Dans son livre « L’art menacé du dessin de presse », Julien Sérignac, ancien directeur du journal de 2017 à 2022, appelle à défendre cette forme de journalisme qui perd du terrain dans les médias.
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00:00En cette journée de commémoration des 10 ans de l'attentat contre Charlie Hebdo, votre
00:03invité média, Céline Baïdarkour, était le directeur du journal satirique de 2017
00:08à 2022.
00:09Désormais à la tête du musée Picasso à Paris, il publie le livre « L'art menacé
00:13du dessin de presse » aux éditions de l'Observatoire.
00:16Bonjour Julien Sérignac.
00:17Bonjour.
00:18Comment défendre la caricature dans une société fracturée ? C'est le sous-titre de votre
00:21ouvrage.
00:22Il faut rappeler que si Charlie Hebdo a été la cible des terroristes islamistes, c'est
00:25parce qu'il avait publié des caricatures de Mahomet.
00:27Quel est le constat depuis ? La place du dessin d'actualité se réduit d'année
00:32en année dans les médias ?
00:33C'est vrai que la place du dessin se réduit, y compris outre-Atlantique.
00:38On a suivi la décision du New York Times il y a quelques années de ne plus publier
00:43de dessin de presse qui a fait grand bruit.
00:46Donc elle se réduit, elle se réduit également en France.
00:50On a de moins en moins de titres qui publient du dessin de presse, on a de moins en moins
00:54de dessinateurs de presse, alors qu'il y a des vocations, il y a des dessinateurs
00:59sur le marché, il y a des jeunes dessinateurs qui poussent également, mais c'est vrai
01:05qu'on voit de moins en moins de dessins, alors qu'il y a une appétence pour le dessin
01:08de presse.
01:09On sort aujourd'hui avec la Fondation Georges Jaurès un sondage IFOP autour de ces questions-là,
01:15et il y a plus de 7 Français sur 10 qui sont attachés au dessin de presse, donc il y a
01:21cette appétence-là, alors même qu'on en voit moins.
01:23– Être attaché, ça ne veut pas dire tout de même lire des journaux qui font des dessins
01:27de presse, parce que Charlie Hebdo finalement c'est 20 000 ventes par semaine, 30 000 abonnés,
01:31c'est un journal qui est beaucoup plus connu que lu, est-ce que le public a vraiment envie
01:35de ce genre de journaux ?
01:36– Je pense qu'il y a toujours eu un noyau de lecteurs de Charlie Hebdo qui ont toujours
01:42été attachés à lire ce titre-là, vous avez cité le chiffre de 50 000 lecteurs,
01:51mais il y a beaucoup plus de personnes qui découvrent les dessins de Charlie Hebdo
01:54ou les articles de Charlie Hebdo à travers le site ou les réseaux sociaux, les dessins
01:59qui surquillent énormément sur les réseaux sociaux.
02:01– Donc le dessin de presse existe mais sur un autre terrain de jeu aujourd'hui, sur
02:06les réseaux on en voit beaucoup ?
02:07– Et c'est une des difficultés, parce que souvent on n'a pas les codes pour comprendre
02:12ces dessins-là sur les réseaux sociaux, quand on est à l'autre bout du monde ou
02:15même en France, quand on n'a pas les codes pour comprendre un dessin de presse.
02:19– C'est-à-dire quels codes ? Quand c'est dans un journal, dans un média traditionnel,
02:23là on peut comprendre, sur les réseaux un peu moins ?
02:24– Alors il y a deux choses, la première c'est pour comprendre un dessin de presse
02:29il faut d'abord savoir le lire, l'observer, le regarder et comprendre tous les détails,
02:34il faut également comprendre les références auxquelles ce dessin renvoie, souvent il
02:40y en a une, deux, trois dans un dessin, donc si on n'a pas ces références-là qu'on
02:45peut retrouver dans le journal ou simplement parce qu'on est un lecteur de la presse
02:48et qu'on a ces références-là, eh bien on comprend un dessin, et plus encore quand
02:51on connaît l'intention du dessinateur et l'intention que connaissent évidemment
02:56les lecteurs du journal, donc dans le journal aucune difficulté, effectivement dès qu'on
03:01est sur les réseaux sociaux c'est plus difficile et donc c'est ce que nous on essaye
03:04de faire avec notre association Dessiner, Créer, Liberté, c'est-à-dire d'enseigner
03:07cette pédagogie-là, ces étapes-là pour comprendre un dessin de presse et ne pas être
03:11perdu face à un dessin dont on a l'impression qu'il est raciste alors qu'il combat justement
03:14le racisme.
03:15– Avec cette association dont vous venez de parler, Dessiner, Créer, Liberté, vous
03:18allez en fait à la rencontre des lycéens pour leur expliquer le dessin de presse mais
03:21aussi la liberté d'expression, quel accueil avez-vous de ces jeunes ?
03:25– On fait les choses de manière assez progressive justement pour ne pas arriver directement
03:29avec une caricature du prophète qui pourrait heurter les sensibilités et donc on part
03:34en général de dessins d'enfants qui sont des dessins que la rédaction a reçus en
03:382015 au moment de l'attentat et qui nous servent d'outils pédagogiques, on part
03:43de ces dessins-là qui parlent à tous les enfants, qui traitent de laïcité, de vivre
03:47ensemble, de valeur de la République et petit à petit on les amène justement en enseignant
03:53cette pédagogie en plusieurs étapes, on les amène à comprendre des dessins de presse
03:57assez compliqués et à instaurer une forme de débat autour de sujets assez difficiles.
04:02– Ne trouvez-vous pas, Julien Sérignac, qu'on pouvait peut-être rire de tout il
04:05y a 20 ou 30 ans et aujourd'hui les jeunes générations ne veulent plus rire par exemple
04:11des questions de genre, des discriminations, est-ce que le dessin de presse a vraiment
04:14su évoluer avec la société ?
04:16– Il y a plusieurs questions dans votre question, est-ce qu'on pouvait rire de tout, je ne
04:20sais pas, il y a quand même cette question de des proches il y a 40 ans qui pose cette
04:25question, est-ce qu'on peut rire de tout, Kabu quelques années avant l'attentat qui
04:29sort un livre, avant l'attentat, peut-on encore rire de tout ? Donc c'est une question
04:33à mon avis qui n'a pas fini d'exister et qui est une question qui se pose dès qu'on
04:38parle de dessin de presse, voilà. Donc la question ensuite, est-ce qu'on peut moins
04:42rire de tout aujourd'hui, je ne suis pas sûr, justement l'enquête montre plutôt
04:44l'inverse, il y a des sujets évidemment qui ne sont plus les mêmes que ceux d'il
04:50y a 20 ans, 30 ans, 40 ans, il y a des sujets qui heurtent, qui ne heurtaient pas probablement
04:55il y a quelques années, c'est d'ailleurs plutôt positif, voilà, en revanche on doit
04:59pouvoir en rire et on doit pouvoir ensuite en discuter, l'idée d'un dessin de presse
05:02ça n'est pas uniquement de faire rire, c'est de provoquer la discussion, de stimuler
05:07la pensée, voilà. Il y a un projet de maison du dessin de presse qui devrait enfin voir
05:13le jour à Paris, je crois que c'est 2027 maintenant, ça fait 10 ans qu'on en parle,
05:18ça a été si long parce qu'il faut du courage politique pour instaurer un tel lieu ? Il
05:23faut du courage politique pour instaurer un tel lieu, effectivement, le Président de
05:27la République a pris cet engagement pour la première fois en 2020 et donc effectivement
05:32maintenant on attend que le projet soit en place. On en parlait sous François Hollande
05:34déjà, c'est pour ça que je dis que ça fait 10 ans qu'on en parle. Alors, Georges
05:38Wolinsky avait même écrit un rapport en 2007, donc sous Jacques Chirac, ça fait vraiment
05:43très longtemps, pour ce projet-là, mais c'est vrai que là plus on avance et plus
05:47les étapes se concrétisent, il y a un lieu maintenant qui est défini, il y a un projet
05:52autour de ce lieu-là, donc on y va, 2027 c'est dans pas si longtemps. Oui, êtes-vous
05:57favorable, Julien Sérignac, à ce que les caricatures de Mahomet soient exposées dans
06:01ce musée ? La question fait débat. À mon avis c'est indispensable, c'est-à-dire que
06:04ce musée-là, pourquoi il se concrétise en 2020, c'est aussi à la suite de l'attentat
06:10qu'on a connu il y a 10 ans et donc si on ne montre pas l'objet qui a conduit à cet
06:15attentat-là, on passe à côté de la vocation de ce dessin-là, de cette maison-là. Dans
06:19l'édito du Charlie Hebdo qui est sorti ce matin, jour anniversaire de l'attentat, le
06:23directeur Rhys écrit « Si on a envie de rire, c'est qu'on a envie de vivre, et l'envie
06:29de rire ne disparaîtra jamais ». Quand vous dirigez le journal, Julien Sérignac, vous
06:32avez senti au sein de cette rédaction, qui avait perdu huit dès l'heure, cette envie
06:36de vivre et de continuer à rire ? C'est pour ça que le journal continue, c'est
06:41qu'effectivement il y a cette envie de rire. Tous les jours, on en parlait ensemble avant
06:47l'émission, c'est une rédaction dans laquelle on rit énormément, on pense énormément,
06:51on s'engueule énormément, mais on rit beaucoup.