Retrouvez la chronique "Première fois" de Manon Mariani sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/veille-sanitaire
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00:00Zoom, zoom back, direction 1975, cet après-midi, on va maintenant se pencher sur une première
00:05fois audiovisuelle cette année-là, et c'est assez émouvant puisque c'est celle qui est
00:09directement à l'origine de la mort de Bernard Pivot le 6 mai dernier.
00:12Bernard qui écoutait Zoom, zoom zen et qui a entendu trois fois de suite le mot « iconique
00:16», qui va donc rendre hommage à une première fois de Bernard Pivot.
00:20Alala, au début de l'année 1975, les français font leur rentrée après un nouvel an festif,
00:26le dry january n'existe pas encore.
00:28Donc pour ceux qui veulent ralentir après les fêtes, quoi de mieux que de chiller sous
00:31son plaid devant la télévision ? Ça tombe bien, la deuxième chaîne publique nationale
00:36vient toujours de changer de nom et de design, l'ORTF devient Antenne 2.
00:41Et pour inaugurer ce lancement, de nouvelles émissions voient le jour, dont celle-ci.
00:45On est le vendredi 10 janvier, il est 21h40 et ces notes de piano accompagnent le générique
00:54de l'émission littéraire Apostrophe, diffusée, créée et présentée par le journaliste
00:59Bernard Pivot.
01:00Il y reçoit des écrivains, des intellectuels pour parler de leurs œuvres de littérature
01:04et de culture autour d'un sujet commun.
01:07Bernard Pivot définit son émission comme un magazine d'idées, il veut que ses invités
01:11puissent échanger et parfois, je le cite, « de manière très vive ». La mise en scène
01:15s'y prête puisque les invités sont tous assis autour d'une table, verre à la main
01:18et livres éparpillés partout.
01:20Le thème du débat de ce premier numéro est « Les avocats n'ont-ils pas facilement
01:25bonne conscience ? » si on en croit le Figaro.
01:28Car il n'existe quasiment pas d'informations sur le premier mois de diffusion d'Apostrophe.
01:32L'archive la plus ancienne de l'INA remonte un mois après la diffusion du premier numéro
01:37au 7 février 1975 avec un invité star.
01:40« On sent en tout cas chez vous une sorte de besoin d'écrire, un plaisir d'écrire.
01:45J'aime écrire, je pense que si je n'avais pas été absorbé par ma vie politique, j'aurais
01:52aimé consacrer une partie de ma vie à construire une œuvre littéraire.
01:57J'en avais le talent, j'en avais en tout cas le goût. »
02:00François Mitterrand qui était à ce moment-là premier ministre…
02:03Premier, pardon ! François Mitterrand qui était à ce moment-là premier secrétaire
02:06du Parti Socialiste, il vient de publier son livre « La paille et le grain », un invité
02:11haut de gamme qui donne le ton de ce que va être l'émission.
02:14Car progressivement, Apostrophe commence à se faire un nom.
02:17Les invités de Prestige s'enchaînent, comme Georges Brassens ou Vladimir Nabokov.
02:22L'année d'après, Bernard Pivot reçoit carrément la légende de la boxe, Mohamed
02:26Ali, pour son livre « I am king ». L'image est forte, seule personne noire du plateau
02:30face à cinq auteurs blancs qui tentent de le prendre de haut.
02:34Mais c'était sans compter sur la répartie d'Ali.
02:36« À Paris, en Angleterre, en Amérique, partout, les noirs ont l'impression d'être traités
02:41comme des animaux.
02:42Alors c'est une revanche pour eux, quand ils me voient.
02:45Vous, vous n'aimez pas beaucoup ce genre de fanfaronnade, parce que vous vous dites
02:49quel est ce noir qui vous voit sa grande gueule ? »
02:51Le doublage de l'époque quand même, on note.
02:54D'autres séquences sont devenues cultes, comme celle où l'écrivain américain Charles
02:57Bukowski quitte le plateau ivre.
02:59« Au revoir.
03:00Au revoir.
03:01Au revoir.
03:02Au revoir.
03:03Au revoir.
03:04Au revoir.
03:05Au revoir.
03:06Au revoir.
03:07Au revoir.
03:08Au revoir.
03:09Au revoir.
03:10Au revoir.
03:11Au revoir.
03:12Au revoir.
03:13Au revoir.
03:14Au revoir.
03:15Au revoir.
03:16A ce moment-là, on est en 1978 et Apostrophe commence à se faire une place de marque
03:17à la télévision française.
03:18Dans les années 80, les médias parlent même d'un effet pivot.
03:21L'émission est à son apogée, les audiences rassemblent jusqu'à 5 millions de téléspectateurs
03:26et elle a une influence considérable sur les ventes de livres.
03:28Quand un auteur y passe, ça grimpe.
03:30La FNAC a même un rayon « Apostrophe ». Invité pour la première fois en 1984, l'écrivain
03:35Annie Ernaux, prix Nobel de littérature en 2022, dit qu'avant de faire l'émission,
03:40Elle n'était pas considérée comme une véritable écrivaine aux yeux du grand public.
03:44Elle fait partie du peu de femmes invitées dans l'émission qui ont souvent dû faire
03:48face à des propos sexistes de la part de leur père masculin.
03:51Dans les années 90, c'est le cas de l'écrivaine canadienne Denise Bombardier, invitée dans
03:55la même émission que Gabriel Maznev.
03:57Il vient présenter son essai « Mes amours décomposées » où il parle de ses relations
04:01pédophiles avec des filles mineures.
04:03A l'époque, ça ne choquait personne et ça faisait même rire Bernard Pivot.
04:07Pourquoi vous êtes-vous spécialisée dans les lycéennes et les minettes ? Au-dessus
04:12de 20 ans, on voit que ça ne vous intéresse plus.
04:14Mon cher, je trouve que quand on a dans sa vie quelqu'un qui n'est pas encore durci
04:17par la vie, les femmes ne peuvent que se durcir, n'est-ce pas ? Et donc une fille très jeune
04:22est plutôt plus gentille, même si elle devient très vite hystérique et aussi folle quand
04:26elle sera plus âgée.
04:27Face à ces propos que personne ne modère, Denise Bombardier se scandalise.
04:31Monsieur Maznev nous raconte qu'il se domine des petites filles de 14 ans, 15 ans, que
04:35ces petites filles sont folles de lui.
04:37On sait bien que des petites filles peuvent être folles d'un monsieur qui a une certaine
04:40aura littéraire.
04:41D'ailleurs, on sait que les vieux messieurs attirent les petits enfants avec des bonbons.
04:44Monsieur Maznev, lui, les attire avec sa réputation.
04:47Mais ce que l'on ne sait pas, c'est comment s'en sortent-elles ces petites filles après
04:51coup ? Comment elles s'en sortent ? On a malheureusement
04:54aujourd'hui la réponse.
04:55Il suffit de lire le consentement publié en 2019, écrit par Vanessa Springora, où
04:58elle dénonce les viols qu'elle a subis de la part de l'écrivain quand elle était
05:02encore mineure et l'impact qu'ils ont eu sur sa vie.
05:04Bernard Pivot a depuis regretté ne pas avoir eu les mots qu'il fallait durant cette
05:08séquence.
05:09En tout cas, hasard du calendrier ou pas, Apostrophe s'est arrêtée la même année
05:12que cette interview de Maznev, trois mois plus tard, en juin.
05:15L'émission aura duré 15 ans et compte 724 numéros, c'était un record de longévité
05:20à l'époque.
05:21Bernard Pivot voulait se lancer dans de nouvelles aventures pour éviter la routine.
05:24Il lancera Bouillon de Culture l'année d'après, une émission qui durera 10 ans.