54pourrait fort bien signifier
00:33:56« Elsie ».
00:33:58Après examen,
00:34:00je m'aperçus que cette combinaison
00:34:02formait la fin du message
00:34:04qui avait été répété trois fois.
00:34:06C'était donc certainement
00:34:08un appel à Elsie.
00:34:14C'est ce qu'on appelle
00:34:16« l'appel d'Elsie ».
00:34:44Un oiseau a commencé à frapper
00:34:46sur la fenêtre à 7 heures de la matinée
00:34:48quand je suis allée voir l'intruder.
00:34:50L'intruder est sorti
00:34:52d'un arbre proche
00:34:54qui chattait.
00:34:56Il me semblait me moquer.
00:34:58C'était à la même heure
00:35:00que j'écrivais le journal.
00:35:02C'était le matin après le petit déjeuner
00:35:04quand j'étais toute seule
00:35:06et il n'y avait personne qui était levé encore
00:35:08comme je me lève trop d'habitude.
00:35:10Et parfois,
00:35:12c'était arrivé le soir, tard,
00:35:14surtout dans les états de tristesse.
00:35:16Mais autrement,
00:35:18l'habitude c'était
00:35:20d'écrire le matin.
00:35:22Et vous vous mettez toujours au même endroit
00:35:24pour écrire ?
00:35:26Oui, je suis toujours
00:35:28au même endroit après le petit déjeuner,
00:35:30dans la cuisine,
00:35:32les pieds nus, les jambes nues sur la banquette
00:35:34et puis en fumant
00:35:36mes deux-trois gauloises
00:35:38après le café du matin.
00:35:40L'Angleterre et le Royaume-Uni sont
00:35:42complètement abandonnés.
00:35:44Est-ce qu'on peut plus croire aux Royaume-Unis
00:35:46comme leurs premiers pouvoirs ?
00:35:48L'Angleterre ?
00:35:50Où sont-ils ?
00:36:04Ça pouvait être des petits faits,
00:36:06des enfants,
00:36:08ce qu'ils avaient dit
00:36:10ou quelque chose
00:36:12de relativement insignifiant
00:36:14que j'avais planté des pétunias
00:36:16et puis que les moutons,
00:36:18le lendemain matin,
00:36:20quand je me réveillais,
00:36:22ils étaient en train d'aller manger
00:36:24les moutons de voisins
00:36:26et que j'avais sauté par la fenêtre
00:36:28et les chassé. Enfin, c'était des faits
00:36:30quelquefois assez dérisoires
00:36:32et ordinaires.
00:36:34Et puis, bien sûr,
00:36:36parfois il arrivait aussi
00:36:38que c'était
00:36:40les sentiments
00:36:42qui me propulsaient
00:36:44pour écrire
00:36:46les sentiments de toutes sortes.
00:36:48Plus on s'analyse,
00:36:50plus on essaye de se scruter,
00:36:52plus on pratique l'introspection,
00:36:54plus on se met soi-même
00:36:56dans cette exposition
00:36:58de soi-même à soi-même,
00:37:00plus on découvre une zone d'obscurité,
00:37:02une zone
00:37:04de choses étranges
00:37:06qui résistent.
00:37:08De ce point de vue-là, c'est même amusant
00:37:10de voir dans l'évolution des journaux intimes
00:37:12de quoi on parle.
00:37:14Est-ce qu'on parle de ses rêves, par exemple,
00:37:16le moment où toute cette part d'inconscient
00:37:18arrive dans les journaux
00:37:20et un peu comme devant ses rêves,
00:37:22on est là à se dire qu'est-ce que ça veut dire,
00:37:24qu'est-ce que je produis
00:37:26comme discours ou comme image
00:37:28qui pourtant n'est pas immédiatement
00:37:30déchiffrable par moi-même,
00:37:32d'où cet infini travail
00:37:34d'écriture et je crois que c'est important
00:37:36que le journal intime marque ici
00:37:38cette ouverture dans
00:37:40ce tout-dire, ce tout-dire devient infini.
00:37:42Le journal intime, c'est le secret.
00:37:44Qui a des secrets ?
00:37:46Celui qui possède le secret est quelqu'un
00:37:48qui possède quelque chose qui a beaucoup de valeur,
00:37:50parce que par définition, un secret,
00:37:52le secret, on le garde secret, pourquoi ?
00:37:54Parce que ça donne à son possesseur
00:37:56un pouvoir particulier, ou bien,
00:37:58ça devient à peu près au même,
00:38:00parce que s'il était révélé,
00:38:02il pourrait ébranler une situation
00:38:04ou remettre en cause quelque chose.
00:38:06Le journal intime, c'est une manière
00:38:08de se constituer en secret.
00:38:10Le secret, par définition,
00:38:12c'est ce qu'on cache,
00:38:14mais ce qu'on cache peut être faux.
00:38:29Oui, parce que c'est des cahiers.
00:38:31Oui, bon, mais c'est...
00:38:33Oui, les plus vieux, ils sont, tu vois,
00:38:35à gauche en haut, je pense.
00:38:37Tu devrais les mettre comme ça.
00:38:41Qu'est-ce que c'est ?
00:38:43Je sais pas.
00:38:45Ah, mais Léna, écoute,
00:38:47ce journal, il est peut-être
00:38:49dans le buffet de cuisine, c'est un jaune.
00:38:51C'est un jaune.
00:38:53C'est le seul qui est jaune.
00:38:56Tu veux que j'aille voir dans le buffet de la cuisine ?
00:38:58Mais je pense qu'il doit être,
00:39:00parce que c'est le journal, je l'ai laissé là
00:39:02parce qu'il y a des recettes suédoises
00:39:04que j'avais prises, copiées des magazines
00:39:06féminins suédois,
00:39:08et puis c'est celui de l'été 75.
00:39:10Alors je pense que,
00:39:12si tu sais, c'est le unique
00:39:14cahier qui est jaune.
00:39:16C'est ça, je pense que c'est ça.
00:39:20Parce que moi aussi, j'ai écrit...
00:39:22C'est après les recettes.
00:39:24Avec moi, le journal, comme moi,
00:39:26j'ai trouvé, maman.
00:39:28Ah oui ?
00:39:30Oui, il est en Finlande.
00:39:32Oui, mais ça doit être affreusement
00:39:34engourdi, parce que dans l'état où j'étais,
00:39:36c'était mois d'août.
00:39:40Mais je ne me souviens pas
00:39:42le jour du mois d'août.
00:39:44Marika, Marika.
00:39:48Tu te souviens du jour ?
00:39:50Non, je ne me souviens pas du jour.
00:39:52Je ne me souviens pas du jour.
00:39:54Je ne me souviens pas du jour.
00:40:06Ah, c'est ça, c'est ça.
00:40:08Vous voyez l'écriture.
00:40:18C'est qui, celui-là ?
00:40:20Et puis là, j'ai marqué le...
00:40:22C'était le 4 août, oui.
00:40:26Il y a 26 ans,
00:40:2826 ans de notre
00:40:30première rencontre,
00:40:32Michel, Michel,
00:40:34c'est le nom de mon mari.
00:40:36Je me suis pendue au téléphone
00:40:38pour trouver
00:40:40cette adresse. Je ne vais pas la nommer, peut-être.
00:40:42Et le numéro de téléphone.
00:40:46Cela semble ne devoir jamais finir,
00:40:48dit Léna dans son journal,
00:40:50cette nouvelle
00:40:52idylle,
00:40:54dans son journal, qu'elle dit
00:40:56de l'amour de Michel pour cette
00:40:58comtesse Marie-Louise.
00:41:00Ce n'était pas une comtesse, mais c'était une femme
00:41:02de haute gamme.
00:41:04Et puis ensuite,
00:41:06je suis très lâche de cette existence.
00:41:08Le goût de vie m'a été ôté complètement
00:41:10depuis que j'ai trouvé le journal de Léna
00:41:12relatant sa visite chez la maîtresse
00:41:14de son père.
00:41:16Je tombe d'un sommeil
00:41:18et puis après, il y a une citation
00:41:20mal faite de Shakespeare,
00:41:22de Tempête.
00:41:24« We are such stuff as dreams are
00:41:26made on, and our little life
00:41:28is rounded
00:41:30by sleep. »
00:41:34J'étais une créature de rêve.
00:41:36Quelle ironie. Ce n'est pas
00:41:38dit certainement dans l'état où j'étais, dans le sens
00:41:40que j'étais une créature
00:41:42qui attachait beaucoup d'importance
00:41:44aux rêves, mais pas quelqu'un qui était
00:41:46une créature de rêve. Le cliché,
00:41:48c'est-à-dire la fille parfaite,
00:41:50ce n'est pas ça que je voulais dire.
00:41:52Les rêves, c'est fini. Je vais dormir
00:41:54pour toujours. Quand il saura
00:41:56ce que j'ai fait, il sera trop tard.
00:41:58Voilà les banalités. Je ne peux
00:42:00pas faire de bruit. Les cloches
00:42:02sonnent.
00:42:04Je dors
00:42:06le sommet
00:42:08de l'éternité
00:42:10et je m'en vais vers un monde
00:42:14où il n'y a
00:42:16pas
00:42:18de
00:42:22tout doucement.
00:42:24Je m'en vais
00:42:26tout doucement. C'est-à-dire
00:42:28que le fait
00:42:30de le mettre sur le papier,
00:42:32ça lui donne
00:42:34une certaine forme quand même.
00:42:36Tu sens
00:42:38tes pensées
00:42:40plus cohérentes
00:42:42du moment qu'elles sont écrites.
00:42:44Parce que
00:42:46quand tu es seule, par exemple,
00:42:48tu ne sais pas où s'arrêtent
00:42:50les pensées, où commencent
00:42:52les sentiments, ou vice-versa.
00:42:54Tandis que quand tu les écris
00:42:56sur le papier, ils deviennent
00:42:58palpables, ils deviennent
00:43:00nets et plus clairs.
00:43:02J'aime bien
00:43:04autant que possible
00:43:06être aussi clair et aussi net
00:43:08que possible. Tout ce genre
00:43:10de divagation,
00:43:12tout ce genre de divagation que
00:43:14tout le monde a,
00:43:16on ne peut pas
00:43:18écrire toutes ces divagations,
00:43:20mais au moins une partie
00:43:22pour que ça soit plus
00:43:24concret, plus palpable.
00:43:26Et puis on ne se sent plus
00:43:28libéré après,
00:43:30plutôt qu'avoir des incohérences
00:43:32à l'intérieur.
00:43:34Ça commence en fin noire.
00:43:36Ensuite,
00:43:38c'est en anglais.
00:43:42Maxime,
00:43:44où est mon sac blanc
00:43:46que j'avais? Il est en bas.
00:43:48Ton polo rouge est dedans.
00:43:50D'accord?
00:43:52Il y a de l'eau dedans.
00:43:54Il est en bas
00:43:56devant la maison, non?
00:43:58Je suis revenue de la plage,
00:44:00je n'étais pas habillée,
00:44:02donc je n'ai même pas monté.
00:44:04D'accord.
00:44:34C'est la première fois
00:44:36de ma vie que
00:44:38je regarde de moi-même
00:44:40les journaux de maman. Je ne les ai jamais faits avant.
00:44:42Je les ai toujours respectés.
00:44:44Je ne sais même pas si elle aurait accepté.
00:44:46Mais là, c'est une occasion exceptionnelle.
00:44:48Ça, c'était nouveau pour moi qu'elle avait trouvé
00:44:50le mien dans la salle de bain
00:44:52et qu'elle avait su que mon père avait une léson.
00:44:54En fait, ils sont à égalité maintenant,
00:44:56d'après ce que je comprends.
00:44:58Je me suis rendue compte que c'était dangereux
00:45:00de toute façon. Un journal, c'est dangereux
00:45:02pour tous les autres.
00:45:22J'ai été séparée de Gise pendant un an.
00:45:24On a vécu séparément.
00:45:26Dans un journal,
00:45:28je raconte évidemment ce qui s'est passé.
00:45:30Les amis
00:45:32que j'ai rencontrés.
00:45:34Mes souffrances,
00:45:36mon attitude envers lui,
00:45:38son attitude envers moi.
00:45:40Bien sûr, il l'a lu,
00:45:42un jour.
00:45:44Après, je remarque les résultats absolument tragiques.
00:45:46Mais moi, après tout,
00:45:48j'y suis pour rien. J'écris comme ça
00:45:50pour me libérer aussi.
00:46:00De toute façon, le journal,
00:46:02c'est quand même pour moi, comme j'ai dit,
00:46:04un matériau. Donc, j'ai bien l'intention
00:46:06de m'en servir,
00:46:08si tu veux.
00:46:10Mais je trouve que ce qui est fantastique
00:46:12dans un journal, c'est que c'est comme un brouillon
00:46:14malgré tout. Et tu peux quand même
00:46:16le recommencer. Si tu veux,
00:46:18tu as la possibilité de vivre plusieurs vies
00:46:20avec un journal.
00:46:22C'est ce que j'aime le plus.
00:46:24C'est ce que j'aime le plus.
00:46:26C'est ce que j'aime le plus.
00:46:28C'est la possibilité de vivre plusieurs vies
00:46:30avec un journal.
00:46:48Je me trahirais moi-même
00:46:50si je n'écrivais pas ça.
00:46:52J'en ai besoin.
00:46:54Sinon, je ne pourrais pas supporter la vie
00:46:56d'être équilibrée moi-même.
00:46:58De toute façon, plus ça va, plus c'est vrai,
00:47:00plus j'ai envie d'écrire.
00:47:02Maintenant, je crois que je vais commencer à écrire vraiment
00:47:04tout ce que j'ai envie d'écrire.
00:47:06Tant pis.
00:47:08Mais c'est vrai qu'on a envie de dire tant pis.
00:47:10On ne devrait pas se le dire.
00:47:12Parce que ça devrait être normal.
00:47:14Et je me demande même
00:47:16si je ne fabrique pas du drame en écrivant.
00:47:18Un drame qui est possible.
00:47:20Quelque chose qui est possible à exploser.
00:47:22Qui est possible, oui.
00:47:24Mais si tu veux, quelqu'un qui écrit un journal
00:47:26porte un secret en soi, en lui-même.
00:47:28Donc, si tu vis avec quelqu'un
00:47:30et l'autre personne,
00:47:32évidemment, si tu veux,
00:47:34elle a toujours envie de savoir quel est le secret
00:47:36de l'autre.
00:47:38Le samedi le 13 janvier
00:47:401979.
00:47:42Encore l'aube m'a réveillée.
00:47:44J'ai peur de ce petit matin cruel.
00:47:46La vie dépouillée
00:47:48et sans joie, comme un sapin de Noël
00:47:50nu et desséché après les fêtes
00:47:52devant ma solitude.
00:47:54Cette tête à tête fatiguée avec moi-même
00:47:56crée une angoisse en moi
00:47:58qui n'a rien de constructif.
00:48:22...
00:48:24...
00:48:26...
00:48:28...
00:48:30...
00:48:32...
00:48:34...
00:48:36...
00:48:38...
00:48:40...
00:48:42...
00:48:44...
00:48:46...
00:48:48...
00:48:50...
00:48:52...
00:48:54...
00:48:56...
00:48:58Obscur.
00:49:00Ce qui est inexplicable.
00:49:02Ce qui reste caché.
00:49:04D'où la lumière tachée.
00:49:06...
00:49:08...
00:49:10...
00:49:12...
00:49:14...
00:49:16...
00:49:18...
00:49:20...
00:49:22...
00:49:24...
00:49:26...
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00:49:30...
00:49:32...
00:49:34...
00:49:36...
00:49:38...
00:49:40...
00:49:42...
00:49:44...
00:49:46Pour moi, le secret est marqué par le saut, c'est-à-dire à la fois ce qui scelle, effectivement,
00:49:55ce qui cache, ce qui met à l'écart, et ce qui désigne.
00:49:59Le saut est aussi un signe.
00:50:02Mais il peut se faire que, dans un premier temps au moins, ce saut prenne la forme d'une
00:50:10énigme.
00:50:12Et c'est pour ça que je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que les énigmes
00:50:17doivent être à tout prix déchiffrées.
00:50:19Je crois que l'énigme a une force de suspens en elle, non pas un refus de répondre, n'est-ce
00:50:28pas, ou un refus de voir la question, mais de la laisser en suspens et de la maintenir
00:50:33présente.
00:50:34Pour moi, l'énigme accompagne le voyageur.
00:50:37J'irais qu'elle annonce le saut, d'une certaine façon, si justement on n'y répond pas,
00:50:42si ce n'est pas un problème à résoudre.
00:50:44J'ai horreur des problèmes, je trouve qu'on est saturé des problèmes.
00:50:47Il y a des problèmes partout, c'est peut-être pour ça que le monde va si mal.
00:50:50Il y a des problèmes, tout le monde a des problèmes.
00:50:52Alors on résout, soi-disant, des problèmes.
00:50:54Je ne crois pas.
00:50:55Je crois qu'en fait, ce passage de l'énigme au secret est peut-être au mystère, alors
00:51:03je ne sais pas.
00:51:04Peut-être que c'est un autre niveau aussi.
00:51:07Alors le mystérium, qu'est-ce que c'est ? C'est peut-être ce qui déroute, dérange
00:51:12ou même agace le plus le philosophe, effectivement, qu'il y ait du mystère.
00:51:16Alors ça, je le concède volontiers à une philosophie plus classique et rationaliste.
00:51:22Mais je tiendrai personnellement à cette vision un peu pyramidale, n'est-ce pas, de
00:51:28ces différentes figures.
00:51:30Et je placerai le secret comme ce qui détient le sceau, à la fois ce qui scelle et ce qui
00:51:35montre.
00:51:36Voilà, il me semble qu'effectivement, l'économie du secret, elle est par définition
00:51:42triangulaire.
00:51:43Elle nécessite un sujet qui a un secret, mais il faut qu'il y ait un destinataire
00:51:49ou un dépositaire, plus exactement, du secret et elle trace, elle exclut ceux qui ne sont
00:51:55pas dans le secret, comme on dit en français, être dans le secret.
00:51:58Donc, il y a une sorte de topologie du secret que je crois très importante et qui fonctionne
00:52:06dans les relations interindividuelles ou sociales.
00:52:09Mais il y a ceux qui sont dedans et puis il y a ceux à qui on signifie qu'il y a quelque
00:52:15chose, mais ils n'ont pas le droit d'y accéder.
00:52:18Alors, on peut s'amuser et je crois que c'est intéressant à voir selon les romans
00:52:26ou selon différentes figures que prend le secret, de quelle façon cette sorte de géographie
00:52:34du secret se constitue.
00:52:36Il me semble que c'est une des choses qu'on peut essayer justement de montrer.
00:52:42Parfois, on cherche à abolir le secret, c'est-à-dire qu'il n'y aurait plus ceux qui savent et
00:52:48ceux qui ne savent pas.
00:52:49Parfois, on peut simplement vouloir élargir le nombre des dépositaires.
00:52:56Un rêve, il fait noir, j'entends, mais le bruit vient de partout.
00:53:15Je sens, mais mes mains ne trouvent pas la sortie, cette obscurité m'inquiète.
00:53:36C'est un rêve, c'est un rêve, c'est un rêve, c'est un rêve, c'est un rêve, c'est
00:54:06un rêve, c'est un rêve, c'est un rêve, c'est un rêve.
00:54:35Il y a cette phrase-là qui me vient de Diane Arbus, que j'adore et que je pense qu'il
00:54:39est tout à fait pertinent parce qu'elle est assez paradoxale.
00:54:43Elle dit qu'une photo, c'est un secret sur un secret.
00:54:45Je ne sais pas si je t'ai raconté cette histoire.
00:54:54Je préparais un travail sur les photos de famille, sur les photos de ma famille.
00:54:58Il n'y en a pas beaucoup, il y en a une centaine que j'ai dans une boîte en carton.
00:55:03Je m'étais dit que je vais travailler.
00:55:07Quelques jours après avoir préparé ce projet, figure-toi que je reçois des informations
00:55:18par mon frère Jean-Louis, mon frère aîné.
00:55:22Je reçois des informations comme quoi un cousin reprend contact avec nous.
00:55:30Figure-toi que ce cousin, c'est un cousin du côté de ma mère, c'est-à-dire qu'Yvette,
00:55:40je pensais qu'elle n'avait qu'une soeur, Solange, mais en fait, elle avait trois frères.
00:55:47Figure-toi, elle avait trois frères.
00:55:51On ne l'avait jamais parlé.
00:55:54C'est incroyable.
00:56:00Je voudrais te montrer les photos que j'ai récupérées d'elle.
00:56:13Fais-moi les voir.
00:56:14C'est bien ça que tu peux quand même me récupérer.
00:56:17Je tiens, je tiens, je vais m'asseoir là à côté de toi.
00:56:21Ah oui, ça c'est bien d'elle, hein.
00:56:26Ah oui, elle était souvent comme ça, oui.
00:56:31Ah oui, c'est ton cousin qui t'a envoyé ces photos-là ?
00:56:35C'est le cousin qui a envoyé ces photos-là.
00:56:37Et comment est-ce qu'il est arrivé ?
00:56:40La question, regarde, parce que quand il a envoyé les photos, il a envoyé celle-là
00:56:45aussi, tu vas voir, où tu es dessus, là.
00:56:48Tu vois là ?
00:56:49Ah, c'est moi ?
00:56:50Regarde.
00:56:51Mais ça, c'est Jean-Louis ?
00:56:53Non, ce n'est pas Jean-Louis.
00:56:55Ça, c'est un des frères de ma mère.
00:56:58Il était bien, hein.
00:56:59Mais il ressemble à Jean-Louis.
00:57:01Mais Jean-Louis, il n'est pas né là encore.
00:57:03Hein ?
00:57:04Jean-Louis, il n'est pas né.
00:57:05Non, mais je trouve qu'il a quelque chose de Jean-Louis, tu vois.
00:57:07Après, je ne suis pas née pour Jean-Louis.
00:57:09Ah oui, et toi, tu es toute belle comme ça, avec le manteau, tu as des petits gants.
00:57:13Ah, tu vois ça.
00:57:14C'était l'hiver.
00:57:15Oui, là aussi, tiens, c'est vrai que c'était l'hiver.
00:57:17Oui, tu es toute belle, hein.
00:57:19Oh, dis donc.
00:57:20Non, mais ça, ce n'est pas moi.
00:57:22Mais alors, comment il a eu ces photos ?
00:57:24C'est la question.
00:57:45Et donc, je vois ces photos et je me dis, mais ça, c'est Augustine.
00:57:49Ça, c'est Augustine.
00:57:50Et donc, je reprends contact avec...
00:57:52Tu sais tout bien que je suis avec lui.
00:57:54Eh oui.
00:57:55Et donc, du coup, je me dis...
00:57:56Alors là, je trouve qu'il ressemble à Jean-Louis, hein.
00:57:58Oui.
00:57:59Tu ne trouves pas ?
00:58:00Moi, non, mais...
00:58:01Quand tu es jeune, je ne sais pas.
00:58:03Mais après, puisque je croyais que c'était Jean-Louis, c'est vrai.
00:58:05Oui.
00:58:06Et du coup, je me disais...
00:58:07Oh, dis donc.
00:58:08Et donc, ça, c'était une photo qui était...
00:58:10Ça, c'est une photo qui se trouve chez les cousins, chez les frères.
00:58:14Mais oui, puisque c'est eux qui te l'ont envoyée.
00:58:16Ils t'ont envoyée.
00:58:17Et donc, du coup, je me disais...
00:58:18Tiens, mais est-ce qu'Augustine, elle les a connus, ses frères ou pas ?
00:58:21Mais non.
00:58:22Tu ne te souviens pas, en tout cas.
00:58:23Ah non.
00:58:24Moi, j'ai qu'un jour...
00:58:25Et pourtant, j'étais avec.
00:58:27Eh oui.
00:58:28Mais bon, voilà.
00:58:29Après, on peut oublier, hein.
00:58:30Tu vois, c'est...
00:58:33Eh oui.
00:58:35Et c'est ça qui m'arrange.
00:58:37C'est que les cousins me contactent, m'envoient des photos.
00:58:42Je me dis, c'est incroyable.
00:58:43Ma mère avait des frères.
00:58:44Non, c'est déjà pas vrai.
00:58:47Et je te retrouve sur une photo.
00:58:49Alors, c'est pas mal.
00:58:50Et là, je me dis...
00:58:51Tiens, je me rappelle pas de ça.
00:58:52Ah oui.
00:58:53Ah, mais je trouve que c'est Jean, lui, étant jeune.
00:58:55Oui, oui, oui.
00:58:56Ah, la preuve, je croyais que c'était lui.
00:58:58Ah oui.
00:58:59Mais c'est vrai.
00:59:00J'étais jeune.
00:59:01Je trouve que t'es toute belle avec ce manteau comme ça, avec ces petits gants.
00:59:04T'as un sourire...
00:59:05En plus, il fait...
00:59:06Bon, c'est l'hiver, effectivement.
00:59:07Oui.
00:59:08Parce qu'on voit que t'as tes petits gants.
00:59:09Oui, oui.
00:59:10Vous êtes bien couvert.
00:59:11Et t'as un beau sourire, là.
00:59:13C'est...
00:59:14C'est pas mal, ça.
00:59:15Ah, mais ça, c'est pas mal, cette photo.
00:59:17Je m'attendais pas à la voir.
00:59:19C'est drôle que j'ai pas de souvenirs.
00:59:21Oui.
00:59:23Mais ça arrive.
00:59:24Oh, quel dommage.
00:59:27Quand j'ai vu ça, je me dis que c'est Augustine.
00:59:29Et après, quand j'ai vu qu'il y avait son frère, je me dis...
00:59:31Peut-être, Augustine va pouvoir me donner des informations sur les frères.
00:59:34Ah, non, non, je m'en rappelle pas.
00:59:35Mais tu te souviens pas.
00:59:36Et pourtant, je l'ai vue, puisque je suis avec.
00:59:39Oui, mais le temps passe.
00:59:40Ah, mais je viens que j'ai pas de souvenirs.
00:59:42Hum.
00:59:46Ah oui, alors ça, c'est pas mal.
00:59:48La mémoire d'Augustine fait défaut.
00:59:51Peut-être ne veut-elle pas me dire ce qui a bien pu se passer.
00:59:56Elle a 86 ans.
00:59:58Et certainement aussi ses secrets.
01:00:10A chercher, pourquoi?
01:00:12Allez, c'est comme ça.
01:00:13Je vais éteindre l'ordinateur.
01:00:15Oui, ah oui.
01:00:16C'est pas la peine.
01:00:17C'est bon pour rien.
01:00:19Je te laisse le préparer.
01:00:20On va se manger une glace?
01:00:21Oui.
01:00:22Allez.
01:00:26Et si le passé ne reçut jusqu'à aujourd'hui?
01:00:30Et si le passé ne reçut jusqu'à aujourd'hui?
01:00:34Et si le passé ne reçut jusqu'à aujourd'hui?
01:00:36Et si le passé ne reçut jusqu'à aujourd'hui?
01:00:38Le passé ne ressurgissait jamais que sous la forme d'une joie tragique.
01:00:44Celle de retrouver ce qui, au même instant,
01:00:48est irrémédiablement perdu.
01:00:52Il n'y a que traces, manques,
01:00:55absences
01:00:57et pourtant.
01:01:08Motus et bouche cousue
01:01:12Écrit et réalisé par Anne de Giaferri
01:01:20Musique et mixage Bergam Perriot
01:01:24Documentaliste Ina Fanny Depaille
01:01:32C'était la nuit de la radio 2024
01:01:35proposée par la SCAM en partenariat avec l'INA.

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