Quel reste t'il de "l'esprit Charlie", 10 ans jour pour jour après l'attentat des frères Kouachi dans les locaux de l'hebdomadaire satirique : le dessinateur des DNA, l'Alsacien Yannick Lefrançois, appelle à ne pas baisser la garde et à chérir la liberté d'expression en France.
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00:00Dix ans, dix ans déjà depuis l'attaque terroriste dans les locaux parisiens de Charlie Hebdo.
00:06C'était le 7 janvier 2015, des terroristes font irruption, ouvrent le feu, bilan douze morts,
00:11dont une grande partie de l'équipe du journal satirique,
00:14les dessinateurs Charles Kabu, Wolinski, Tnews, pour ne citer qu'eux,
00:17pris pour cible parce que symbole de la liberté d'expression en France
00:22et pour avoir caricaturé le prophète Mahomet.
00:24Êtes-vous encore Charlie dix ans après ?
00:26Et dites-nous à quel point ce drame a marqué votre vie ?
00:29Vous témoignez dès maintenant 0388 25 15 15.
00:32Bonjour Yannick Lefrançois, dessinateur chez nos confrères des dernières nouvelles d'Alsace,
00:37les DNA, vous il n'y a aucun doute, vous êtes toujours Charlie aujourd'hui plus que jamais ?
00:41Ah bah oui plus que jamais là, je suis quand même pas mal concerné en tant que dessinateur de presse.
00:46Ouais ouais dix ans, c'est fou d'ailleurs quand j'y pense dix ans, ça me semble tellement hier,
00:53je me souviens encore être prostré complètement dans mon atelier avec mes collègues là,
00:58puisqu'on est plusieurs à partager un atelier,
01:00on est resté un peu comme si on avait eu un World Trade Center chez nous quoi.
01:04C'est vraiment comparable, vous comparez au 11 septembre aux Etats-Unis ?
01:08Ah bah bon, dans l'émotion et dans la quatrième dimension,
01:12parce qu'on avait l'impression que ce soit pas possible que ça puisse arriver en France, un truc pareil.
01:17Vous dessinez encore de la même façon aujourd'hui ou il y a eu un avant, un après Charlie ?
01:22Moi j'ai pas le sentiment d'avoir changé quelque chose,
01:24par contre effectivement je pense qu'il y a eu un avant et un après dans la presse,
01:28et pas toujours dans le bon sens quoi,
01:31c'est-à-dire qu'on a pu imaginer peut-être qu'après Charlie, après toutes ces tueries,
01:36il y ait vraiment que le dessin de presse, qui est devenu quand même le symbole de la liberté de la presse,
01:43soit vraiment porté par la plupart des supports, au moins papier, journaux,
01:51et en fait on a senti quand même une crispation.
01:54Ça n'a pas été le cas ?
01:56Je pense que ça a été le cas pour certains canards, mais pas pour d'autres qui se sont crispés,
02:01on a vu effectivement des journaux et des institutions comme New York Times par exemple,
02:06qui a viré tous ses dessinateurs,
02:09il y a eu une espèce d'auto-censure et une auto-crispation qui s'est faite,
02:12mais ça c'est aussi à cause des réseaux sociaux, le développement des réseaux sociaux ont créé ça aussi.
02:18Vous ne l'êtes jamais imposé cette auto-censure ?
02:21Quand vous avez un crayon en main, vous ne vous êtes jamais dit,
02:24peut-être que ce dessin-là je vais éviter, pour telle raison ?
02:27C'est-à-dire que moi je travaille pour la PQR, la Presse Quotidienne Régionale.
02:32Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des sujets un petit peu...
02:35Il peut y avoir, oui, tout à fait.
02:37... un petit peu difficiles à traiter, donc ça doit vous arriver.
02:39Bien sûr, il y a des sujets comme la religion par exemple,
02:41je sais que c'est des sujets en général qu'on ne va pas me proposer,
02:44mais je comprends aussi le journal qui a sa ligne éditoriale,
02:48qui a son lectorat et qui n'a pas forcément envie de fâcher non plus,
02:51mais après c'est sûr que moi je connais la ligne éditoriale,
02:54je connais le cadre et j'essaye de rester dedans.
02:56Je n'ai pas l'impression d'avoir été, moi, particulièrement coincé en fait,
03:01mais c'est toujours pareil, je ne travaille pas dans un journal comme Charlie,
03:05donc je n'ai pas la même problématique.
03:07Vous participez aussi, par exemple, à l'hebdomadaire Franck Tireur,
03:10qui pour le coup est un petit peu plus engagé politiquement.
03:13Peut-être que dans l'exercice de cet exercice-là,
03:16peut-être que vous vous êtes un petit peu retiré le crayon de temps en temps,
03:20mais pas du tout, jamais en tout cas de vous-même.
03:22C'est tellement différent en fait, le cadre est tellement différent,
03:25les exigences, la ligne éditoriale n'a tellement rien à voir.
03:28Là, je n'ai pas l'impression justement qu'il y ait des sujets tabous à Franck Tireur.
03:34« Je suis Charlie », c'était il y a 10 ans ce slogan brandi par quasiment toute la France,
03:40en soutien évidemment à la rédaction de Charlie Hebdo,
03:43mais aussi pour soutenir la liberté d'expression.
03:45Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?
03:46Patricia, bonjour.
03:48Bonjour, bonne année.
03:50Oui, meilleur jour à vous également, Patricia de Strasbourg.
03:53Dites-nous, Patricia.
03:55Moi, je trouve que ça devient compliqué, la liberté d'expression,
04:01parce que même quand on donne notre opinion sur la politique actuellement et tout,
04:08sur les faits, on dit « mais tais-toi »,
04:13parce que j'ai un très grand franc-parler déjà quand je vais à des réunions
04:18ou que je veux adhérer à des associations.
04:21Il faut que je montre pas de blanche pour pas que je bouleverse les dits des gens.
04:33Vous vous sentez un petit peu brillée aujourd'hui, Patricia.
04:37Vous avez l'impression qu'il y a des choses qu'on ne peut plus dire aujourd'hui, Patricia ?
04:41Oui, beaucoup.
04:43Sur la religion, sur ce qu'on pense sur la politique,
04:47quand je dis que Macron dépense à terre et à travers.
04:54Moi, ce qui me reste à travers, c'est juste le fait de dire
04:584 800 € une bouteille de champagne quand Charles est venu à Paris
05:05et que le peuple crève de faim.
05:07C'est pas logique.
05:09Mais on me dit « t'as pas le droit de dire ça ».
05:11Si, on peut le dire, parce que j'insulte pas, je dis que la vérité, c'est compliqué.
05:18On comprend bien, Patricia.
05:19Qu'est-ce que vous en pensez, Yannick Lefrançois, après Charlie ?
05:25Est-ce qu'il y a eu un élan « je suis Charlie » qu'on a perdu un peu aujourd'hui ?
05:30Est-ce qu'on était tous partis avec de bonnes bases de se dire « on peut tout dire,
05:34on peut en tout cas rire de tout » ?
05:36C'était surtout le sujet autour de Charlie Hebdo.
05:38Et qu'aujourd'hui, on en est sortis complètement.
05:40Il y a eu un engouement.
05:42Effectivement, tout le monde est sorti, tout le monde est venu défiler.
05:45C'était très beau et c'était très encourageant.
05:48C'est un petit peu comme l'effet J.O.
05:50C'est-à-dire que ça dure un temps.
05:52On disait « il va y avoir un avant et un après ».
05:54Et puis finalement, après, tout le monde reprend son chemin,
05:58ses intérêts, ses opinions politiques.
06:01Aujourd'hui, le problème, c'est que vous avez des gens qui vous disent,
06:04qui je pense sont minoritaires tout de même,
06:06parce que quand on voit les derniers chiffres,
06:08on peut être optimiste, parce qu'il y a quand même,
06:10sur le dernier sondage, 76% des Français qui sont pour la liberté de la presse.
06:15Ce qui est quand même une grande majorité et c'est très encourageant.
06:18Le sondage IFOP pour Charlie Hebdo.
06:20Voilà, seulement dans les réseaux sociaux et dans certains partis politiques,
06:24vous avez des gens aujourd'hui qui vous disent « oui, mais ».
06:27Et c'est le « mais » qui, à mon avis, coince.
06:30C'est-à-dire que le « mais » veut dire « oui, effectivement, Charlie,
06:34mais, sous-entendu, ils l'ont mérité ».
06:37Et c'est là que ça ne va pas.
06:39Est-ce qu'on peut comprendre certaines réticences, quand même,
06:43sur l'outrance que peut faire ressentir, évidemment, ces dessins ?
06:50Charlie Hebdo, on adore ou on déteste,
06:52parce qu'ils sont dans l'excès, quelque part, à la force du crayon.
06:57C'est le jeu.
06:58Mais à partir du moment, en tout cas dans notre pays,
07:01et pour défendre toujours ces valeurs,
07:03c'est simplement que la liberté d'expression,
07:07qui doit s'exercer dans le cadre de la loi, bien sûr,
07:09c'est-à-dire ne pas être ni raciste, ni antisémite, ni diffamatoire,
07:15à partir du moment où elle s'exerce dans le cadre de la loi,
07:18elle doit être acceptée, et effectivement...
07:20Jusqu'au blasphème.
07:22Pour moi, le blasphème, c'est quelque chose qui n'existe pas en France.
07:25Vous voyez, on m'avait déjà posé la question, justement, en 2015,
07:28une radio m'avait posé la question,
07:30pour vous, le blasphème, j'ai dit, mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de blasphème ?
07:34Ça veut dire quelque chose pour certains, bien sûr.
07:37Ça veut dire quelque chose pour certains.
07:38Le seul ennui, si vous voulez, c'est qu'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux,
07:41on est dans la victimisation totale.
07:43Et tout le monde a besoin de faire ressentir sa blessure.
07:49Je vous propose d'aller à Vinsonheim, où nous attend Patrick.
07:52Bonjour Patrick.
07:53Bonjour Patrick.
07:54Bonjour, bonjour.
07:55Bonjour à toute l'équipe, et puis bonne année, bonne santé à tout le monde.
07:59Je regarde tous les matins l'émission.
08:01Merci beaucoup.
08:02Qu'est-ce que vous souhaitez nous dire ce matin au sujet des 10 ans de l'attentat de Charlie Hebdo ?
08:05Voilà.
08:06Alors, ma fille a accouché le jour de Charlie Hebdo.
08:12Donc, elle a donné un deuxième prénom à Charlie.
08:18Malone, il s'appelle Malone, et Charlie.
08:20Et en plus, effectivement, il a son anniversaire aujourd'hui.
08:23C'est important pour vous, ça, Patrick ?
08:25Comment ?
08:26C'est un signe, c'est important pour vous, ça, que votre petit-fils s'appelle Charlie ?
08:29Ah bien sûr.
08:30Moi, même en plus.
08:32Mais avant, je regardais toujours Charlie Hebdo.
08:34J'achetais tout le temps la brochure et tout.
08:37Voilà, c'est sûr que ça a marqué.
08:39Et puis ça a marqué aussi ma fille.
08:40Après, c'est qu'elle a appelé Charlie en deuxième prénom, quoi.
08:44Ça veut bien dire, Yannick Lefrançois, qu'il y a un héritage, quand même, Charlie Hebdo.
08:47Vous entendez ce que dit Patrick ?
08:49Ça fait plaisir, ça.
08:50Ça, ça fait plaisir, vraiment.
08:53Et merci, Patrick, pour ce témoignage, ce matin, ici, à Alsace.
08:57Il y a un avenir pour le dessin de presse ?
09:00Est-ce qu'il y a un avenir pour la caricature, tout spécialement, selon vous,
09:03dessinateur aux dernières nouvelles Alsace ?
09:05Il va falloir se bagarrer, c'est sûr.
09:07Mais en tout cas, ce qui est certain, c'est qu'il faut absolument aller voir les élèves dans les écoles.
09:12C'est ce que je fais.
09:13Et donc, je continue, en fait, à faire des sessions comme ça
09:17et à expliquer ce que c'est que la liberté de la presse,
09:19dans les collèges, dans les lycées.
09:22Bientôt, à la fin du mois, je dois faire une réunion avec les profs-docs de bibliothèque
09:27pour leur expliquer comment on peut parler du dessin de presse,
09:30comment on apprend à lire un dessin de presse.
09:32Parce qu'en fait, le dessin de presse, avant, n'était lu que par les lecteurs.
09:35Aujourd'hui, il sort du journal et il est diffusé sur les réseaux sociaux
09:39et donc vu par des gens qui n'ont pas forcément les codes.
09:42Donc, après, ça prend des proportions.
09:47Donc, j'essaie de faire au mieux, moi, de mon côté.
09:50Vous êtes d'accord avec vos confrères, de Charlie Hebdo,
09:52qui sort ce numéro spécial.
09:54Incroyable.
09:55Incroyable, voilà, le journal.
09:57Même si, vous verrez en quatrième de couvre, quand même,
10:00certaines, une plus réticente.
10:03C'est comment l'ambiance à Charlie, avec des dessinateurs en combinaison plomb.
10:07Dans un siècle, les dessinateurs de presse seront bien meilleurs
10:09qu'aujourd'hui avec des robots.
10:11Ça fait partie des dessins qui sont, ce matin, publiés par Charlie Hebdo.
10:16Longue vie à Charlie, en tout cas.
10:18Merci d'être venu nous parler, justement, de cet anniversaire,
10:22triste anniversaire de l'attentat de Charlie Hebdo.
10:24Yannick Lefrançois, dessinateur au DNA.
10:27Merci.
10:28Et affronte-tireur.
10:29Et affronte-tireur, merci.
10:30Et on rappelle ce rassemblement aussi, ce soir, Place Kleber,
10:33en hommage, donc, et pour commémorer ce dixième anniversaire,
10:36contre l'obscurantisme et contre la bêtise.
10:3818h.
10:3918h pour ce rendez-vous.