Lundi 13 janvier 2025, SOUS LA ROBE reçoit Félix de Belloy (Avocat, Belloy & Associés)
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00:00Bonjour, bienvenue sur Sous la Robe. Je suis très heureuse aujourd'hui de recevoir Félix
00:18Demélois. Bonjour. Félix Demélois, bonjour. Il y a quelques grands procès à votre actif et si
00:25vous voulez bien, je veux bien que vous reveniez sur ces combats que vous avez menés dans votre
00:31carrière. J'en citerai trois. Vous avez défendu des d'anciens prisonniers de Guantanamo. Vous
00:38avez mené un long combat, je crois, pour faire condamner l'État pour contrôle faciès. Et vous
00:45avez obtenu l'acquittement de Baladur dans l'affaire Karachi. Est-ce que vous pouvez revenir
00:52là-dessus et me dire ce que ça a représenté pour vous ? Alors, brièvement, parce que c'est une
00:56affaire assez longue et, pour moi, emblématique. À la conférence du stage, j'ai eu l'honneur de
01:05défendre l'un des Français de Guantanamo, un garçon auquel je me suis beaucoup attaché,
01:11qui avait été détenu pendant plus de deux ans à Guantanamo et incarcéré une fois arrivé en France,
01:17mis en examen pour l'association malfaiteurs en vue d'attentats terroristes. Et j'avais été frappé
01:27par le fait qu'il avait été très injustement arrêté au Pakistan après avoir fui l'Afghanistan,
01:34une période à Guantanamo absolument épouvantable, dont on se demande comment un humain peut survivre.
01:41Et j'avais trouvé que le traitement que lui avait infligé la justice française à son arrivée en
01:46France était d'une profonde injustice, parce que, pour moi, il n'avait jamais participé à la moindre
01:52entreprise terroriste, même lorsqu'il était chez les talibans à Kaboul. Et je suis assez fier,
01:58puisque c'était le seul Français de Guantanamo relaxé en première instance. Alors, j'étais
02:01aidé par le parcours, mais la justice française, qui l'avait gardé plus d'un an en détention
02:06provisoire en France, après deux ans de Guantanamo, l'a relaxé en première instance. Voilà,
02:12donc ça a été une aventure extraordinaire, et puis une plongée dans l'histoire aussi de la fin
02:17des années 90, du début des années 2000. Ben Laden, le 11 septembre, l'intervention des
02:24Américains en Afghanistan, la fuite des étrangers de Kaboul, etc. Ça a été passionnant et c'était
02:31vraiment un dossier où l'histoire et le droit se croisaient. Vous avez ensuite évoqué l'affaire
02:37des contrôles au faciès. Avec mon ami Céline Benachour et une organisation qui s'appelle
02:44Open Society Justice, on a décidé au début des années 2010 d'introduire une action judiciaire,
02:55avant toute forme d'action collective, pour lutter contre la pratique systématique de
03:01contrôle au faciès. Ça vous était venu comment ? Par Open Society Justice Initiative, et ça a été
03:08un long combat qui a abouti à, après une défaite en première instance, une victoire en appel qui a
03:16été confirmée par la Cour de cassation, qui a reconnu que le contrôle au faciès est une
03:21pratique discriminatoire, engageant l'État pour fautes lourdes. Ça a été un long combat très
03:27intéressant avec plein de choix stratégiques pas évidents. Mon regret, c'est que malheureusement
03:33ça n'a pas du tout ni fin au phénomène ou à la pratique des contrôles au faciès. On ne se rend
03:40pas compte quand, comme moi, on est un petit blanc dans les beaux quartiers, il y a des gens qui sont
03:47contrôlés chaque jour. Ils ne savent pas pourquoi. Et ça plonge certains de nos concitoyens dans une
03:56impression qu'ils sont des sous-citoyens, qu'ils n'ont pas la dignité suffisante pour pouvoir se
04:02promener dans la rue. Moi je considère qu'on n'a pas arrêté des gens pour leur demander leur
04:06identité. Soit quelqu'un fait quelque chose d'illégal et on a une raison de l'arrêter, soit il ne fait
04:12rien d'illégal et on n'a pas de raison de l'arrêter. Est-ce que vous imagineriez un nouveau combat
04:17judiciaire sur le sujet ? Oui, il faudrait qu'on relance le combat judiciaire. Il y a des
04:23dossiers qui continuent un peu. Je continue à défendre des jeunes discriminés, notamment de
04:28violences policières. Mais je crois que sur le contrôle d'identité discriminatoire, maintenant
04:36la parole est aux politiques et à l'Assemblée nationale. Je ne suis pas très optimiste sur ce
04:42que va faire l'Assemblée. Nous tournons entre les deux tours, je ne sais pas quand est-ce que...
04:48Mais il ne s'est rien passé depuis dix ans là-dessus de concret ou très peu de choses. Je
04:57pense que le combat politique qui doit maintenant être mené sera un long combat. Dernière grande
05:03affaire, l'affaire Baladur. Oui, l'affaire Karachi où j'ai défendu le Premier ministre Edouard
05:10Baladur devant la Cour de justice de la République et devant la Commission d'instruction. Ça a été
05:14un très long dossier. Donc la même juridiction que celle devant laquelle s'est retrouvée Dupond-Moreti
05:20et d'autres anciens ministres. Et on a obtenu la relaxe d'Edouard Baladur. Pareil, long combat,
05:30des choix stratégiques difficiles, beaucoup d'écriture, beaucoup de vue de cerveau et
05:36puis des plaidoiries épuisantes. Vous en conservez quoi comme image, comme sentiment ? Je ne sais pas,
05:45un sentiment de victoire ? Alors je ne vous ai pas fait la liste de mes défaites. Je suis
05:51concentré sur les dossiers que j'ai gagnés. Non, moi je trouve que ce que j'aime dans ce métier,
05:58c'est la liberté que j'ai essayé de garder. C'est l'idée qu'on défend des puissants,
06:05on défend des faibles, on défend des blancs, on défend des noirs, on défend des riches, des pauvres,
06:09des femmes, des hommes, des victimes, des coupables, des innocents. Et ils ont tous un point commun,
06:15c'est qu'ils ont besoin d'être défendus. Et j'essaye de faire en sorte de pouvoir continuer
06:20à garder cette diversité de clients et de causes. Vous êtes avocat, mais vous n'êtes pas que ça.
06:26Vous êtes aussi écrivain, romancier. Vous vous êtes même essayé au métier d'acteur. Sur ce sujet,
06:36Sacha Guitry a dit « les comédiens peuvent jouer les avocats, l'inverse n'est pas vrai ». Du coup,
06:45je vous pose la question, est-ce que vous pensez qu'un avocat fait un bon acteur ?
06:49Je pense qu'un avocat peut faire un bon acteur et j'ai plein de confrères qui adorent jouer au
06:55théâtre. Et moi, j'ai pris beaucoup de plaisir à tourner ce format qui s'appelait « La folle
07:00histoire des lois ». En revanche, il ne faut pas faire l'acteur en audience. C'est peut-être ce
07:05qu'a voulu dire Guitry. Ça, c'est interdit parce que ça se sent tout de suite. Il y a une absence
07:10d'authenticité, de sincérité qui fait que c'est une catastrophe de jouer les acteurs dans une
07:16audience. Donc, si un avocat a envie de jouer, autant qu'il s'essaye comme vous à vraiment…
07:23Il faut le faire en dehors des tribunaux.
07:25On va parler de la prison maintenant parce que c'est évidemment quelque chose que vous connaissez
07:33mieux que la plupart des gens. J'ai envie de vous dire et de vous demander, pour vous,
07:41la prison, à quoi ça sert et quel est votre regard là-dessus ?
07:45Alors, je vais vous répondre à côté. Je vais vous répondre en tant que président d'une association
07:53qui s'appelle Lilo, qui fait de l'accueil de sortants de prison et de personnes sous main de
07:57justice. Hébergement, formation et réinsertion. On a des ateliers d'insertion dans plusieurs métiers.
08:06Et en tant que président de Lilo, je dois dire que ce qui m'intéresse, qui me tient à cœur,
08:14c'est ce qui se passe à la sortie de la prison. Il y a 75 000, 70 000, ça dépend des périodes
08:21détenues en France aujourd'hui. C'est beaucoup. Ça rassure les gens de savoir qui sont derrière
08:27les barreaux. Mais si je vous demande combien de personnes sortent chaque année de prison,
08:3270 000, vous vous dites, je ne sais pas, je vous pose la question.
08:35Je n'en sais rien. Je n'ai pas la moitié, un tiers.
08:37Un tiers, 15 000. Beaucoup de gens répondent 10 000, 15 000. Comme il y a beaucoup de peines
08:42courtes, il y a 90 000 personnes qui sortent chaque année de prison. C'est-à-dire que chaque année,
08:46il y a 90 000 personnes qui rentrent en prison. Il y a un stock permanent de 70 000 personnes,
08:5265 000. Et puis, il y a 90 000 qui en sortent. Et donc, chaque jour, il y a 300 personnes,
08:57par jour ouvré, si vous voulez, il y a 300 personnes qui sortent de prison.
08:59Ça, c'est une cause qui me tient beaucoup à cœur. Il y a malheureusement beaucoup de sorties sèches,
09:04avec des gens qui ont une longue tête, sans accompagnement. Et ces 300 personnes qui,
09:10ce soir ou aujourd'hui, vont sortir de prison, où est-ce qu'elles sont logées ? Quelles sont
09:15leurs possibilités d'obtenir un emploi, une formation ? Qu'est-ce qu'elles vont faire ? Il y a
09:20un taux de récidive colossal en France, à la sortie de la prison. Vous dites en France,
09:26parce que c'est particulièrement en France ? Oui, la France a un taux de récidive très important.
09:31Avec un autre fait marquant en France, c'est qu'on tient très peu de statistiques. Mais les
09:39seules statistiques qu'on ait sur la récidive sont affligeantes. Pour vous, l'enjeu, c'est ce
09:45moment-là ? En tout cas, c'est un sacré enjeu. C'est l'enjeu auquel moi, je participe avec mon
09:50association. Il y a un enjeu colossal sur ce qui se passe pendant la détention. Et simplement,
09:55sur ce qui se passe pendant la détention et sur l'idée qu'on peut réinsérer des hommes et des
09:59femmes alors qu'ils sont enfermés entre quatre murs, ce qui me paraît une aberration. Je ne suis
10:02pas du tout abolitionniste. Je pense qu'il faut une peine de prison. Je pense qu'il faut punir.
10:05Sinon, la société va être dans une anarchie totale. Mais il faut sortir de l'illusion qu'on
10:11peut réinsérer, qu'on peut préparer la réinsertion entre quatre murs. Ça ne marche pas.
10:15Donc, il faut peut-être penser à une peine en deux temps, en trois temps, j'en sais rien. Il
10:18faut peut-être réfléchir à des parcours de peine. C'est ça mon sujet. Oui, c'est à quoi vous ne
10:21croyez pas. C'est à la capacité de préparer la sortie correctement en prison. On ne peut pas se
10:28resocialiser en étant désocialisé. Voilà, c'est l'idée un peu simple. Et moi, je suis très frappé.
10:34J'ai repris quelques comparutions immédiates. La commission d'office, tous les deux mois,
10:40je vais en comparution immédiate. C'est un privilège d'ancien secrétaire. C'est un truc
10:43absolument essentiel et très, très intéressant que j'avais un peu oublié avec le droit pénal des
10:48affaires. Je suis de nouveau très frappé par la pauvreté du débat sur la peine. On passe beaucoup
10:55de temps sur des questions de culpabilité qui sont parfois très faciles à trancher.
10:59De procédure, je vous pose aussi la question, parce que c'est l'impression que le grand public
11:04peut avoir aussi. Oui, c'est important pour la procédure, c'est très important pour les droits
11:06de la défense, etc. Mais il y a une pauvreté du débat sur la peine dont, des avocats,
11:11nous portons aussi une responsabilité parce qu'on a un débat un peu puérile avec un procureur qui
11:16dit il faut qu'il parte où ce mois. Nous, on dit il faut qu'il parte beaucoup moins. Et puis,
11:20tout le monde est content. En fait, ce n'est pas le temps. Bien sûr que le temps de prison,
11:24le temps d'enfermement est très important pour la personne. Mais il y a une question fondamentale
11:27qui est qu'est-ce qu'on fait en prison et comment la peine va évoluer pour que la sortie permette de
11:33ne pas récidiver, pour que le temps d'enfermement ne soit pas un temps d'achèvement de la
11:40désocialisation. Et là encore, vous semblez dire qu'il manque peut-être des dispositifs permettant,
11:50ce que vous disiez, des peines à tiroirs ou des temps... Non, je crois qu'on a les dispositifs.
11:57On a les dispositifs. La loi est riche. Il y a eu mille réformes qui ne sont pas appliquées. La
12:05peine d'enfermement continue à être la peine de référence parce que l'opinion publique n'est pas
12:12du tout prête à autre chose. Mais il faut comprendre aussi pourquoi c'est important pour
12:17la société que les gens sortent de prison dans des conditions acceptables parce que celui qui ne
12:23récidive pas, c'est celui qui ne fait pas une nouvelle victime. Non, je pense que les solutions
12:30existent. Il y a des magistrats qui, avec la loi telle qu'elle existe, passent beaucoup de temps
12:36à réfléchir à la peine, obligent à l'audience à avoir un vrai débat sur la peine. Les tiges,
12:42ça existe. Nous, à Lilou, on fait des tiges pédagogiques qui sont un dispositif très intéressant
12:48pour les travaux d'intérêt général, pédagogiques. C'est-à-dire qu'on apprend. Le tige consiste à
12:57faire une formation. Les gens disent « Ah, mais il n'est pas puni ». D'accord, mais si ces peines
13:05intelligentes accompagnent des peines strictes aux sanctions, il y a quelque chose à construire. Il
13:11faut qu'on ait des débats beaucoup plus importants et un suivi des peines avant de faire la révolution.
13:19Robert Badinter, qui est une grande figure française tout court et évidemment aussi du
13:27barreau, a dit « Le courage, pour un avocat, c'est l'essentiel. Sans quoi le reste ne compte pas.
13:36Talent, culture, connaissance du droit, tout est utile à l'avocat. Mais sans le courage,
13:41au moment décisif, il n'y a plus que des mots, des phrases qui se suivent, qui brillent et qui
13:46meurent. Défendre, ce n'est pas tirer un feu d'artifice. La belle bleue, la belle rouge,
13:52le bouquet qui monte, qui explose et retombe en mille fleurs. Puis le silence et la nuit reviennent,
13:57il ne reste rien. Pour vous, qu'est-ce qu'un grand avocat ? Et est-ce que, comme le disait
14:06Badinter, le courage est la clé ? » Très belle cette phrase de Badinter évidemment. Et c'est
14:18certain que les mots artificiels à l'audience, oui c'est un feu qui s'éteint et dont il ne reste
14:26rien. Mais il y a quand même une évolution due aux nécessités de l'audience et de la justice. Je
14:35crois que les avocats ne font plus tellement, ne jouent plus à ça, ne jouent plus à se vautrer
14:41dans des bons mots, dans des artifices d'audience. Le courage, il en faut bien sûr. Il faut se
14:49confronter au juge, il faut lui dire qu'il a tort. Et c'est quelque chose qu'on apprend à faire au
14:55fur et à mesure des années. C'est pour ça parfois qu'un avocat qui a un peu de bouteille, c'est
14:59mieux qu'un petit jeune qui n'ose pas trop dire les choses au juge. Et j'encourage les gens de
15:03ma génération à faire des comparaisons immédiates, aller aux comparaisons immédiates pour ça. Il faut
15:08se confronter à l'adversaire, etc. Donc il faut un peu de courage. En revanche, je crois quand même
15:11que ce terme de courage dont parle Badinter, il faut l'utiliser avec modestie en ce qui me
15:21concerne. Moi je suis avocat depuis 20 ans. Dans une période de l'histoire et dans un pays où être
15:29avocat et dire les choses ne nécessite pas un courage, ne nécessite pas un grand courage. Je
15:36ne défends pas des résistances au Vichy, je ne suis pas un avocat de l'opposition devant des tribunaux
15:43en Russie. Il y a des avocats dans le monde qui font preuve d'un courage extraordinaire. J'ai assisté
15:48à des audiences en Tunisie qui sont bluffantes quand vous voyez que des avocats se mettent en
15:52danger physique pour défendre un confrère, un journaliste. Là, il y a une notion de courage.
16:00Moi je ne peux pas dire qu'au quotidien, oui je dois surmonter quelques tracs, quelques peurs,
16:06mais je ne peux pas dire que je fasse œuvre de courage au quotidien, ça serait menti.
16:09L'émission s'appelle « Sous la Rome ». Vous avez une robe d'avocat, j'imagine. Je voulais
16:15savoir si c'était la première. Est-ce que ça représente pour vous ?
16:19Oui, c'est ma première robe, donc ça fait 22 ans que je l'ai. Ce n'est pas une très belle robe,
16:27j'avais un peu radigné à l'époque, je n'avais pas encore eu ma première peille. Mais elle est
16:35bien parce qu'elle ne se froisse pas. Ce n'est pas le tissu le plus noble, mais peu importe,
16:40je l'aime beaucoup. Et qu'est-ce qu'elle représente pour moi ? Elle représente la fonction que j'occupe
16:47quand je la porte, qui est une fonction fondamentale dans un état de droit, sans être grandiloquent,
16:53ça reste une fonction fondamentale. Et c'est une fonction avec laquelle j'ai l'impression de me
16:59confondre quand je la porte. Notre justice va assez mal, mais il y a un usage auquel je suis
17:05attaché et qui je pense n'est pas près de disparaître, c'est le port de cette robe,
17:10qui n'existe pas notamment dans les systèmes anglo-saxons. Et je trouve que cette robe,
17:14c'est un truc très utile, ce n'est pas que de l'apparat. Vous avez commencé votre carrière en
17:212002, je crois. C'était quoi votre état d'esprit quand vous avez commencé ? Est-ce que vous vous
17:27souvenez de votre première, toute première audience ? Alors mon état d'esprit, je n'avais
17:32aucune idée préconçue de ce que je voulais vraiment faire. J'ai fait des études de droit public,
17:39j'avais fait un stage dans un cabinet d'affaires en droit public, je m'étais ennuyé, je me dis tiens,
17:42le pénal, ça peut être plus marrant. J'avais trouvé une collaboration en pénal des affaires,
17:48mais si ça avait été en pénal général, je serais parti en pénal général. C'était une époque où
17:51je commençais à fonder l'association Proxité, donc je voulais absolument passer beaucoup de
17:55temps et je voulais aussi faire cette profession pour avoir le temps de faire d'autres choses.
17:58Donc j'étais dans un état d'esprit de curiosité, d'amusement. Vous n'aviez pas peur ? Ah non,
18:04non. Vous n'êtes pas du genre à avoir peur ? Moi, je devrais peut-être. Non, je suis très
18:09optimiste et voilà, je n'ai pas peur. Et vous m'avez posé une question sur ma première audience,
18:15ça, ce n'était pas très brillant. J'avais appris, je défendais le GIE des cartes bancaires. Il y
18:22avait des fraudes à la carte bancaire et donc il y avait des audiences correctionnelles tous les
18:25jours. C'est des années où j'allais tout le temps aux correctionnelles et parfois aux assises
18:27pour défendre des guichetiers de banque qui étaient attaqués. Bref, pour les cartes bancaires,
18:34c'était des audiences très répétitives et moi, c'était ma première plaidoirie, donc j'avais
18:38préparé à fond, monsieur le juge, voilà, le préjudice des cartes bancaires, la fraude,
18:42etc. Je n'étais pas rendu compte que j'allais plaider devant un juge qui entendait ça toutes
18:47les semaines. J'ai commencé un peu grandioquant, monsieur le juge, monsieur le tribunal, j'ai
18:53l'honneur de défendre le GIE des cartes bancaires. Et puis le juge m'a tout de suite arrêté,
18:57on connaît le préjudice des cartes bancaires, vous vous demandez combien ? J'ai regardé la
19:00feuille et finalement voilà. Donc ma première plaidoirie que j'avais préparée avec beaucoup
19:03de soin a été coupée par le magistrat et ça a été une leçon. J'en profite pour vous poser la
19:08question, qu'est-ce qu'un bon magistrat pour vous ? Sachant que, voilà, cette année, on a
19:17entendu beaucoup de discussions sur les relations avocat-magistrat, que les choses n'ont pas l'air
19:20simples, qu'il y a eu des événements un peu, si ce n'est tragique en tout cas, très problématiques
19:26cette année, notamment une avocate à qui le magistrat avait refusé un renvoi qui a malheureusement
19:32commencé à accoucher en audience. Donc voilà, je voulais votre avis là-dessus. Qu'est-ce qu'un bon
19:38magistrat et pourquoi parfois les choses se passent mal entre avocat et magistrat ? Je pense qu'un bon
19:45magistrat c'est celui qui a une capacité d'écoute, d'écoute des avocats bien sûr, mais pas seulement
19:53d'écoute des justiciables, de l'accusé, de la victime, du demandeur, du défendeur, il n'y a pas
19:59que le pénal, il y a le civil aussi, d'écoute de ses assesseurs. Je trouve que les magistrats
20:04devraient travailler, pourraient travailler bien davantage en équipe. Plutôt pour les collégiales.
20:12Oui, mais il faut que ce soit une vraie collégiale. Je trouve qu'ils devraient travailler comme on
20:17travaille dans nos cabinets en réalité. On a une équipe, on réfléchit à plusieurs, il y en a un qui
20:22prend la plume, il y en a un qui corrige, on réfléchit, voilà. Les magistrats sont quand même assez
20:27seuls dans beaucoup de leurs fonctions. Et peut-être que c'est ça aussi qui peut expliquer
20:34les tensions. Je pense que les magistrats travaillent dans des conditions difficiles,
20:39ils n'ont pas les moyens, on le sait, c'est fatigant. Sortir d'audience à deux heures du matin, c'est
20:47fatigant, avoir des jugements rédigés. Donc les tensions, elles peuvent venir aussi de ces
20:52audiences. Cet incident épouvantable, enfin très regrettable que vous avez décrit, j'imagine que le
20:59magistrat, lui, a accordé un renvoi à ce moment-là, alors que l'affaire, je ne connais pas l'effet
21:04exact. Ça lui paraissait impossible. Donc voilà, je pense que magistrats et avocats s'entendraient
21:12bien sûr beaucoup mieux si la justice allait bien, ce qui n'est hélas pas le cas.
21:17Je vais terminer cet entretien par des questions un peu courtes, en espérant que vous fassiez des
21:27réponses plutôt courtes. Qu'est-ce qui vous révolte, Félix de Bélois ?
21:33Je pense que c'est l'indignité, c'est-à-dire le fait de ne pas accorder les égards à un être humain
21:49qui a l'exacte dignité de tout être humain. C'est une réponse un peu longue, mais j'ajoute
21:57qu'en comparution immédiate, j'y reviens, on se demande parfois si la dignité humaine est
22:02respectée. Convaincre ou gagner ? Convaincre pour gagner, c'est ce que doivent vous répondre tous les confrères.
22:12Vous êtes plutôt un avocat de combat ou un avocat empathique ? Je vais vous faire la même réponse,
22:20il faut les deux, parce que si on n'est que combatif, on devient pénible et on se fatigue.
22:25Et si on n'est qu'empathique, je pense qu'on peut être un peu mou du genou, donc il faut à la fois
22:29savoir être combatif et empathique. Je vous propose de profiter de ce moment pour passer un message
22:36à un avocat qui vous souhaiterait dire quelque chose, qui a peut-être marqué votre carrière, ou je ne sais pas.
22:43Je l'ai évoqué tout à l'heure, Michel Bossier qui m'a accueilli il y a 22 ans dans son cabinet,
22:49avec lequel j'ai passé cinq années, formidable, et qui en ce moment a une vie pas facile,
22:57et je lui en profite pour lui dire toute mon amitié et ma profonde affection.
23:02Qu'est-ce qui vous empêche de dormir la nuit, si tant est que vous ayez un petit problème de sommeil ?
23:06Je pense que c'est le temps qui passe, l'angoisse du temps qui passe.
23:12Et pour finir sur une note littéraire, puisque vous essayez régulièrement à l'écriture,
23:21quels sont les derniers livres que vous avez lus ?
23:23Je suis en train d'achever, ça a été long, le côté de Guermantes, qui est le troisième volume de La Recherche du Temps Perdu,
23:34et j'ai l'impression de terminer une randonnée en haute montagne, dans l'aérosphère de la poésie, de l'intelligence,
23:46de la culture, de l'humour, de la psychologie, et de la langue, bien sûr, et un sens de la formule absolument sidérant.
23:54Merci beaucoup, qu'est-ce que je peux vous souhaiter pour la suite, pour terminer ?
23:59Continuez à être heureux dans mon métier, dans ma vie, c'est le cas.
24:04Alors je vous le souhaite. Merci. Merci beaucoup.
24:16Sous-titrage Société Radio-Canada