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00:0011h-13h, sur Europe 1, Pascal Praud.
00:03Bonjour Maître Leborgne, et merci d'être avec nous.
00:06Coupable liberté, coupable liberté, alors le contexte, on est dans les années 2070,
00:13le monde a définitivement opté pour le confort et la sécurité de se faire renoncer à la liberté.
00:19C'est gay votre livre, votre roman ?
00:23Non, effectivement, ça n'est pas gay, mais ce pourrait être,
00:26parce que quand on parle de l'avenir, il faut quand même être prudent.
00:29Ce pourrait être l'évolution naturelle de notre société,
00:33un peu comme si tout ce qui est à part, tout ce qui n'est pas dans la conformité,
00:39dans l'uniformité, apparaissait comme une menace.
00:42D'ailleurs, ce que je décris, c'est ça, on gomme tout, il n'y a plus de politique.
00:47La politique, c'est, je vous ai entendu le dire, c'est l'incarnation.
00:52Or, l'incarnation, elle est gommée, il n'y a plus de pouvoir de direction,
00:57qu'anonyme, qu'administratif, la religion est gommée,
01:02parce que la religion, c'est le fondement de la désignation de celui qui ne croit pas,
01:07comme moi, le mécréant, le malpensant, donc tout ça a été utilisé.
01:12Et je crois qu'il y a, dans notre société aujourd'hui,
01:16des éléments qui annoncent un peu ce genre de choses.
01:20Je crois aussi que la différence, la simple différence,
01:24est quelque chose qui va devenir insupportable.
01:27L'égalité n'est pas seulement un concept marxiste,
01:30je parle de l'égalité de fait, bien sûr, pas de l'égalité de droit,
01:34à laquelle nous sommes tous attachés.
01:36Ça, c'est la République, c'est tout à fait autre chose.
01:39Mais l'égalité de fait s'impose, celui qui se distingue,
01:44celui qui est différent, est une menace.
01:48Il est vécu pratiquement comme l'image d'un reproche à celui qui n'est pas identique.
01:55Oui, alors surtout s'il est valorisé dans cette différence.
02:00Parce que s'il est dévalorisé, ou cette égalité de fait est moindre,
02:06j'ai envie de dire, bon, mais par exemple, la très grande beauté,
02:09chez un homme ou chez une femme,
02:11peut effectivement être interdite dans une société future,
02:15ou la très grande intelligence, que sais-je.
02:17Mais je crois pas.
02:18Je pense que cette distinction que vous venez d'illustrer
02:22peut être quelque chose qui, dans le passé,
02:25et encore un peu, Dieu merci, dans le présent,
02:28joue un rôle de valorisation,
02:31et demain pourrait apparaître
02:33comme une sorte de prétention à une supériorité illégitime.
02:38C'est vrai, c'est ce qui se dit parfois à l'école.
02:42C'est-à-dire que les élèves très brillants,
02:45aujourd'hui, ont le sentiment qu'ils sont moins valorisés,
02:52qu'ils ne l'étaient peut-être il y a 50 ans,
02:55et qu'ils le regrettent,
02:56puisque l'école a abaissé son niveau d'instruction,
03:01et ceux qui sont les premières victimes de cet abaissement de l'instruction,
03:05ce sont les plus forts ou les plus brillants.
03:07Oui, comme si, finalement,
03:09entretenir ces catégories d'individus à part
03:12apparaissait comme une faute.
03:14Il y a autre chose, quand même, dans ce livre.
03:16Il y a un côté un peu Orwell, forcément,
03:19mais il y a aussi des choses très tendres et très intéressantes
03:22sur les rapports entre un père, par exemple, et son fils,
03:27depuis l'annonce de l'accident.
03:28Écrivez-vous, Théo n'avait jamais pu trancher
03:30entre l'espoir déraisonnable de la réapparition de son père
03:33et l'entrée nostalgique dans l'évocation des bonheurs passés.
03:37Cette hésitation ne devait pas être pour rien dans son état.
03:40Pourquoi vous avez voulu écrire sur le rapport entre un père et son fils ?
03:44C'est quelque chose qui, à titre personnel, m'importe.
03:48Vous savez, on se traduit et on se trahit dans ce qu'on écrit.
03:53Je ne me prends pas pour Flaubert, soyons clairs,
03:55mais Flaubert disait « Madame Bovary, c'est moi ».
03:58Donc, il y a bien sûr quelque chose qui se rapporte à un sentiment personnel,
04:03mais je crois aussi qu'il y a, dans l'histoire que je raconte,
04:08une sorte de continuité.
04:10Le père est porteur de quelque chose qui va ressurgir.
04:15Je ne veux pas dévoiler le mystère d'une manière prématurée,
04:19mais qui va ressurgir in fine et qui se rattache à ce que nous disions tout à l'heure.
04:23C'est le contrôle de la pensée.
04:26Non pas le fait de vous interdire de penser ce que vous pensez,
04:29mais de mettre à jour une pensée qui passerait dans votre esprit,
04:33alors même que vous ne l'auriez ni formulée, ni même prise en main.
04:37C'est-à-dire, au fond, vous volez votre cerveau pour le contrôler mieux encore.
04:42Alors, ce rapport père-fils, c'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup,
04:45comme tout le monde d'ailleurs.
04:47J'ai parfois remarqué que ceux qui ont un destin exceptionnel,
04:51et je pourrais citer beaucoup de noms,
04:53le père souvent n'est pas très fort ou absent.
04:57Je pense à Johnny Hallyday, à Patrick Bruel,
05:01à Bernard Tapie qui en avait parlé, à Michel Sardou,
05:04à Nicolas Sarkozy, à Jean-Claude Darman.
05:07Beaucoup de gens que j'ai rencontrés comme ça, au hasard,
05:09je n'en tire absolument aucune,
05:12en plus je ne viens de citer là que des hommes,
05:14je n'en tire aucune conclusion.
05:16J'ai remarqué ça, que ce père n'était pas forcément présent.
05:20Alors, l'ont-ils fait pour un père, je ne sais pas.
05:23Est-ce que le père empêche l'enfant de se développer, je n'en sais rien non plus.
05:27Je ne rentre pas là-dedans.
05:28Mais je voulais connaître votre sentiment sur cette relation si particulière qui peut exister.
05:33Et puis peut-être, quel était votre père ?
05:36Alors, je suis peut-être dans la catégorie que vous venez de citer,
05:39du père présent, aimant, mais qui n'a pas marqué finalement mon existence.
05:47Je crois qu'on peut se démarquer d'un père.
05:50Et d'ailleurs, dans mon livre, le père a une vie d'homme d'affaires
05:55qui n'a strictement rien à voir avec le fils, qui est le personnage principal,
05:59qui lui est un intellectuel, qui a eu, je dirais, la sagesse de se démarquer.
06:04Parce qu'une personnalité forte, vous fait de l'ombre.
06:07Et vous risquez de passer votre vie en disant, est-ce que je vais réussir à dépasser papa ?
06:13Et je crois qu'il peut y avoir un autre système qui dit,
06:17il a eu sa vie, il a eu ses options, il a eu ses préférences,
06:21j'aurai les miennes, mais elles seront différentes.
06:23Il aurait aimé interroger l'associé de son père qui, depuis 50 ans,
06:26l'accompagnait dans toutes ses entreprises, mais il avait disparu ensemble.
06:29Le seul confident qu'il connaissait au défunt l'avait suivi dans le néant.
06:33Quant aux autres, il n'avait pu en tirer le moindre renseignement utile.
06:37C'est très... J'avais noté cette phrase, parce qu'il y a un fils,
06:42le fils n'a pas envie de tout savoir, peut-être sur son père.
06:46Et effectivement, moi il se trouve que mon père est mort il y a quelques semaines, quelques mois,
06:52et il y a des questions que je ne poserai jamais à ses amis,
06:55sur l'homme qu'il était peut-être, parce que je préfère qu'il soit mon père,
07:00c'est pas un homme comme les autres.
07:02Et en même temps, il y a une tentation d'en savoir peut-être plus sur sa vie,
07:06et je pense qu'on est souvent dans cette ambiguïté.
07:10Je crois qu'on a un peu mythifié le père,
07:15et qu'on aime ce mythe, et qu'on veut le garder intact.
07:18Alors, il y a des circonstances, tout dépend de la nature de la question.
07:22La question, je dirais, un peu indiscrète sur la vie de l'homme,
07:27le fils n'a pas à savoir ça.
07:30Mais la question sur un mystère, parce que juste avant la mort du père de Théo,
07:35il lui écrit une lettre,
07:37dans quelques semaines, il y aura un bouleversement,
07:40tu viendras, je l'espère, parce que ta présence change pour moi la saveur du monde.
07:45Et Théo se dit, mais quel est ce mystère qu'il n'a pas eu le temps de m'expliquer,
07:50qu'il n'a pas eu le temps de rendre public ?
07:52Ça, c'est quelque chose qui presque lui est transmis comme un témoin,
07:56mais il n'arrive pas à l'attraper.
07:58Je me souviens également de quelqu'un qui avait écrit,
08:04c'était Claude Birry, dans un très joli livre qui s'appelait Autoportrait,
08:09il avait dit, dans la vie, on est ou un père ou un fils, et on est rarement les deux.
08:13Et lui-même se considérait comme un fils, il vénérait son père,
08:17et il trouvait qu'il avait été un père assez moyen ou médiocre, je ne sais pas comment le dire.
08:22Je pense qu'on peut quand même, je l'espère, être les deux,
08:25être un père et un fils, mais vous, peut-être, avez-vous des enfants, et quel père êtes-vous ?
08:30Alors, je crois que j'aurais pu être un père étouffoir,
08:34par l'amour peut-être,
08:38mais mon fils a eu la sagesse de se démarquer complètement, comme Théo,
08:43il est dans un autre monde, l'homme d'affaires c'est lui.
08:46D'ailleurs, si on prend un peu la vision des générations dans mon livre,
08:51moi je suis le grand-père, lui c'est le père, celui qui disparaît et qu'on recherche,
08:56et la troisième génération a aussi su rompre et prendre de la distance.
09:02Je crois que c'est un peu ça le secret.
09:04Au fond, les pères, ceux qui sont toujours des pères,
09:07c'est ceux qui ne pensent qu'à une idée un peu obsessionnelle,
09:11protéger, être en quelque sorte le rempart entre le fils et la vie,
09:16ce qui est une manière d'ailleurs de l'empêcher de vivre, quelque part.
09:20Évidemment, vous êtes au cœur, et c'est pour ça que ce livre est très intéressant,
09:23parce qu'on est au cœur de ce qu'est l'amour, de ce qu'est aussi l'éducation,
09:27parce que finalement le mieux dans l'éducation c'est de rendre autonome
09:32l'enfant de 16 ans, 17 ans, 18 ans, qui va voler de ses propres ailes,
09:37de l'élever pour soi,
09:39mais en même temps on a envie qu'il reste un peu avec nous,
09:43qu'il ne nous oublie pas,
09:45donc on est là aussi dans cette contradiction.
09:48Je crois aussi que quand l'amour étouffe un peu,
09:51est une sorte de poids qui brime la liberté,
09:56il en reste une sécurité.
09:58Si mon père m'aimait, c'est que je ne suis pas n'importe qui.
10:01Moi je partage votre avis.
10:03Finalement, pour avoir réfléchi comme tout un chacun à ces questions-là,
10:06je pense qu'avec ces enfants, il n'y a qu'une possibilité,
10:09il faut les aimer d'une manière inconditionnelle.
10:11Parce qu'autrement, il y a sûrement des défauts à les aimer d'une manière inconditionnelle,
10:16mais une fois qu'on a tout dit,
10:18je pense que c'est sans doute la meilleure solution.
10:22Alors évidemment, il y a beaucoup de choses dans votre livre.
10:23Depuis deux siècles, les plus pauvres défendent l'idée d'un État fort,
10:27régulateur des richesses, dispensateur d'égalité.
10:32Maintenant, les plus modestes soutiennent l'absence de tout contrôle,
10:35la primauté du profit, l'allègement fiscal, la dérégulation,
10:40en un mot, tout ce qui séduisait hier les patrons.
10:42Cette ironie de l'histoire donna un peu de joie à Théo.
10:46Il y a aussi cet aspect social...
10:50Oui, parce que la société étant un peu figée,
10:54les uns et les autres, les plus malins, les plus dynamiques,
10:58ceux qui ne se résolvent pas complètement à se couler dans le moule,
11:03vont chercher des petits moyens pour améliorer la vie.
11:09Et là, ils vont dire que le contrôle de l'État nous gêne.
11:12Alors que précisément, cet appel à une sorte de libéralisme sans contrôle
11:17n'est pas dans la tradition de la revendication sociale
11:22avec un État fort qui va tordre le cou des riches
11:26pour leur prendre leur portefeuille et le donner aux pauvres.
11:29Nous sommes dans une situation presque inversée.
11:32En tout cas, je recommande ce livre, Jean-Yves Leborgne,
11:35« Coupable, liberté » aux éditions Fayard,
11:37avec ce dernier passage que je pourrais lire, qui donne la couleur du livre.
11:41« Ainsi s'était mise en place une société sans différence visible,
11:45sans distinction apparente entre les êtres,
11:47sans prééminence repérable de quiconque.
11:50La lutte avait été rude pour étouffer les égaux,
11:53éteindre les ambitions, dissoudre le goût du pouvoir.
11:55Mais l'effort et le temps avaient eu raison des égarments anciens. »
11:58Et ça me fait sourire, je vous assure, je lisais ça
12:01et je trouvais ça tous pareil.
12:03Je trouvais ça assez drôle et c'est une tentative.

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