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00:0011h13h sur Europe 1. Pascal Praud. Sarah Bardin est avec nous, bonjour.
00:04Bonjour.
00:06Réparer, surmonter un AVC à 29 ans aux éditions stock. Et c'est vrai que ce qui vous est arrivé est absolument
00:11sidérant.
00:12Aussi loin que mes souvenirs remontent, écrivez-vous, j'ai toujours entendu que j'avais une tête bien faite, en réalité elle ne l'était pas
00:17tant que cela, puisque s'il était logé
00:20sournoisement, ce que le premier médecin à me prendre en charge a qualifié de bombe à retardement,
00:26cette bombe a explosé quelques semaines avant mes 30 ans. Qu'est-ce qui s'est passé ?
00:31Dans la nuit du 27 au 28 juin 2021, je me suis couché assez tôt, j'étais fatiguée, j'étais
00:38jeune maman de deux petits jumeaux qui avaient 22 mois à l'époque, donc avec un quotidien bien rythmé.
00:43Et je me suis couché particulièrement tôt, j'avais eu un week-end éprouvant, c'était un dimanche soir.
00:48J'ai été réveillée à 2h45 par un retentissement important dans ma tête, une douleur importante.
00:54J'ai tapé sur le père de mes enfants pour qu'il allume la lumière,
00:57la pièce s'est emballée, elle s'est mise à tourner autour de moi, j'ai eu des vertiges.
01:01Je me suis levée, je lui ai demandé de m'accompagner à la salle de bain puisque j'avais la nausée, et sur le chemin de la
01:06salle de bain, mes jambes m'ont lâchée, je me suis mise à vomir du sang.
01:09Et il n'y avait eu aucun signe avant-coureur avant cette nuit-là ?
01:12Il n'y avait pas eu de signe avant-coureur, j'étais en
01:15parfaite santé, j'étais, comme je viens de le dire, un petit peu fatiguée, mais pas plus qu'une
01:19jeune maman, avec un quotidien très rythmé, et surtout je n'avais pas de facteurs de risque, c'est-à-dire que
01:25je n'avais pas d'hypertension, je n'avais pas de cholestérol, je n'avais pas les facteurs de risque,
01:29et j'avais un mode de vie sain,
01:31comme une jeune maman, c'est-à-dire je ne me couchais pas à 5h du matin comme on peut l'imaginer.
01:36Si vous aviez eu,
01:38je ne sais pas si on dit d'ailleurs un scanner ou en tout cas une IRM du cerveau, est-ce qu'on aurait vu par exemple la
01:44veille qu'il y avait un problème ? Non, alors 80% des AVC pourraient être évités si on arrive à
01:50si on arrivait, pardon, à identifier les facteurs de risque.
01:53Néanmoins, on ne peut pas le prévenir à si court terme. Alors en l'occurrence, moi je fais partie des 20% des AVC qui, comme je le
01:59disais, n'auraient pas pu être évités, donc encore moins dans mon cas.
02:02Mais non, on n'aurait pas pu le prévenir avec une imagerie, on aurait pu
02:05déceler des facteurs de risque si j'en avais eu, mais c'est le seul levier qu'on a éventuellement.
02:09L'AVC, évidemment, c'est quelque chose qui effraie beaucoup de gens et certains ont peur de cela.
02:16Est-ce que les heures avant l'AVC, il y a des signes avant-coureurs très précis ? Vous avez parlé de fatigue et de maux de tête ?
02:25Alors,
02:26ils ont raison d'avoir peur, c'est effrayant, c'est même terrorisant.
02:30Ça l'est d'autant plus qu'on a le sentiment de ne pas avoir de prise sur la maladie. On a un petit peu l'impression que
02:36on
02:38accentue nos risques d'avoir un cancer du poumon si on fume, mais on ne sait pas vraiment comment on
02:44accentue nos risques d'avoir un AVC, donc je comprends que ça puisse être anxiogène, voire terrorisant.
02:51Il y a des symptômes,
02:53c'est-à-dire que oui, la fatigue n'est pas un symptôme, mais il y a des symptômes, l'affaissement d'une partie du visage,
03:00les difficultés d'élocution,
03:03la paralysie éventuellement d'une partie du corps,
03:07ce sont différents symptômes. Un maux de tête inhabituel,
03:11intense, peut être un symptôme. Un trouble neuro, soudain, est un symptôme, mais dans mon cas, il n'y a pas eu de
03:19symptômes phares de l'AVC, et c'est bien d'ailleurs ce qui a repoussé,
03:22ce qui a causé une grande difficulté à poser le diagnostic, parce qu'en plus d'avoir 29 ans, on ne pense pas à l'AVC tout de suite.
03:28Je n'avais pas ces symptômes dits classiques de l'AVC.
03:33Lorsque vous étiez venu, moi ce qui m'avait frappé dans notre échange, c'est qu'effectivement, on n'en reparlera pas forcément ce matin, mais
03:40vous n'avez pas été bien accompagné pendant ces premières minutes, puisque l'homme avec qui vous viviez à l'époque était dans le déni et n'a
03:46pas voulu voir la gravité ou l'AVC que vous faisiez.
03:49En revanche, vous écrivez aussi, il est aussi crucial de savoir reconnaître l'AVC le plus vite possible, c'est ce que vous dites à l'instant,
03:55car chaque minute compte, et pour cause, lors de l'AVC, chaque minute écoulée représente 2 millions de neurones perdus.
04:01Ainsi, les chances de survie diminuent de minute en minute, et les éventuels séquelles sont d'autant plus
04:07aggravées. Il est 12h40 à Dieu de plaise, bien sûr, mais quelqu'un a un AVC à l'instant dans ce studio.
04:15Que doit-il faire ? Que doit faire l'entourage ? Et combien de temps il a devant lui pour qu'il y ait le moins
04:21possible de séquelles ?
04:24Plus la prise en charge est rapide et spécialisée, et plus elle est efficace. Autrement dit,
04:29plus vous allez vous diriger rapidement, donc plus vous allez appeler les secours rapidement, pour qu'ils vous emmènent vers un service spécialisé, ce qu'on
04:36appelle une unité neurovasculaire, et meilleur sera votre pronostic, puisque votre prise en charge sera
04:42optimale.
04:43Donc, vous voyez, il y a deux difficultés qui viennent se croiser.
04:47Il n'y a pas de campagne de santé publique, donc il n'y a pas suffisamment de prévention, et à côté de ça, on ferme les lits
04:52en unité neurovasculaire. Donc, non seulement on ne prévient pas, mais en plus, on génère de la difficulté dans la prise en charge.
04:59Ça devient
05:00très compliqué. Effectivement, comme vous l'avez souligné, moi j'ai encore eu d'autres difficultés qui étaient des difficultés personnelles,
05:05puisque j'avais une vie de couple qui était déjà compliquée, et qui n'a pas arrangé la situation dans le cadre de ma prise en charge.
05:12Mais, même pour quelqu'un dont l'entourage serait
05:16réactif,
05:17il y a quand même des difficultés. C'est pour ça que c'est important qu'on en parle.
05:20Alors, qu'est-ce qui s'est passé pour vous ? Donc, vous allez à l'hôpital, et dans quel état vous êtes ? Là, les gens sont en train de
05:25vous écouter, et se disent
05:27« Cette dame n'a absolument aucun souci, aucune séquelle, et Sarah Bardin, finalement, elle a 30 ans, et puis elle s'est bien remise. »
05:34Voilà ce que les uns et les autres doivent penser en vous écoutant.
05:36Oui, oui, c'est probablement ce qu'ils doivent penser.
05:40Ça a été un très long chemin, et c'est peut-être la raison pour laquelle, aujourd'hui, je prends la parole. C'est parce que, justement, je
05:45suis dans un état qui me permet de me faire le porte-parole de cette cause.
05:51Puisque, il est peut-être plus difficile, aujourd'hui, d'écouter
05:55quelqu'un qui aurait de lourdes séquelles, ça fait peut-être un petit peu plus peur.
06:00Je dis ça, je jette la pierre à personne, je suis la première à
06:04ne pas avoir voulu me confronter au handicap, alors qu'il était pourtant bien présent au moment de ma rééducation.
06:11Qu'est-ce qu'il y avait comme handicap ?
06:13À un moment, je me réveille du coma, je ne peux plus parler, je ne peux plus bouger, je suis emmurée dans mon corps.
06:18Ça va durer combien de temps ?
06:19Toute ma rééducation va durer deux ans au total.
06:22Donc, pendant deux ans, quasiment, vous ne pouvez pas parler ?
06:24Non, non, non, je vais recouvrir mes capacités au fur et à mesure. C'est-à-dire, ma rééducation complète va durer deux ans,
06:31entre le moment où je me réveille de mon coma en réanimation, et le moment où j'ai terminé ma rééducation libérale.
06:36Mais je vais faire des progrès au fur et à mesure, et d'ailleurs, en rééducation neuro, c'est très étonnant, mais on fait les
06:41progrès les plus importants, 90% des progrès, dans les toutes premières semaines.
06:45Donc, les gens ont l'impression que vous allez très bien. En réalité,
06:49moi, je garde des séquelles, des handicaps invisibles, j'ai des difficultés avec ma main gauche, j'ai des problèmes d'équilibre, et pour cause,
06:58on m'a enlevé une partie du cerveau.
07:00Donc, évidemment, les gens me regardent en ayant l'impression que je vais très bien, et je vais très bien. J'ai repris une vie...
07:07Mais vous ne pouviez pas marcher, ni bouger, par exemple, aucune main, lorsque vous sortiez du coma ?
07:11Au moment où je me réveille,
07:14absolument rien ne bouge, je peux même pas émettre un son.
07:16Et vous êtes en panique ?
07:17Je hurle, parce que c'est digne d'un film d'horreur, évidemment, et surtout, à ce moment-là, je ne sais pas
07:23pourquoi je suis là, et pire que tout, je ne sais pas depuis combien de temps je suis là.
07:27Et c'est un point où j'insiste très lourdement dans le livre, c'est que cette
07:32situation se réveille où je suis perdue dans le temps. Je ne sais pas, en fait, si je suis là depuis 15 jours,
07:41depuis 15 ans, j'en ai aucune idée.
07:43Et ça va durer combien de temps à l'hôpital ?
07:45Ça va durer un certain temps, jusqu'au jour où ma mère va me dire,
07:48mais il n'y a pas d'interaction, donc je ne lui réponds pas, donc il faudra qu'elle me le dise spontanément,
07:53jusqu'au jour où elle va me dire, j'ai finalisé l'inscription des garçons à la crèche pour la rentrée que tu avais démarrée.
07:58Et là, je comprends que mes garçons, qui allaient avoir deux ans
08:02peu de jours après,
08:03normalement, cette nuit, qui est la dernière dont je me souviens, sont encore petits, donc je comprends qu'il ne s'est pas écoulé très longtemps.
08:09Mais vous êtes resté combien de temps à l'hôpital ?
08:11A l'hôpital, alors, en réanimation, je suis restée 15 jours, ensuite il y a eu les soins intensifs,
08:18ensuite il y a eu le centre de rééducation d'hospitalisation complète, puis il y a eu le centre de rééducation en hôpital de jour,
08:23puis il y a eu la rééducation libérale.
08:25C'est une renaissance ?
08:27C'est une nouvelle vie.
08:28Mais ce qui demande une détermination et une volonté, ou qui se fait, vous diriez,
08:34naturellement, comme toute personne qui veut se battre ?
08:36Je pense qu'il faut avoir une bonne raison de se battre,
08:39pour être tout à fait honnête. Et je pense que si je n'avais pas eu mes deux petits garçons qui avaient justement tout juste deux ans à ce moment-là,
08:45je n'aurais pas eu cette volonté de m'en sortir telle que je l'ai eue.
08:50Et les médecins, ils vous disent que vous êtes une miraculée par rapport à la gravité de l'AVC ?
08:55Oui, alors là encore, c'est assez compliqué parce qu'en fait, il n'y a pas de réelle corrélation entre la zone
09:01lésion ischémique, l'étendue des lésions, et les séquelles.
09:05C'est-à-dire que vous pouvez avoir un AVC qu'on va considérer comme étant un petit AVC,
09:10parce que vous avez une toute petite zone ischémique dans le cerveau,
09:13qui aura des dommages extrêmement importants.
09:16Et puis vous avez mon cas de figure, par exemple, avec de vastes plages ischémiques,
09:21de vastes plages mortes dans le cerveau.
09:24Et pourtant, quand vous me regardez, je n'ai pas de dommages.
09:27Donc, les médecins, là encore, c'était très compliqué, puisqu'ils ne pouvaient même pas nourrir l'espoir en moi,
09:32puisqu'ils ne savaient même pas jusqu'où j'allais pouvoir aller dans ma rééducation,
09:36puisqu'ils n'étaient pas capables de faire ce lien.
09:38Mais quand vous dites, j'ai des plages mortes dans le cerveau,
09:42cette expression, elle est à la fois effrayante, et les conséquences, par exemple, sur votre intellect.
09:47Vous, vous êtes une personne très brillante, vous avez eu le bac très tôt, vous étiez très douée, etc.
09:52Vous trouvez aujourd'hui que, par exemple, vous vous retenez moins vide,
09:55vous travaillez, vous avez besoin de plus de concentration, que sais-je,
09:58que sur le plan intellectuel, vous êtes moins performante.
10:02Rassurez-vous, on l'est tous, avec le temps qui passe, la mémoire, c'est terrible.
10:06Je vous assure, on a oublié ce qui s'est passé la veille, alors qu'on se souvient de ce qui s'est passé il y a 45 ans.
10:13Mais dans quel état vous jugez vos neurones, si j'ose dire, et votre cerveau ?
10:18Alors, je ne sais pas si j'étais très brillante, et si je le suis encore, ça, je ne saurais pas le dire.
10:23Je vous confirme que vous l'êtes.
10:24C'est gentil, merci.
10:25Mais en tout cas, ce que je sais, c'est que je suis moins multitâche.
10:28Vous savez, on a le sentiment qu'on peut faire plein de choses en même temps, ce n'est plus mon cas.
10:33Et d'ailleurs, vous avez vu, je m'empresse de répondre à vos questions, de peur de les oublier en réalité.
10:38C'est-à-dire que les questions à tiroir, je m'empresse d'y répondre, puisque je ne veux pas oublier le premier tiroir.
10:44Voilà, donc je dirais que c'est plus dans l'instantanéité qu'il y a une difficulté, en termes de fatigabilité aussi.
10:49En revanche, j'ai une vie tout à fait normale, je travaille.
10:51Je travaille, j'ai la vie d'une maman célibataire qui travaille, qui lève seule ses enfants.
10:59Quel âge ont vos enfants aujourd'hui ?
11:01Ils ont eu 5 ans au mois d'août, donc ils ont presque 5 ans et demi.
11:04Donc, ça s'est passé il y a 3 ans ?
11:07Il y a un peu plus de 3 ans, oui, tout à fait.
11:08Et donc, ce retour des enfers a duré quasiment 3 ans.
11:14Durant cette période, écrivez-vous, Anne Méfis veut devenir neurologue.
11:17Il n'a aucune idée de ce qu'est un neurologue.
11:19C'est un gentil fils qui veut sauver sa maman.
11:21Et il a bien raison, mais il a compris que c'est le médecin de la tête,
11:25et que c'est de là dont sa maman ne pourra jamais complètement guérir.
11:29Aujourd'hui, vous êtes suivie, j'imagine, vous êtes à risque, entre guillemets ?
11:33Alors, de ce que j'ai compris, vous restez à risque dans l'année qui suit l'AVC.
11:40Finalement, votre plus grand risque, c'est la dépression.
11:43Parce que c'est une maladie qui est très incomprise par l'entourage,
11:47qui crée des difficultés d'isolement social qu'on peut facilement imaginer.
11:53Et donc, votre plus grand risque après l'AVC, c'est la dépression.
11:56Ce n'est pas tellement, éventuellement, un nouvel AVC,
12:00puisque vous avez une prise en charge.
12:03Eh bien, je vous remercie grandement.
12:05Et puis, je sais que c'est un sujet qui passionne les auditeurs,
12:08et puis qui, hélas, concerne aussi certains ou certaines.
12:11Sarah Bardin, pour son livre Réparer, surmonté un AVC à 29 ans.
12:15C'est aux éditions Stock.