• il y a 11 heures

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00:00Europe 1 soir, week-end. 19h, 21h, Pascal Delatorre Dupin.
00:04Merci d'être avec nous et d'être en direct. On est sur Europe 1, on est ensemble jusqu'à 21h.
00:08Samia Maktouf, avocate de victimes de terrorisme, notamment de l'hypercachère et conseillère auprès de la Cour pénale internationale, est avec nous.
00:15Bonsoir maître, bonsoir Samia Maktouf. Alors je ne vais rien cacher aux auditeurs d'Europe 1.
00:20Pendant la courte pause publicitaire, le débat était enflammé.
00:24On commençait à s'empailler.
00:25Voilà, exactement, de mise en. Je voudrais qu'on commence par ça.
00:27Est-ce qu'on pourrait réécouter peut-être, réécoutons peut-être un peu cet extrait.
00:32Je voudrais quand même qu'on en parle. C'est un sujet.
00:35Vous êtes Charlie ?
00:36Je ne me prononce pas.
00:39Non, c'est juste pour la liberté d'expression.
00:43Vous pourriez dire oui. Est-ce que vous pensez qu'en France, on a le droit au blasphème ?
00:50Ça, ça veut dire non ?
00:51Oui, je préfère pas.
00:52Ça veut dire non ? Par rapport au blasphème ?
00:55Je préfère pas me prononcer.
00:57Vous ne voulez pas répondre ?
00:58Non.
00:59Ça aurait été cool de dire oui, non ?
01:01Non.
01:02Voilà.
01:03C'est juste l'extrait. Pardon, mais le droit au blasphème, ce n'est pas une prise d'opposition.
01:07Voilà.
01:08Mais ce n'est pas une prise... Samia Maktouf, comment vous avez...
01:10Écoutez-moi, je suis désolée, ça m'a choquée.
01:13C'est parce que oui, d'abord je suis heureuse et contente de voir qu'elle a gagné, qu'elle est Miss France.
01:19Je suis vraiment très très heureuse.
01:21Ça n'a rien à voir.
01:22Parce qu'en plus, je vais vous dire autre chose.
01:24Elle a brisé quelque chose qui est discriminatoire vis-à-vis des femmes, c'est l'âge.
01:31Elle a 34 ans.
01:32Elle a blasphémé.
01:33Ça, c'est bien.
01:34C'est le jury, elle y est pour rien.
01:36Samia Maktouf, c'est le jury qui l'a élue.
01:38Je veux dire, c'est bien que ça ait été brisé.
01:41Je suis contente, donc c'est une petite avancée.
01:44Mais être ou ne pas être Charlie, à la rigueur, ce n'est pas ça.
01:49Elle doit préserver un droit, une réserve en tant que Miss.
01:54En revanche, il fallait quand même qu'elle sache, ou certainement qu'on lui a dit,
01:59que c'est quand même ces attentats,
02:01c'est les attentats qui ont fait le plus grand nombre de victimes depuis la Deuxième Guerre mondiale
02:07et qu'à titre uniquement civique, c'est-à-dire que c'est un engagement civique.
02:12Pourquoi ? Parce que c'est une Miss.
02:14Parce qu'elle est belle.
02:15Parce qu'elle est jeune.
02:16Parce que beaucoup de jeunes filles s'identifient en elle.
02:18Et c'est tout simplement ça.
02:20Et puis, pardon, le blasphème, c'est interdit.
02:22Nous sommes dans un pays, c'est-à-dire...
02:25On a le droit de blasphémer en France.
02:27C'est pas interdit.
02:28Le droit est dans notre droit positif français.
02:33Elle ne peut pas dire oui ou non, on n'a pas le droit.
02:37C'est l'application pure et simple du droit.
02:39On a le droit de blasphémer et elle ne peut pas dire,
02:42oui, je suis d'accord ou je ne suis pas d'accord.
02:44Il faut respecter la loi.
02:46La loi, c'est le droit de critiquer, de blasphémer,
02:49de parler avec une ligne rouge.
02:51C'est laquelle ? C'est de ne pas entamer ou enfreindre des règles,
02:56ou de ne pas respecter l'autre.
02:59Est-ce que sur les journées que nous venons de vivre,
03:02là est l'essentiel du problème.
03:04Que sait-on des convictions intimes de cette jeune femme ?
03:07Peut-être que dans son for intérieur,
03:09elle partage au mot près tout ce que vous venez de dire.
03:11Le seul problème, c'est qu'elle est dans un statut de Miss France,
03:13un statut officiel de Miss France.
03:15C'est que le comité Miss France,
03:17elle passe de l'ombre à la lumière, du jour au lendemain.
03:20C'est une expérience totalement traumatisante, certainement.
03:24Elle se retrouve dans ses premiers médias,
03:26et on vient l'interroger sur des questions très lourdes,
03:28où, bien sûr, elle ne sait pas comment faire.
03:30Moi, ce qui m'a...
03:32Vous trouvez que, êtes-vous Charlie, c'est une question lourde ?
03:34Je ne vous dis pas pour moi, pas pour elle.
03:36Ce n'est pas une question lourde.
03:38Entendez-moi bien, parce que je dis simplement
03:40que dans son statut de Miss France,
03:42peut-être qu'elle n'a pas su comment
03:44aborder dans son nouveau statut.
03:46Ce qui m'a choqué, moi, cette semaine,
03:48ce n'est pas de savoir ce qu'a répondu Miss France,
03:51c'est que dix ans après, on a davantage répondu
03:53de savoir si on devait être Jean-Marie ou pas être Jean-Marie,
03:56plutôt que de faire une semaine de belles qualités
03:58sur ces enjeux-là, concernant dix ans après...
04:01On l'a fait, c'est revopon !
04:03Dix ans après Montrouge,
04:05et dix ans après l'hypercachère.
04:07Ici, d'accord, mais avouez que la semaine
04:09n'a pas été d'un très haut niveau
04:11concernant l'intégration...
04:13Là où je suis d'accord avec vous, c'est que je suis atterrée
04:15de voir que dix ans après...
04:17Mais Miss France, c'est une...
04:19Excusez-moi, elle représente Miss France.
04:21Je partage votre avis.
04:23Très certainement, c'est une personne
04:25qui a des valeurs et une morale.
04:27Certainement, je respecte.
04:29Mais ce qui la fait chose,
04:31c'est le symbole.
04:33Est-ce qu'elle a reçu sur les réseaux sociaux
04:35ce mécanisme de meute
04:37qui se lance après quelqu'un ?
04:39Moi aussi !
04:41Je lui apporte vraiment mon soutien
04:43parce que ce qu'il se passe sur les réseaux sociaux
04:45et on en parlera tout à l'heure
04:47avec les influenceurs, c'est inacceptable
04:49dans notre République. On a des réseaux sociaux
04:51à un déferlement de haine.
04:53C'est territoire perdu de la République numérique
04:55qu'il faut arrêter.
04:57Après, c'est très intéressant
04:59ce qui s'est passé. Cette question, on ne peut pas
05:01s'en désintéresser. C'est le fait d'avoir
05:03à poser la question dix ans après.
05:05Normalement, on ne devrait plus
05:07se poser cette question.
05:09Et malheureusement, on se la pose.
05:11Que reste-t-il de cet esprit Charlie ?
05:13Encore une fois, l'esprit Charlie, ça ne veut pas dire
05:15qu'on est d'accord avec tout ce que publie Charlie Hebdo.
05:17Ce n'est pas la question. L'esprit Charlie, c'est
05:19défendre la liberté d'expression.
05:21L'esprit Charlie, c'est se positionner
05:23contre les attentats. Et aujourd'hui, on a le sentiment
05:25effectivement que même dans la jeunesse, attention,
05:27le droit au blasphème, la jeunesse n'est pas pour.
05:29Et l'esprit Charlie, c'est surtout des artistes.
05:31On ne parle jamais des artistes.
05:33Ce sont des créateurs, des dessinateurs.
05:35On veut réduire l'artistique
05:37et la création parce que la création pour les islamistes
05:39est insupportable. La liberté
05:41de création est insupportable.
05:43On préfère des influenceurs qui font des stories
05:45sur Instagram plutôt
05:47que de vrais créateurs.
05:49Je rappelle quand même
05:51à nos auditeurs que vous êtes avocate de victimes de terrorisme,
05:53notamment des victimes de l'hypercaché.
05:55Je le rappelle. Vous l'avez vécu, vous,
05:57en première ligne,
05:59ces attentats et toute
06:01cette époque, ce que j'ai appelé cette époque Charlie,
06:03en 2015.
06:05Qu'est-ce qui reste aujourd'hui ?
06:07J'essaye de ramasser un peu
06:09tout ce qui reste.
06:11Malheureusement, ce que je suis en train de constater aujourd'hui,
06:13c'est qu'il y avait beaucoup de poussière
06:15sous le tapis,
06:17c'est-à-dire que, peu importe,
06:19et là je vous rejoins, qu'on soit ou pas Charlie,
06:21ce n'est pas ça. Ce qui est important,
06:23c'est cet engagement
06:25citoyen qui est important.
06:27C'est qu'en nous vivant dans une société
06:29où nous devons accepter
06:31l'autre avec sa différence,
06:33ses différences,
06:35et pouvoir lui dire
06:37ouvertement, si on n'est pas d'accord,
06:39mais sans l'offenser,
06:41comme par exemple,
06:43cette Miss France.
06:45Je condamne la manière
06:47dont elle a été
06:49critiquée, mais farouchement.
06:51C'est condamnable
06:53ce qui a été fait.
06:55Ce qui m'a beaucoup touché cette semaine,
06:57c'est qu'il y a dix ans,
06:59j'ai connaissé certaines personnes qui étaient
07:01à bloc Charlie,
07:03et qui ne rajoutaient jamais derrière
07:05oui mais, jamais.
07:07Et dix ans après,
07:09selon le constat établi par Elisabeth Badinter,
07:11c'est la peur qui a gagné du terrain,
07:13les mêmes personnes me disent,
07:15oui d'accord Olivier, mais bon,
07:17il ne faut peut-être pas provoquer,
07:19peut-être qu'il faut y réfléchir à deux fois,
07:21c'est inutile concernant
07:23les religions,
07:25peut-être parce qu'on peut faire du mal, etc.
07:27C'est-à-dire que ça, ce reflux,
07:29je le conteste totalement,
07:31en disant aux mêmes personnes, non, non, non, ne lâchez rien,
07:33si vous commencez à lâcher,
07:35c'est une victoire des islamistes,
07:37c'est une défaite de Voltaire dans notre pays,
07:39donc il faut tenir bon,
07:41n'en doutez pas, et donc c'est
07:43une forme de doute, de peur
07:45s'est installée dix ans après.
07:47Et par rapport à notre jeunesse aussi,
07:49c'est-à-dire qu'on voit bien à quel point, pour reprendre
07:51justement, les mots des
07:53personnes qui font le lit du terrorisme,
07:55mais notamment ce terrorisme intellectuel,
07:57pour nos jeunes, on voit à quel point la peur
07:59s'est installée, la colonisation mentale
08:01s'est installée, l'apartheid
08:03entre nous s'est installé, c'est-à-dire que les replis
08:05identitaires, les replis communautaristes
08:07sont installés au sein de notre jeunesse,
08:09et enfin, c'est un génocide
08:11pour la liberté qui s'est installée, contre la liberté
08:13plutôt qui s'est installée. Et ça, c'est terrible.
08:15Ce qui m'a choqué, par contre, cette semaine,
08:17c'est le fait que Mathilde Panot n'ait pas réussi
08:19à dire, je suis juif.
08:21Oui, non, non, c'était
08:23plus choquant que cette histoire de Miss France.
08:25Bon, Mathilde Panot,
08:27écoutez ce que disait, on a, on a,
08:29mais c'est vrai, vous avez raison Rachel Khan,
08:31vous avez raison, c'est terrible,
08:33on est vraiment, mais divisé, on est allé poser
08:35la question, alors on a exhumé
08:37un micro-trottoir, je vous ai expliqué,
08:39un micro-trottoir, c'est-à-dire qu'il y a 10 ans,
08:41les équipes d'Europe 1 étaient allées interroger les Français dans les rues.
08:43Je voudrais que vous écoutiez ce que disaient
08:45ces Français il y a 10 ans.
08:47Charlie Hebdo doit continuer,
08:49il faut qu'on continue de se battre pour notre liberté.
08:51On ne veut pas de haine ici, la France,
08:53elle est libre, la France, elle est laïque,
08:55la France, elle est jolie, normalement,
08:57elle n'est pas tachée de sang, elle n'est pas tachée
08:59de mots violents. Qu'on soit
09:01musulmans, qu'on soit français,
09:03qu'on soit africains, on est tous Charlie.
09:05C'était extrêmement émouvant de trouver à se tenir
09:07la main avec des gens qu'on ne connaissait pas,
09:09c'était, voilà, c'était impressionnant.
09:11On est en train de vivre un moment historique, je pense,
09:13parce qu'on est excessivement nombreux,
09:15et c'est du délire de voir autant de gens réunis
09:17de partout avec des drapeaux de toutes les couleurs,
09:19et bien sûr des drapeaux français,
09:21et oui, c'est extrêmement important.
09:23Voilà, ça c'était il y a 10 ans,
09:25Samia Makhlouf,
09:27cette unité, c'est vrai que c'était incroyable,
09:29cette mobilisation, cette manifestation,
09:314 millions de personnes dans les rues,
09:33cette dizaine de chefs d'État et de gouvernement
09:35qui étaient venus soutenir François Hollande,
09:37soutenir les Français, on en garde des images
09:39incroyables aujourd'hui, aujourd'hui,
09:41effectivement, aujourd'hui, voilà, on a retrouvé
09:43un autre micro-trottoir qui a été fait
09:45aujourd'hui, là, il y a quelques jours,
09:48Il y a 10 ans, ça m'a beaucoup frappé,
09:50c'était un séisme en fait,
09:52et après ça a été la descente aux enfers,
09:54maintenant on n'a plus le droit de rien dire du tout.
09:56L'esprit Charlie a pratiquement disparu,
09:58je suis Charlie à 100%.
09:59Je ne suis pas du genre à me pencher sur les articles
10:01de Charlie Hebdo, par contre je valorise le fait
10:03que l'expression devrait rester ouverte.
10:05Par contre je pense que c'est de plus en plus difficile
10:07de s'exprimer tel qu'on est au travers de son art
10:09en règle générale.
10:11Moi je ne suis pas Charlie, je ne suis pas Charlie,
10:13ce n'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec Charlie
10:15que je pense que ce qu'il mérite,
10:17c'est de se faire buter, etc.
10:18Ce n'est pas du tout ça la question,
10:19mais on ne va pas m'obliger à dire je suis Charlie.
10:21C'est une tragédie ce qui est arrivé à Charlie,
10:23mais il ne faut pas céder,
10:25je crois qu'il ne faut pas se coucher,
10:27je crois que l'esprit de la France c'est ça.
10:29Vous vous rendez compte un peu la différence,
10:31Samia Maktouf, la différence,
10:3310 ans plus tard.
10:35Oui, mais il s'est passé, pardon.
10:37Rachel Khan, dites-moi tout.
10:3910 ans plus tard,
10:41entre temps il s'est passé beaucoup de choses,
10:43il s'est passé Samuel Paty,
10:45il s'est passé Dominique Bernard et puis surtout le 7 octobre.
10:47Pourquoi tous ces événements
10:49tragiques se sont passés ?
10:51C'est bien parce qu'on n'était pas réellement Charlie,
10:53parce que
10:55on ne fait pas la distinction et on ne sait pas
10:57ce que veut dire exactement être Charlie.
10:59Être Charlie n'est pas être abonné à ce journal,
11:01ce n'est pas partager
11:03les caricatures,
11:05ce n'est pas être d'accord sur ses critiques,
11:07c'est accepter,
11:09accepter tout simplement
11:11que l'autre soit différent,
11:13que l'autre ait le droit, et surtout
11:15un journaliste,
11:17c'est le fondement d'un état
11:19de droit, l'expression de liberté,
11:21c'est accepter que l'autre
11:23puisse dire ce qu'il veut dire
11:25librement, sans avoir
11:27peur d'être buté, c'est ça.
11:29Peut-être qu'il faut changer le mot,
11:31mais je ne vois pas pourquoi on le changerait, parce que moi
11:33aujourd'hui, si on devait faire un autre micro
11:35trottoir et demander à toute la
11:37population française et même au-delà
11:39ce qu'ils faisaient
11:41à ce moment-là, au moment où il y a eu ces
11:43attaques, et ce qu'ils ont ressenti,
11:45personne ne restera indifférent.
11:47Je ne peux pas oublier à ce moment-là
11:49le sentiment, je le revis,
11:51dix ans après, c'est
11:53beaucoup trop, dix ans, mais c'est
11:55trop peu, on ne peut pas
11:57les oublier, et je pense aux victimes.
11:59Alors oui, comment vont-elles ?
12:01Voilà, c'est pour ça que je voulais parler des victimes.
12:03Dix ans après, c'est important.
12:05Dix ans après, c'est...
12:07Oui, ça fait dix ans, et vous savez,
12:09j'ai eu l'honneur et le plaisir d'accompagner
12:11ces victimes
12:13dans l'attentat
12:15Charlie et l'Hypercacher,
12:17mais également dans d'autres attentats
12:19tels que le 13 novembre
12:21et Peter Scheriff.
12:23Ce que je veux dire, c'est qu'une victime,
12:25à chaque fois qu'il y a un attentat,
12:27c'est le même traumatisme
12:29qu'elle revive, et il y a une
12:31solidarité absolue. Vous savez
12:33ce qu'on m'a dit, parce que moi je les ai appelés,
12:35je suis en contact avec eux, ils me disent
12:37que ça nous a réchauffé le cœur
12:39au lendemain
12:41de l'attentat, quand il y a eu
12:43cette marche, quand il y a eu
12:45toute cette main tendue.
12:47Cette union nationale.
12:49Ils ont l'impression qu'aujourd'hui, ils se sentent abandonnés.
12:51Bien sûr que ça leur fait plaisir
12:53qu'il y ait des
12:55événements pour rappeler qu'il y a
12:57dix ans, il y a eu des attentats.
12:59Parler de Clarissa, parler
13:01de ces journalistes qui ont
13:03trouvé la mort dans une salle de rédaction,
13:05parce qu'ils exerçaient tout simplement leur droit
13:07qu'une épicerie,
13:09parce qu'elle est juive
13:11a été visée.
13:13C'est ça notre mode de vie, et quand on parle
13:15de ce que vous rappelez tout à l'heure,
13:17tous les événements tragiques
13:19qu'on a connus en France et à l'étranger,
13:21c'est bien parce qu'on n'est pas Charlie.
13:23Oui, mais sauf que c'est pire.
13:25Depuis le 7 octobre,
13:27il y a eu une autre bascule, notamment avec
13:29les réseaux sociaux, l'antisémitisme, etc.
13:31Samia Maktouf, vous n'êtes pas pressée, vous pouvez rester avec nous.
13:33Avec plaisir.
13:35Vous ne bougez pas, s'il vous plaît, avocate de victimes de terrorisme,
13:37notamment de l'hypercachère Olivier Dartigol,
13:39Rachel Khan, sont dans ce studio.
13:41Il est 19h29, on va parler
13:43dans quelques instants également de notre bras de fer
13:45avec l'Algérie. Il y a beaucoup de choses à dire
13:47ce soir. Il est 19h29
13:49sur Europe 1.
13:51Europe 1 soir week-end.
13:5519h21, Pascal Delatorre Dupin.
13:57Et je suis toujours dans ce studio
13:59avec Samia Maktouf, avocate de victimes de terrorisme,
14:01notamment de l'hypercachère,
14:03conseillère auprès de la Cour pénale internationale.
14:05Rachel Khan est avec nous
14:07et Olivier Dartigol.
14:09Je suis très heureuse que vous soyez là.
14:11Nous avions une conversation
14:13et une discussion assez nourrie
14:15avant la pause à propos de cet esprit Charlie,
14:17à propos de la position de Miss France.
14:19On a parlé également parce que ça a fait
14:21énormément réagir. Et cette question aujourd'hui,
14:23peut-on tout dire ?
14:25Est-on aussi libre qu'avant
14:272015 ? Non ?
14:29C'est ce que vous disiez, Rachel Khan,
14:31depuis les attentats du 7 octobre, on a encore passé un palier.
14:33On a encore passé un palier.
14:35Et où, effectivement,
14:37chaque mot peut entraîner
14:39une déferlante ? Une déferlante de haine.
14:41On a passé un palier sur la disqualification,
14:43les calomnies,
14:45les mensonges, même des témoignages
14:47des personnes qui sont victimes,
14:49notamment par rapport
14:51au judaïsme clandestin qui opère
14:53dans notre pays. Elles ne peuvent même plus témoigner
14:55ou exprimer ce qu'elles peuvent
14:57vivre, parce que derrière,
14:59on les qualifie de menteurs, de menteuses,
15:01etc. Donc, il y a véritablement
15:03quelque chose qui ne va plus. Par ailleurs,
15:05puisqu'on évoque et on souligne l'esprit
15:07Charlie, et je vous remercie de le faire aujourd'hui,
15:09parce que c'est vrai qu'on n'a pas trop
15:11entendu parler, en tout cas, à mon sens, pas assez.
15:13Il y a dix ans, on disait
15:15je suis Charlie, je suis flic,
15:17je suis juif. Voilà
15:19la trilogie à laquelle il faut se souvenir
15:21aujourd'hui. Effectivement, on a vu,
15:23on se souvient de scènes incroyables
15:25où des manifestants prenaient dans leurs bras
15:27les défenseurs de l'ordre, ils les embrassaient.
15:29Bon, ça n'a pas duré longtemps,
15:31ça a duré quelques jours, et après,
15:33chacun a repris
15:35ses positions, mais on a vécu
15:37cet instant de grâce,
15:39ce moment de grâce qu'on a partagé
15:41il y a dix ans,
15:43aujourd'hui, le fait est, je ne sais pas,
15:45Olivier d'Artigolle, vous n'êtes pas d'accord avec ça, qu'effectivement,
15:47la liberté d'expression a terriblement reculé
15:49dans notre pays ? J'ai souvenir aussi
15:51qu'il y a dix ans, tout le monde n'était pas Charlie.
15:53Vous pensez à qui ?
15:55Il y avait des
15:57personnes qui
15:59n'exprimaient pas ce message-là.
16:01Voilà.
16:03Dix ans après,
16:05nos
16:07concitoyens de confession juive
16:09et juif de France
16:11ressentent un terrible abandon.
16:13Ça, c'est l'échec de notre République.
16:15Terrible échec.
16:17Alors que c'est l'identité même
16:19de notre pays, pour que les juifs
16:21de France éprouvent ce sentiment
16:23qui est une réalité d'abandon.
16:25Moi, il me semble que ce qui s'est passé en dix ans
16:27est effroyable. Rachel Kahn a
16:29totalement raison de dire qu'il y a un avant et un après
16:31cet octobre.
16:33Et donc,
16:35on sent bien que
16:37sur ces dix années, le bilan
16:39est terriblement préoccupant.
16:41Et il y a
16:43une bataille politique,
16:45culturelle, idéologique à mener
16:47auprès de la jeune génération.
16:49C'est-à-dire que certains,
16:51je le dis avec beaucoup de souffrance,
16:53certains sont perdus, y compris à gauche.
16:55Pour moi, je n'aurai
16:57plus jamais, après ce qui s'est passé
16:59cet octobre, la possibilité
17:01de réintégrer dans ce qui est mon idée de gauche
17:03certaines personnes qui se sont plus que
17:05déshonorées, mais qui sont allées
17:07vraiment au cloac,
17:09qui sont allées dans la boue,
17:11et qui s'y votent depuis des mois.
17:13Mais j'ai envie qu'on gagne auprès de la
17:15jeune génération, parce qu'il y a encore des choses
17:17superbes à gagner auprès d'eux.
17:19Il va falloir faire avancer les choses, parce que la jeune génération
17:21me semble aujourd'hui un peu perdue,
17:23non Samia Maktouf ?
17:25Lutter contre le terrorisme,
17:27c'est un travail de société.
17:29C'est un travail qui se fait avec
17:31toutes les composantes
17:33de la société française.
17:35Avec leurs différences, avec leurs croyances.
17:37Ce qui est
17:39aujourd'hui choquant,
17:41c'est de voir des disparités
17:43entre
17:45justement cette
17:47jeunesse que nous avons
17:49perdue. Et je le découvre
17:51de plus en plus. Je vais vous dire, moi ce qui me
17:53choque le plus, c'est qu'il y a quelque temps,
17:55depuis dix ans,
17:57j'accompagne ces victimes, je les vois
17:59régulièrement, parce que vous savez,
18:01vous me donnez l'occasion de parler de victimes,
18:03qui, oui, se sont abandonnées.
18:05Non seulement parce que l'esprit Charlie
18:07n'y est plus, mais parce que
18:09on a parlé de ces victimes,
18:11il y a eu un accompagnement, cet accompagnement
18:13n'est plus là.
18:15Qu'il soit administratif ou
18:17hospitalier, ou de la part de l'Etat, il n'est plus là.
18:19Je voudrais juste rappeler d'un mot
18:21que ces victimes-là sont des victimes
18:23qui ont été visées
18:25tout simplement parce que la France
18:27était visée. C'était pas un règlement de comptes,
18:29c'était pas un accident de circulation.
18:31Ces victimes sont des victimes
18:33de la haine qu'emporte
18:35la France.
18:37Et donc, pour revenir à cette
18:39jeunesse,
18:41moi, je vois la gêne
18:43que cette jeunesse a
18:45et d'autres n'ont même plus de gêne.
18:47Parce qu'il y a dix ans, il y avait une gêne,
18:49on prenait un peu des
18:51précautions pour dire les choses.
18:53Mais aujourd'hui, il n'y a plus de gêne.
18:55C'est du sans filtre.
18:57La faute à quoi
18:59à qui ? Aux réseaux sociaux,
19:01en grande partie, évidemment.
19:03Les réseaux sociaux.
19:05A chacun d'entre nous.
19:07Et de ne pas sanctionner
19:09quand ça arrive. Parce que
19:11qui vole à un oeuf, vole
19:13un bœuf.
19:15Lorsqu'on commence par dire
19:17je ne veux pas faire
19:19je ne veux pas suivre tel cours,
19:21je ne veux pas faire telle ou telle chose,
19:23ça a l'air banal.
19:25J'ai le plus grand respect pour les enseignants.
19:27Ce n'est pas à eux, ils essayent de faire au mieux
19:29pour avoir la paix dans une classe.
19:31Mais ces professeurs
19:33n'ont pas été accompagnés.
19:35C'est-à-dire qu'il fallait
19:37c'est eux qui ont tout porté.
19:39Ils ont même été lâchés.
19:41Ils ont tout porté, ils ont été lâchés.
19:43Il n'y a pas eu d'accompagnement de ces professeurs.
19:45Et puis Charlie, ça a été
19:47un terrorisme
19:49physique, avec
19:51des morts physiques.
19:53Sauf qu'après Charlie, le terrorisme
19:55islamiste
19:57ne s'est pas arrêté.
19:59C'est-à-dire qu'on a eu beaucoup de
20:01l'entrisme dans les associations culturelles,
20:03sportives,
20:05l'entrisme au sein des institutions,
20:07que ce soit au niveau national
20:09ou international.
20:11Dans les universités, évidemment,
20:13puisque tous les endroits où
20:15ça touche à la culture,
20:17à la connaissance,
20:19effectivement, c'est là
20:21où ce sont des points clés, justement,
20:23pour faire entrer ces idéologies morbides.
20:25Donc les choses ont continué.
20:27Or, la France, j'ai eu le sentiment qu'il y a eu
20:29Charlie, il y a eu
20:31Clarissa, il y a eu
20:33Lipercacher.
20:35Il y a eu cette vague aussi
20:37d'Alia, où beaucoup de Juifs
20:39sont partis pendant ces années-là.
20:41Il y a eu de grands discours.
20:43Je me rappelle le discours des Mureaux du président
20:45de la République. Quelques jours plus tard,
20:47Samuel Paty, et puis rien.
20:49Alors qu'on est sur la défensive,
20:51au lieu d'être à l'attaque.
20:53Peut-être aussi,
20:55je le disais, les réseaux sociaux,
20:57j'aimerais qu'on en arrive là aussi.
20:59Ces réseaux sociaux et ces influenceurs que l'on voit,
21:01alors là, il s'agit de...
21:03C'est pas sans filtre, c'est pire que ça.
21:05C'est des appels au viol, c'est des appels
21:07au meurtre, qui sont
21:09apologies du terrorisme.
21:11Et heureusement qu'il y en a
21:13qui les dénoncent, puisqu'ils
21:15ne parlent pas forcément français,
21:17donc le temps, effectivement, de les identifier, c'est compliqué.
21:19Parce qu'ils parlent pas français,
21:21qu'on peut pas les arrêter.
21:23Les identifier au début, d'abord.
21:25C'est le résultat de décisions et d'un processus.
21:27Quand Elon Musk prend la main sur Twitter
21:29pour le transformer en X,
21:31la première décision
21:33est de tailler dans les effectifs,
21:35notamment des modérateurs.
21:37C'est-à-dire qu'il faudra,
21:39un jour, par rapport à ces libertariens
21:41qui nous expliquent qu'on peut tout dire
21:43et que liberté est totale, et qu'on peut
21:45tout laisser passer, s'il n'y a pas de réponses
21:47fortes au niveau
21:49européen. La tension
21:51du jour entre Musk et
21:53Breton relève de cette histoire-là.
21:55C'est à chaque pays.
21:57J'espère que mon pays prendra des décisions
21:59plus fortes que l'Union Européenne,
22:01si l'Union Européenne n'y arrive pas.
22:03Il faut tout simplement reprendre la main sur
22:05une modération qui permet... Il faut
22:07judiciariser.
22:09Il faut judiciariser.
22:11Il faut qu'il y ait de la modération
22:13en amont. Il faut que
22:15certains profils ne puissent pas
22:17nuire, dès qu'il y a des signaux faibles,
22:19que des enquêtes internes dans les réseaux sociaux,
22:21dans les plateformes, soient menées,
22:23qu'il y ait des saisines de procureurs
22:25de la République, etc.
22:27L'actualité sous les influenceurs algériens
22:29montre que c'est possible. Mais il faut le
22:31faire de manière beaucoup plus systémique.
22:33C'est pour ça que moi je suis entièrement d'accord avec ce que
22:35disait Olivier, mais sur la
22:37règle de droit, je suis désolée,
22:39il faut que les droits nationaux
22:41s'appliquent aux réseaux sociaux. Nous n'avons pas
22:43les mêmes droits par rapport à la liberté d'expression,
22:45les mêmes règles, les mêmes lois
22:47par rapport à la liberté d'expression.
22:49Il est quand même aberrant que sur notre
22:51territoire français, nous soyons
22:53dans un ordre juridique, dans un ordre
22:55où il n'y ait pas de droit, dans un désordre en fait.
22:57C'est la jungle.
22:59Vous êtes avocate,
23:01est-ce que vous pouvez nous donner des clés ?
23:03Quelles sont les armes pour lutter contre ça ?
23:05Les armes existent.
23:07On peut poursuivre une personne
23:09qui diffame publiquement une personne.
23:11J'ai assisté,
23:13des deux côtés, en défense.
23:15Mais beaucoup ont l'impression que ça ne va pas
23:17assez vite, que
23:19il ne se passe rien. Quand on fait
23:21une déclaration sur...
23:23Ce n'est pas simplement la déclaration,
23:25c'est qu'il faut, lorsqu'on s'inscrit sur un réseau
23:27social, demander
23:29une carte d'identité, avoir le nom,
23:31les prénoms de la personne, etc.
23:33Là, les pseudos, ce n'est pas possible. Et puis, en plus,
23:35c'est d'une lâcheté sans nom.
23:37De faire de l'apologie du terrorisme.
23:39Là, on est arrivé à Mohamed Merah.
23:43Les identifiants permettent
23:45à la police scientifique et judiciaire
23:47d'arriver à la personne
23:49derrière qui se cache ce pseudo.
23:51Le droit le permet, mais bon,
23:53c'est vrai que c'est un travail conséquent.
23:55Oui, mais ça fait un climat.
23:57Parce qu'en fait, il y a des personnes, vous le savez très bien,
23:59et notamment des
24:01non-représentants, qui jouent avec la ligne
24:03du droit, mais qui créent un climat
24:05absolument délétère sur les réseaux sociaux.
24:07En tant qu'avocate, si vous permettez, je voudrais juste
24:09dire que nous avons les outils
24:11juridiques. Est-ce que je peux
24:13dire un mot, en tant qu'avocate,
24:15mais pas politiquement,
24:17sur l'affaire de
24:19cet influenceur
24:21algérien ? Ah oui, je voulais qu'on en parle
24:23dans un instant.
24:25Restez avec nous, vous pouvez rester en camp.
24:27Ne bougez pas, c'est tout de suite,
24:29tout de suite, tout de suite,
24:31sur Europe.

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