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00:00Vous écoutez Culture Média sur Europe 1, 9h30, 11h avec Thomas Hill et votre invité ce matin, Thomas Hill.
00:06Oui, je reçois ce matin le journaliste Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo, parce que demain ce sera 10 ans, jour pour jour, qu'a eu lieu l'attentat contre ce journal.
00:14Et pour la première fois, vous avez accepté de retracer ces événements dans un podcast de la rédaction d'Europe 1, supervisé par Julien Pichenay, qui est aussi autour de la table.
00:23J'imagine que ce n'est pas la première fois qu'on vous le propose. Qu'est-ce qui vous a décidé cette fois-ci, Philippe ?
00:29Ce qui m'a décidé d'habitude, quand c'est l'anniversaire de cet abominable événement, cet irréparable événement, je refuse plutôt les interviews.
00:43Là, ça fait 10 ans, ce journal a fait partie de ma vie, à la fois professionnelle pendant 20 ans, et puis affective aussi, puisque j'étais très lié à certains membres de la rédaction, Kabu notamment.
01:01Et j'ai eu envie de parler parce que, d'abord remettre des choses au point, dire exactement ce qui s'est passé, rappeler des choses qu'on a oubliées ou qu'on n'a pas voulu entendre à ce moment-là,
01:13et puis rendre justice, d'une certaine façon, à ceux qui se sont bien comportés, et rappeler ceux qui s'entêtent à mal se comporter, ou en tous les cas à ne pas faire leur boulot de journaliste et à ne pas parler de la réalité telle qu'elle est.
01:33Parce que finalement, ce que ces attentats depuis Mohamed Merah jusqu'à aujourd'hui révèlent, on ne veut pas le voir, et je pense que c'est catastrophique.
01:45Est-ce qu'il y a chez vous aussi, Philippe Ball, la peur qu'on oublie ce qui s'est passé ce 7 janvier 2015 ?
01:50Oui, vraiment, et je pense que c'est une espèce de hold-up, parce que le 11 janvier, il y a 4 millions de personnes qui sont descendues dans les rues, 4 millions, c'est plus qu'à la libération de Paris, ça ne s'est jamais vu, c'est historique.
02:05Partout en France ?
02:06Il y a des manifestations comme ça partout en France, avec des chefs d'Etat, des étrangers qui sont venus, c'est un événement historique.
02:13Or, un an plus tard, il y a une campagne éléctorale présidentielle, et aucun candidat retenu ne parle de cet événement historique et ne parle à ces 4 millions de personnes.
02:24Mais c'est incroyable, c'est presque magique, c'est fou, tout le monde les oublie, mais eux n'ont sans doute pas oublié, mais les médias, les journaux, les intellectuels les oublient.
02:39Et déjà, dès les jours qui ont suivi cette grande manifestation, j'en parlais tout à l'heure dans la matinale, mais quand Todd publie son bouquin pour dire que c'est des petits bourgeois catholiques qui veulent se tenir chaud en ayant peur de l'islam et c'est pour ça qu'ils défilent, déjà on essaye d'enterrer ça.
02:59Alors que ces gens-là ont été touchés dans leur identité profonde, ils sont traversés par ce que j'appelle l'esprit européen, c'est-à-dire une culture de la liberté, du respect du corps de l'autre, parce que c'est ça, il y a des droits humains dans toute l'Europe qui sont respectés,
03:21une culture de la liberté d'expression, du droit de rigoler, de blasphémer, et puis plus profondément encore, c'est culturel, depuis très longtemps on apprend presque par capillarité qu'on délègue la violence légitime à une autorité qu'est l'État, donc ils sont Charlie parce qu'ils veulent la liberté de conscience, pas parce qu'ils adhèrent à la ligne éditoriale de Charlie,
03:48parce qu'ils tiennent à la liberté de conscience, ils tiennent aussi à la délégation de la violence légitime à l'État, donc je suis flic, et ils tiennent aussi à leur identité profonde parce que l'Europe est constituée d'une hybridation judéo-grecque et ils sont juifs, oui parce que l'Europe est aussi juive, elle est grecque, elle est juive, elle fait partie, c'est une hybridation magnifique de différentes cultures, dont la culture juive.
04:14Et ce qui est intéressant dans ce podcast où vous parlez vraiment à la première personne, Philippe Valls, c'est que vous reprenez le fil des événements, et justement toutes ces choses qu'on a pu oublier, je pense qu'on est très nombreux aussi à avoir oublié par exemple, que tout commence dix ans plus tôt en fait, en 2005 au Danemark, lorsqu'un journal, Yalung Posten, publie douze dessins, dont certains sont des caricatures du prophète, des dessins qui passent d'abord assez inaperçus, des dessins qui vont ensuite être manipulés, repris, envoyés au public,
04:43envoyés aussi à des grandes institutions islamiques, en ajoutant même des faux-dessins, c'est tout ça qui va construire le scandale un peu international, et à Charlie Hebdo, vous vous dites qu'il faut absolument réagir face à ça, il faut que tous les journaux publient ces dessins, et vous appelez les patrons de journaux Philippe Valls directement, et au départ ils sont plutôt partants.
05:06Oui bien sûr, ils savent que c'est important pour eux, mais très vite, ceux à qui j'ai téléphoné, me rappellent et me disent, ça va pas être possible, parce que soit ils ont la rédaction contre eux, une rédaction bien pensante, qui pense que critiquer une religion dans sa version la plus puritaine, la plus extrême, c'est stigmatiser les musulmans, ce qui est quand même un peu aberrant,
05:35soit ils ont l'actionnaire contre eux, parce que l'actionnaire fait des affaires, enfin veut pas d'ennuis...
05:41Vous parlez de quels journaux là par exemple ?
05:44Il y a eu Libé, je me souviens plus exactement des journaux, mais il y en a eu un certain nombre, l'Obs je pense, l'Express a tenu bon, c'était Denis Jambard à l'époque qui dirigeait l'Express, et c'était Dassault qui possédait l'Express,
06:01et bizarrement, Dassault a appris que Jambard reproduisait les pages de Charlie Hebdo à l'intérieur de l'Express, il était fou de rage, parce qu'il allait vendre des mirages en Arabie Saoudite avec Chirac la semaine suivante,
06:20et que ça le mettait en porte à faux, donc il voulait absolument pas de ça, mais l'Express était déjà dans les rotatives, Jambard lui a dit, vous avez le numéro de l'imprimeur, si vous voulez vous arrêtez l'impression, mais moi je démissionne, vous pouvez arrêter l'impression quand vous voulez,
06:36mais ça fera un scandale, si l'Express arrive avec un jour ou deux de retard dans les kiosques, on se demandera pourquoi, et donc Dassault finalement, c'était trop tard, laisse courir, mais en rentrant d'Arabie Saoudite, quelques temps plus tard, il a vendu l'Express.
06:54Et alors vous à Charlie Hebdo, vous organisez une grande réunion en expliquant le danger à publier ces dessins, et tout le monde, sauf un des employés est en faveur de la publication, mais il ne met pas de veto, donc vous sortez ce numéro spécial avec ce fameux dessin en couverture de Cabu, du prophète qui se cache les yeux en disant c'est dur d'être aimé par des cons, les ventes sont absolument colossales, comme les critiques, je vous en prie.
07:21Oui, le titre, c'est important de le rappeler, c'est Mahomet débordé par les intégristes, et l'autre dit c'est dur d'être aimé par des cons, donc il ne s'agit pas une fois de plus des musulmans, tout est pesé en fait.
07:39Et c'est d'ailleurs ce qu'explique au micro de Frédéric Taddeï sur Europe 1 Cabu, qui se défend à l'époque et qui explique la position du journal Écouter.
07:48Notre position ce n'est pas de stigmatiser une communauté, c'est de stigmatiser des fanatiques. On doit pouvoir critiquer aussi la religion musulmane, comme toutes les religions, parce qu'imaginez si on n'avait jamais critiqué aucune religion, dans quelle société on vivrait ? Il n'y aurait pas de statut pour les femmes par exemple, puisque dans ces pays, c'est un bon étalonnage d'ailleurs, la condition féminine dans un pays, ça prouve le degré de liberté pour nous.
08:15Voilà, le dessinateur Cabu qui quelques années plus tard sera l'une des victimes de l'attaque des frères Kouachi contre Charlie Hebdo, une interview d'ailleurs que vous ressortez en intégralité demain.
08:24Oui demain, c'était chez Frédéric Taddeï en 2006 sur Europe 1, elle sera disponible dès demain en intégralité sur le site et l'appli Europe 1.
08:30Voilà, et vous Philippe Val en tant que directeur de Charlie à l'époque, vous êtes placé évidemment sous protection policière et puis la suite des événements, on va y revenir dans un instant, ce sera après le journal des médias de Julien Pichenay. A tout de suite sur Europe 1.

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